Et le combat cessa… faute de munitions

Et le combat cessa… faute de munitions


Fort bien documenté, l’article de Laurent Lagneau intitulé ‘Munitions petit calibre : Le ministère des Armées se dit « ouvert à tout examen de projets industriels’, publié sur Zone militaire/OPEX 360 le mardi 23 février 2021, ravive le sujet des munitions de petit calibre et appelle de nombreux commentaires. Très factuel, rappelant par le menu un débat apparu au milieu de la dernière décennie, débat rapidement éteint par l’élection du Président Macron en 2017 et la nomination de Madame Florence Parly au poste de ministre des armées (MINARM). Revenons sur quelques points susceptibles d’éclairer le débat, sans pouvoir cependant le trancher.

Traditionnellement, en France, l’Armement petit calibre (APC), c’est-à-dire d’un diamètre de munitions inférieur à 20 mm (là où on entre dans le domaine des canons..) était du ressort d’arsenaux nationaux, comme la Manufacture d’armes de Châtellerault (MAC), de Saint-Étienne (MAS) ou de Tulle (MAT) par exemple. Au sortir la guerre froide, la réorganisation des armées battant son plein et pour « engranger les dividendes de la Paix », les armes et les munitions étant majoritairement produit par des ouvriers d’État au statut extrêmement protecteur… Ce modèle, jugé obsolète au plan industriel et hérétique au plan économique, fut purement et simplement abandonné. Pour l’anecdote, rappelons que le Chef d’état-major de l’armée de Terre précédent émaillait ses interventions d’un exemple censé emporter l’adhésion du public après la décision de l’acquisition du fusil d’assaut HK 416-F[1] : « Pour le prix de quatre chargeurs de FAMAS, je peux avoir un fusil moderne… »

Concernant les munitions de petit calibre elles-mêmes, la messe avait été dite bien avant, de sorte que les approvisionnements retenus se sont, dans la plupart des cas, révélés désastreux pour des raisons de compatibilité entre le FAMAS et des munitions qui n’avaient pas été spécifiquement étudiées, développées, et qualifiées pour lui. Par souci de confidentialité, nous ne reviendrons pas sur cette phase douloureuse, à tout point de vue. Toujours est-il que les chaînes de production nationales ont été cédées à un pays tiers, et le savoir-français dans ce domaine, tout simplement perdu. L’affaire aurait dû en rester là, au moins dans l’esprit des tenants du dogme de la non rentabilité de ce domaine en national. C’était sans compter sur l’entêtement de certains députés, la résolution de certains industriels et la prise en compte du problème par le ministre de la Défense précédent. Il faut dire qu’après les attentats de novembre 2015, l’atmosphère était chargée et que le sujet de la souveraineté reprenait un peu de vigueur.

C’est dans ce cadre que trois sociétés réputées françaises (Manurhin, Nobel Sport et Thales), projettent de créer un consortium pour faire renaître une filière française de la munition de petit calibre. Leader mondial de la machine-outil de production de ce type de munitions et installant des usines clés en main sur plusieurs continents, l’industriel mulhousien souhaite mettre un savoir-faire centenaire au service des armées françaises tout en jouant sa survie. De son côté, Nobel Sport, leader mondial de la cartouche de chasse, peut compter sur le concours de Cheddite, l’une de ses filiales, elle-même leader mondial dans la fabrication des amorces. Thales, pour sa part, dirige les destinées d’Australian Munitions, qui fabrique des munitions de guerre de tout calibre, du 5,56 mm au corps de bombes aéronautiques. Nul doute que les ingénieurs des antipodes sauront transposer leurs méthodes dans les landes bretonnes. En effet, c’est à grand renfort de communication que Jean-Yves Le-Drian annonce officiellement, le vendredi 17 mars 2017, sur le site de Nobel Sport à Pont-de-Buis, dans le Finistère, la naissance officielle du projet[2]/[3].

