La stratégie d’influence du Hezbollah au Sud-Liban 2/3

La stratégie d’influence du Hezbollah au Sud-Liban 2/3

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Un ancrage social en continuité avec la stratégie politique du Hezbollah

Comme le rappelle Peter Thomas, le pouvoir politique d’un groupe dépend dans une large mesure de sa capacité à créer un lien durable avec sa base sociale28. Ainsi, le Hezbollah inscrit sa stratégie sociale dans une démarche politique plus générale pour mobiliser la société toute entière dans un combat contre Israël. L’insertion du Hezbollah en sein du tissu social libanais doit donc être comprise comme un prolongement de sa stratégie politique.

Le mouvement chiite assure son ancrage dans la société libanaise grâce à un réseau d’institutions sociales et caritatives qui lui permettent de mobiliser une partie de la population libanaise dans sa lutte contre l’État hébreu. Un tel enracinement a été rendu possible par la structure communautaire du système politique, caractérisé historiquement par la domination d’une bourgeoisie maronite ou sunnite sur la vie économique et politique du pays. Dans le sud du Liban ou dans la plaine de la Bekaa, à majorité chiite, le taux de pauvreté dépasse les 30 %29. Le Hezbollah a ainsi endossé le rôle de substitut de l’État en développant un appareil d’action sociale complet, structuré autour d’organisations autonomes et opérant en réseau, dans ces zones chiites où les pouvoirs publics n’assurent pas leur fonction30. Le parti a notamment développé des institutions qui prennent en charge les fonctions d’assistance aux victimes des combats.

Par exemple, la Fondation du martyr (Mu’assasat alchahîd) fournit salaire, habitat, et prise en charge des frais médicaux aux familles des soldats tombés pour la Résistance, s’occupant des funérailles et de l’entretien de la mémoire du combattant. De même, l’Association de l’institution développementale pour l’effort de construction, Jihâd al binâ’, prend en charge la reconstruction des zones touchées par les combats. Les institutions du Hezbollah s’occupent également d’autres fonctions touchant la société dans son ensemble: assistance aux démunis (bourses de soutien scolaire, rations alimentaires, vêtements, formations professionnelle, etc.), services techniques (provision d’électricité et collecte des déchets), aide à l’emploi ou hôpitaux.

À ces services sociaux s’ajoute l’endoctrinement de la jeunesse. Le Hezbollah a fondé quatorze écoles al-Mhadî au Liban et dispose de considérables réseaux de soutien dans le monde universitaire. L’association des scouts al-Mhad, grâce à laquelle il inculque entre autres les valeurs associées à la Résistance telles que courage et respect des martyrs, aurait réuni en 2010 plus de 70 000 jeunes31. Ce large réseau permet au mouvement de se présenter auprès des populations chiites comme le défenseur de la cause communautaire, là où le parti Amal avait failli, et de consolider et d’étendre sa base de soutien32. Par cette stratégie sociale, le Hezbollah ne cherche pas à créer un rapport de clientélisation avec les populations bénéficiant de ces services. En effet, bien que jouant un rôle important, ces institutions peuvent corriger des dérives, mais en aucun cas améliorer significativement les conditions de vie des populations locales. Aussi, l’appui matériel promis par le Hezbollah compte moins que l’instrumentalisation qui en est faite pour véhiculer valeurs et messages33.

De fait, l’action sociale du Hezbollah sait élargir son spectre d’intervention vers d’autres communautés:par exemple, l’Association Libanaise pour les Prisonniers et les Libérés (ALPL) suit les dossiers des prisonniers incarcérés au Liban-Sud et en Israël et les assiste ainsi que leur famille, quelle que soit leur appartenance confessionnelle ou politique. De son côté, l’Association de l’institution développementale pour l’effort de construction a pris en charge la remise en état de maisons de citoyens de toutes confessions34. Selon Aurélie Daher, «l’objectif premier de l’appareil social du Hezbollah n’est pas d’enclencher un développement social des régions chiites, mais de désamorcer toute rancœur (…) qui pourrait mettre en péril le soutien de la société libanaise à la Résistance»35. Le succès de cette stratégie est illustré par la diversification sociale de ses soutiens: touchant initialement les populations chiites défavorisées, ses adhérents incluent désormais une large partie des classes moyennes et bourgeoises36.

