Afghanistan : dix ans après, retour sur l’embuscade d’Uzbeen

Afghanistan : dix ans après, retour sur l’embuscade d’Uzbeen

Recueilli par J.-M.G. – La Dépêche – 18 août 2018

https://www.ladepeche.fr/article/2018/08/18/2853300-afghanistan-dix-ans-apres-retour-sur-l-embuscade-d-uzbeen.html

Hommage aux soldats tués à Uzbeen, dans la cour des Invalides à Paris, en 2008./ Photo, Marc Calvet

Le 18 août 2008 dix militaires dont huit soldats castrais meurent dans une embuscade en Afghanistan. Ce jour-là, la France redécouvre la guerre.

Une embuscade tendue dans la vallée d’Uzbeen, dans l’est afghan, coûte la vie à dix militaires français dont huit soldats du 8e RPIMa les 18 et 19 août 2008. Au cœur de l’été, les Français prennent conscience que leurs soldats sont engagés dans un conflit dur, dont l’impopularité ne va cesser de grandir.

Attendus par une centaine de talibans embusqués, une trentaine de soldats en mission de reconnaissance livrent un combat acharné pendant plusieurs heures. La nouvelle fait l’effet d’un électrochoc. «Afghanistan : la France dans la guerre», titre Le Monde le 21 août 2008.

«À ce moment-là, les autorités politiques et militaires réalisent que les Français ont oublié que leurs soldats faisaient la guerre, tuaient et pouvaient mourir», explique l’historienne Bénédicte Chéron. «Ce qui semble évident pour les militaires ne l’est vraiment pas à l’époque pour l’opinion publique, pour qui ces jeunes victimes sont des enfants, pas des combattants», souligne l’auteur de l’ouvrage Le Soldat méconnu. La place de l’armée dans notre société.

Le drame braque les projecteurs sur un conflit jusqu’alors peu médiatisé. En quelques mois, des dizaines de journalistes français affluent en Afghanistan. «À partir de septembre 2008, on assiste à un retour des images combattantes à la télévision», analyse Bénédicte Chéron.

Les familles portent plainte

Après Uzbeen, le gouvernement ordonne le déploiement de moyens militaires supplémentaires, dont des drones, des hélicoptères et des équipements individuels. La polémique perdure sur les carences de l’armée française, dont le commandement a «péché par excès de confiance», de l’aveu du patron des troupes françaises en Afghanistan, le général Michel Stollsteiner.

En 2009, les familles de sept victimes d’Uzbeen déposent plainte pour déterminer «d’éventuels manquements dans la chaîne de commandement». Le dossier sera classé sans suite.

L’embuscade attise parallèlement le débat sur la pertinence de l’engagement français en Afghanistan, où les résultats de la coalition internationale peinent à convaincre.

Au-delà de l’épisode d’Uzbeen, la violence des affrontements en Afghanistan pousse l’armée à s’adapter. Le colonel Renaud Senetaire explique : «En quelques années le service de santé des armées se transforme pour s’adapter à la dureté des engagements.» À partir de la fin des années 2000, les militaires prennent également mieux en compte les blessures psychiques. En 2009, le premier «sas» de décompression pour les soldats de retour de mission voit le jour à Chypre.

70 000 soldats déployés

Selon un sondage réalisé après l’embuscade, 55 % des Français étaient opposés à la présence de troupes françaises, contre 55 % d’opinions favorables en octobre 2001, au début du déploiement des forces internationales dans le pays. L’hostilité des Français à l’égard de l’engagement afghan ne cesse ensuite de croître : 64 % se disaient contre en août 2009, 76 % en août 2011. Entre 2001 et 2014, plus de 70 000 soldats français auront été déployés sur le théâtre afghan ; 89 d’entre eux y périront, 700 en reviendront blessés.

Aurore Buil : «Je suis toujours très en colère»

Aurore Buil, 37 ans, l’épouse de Damien Buil, soldat du 8e RPIMa de Castres mort lors de cette attaque, a accepté de confier où elle en était dix ans après. Elle est retournée depuis vivre dans sa région de Nouvelle-Aquitaine où elle travaille comme personnel civil de la Défense, au sein de l’armée de l’air.

Dix ans après, pouvez-vous décrire l’image que vous avez aujourd’hui de votre époux Damien Buil tombé à Uzbeen ?

Damien reste et restera mon époux et le père de mes enfants. Son souvenir reste très présent dans ma famille et avec mes amis. Il ne se passe pas un seul jour sans que nous parlions de leur père avec mes enfants. Je garde une très belle image de mon mari qui était un homme bon, honnête et toujours à l’écoute des autres.

Vous souvenez-vous dans quelles circonstances vous avez appris le drame d’Uzbeen et le décès de votre époux ?

C’était le 19 août 2008, sur mon lieu de travail, à la maison de retraite de Puylaurens où j’étais aide-soignante. C’était le commandant en second du 8e RPIMa, accompagné d’une amie proche et de deux autres militaires qui m’ont appris le décès de Damien. Il m’a juste informée que 10 militaires étaient tombés au cours d’une embuscade la veille. Je n’ai pas réalisé cette terrible nouvelle dans l’immédiat et il a fallu qu’un ami, lui-même en Afghanistan, me dise avoir vu son corps. J’étais alors enceinte de mon petit garçon.

Dix ans après, avez-vous toutes les réponses que vous attendiez sur ce qui s’est passé vraiment dans cette embuscade, l’échelle des décisions et des responsabilités ?

De nombreuses questions restent sans réponse et malheureusement les responsables de cette mission n’ont pas assez de cran pour parler et avouer les manquements et fautes qui ont entraîné cet assassinat. Un général m’a avoué un jour : «Nous avons péché par excès de confiance». Tout est dit ! Nos soldats sont partis au combat sous-équipés. Mon mari avait même dû s’acheter lui-même de l’équipement supplémentaire.

Après avoir vécu ce drame il y a dix ans, avez-vous le sentiment d’avoir tourné la page ?

Je suis toujours très en colère contre les responsables de cette mission mal préparée qui ouvrait tant de portes aux talibans. Ces responsables ont détruit ma vie de famille, ils ont pris la vie du père de mes enfants. Je ne tournerai jamais la page.