En avant doute ! ou comment réinventer les colonies de vacances.

En avant doute ! ou comment réinventer les colonies de vacances.

Par Michel Goya – La Voie de l’épée – Publié le lundi 6 août 2018

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Le 27 juin dernier ont été dévoilés enfin les grands principes projet de Service national universel (SNU), aboutissement d’un long processus de réflexion initié par une promesse de campagne aussi ambitieuse qu’hasardeuse. Ce SNU comprendra donc deux phases. 

La première, dans le prolongement du parcours citoyen déjà existant, consistera, selon la présentation officielle « en une occasion de vie collective permettant à chaque jeune de créer des liens nouveaux, d’apprendre une façon neuve de vivre en commun, et de développer sa culture d’engagement pour affermir sa place et son rôle au sein de la société ». En clair, il s’agit d’un internat (en traduisant comme tel « l’occasion de vie collective ») de deux semaines, vers l’âge de 16 ans, suivi quelques mois  plus tard d’un projet de groupe de deux semaines également. Dans une deuxième phase, chaque jeune sera encouragé à poursuivre volontairement une période d’engagement d’au moins trois mois, dans un service public ou un organisme d’intérêt public.

Revenons sur la première phase. La ministre des Armées la décrit comme « Une période, où les jeunes vivront ensemble, apprendront à se connaître, se comprendre, s’apprécier, quelles que soient leurs origines, leurs croyances ou leurs orientations. Ce sera utile pour notre jeunesse ». Cela ne vous rappelle rien ?

Les colonies de vacances ont été créées en France en 1880. La France de l’époque est un pays meurtri par la guerre et la défaite. C’est aussi une société tendue. Après le développement industriel du milieu du siècle, le pays est entré dans un long cycle de stagnation économique qui double celui de la stagnation démographique. Les tensions sociales se doublent de réactions identitaires tant dans les régions, qui réinventent leurs cultures que dans les classes populaires pénétrées par des vagues d’émigration européennes. La République est fragile, laïc et religieux s’affrontent. En 1886, La France juive d’Edouard Drumont est un best-seller. En 1892, les Anarchistes commencent à multiplier les attentats terroristes tandis que l’Allemagne reste menaçante. 

Il apparaît alors nécessaire à beaucoup de souder la nation afin de la rendre plus forte. On ne dit qu’il faut « faire France » car les gouvernants parlent un bon français mais l’idée est déjà bien là. On pourrait même dire que l’on veut faire « République française » en organisant avec les lois Ferry,un système d’enseignement centralisé gratuit, laïque et obligatoire. Il s’agit bien d’éduquer mais aussi de former des citoyens français, parlant la même langue et partageant les mêmes valeurs dont l’amour de la Patrie. Au bout du processus, le service militaire obligatoire et universel qui se met en place à la même époque s’inscrit dans la même démarche de formation complète tout en constituant éventuellement la concrétisation ultime de l’acte citoyen : la mise en danger de sa vie pour protéger la France.

C’est dans ce cadre qu’apparaissent aussi en France les colonies de vacances, sous l’impulsion d’Edmond Cottinet. Dépassant les conceptions hygiénistes initiales (sortir les enfants des villes insalubres pour les amener au grand air chez de la campagne), Cottinet conçoit un centre collectif géré par un personnel spécialisé et destiné à l’autonomisation des enfants et surtout l’apprentissage du vivre-ensemble (ou parle alors de fraternité). Cette idée est très vite reprise par les communautés de la société civile. On voit donc fleurir des colonies catholiques, protestantes, juives, socialistes (les Faucons rouges), d’entreprises, etc. Le développement est exponentiel, touchant des millions d’enfants dans les années 1950. Sur un projet proche mais plus ambitieux et un spectre d’âge plus large, le scoutisme connait un développement similaire au cours du XXe siècle.

Ce grand projet de vie en groupe au grand air a ensuite décliné avec une accélération forte dans les années 1990, époque où le service national partait lui-même en lambeaux avant de mourir. Les raisons de cette désaffection sont complexes, l’effacement des grandes institutions à « projet de société », religieuses ou politiques, y est sans doute pour beaucoup. A moins que ce ne soit l’effacement de tout projet de société qui soit en cause, projet autre bien sûr que l’atomisation en une collection de consommateurs-électeurs isolés et régulés par le marché. On notera que statistiquement le reflux des « occasions de vie collective » a surtout touché la France populaire et périphérique décrite par Christophe Guilluy, la même qui subissait les effets négatifs dans les années noires de la première mondialisation à la fin du XIXe siècle.