La stratégie politico-sociale du Hezbollah est un pilier pour assurer la présence hégémonique du parti. Comme formulé par Ali Fayyad, député du Parti de Dieu, «les organisations du Hezbollah ont été mises en place pour construire une relation solide entre le peuple et le parti; elles sont un élément essentiel dans sa stratégie de mobilisation»37. Son large réseau d’institutions sociales, qui sont autant de points d’accès à la population, couplé à son intégration graduelle au système politique, lui permettent de se développer comme un apparatus hégémonique, soutenant ainsi sa domination de la population chiite et sa résistance militaire, politique et sociale contre Israël38. Et cela explique l’importance d’une stratégie de communication qui renforce ces objectifs.

L’utilisation des outils de communication: un amplificateur des stratégies militaires et socio-politiques

Une stratégie de communication visant à légitimer et consolider

L’accent mis par le Hezbollah sur sa stratégie de communication illustre l’importance, particulièrement dans le cadre d’une guerre d’usure, de la mobilisation populaire dans la lutte contre Israël. Cette stratégie de communication vise ainsi à légitimer les moyens militaires employés, étendre son influence auprès de différents groupes d’électeurs et consolider l’ancrage politique du mouvement. Depuis ses débuts, le Parti de Dieu a apporté une attention particulière à son image, cherchant à la fois à la gérer et à l’institutionnaliser39. À cet effet, il a développé un éventail d’instruments de communication. Dès 1982, la création d’organismes de communication écrite telles que al-Mujtahid, Ahl al-Thugour, al-Intiqad ou al-‘Ahd lui a rapidement permis de disséminer son message théologique et de promotion de la Résistance. La radio al-Nour (la lumière), créée en 1988, élargit la possession de l’espace public et amplifie l’effet dramatique des messages40. Le lancement de la chaîne de télévision al-Manar (le phare), en 1991, reflète encore davantage le rôle de la communication dans la stratégie globale du Hezbollah, en introduisant une narration visuelle à la lutte contre Israël. Ce nouveau modèle narratif, reposant sur le culte des martyrs et des combattants, la mobilisation de symboles chiites et la diffusion de vidéos des combats, cherche ainsi directement à influencer les masses en faveur de la cause du Hezbollah.

En mai 2000, en diffusant en direct le retrait désorganisé des troupes de Tsahal et la libération des prisonniers du centre de Khiyam par les populations civiles, al-Manar fournit au monde arabe les premières images de la libération d’un territoire occupé sans recourir à des accords de paix ou autre forme de négociation41. Enfin, Internet est également devenu l’un des outils de communication les plus importants du mouvement. Depuis le lancement de son premier site en 1996, le Hezbollah a étendu sa présence sur le web à plus de 50 sites, certains présentant les services éducatifs, religieux ou sociaux du groupe, d’autres ses principaux leaders et figures religieuses, ou en s’attachant à traiter l’actualité voire à diffuser sa doctrine religieuse. Le recours à internet a permis au mouvement de renforcer sa présence internationale tout en lui fournissant un moyen de communication direct avec ses soutiens42. Grâce au web, le Parti de Dieu peut également cibler, spécifiquement, les jeunes populations, comme en atteste le jeu vidéo «Forces Spéciales», disponible en ligne en arabe, farsi, français et anglais, au travers duquel les joueurs participent à des opérations du Hezbollah contre Israël et peuvent s’entraîner au tir sur des cibles à l’effigie de personnalités politiques israéliennes43. Parallèlement, le Hezbollah démontre sa maîtrise des moyens traditionnels de communication.