Il n’est donc pas anodin que le premier dossier à redescendre dans la pile de la nouvelle ministre soit précisément celui-là. Les tenants de la destruction de la filière n’en démordent pas : la munition française sera forcément toujours moins concurrentielle qu’un équivalent produit dans un pays du Tiers-monde, voire même chez un concurrent occidental. Or, ce sont trois industriels français de renom qui s’engagent à fabriquer ces munitions en France, au prix du marché, avec une garantie d’approvisionnement. Malheureusement, on ne veut rien entendre et tous les arguments sont bons pour torpiller le projet. La sentence est donc définitive : la munition française n’est ni concurrentielle, ni stratégique. Pas question d’avouer qu’on a eu tort, même si les études des industriels candidats suggèrent le contraire. D’ailleurs, pour empêcher toute velléité de remettre l’ouvrage sur le métier, on empêche Manurhin de s’en sortir financièrement et on le laisse racheter par une société étrangère. Point final.

Cependant, l’échec annoncé de l’initiative nationale est bien plus grave qu’imaginé. En effet, depuis cet épisode de 2017, la situation internationale s’est singulièrement tendue, tout comme, et c’était prévu de longue date, le marché de ce segment étroit. Par conséquent, si les approvisionnements ne sont pas garantis dans un contexte de crise aigüe, comment le seraient-ils en cas de Conflit de haute intensité (CHI), cas que le CEMAT actuel demande à ses forces de considérer comme l’hypothèse de travail la plus probable. Or, il ne faut pas oublier que le projet industriel français comportait tout un volet de développement pour de nouvelles munitions, plus véloces, avec un effet terminal accru, voire un guidage terminal, laser ou autre… En le faisant rejeter pour d’obscurs intérêts, parfois personnels, c’est tout un pan de R&T et de R&D françaises qu’on a tué dans l’œuf… N’oublions pas non plus, que l’argumentaire contre le projet ne tenait compte que d’un marché très restreint, c’est-à-dire celui des Armées. Or, dans un contexte post-attentat, il fallait au contraire en faire un sujet interministériel emblématique, englobant les forces armées, certes, mais aussi toutes les forces, régaliennes ou non, allant de la police et de la gendarmerie aux agences privées de sécurité, en passant par la douane et tous les corps disposant d’armements petit calibre, tout le monde étant censé s’entraîner plus au tir…

Il serait d’ailleurs fort instructif de connaître la consommation réelle annuelle en munitions petit calibre des forces armées (entraînement et Opex) et des forces de sécurité (gendarmerie, polices nationale et municipales, douanes). La quantité de cartouches allouée aux forces de sécurité pour leur entraînement frise souvent le ridicule. Un État qui achète des munitions à l’étranger ne peut absolument pas se prétendre souverain. Politiquement, (la souveraineté) est la qualité d’une puissance parvenue à une réelle autonomie et ne dépendant plus de tiers pour la réalisation d’un dessein. On parle en ce sens de souveraineté militaire, de souveraineté technologique ou de souveraineté alimentaire pour désigner l’autonomie, l’indépendance ou l’autosuffisance dans ces domaines”.[4]

« Le ministère des Armées se dit “ouvert à tout examen de projets industriels”. La belle affaire. Avec quelles machines-outils ? Fabriquées ailleurs dans le monde ? Avec quels industriels ? Les deux survivants du projet que le MINARM a éconduits quand on pouvait encore faire quelque chose de construit ? En pan-européen, quand on voit les grandes difficultés des sujets en cours, ne serait-ce qu’en franco-allemand ? Alors, parole en l’air pour calmer l’ardeur de quelques députés en faisant miroiter une porte de sortie ou propositions sérieuses ? Il y a malheureusement fort à parier qu’il ne s’agisse, comme dans bien des cas actuellement, que d’un simple  « coup de com », sans lendemain…

NOTES :

[1]   Heckler & Koch 416 France.

[2]   https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/si-si-jean-yves-le-drian-va-relancer-une-filiere-de-munitions-de-petit-calibre-made-in-france-652367.html

[3]   https://www.ouest-france.fr/bretagne/chateaulin-29150/jean-yves-le-drian-annonce-une-usine-de-munitions-nobelsport-4865851

[4] Éric Maulin, professeur de droit à l’université de Strasbourg.