Voici donc en 2018 qu’après avoir annoncé un service national obligatoire de plusieurs mois pour les jeunes adultes, on aboutit à des colonies de vacances pour adolescents organisés par l’État. Pourquoi pas mais commençons par admettre qu’il ne peut s’agir là d’un service national, ne serait ce que parce qu’il n’y a pas de service rendu à la nation. Les différentes formes de service national, dont le service militaire, consistaient, après une formation initiale à un « retour sur investissement » de quelques mois, voire de plusieurs années dans le cadre des réserves, pour la nation. Que cela puisse constituer une « occasion de vivre ensemble » et contribuer à la formation de la citoyenneté n’était que la partie secondaire, un effet induit en fait, de l’affaire. Ajoutons qu’à l’agonie du service national dans les années 1990, le quart seulement d’une classe d’âge effectuait le service militaire. Les filles, sauf de rares volontaires, étaient exemptées et les fils des milieux aisés disposaient de nombreux biais pour y surseoir ou effectuer un service dans des conditions plus confortables. Les bienfaits du « vivre ensemble » apparaissaient alors plutôt comme un impôt supplémentaire imposé aux garçons des milieux défavorisés.

Le projet tel qu’il est présenté n’apporte pas grand-chose à la nation dans sa phase obligatoire. La réunion « obligatoire et universelle » de mineurs à des fins d’apprentissage, que ce soit dans un collège ou en plein air, n’est pas un service mais un projet éducatif, ce qui relève donc du ministère de l’Éducation nationale.  A ce stade, on ne voit pas bien en effet pourquoi cela sortirait de ce ministère, à moins de sous-traiter une partie de la mission, comme pour les colonies de vacances, à la société civile. En tous cas, il n’y aucun raison particulière, sinon qu’ils disciplinés, pas syndiqués, et souvent bon éducateurs, de détourner des militaires pour en fournir l’encadrement. Sinon pourquoi pas des juges, des gardiens de prison, des préfets, des policiers, des chargés de missions de l’Elysée, etc. 

Au passage, on est curieux de savoir le contenu de l’apprentissage durant ces quinze jours de vie collective, hors les sempiternels « gestes qui sauvent» qui constituent, à ce jour, le seul élément concret évoqué. Le secourisme, c’est bien mais qu’y aura-il d’autre qu’on ne puisse apprendre dans les murs d’un lycée (sachant que le secourisme peut s’y apprendre aussi). On voit bien qu’en réalité c’est l’internat qui constitue une fin en soi (sinon rappelons cette évidence que les classes d’école, collège ou lycée constituent déjà des « occasions de vie collective »). Voici donc enfin le cœur du projet de société après des mois de tergiversations : faire dormir ensemble et hors de chez eux des adolescents pendant quatorze jours. On est loin de la « levée en masse » de 1793 et faudra quand même expliquer, un minimum scientifiquement, par quel processus on ressoudera la nation avec ce qui est plutôt un « coucher en masse ». Ce qui soudait les appelés dans les régiments d’infanterie, ce n’était pas tellement l’internat mais au minimum le fait de travailler ensemble sur des projets et surtout  les épreuves, les marches, les entraînements, le froid, bref des choses difficiles à faire ensemble, sans même parler des opérations pour certains volontaires.

Il y a peu de chances que l’on mette les futures classes de jeunes à l’épreuve. En dehors de quelques amourettes, je doute donc qu’il en sorte beaucoup de liens très forts ou en tout cas différents des cours de lycée. Passons sur la deuxième partie de la phase obligatoire, le projet collectif, dont on ne voit pas à ce stade ce qui peut les différencier des stages qui sont déjà organisés, hormis que cela se fera à plusieurs.

Après cette phase dite « du rassemblement », il y aura celle de l’engagement : « Un engagement de trois mois au moins, exclusivement volontaire, dans nos armées, nos forces de police, chez nos pompiers, nos gendarmes, dans des collectivités ou encore dans les associations. Cette période sera, pour ceux qui le souhaitent, la dernière étape de ce SNU : une étape pour se dépasser et servir la France ». Ce qui est fou c’est que je croyais que cela existait déjà. Je croyais en effet qu’il y avait déjà presque 200 000 pompiers volontaires, 80 000 réservistes aux ministères des Armées ou de l’Intérieur et surtout qu’il y avait déjà un service volontaire civique avec 123 000 contrats en 2017. En fait, on ne voit absolument pas ce qui différencie cette « phase d’engagement » du service civique hormis un champ d’application est plus large, incluant notamment la sécurité, et des contrats plus courts. On est alors effectivement dans le service mais la notion d’obligation a disparu.