Au Sud-Liban et sur la route reliant Beyrouth à l’aéroport, le mouvement a installé une série de panneaux publicitaires présentant son message et commémorant les succès du groupe, aussi bien en arabe qu’en anglais et français. Le Hezbollah a également ouvert un site touristique au Sud-Liban, Mleeta, dans lequel il expose ses opérations militaires et illustre son attachement à la défense du territoire et aux valeurs de sacrifice. Les rassemblements politiques spectaculaires, regroupant une foule, contribuent également à cette représentation visuelle de son pouvoir et à conforter les membres du Hezbollah de la force du mouvement. En ces occasions, la personnification extrême du mouvement autour de son leader, le charismatique Hassan Nasrallah, d’autant plus mythique que ses apparitions physiques restent rares, prend toute son ampleur et renforce encore davantage le lien qui unit le groupe et la population44. Enfin, le mouvement cible plus spécifiquement les enfants en produisant des cartes de jeux, posters, porte-clés, bande-dessinées ou autres jouets45.

Élargir son audience L’attention portée par le Hezbollah aux divers moyens de communication, ainsi que le rôle croissant accordé aux structures dédiées à l’information dans l’organigramme interne du parti, reflètent son souci de modifier son image auprès du public et le tournant pragmatique qu’a en conséquent connu sa stratégie politique. Elle souligne également le parti pris de ne plus se limiter au Liban et de rechercher des soutiens dans l’ensemble du monde arabe46. Depuis la victoire de 2000, le mouvement a donné à sa stratégie de communication une orientation panarabe. L’identité chiite du parti a été nuancée au profit d’une identité arabo-musulmane plus consensuelle et d’une approche nationaliste au conflit israélo-arabe47. En s’ouvrant à d’autres figures (femmes non voilées, représentants d’autres courants politiques, etc.), Al-Manar a accompagné la transition politique du parti. Grâce à un budget de près de 15 millions de dollars, la chaîne a diversifié ses programmes en proposant des émissions de divertissement ou des programmes à l’attention des enfants. Elle diffuse par exemple al-Muhemma (l’opération), un jeu télévisé pendant lequel les participants répondent à des questions sur le Hezbollah, ses leaders, ses valeurs religieuses ou ses ennemis israéliens et américains, afin d’avancer sur un chemin virtuel menant vers Jérusalem.

28 Peter Thomas, The Gramscian Moment: Philosophy, Hegemony and Marxism, Leiden Brill, , 2009, p. 226.

29 PNUD, Rapid poverty assessment in Lebanon, 2016.

30 Aurélie Daher. «C hapitre IV. Le Hezbollah, un entrepreneur social ? Action sociale et mobilisation, ou l’édification de la « société de résistance?»»,Le Hezbollah.Mobilisation et pouvoir, sous la direction deDaherAurélie Paris, Presses Universitaires de France, 2014, pp. 147-188.

31 alAkhbâr, 21/4/10.

32 Joseph Daher, Hezbollah, The Political Economy of Lebanon’s Party of God, Londres Pluto Press, 2016.

33Ibid.

34 Aurélie Daher, Le Hezbollah. Mobilisation et pouvoir, p. 152.

35 Aurélie Daher, Le Hezbollah. Mobilisation et pouvoir, p 180.

36 Joseph Daher, Hezbollah…, op. cit., p. 93.

37 Cité dans Joseph Daher, Hezbollah…, op. cit., p93.

38 Ibid, p126.

39 Khatib, Matar et Alshaer, The Hizbullah phenomenon…, op. cit.

40 Briec Le Gouvello de la Porte, Les stratégies d’information…, op. cit.

41 Olfa Lamloum, “Hezbollah Communication Policy…”, op. cit.

42 Gabriel Weimann, “Hezbollah Dot Com: Hezbollah’s online campaign”, in New Media and Innovative Technologies (Eds. D. Caspi and T. Azran), Beer Sheva: Ben-Gurion University Press, 2008, pp. 17-38.

43Ibid.

44 Khatib, Matar et Alshaer, The Hizbullah phenomenon…,op. cit.

45 Colin P. Clarke, «How Hezbollah Came to Dominate Information Warfare», Rand Corporation, Septembre 2017.

46 Briec Le Gouvello de la Porte, Les stratégies d’information…, op. cit.

47 Olfa Lamloum, “Hezbollah Communication Policy…”, op. cit.