Au final, l’idée d’un service national universel pouvait être un vrai projet ambitieux et un vrai projet de société. En tant que tel, il aurait mérité un peu moins d’emballement personnel initial et un peu plus de consultations, au moins pour appréhender des enjeux qui dépassent largement ceux de la jeunesse. On rappellera au passage qu’il ne serait venu à personne l’idée de « consulter les jeunes » avant de mettre en place le service militaire obligatoire. Quand ces jeunes se sont retrouvés en position de choisir tout au long du XIXe siècle, c’est-à-dire lorsqu’ils tiraient un mauvais numéro, ils s’empressaient dans l’immense majorité des cas et s’ils le pouvaient de se payer un remplaçant ou une exemption. Le service véritablement universel et obligatoire, c’est-à-dire comprenant des sanctions en cas de refus, a duré moins d’un siècle en France. On notera qu’à l’exception évidente des militaires, la très grande majorité des personnalités qui parent actuellement le service obligatoire de grandes vertus, Président de la République en tête, ont choisi de l’éviter d’une manière ou d’une autre lorsqu’ils étaient jeunes et qu’ils ou elles pouvaient encore le faire.

En réalité, il n’y avait sans doute que deux voies cohérentes.

La première était le retour à la une forme de service national élargi au service public. Les services publics sont en grande difficulté, en particulier les ministères régaliens, l’engagement d’un an de 800 000 jeunes auraient permis de les renforcer à bas coût (pour rappel, le but du service militaire était avant tout de disposer à budget constant de soldats en grand nombre). Cela supposait de surmonter l’interdiction juridique du travail forcé au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Cela supposait aussi des investissements de plusieurs milliards d’euros par an. Cela impliquait enfin un effort de tous les instants pour lutter contre les resquilleurs qui n’auraient pas manqué d’apparaître et maintenir le caractère obligatoire et universel (et donc juste) de l’affaire. L’effort était considérable, pas plus cependant que celui des débuts de la IIIe République, mais il y aurait eu un retour considérable sur investissement pour le bien de la nation.

La seconde consistait à s’appuyer sur l’existant. Il est question d’un budget de 1,6 milliards d’euros pour la phase obligatoire du SNU, c’est-à-dire pour héberger et encadrer pendant deux semaines une classe d’âge de 800 000 individus et ce chiffre ne comprend pas les dépenses d’infrastructure sans doute nécessaire (faut-il rappeler la difficulté qu’il y a eu à loger quelques milliers de soldats de l’opération Sentinelle). Comme tout investissement et alors que les deniers publics sont très comptés il faut imaginer aussi quel investissement on ne fait pas en faisant ce choix. Ce chiffre représente le quadruple de celui du Service civique, il est vrai en forte hausse. Chaque contrat, rémunéré, de Service civique de 6 à 12 mois coûte ainsi moins du double de ce que coûteront les quinze jours d’internat de chaque jeune « rassemblée ». Etrangement, quelque chose me dit que le premier investissement public est incomparablement plus utile et rentable  que le second. Ce budget représente aussi dix fois celui des 30 000 contrats de la réserve opérationnelle n°1 des armées. Autrement dit avec le budget de croisière du SNU on pourrait avoir des contrats de réservistes pour 40 % d’une classe d’âge. On notera aussi que le Service militaire adapté ou volontaire ainsi que les Etablissements publics d’insertion de la défense (EPIDe) disposent 320 millions d’euros pour former, et pas seulement professionnellement, chaque année plus de 10 000 jeunes. Avec 32 000 euros par an par individu et un taux d’insertion de 70 % c’est une réussite d’autant plus remarquable qu’elle s’adresse souvent à des jeunes en grande difficulté. Autrement dit, avec ce budget prévu pour des colonies de vacances, on pouvait doubler toutes les possibilités d’engagement volontaire au service de la nation. Là encore, le bénéfice tant collectif qu’individuel aurait été très  important.

Au final, on ne pouvait pas s’appuyer sur l’existant car il fallait concrétiser à tout prix un engagement de campagne et on a reculé devant l’ampleur de l’œuvre qui aurait été nécessaire pour revenir à un Service national « à l’ancienne ». On a donc choisi d’accoucher d’une très coûteuse souris en inventant des colonies de vacances d’État.