Nous avons essayé Spartacus, le jeu vidéo sur lequel s’entraînent les militaires de l’armée de terre

Nous avons essayé Spartacus, le jeu vidéo sur lequel s’entraînent les militaires de l’armée de terre

Spartacus est le simulateur utilisé par l’armée de terre française. © Aurélien Defer
 

Spartacus, c’est le nom du jeu vidéo de simulation qui sert de terrain d’entraînement aux soldats de l’armée de terre. Malgré un manque de moyens certain, la France compte aujourd’hui sur ce type d’innovations pour rester à la page et pour recruter des jeunes. Nous avons fait une petite partie.

Une souris dans la main droite, un clavier sous les doigts et le regard rivé sur un écran d’ordinateur : c’est désormais comme ça que s’entraînent les militaires de l’armée de terre française. Comme beaucoup d’autres pays, la France a mis à disposition de ses forces armées un simulateur virtuel d’opérations militaires ultra-réaliste. À Versailles, les militaires de la Stat (Section technique de l’armée de terre) l’appellent « Spartacus ». Il est tiré du simulateur professionnel Virtual Battlespace, dont la première version est développée en 2002 par Bohemia Interactive. Un studio qu’on connaît aussi pour des jeux vidéo qu’on retrouve dans le commerce, tels les Arma et DayZ.

Un soldat de l'armée de terre française dans le simulateur Spartacus. © Capture d'écran Spartacus / Stat

Un soldat de l’armée de terre française dans le simulateur Spartacus. © Capture d’écran Spartacus / Stat

« Après s’être dotée de Virtual Battlespace, la Direction générale de l’armement (DGA) a intégré des composants pour l’armée de terre française, explique Guillaume Silve, chef de bataillon et officier de programme Spartacus. Des modèles 3D de véhicules français, des terrains que les militaires connaissent dans la réalité, une simulation de radio, un module de connexion au Sioc [Système d’information opérationnelle et de commandement]… »

Finalement, pour un œil non-averti, Spartacus ressemble à n’importe quel jeu vidéo de simulation guerrière. Avec les mêmes touches que dans Arma, on peut se déplacer, commander un véhicule, viser, tirer, tuer. Quelques minutes après m’être assis devant un PC, je tombe sur un soldat que je pensais allié, me fais tirer dessus et succombe. Evidemment, je peux réapparaître et recommencer, comme dans tout jeu. À la différence que celui-ci a été pensé par et pour l’armée française et qu’il n’est surtout pas question de « jouer ».

Spartacus, la solution au manque de moyens de l’armée ?

« Les entraînements virtuels ne viennent pas en remplacement des entraînements de terrain, insiste Guillaume Silve. Mais face aux « coûts élevés de certaines sessions » et le fait que les camps ne soient pas toujours disponibles, l’utilisation du simulateur permet une meilleure économie des moyens financiers et humains, précise-t-on du côté de l’armée de terre.

« Les militaires sont beaucoup occupés, notamment avec l’opération Sentinelle, ils ont besoin de permanences et le temps qu’il leur reste sur le terrain est compté », explique le chef de bataillon Silve. « Quand il y a eu les attentats terroristes, on a créé une carte de Paris avec des monuments comme la Tour Eiffel, le Trocadéro, pour les entraîner à l’opération Sentinelle. On a programmé la foule de façon à ce qu’elle se comporte comme dans la vraie vie, que certains courent, d’autres se cachent dans des bars, etc. »

L'armée de terre a modélisé la Tour Eiffel dans le cadre de l'opération Sentinelle. © Capture d'écran Spartacus / Stat

L’armée de terre a modélisé la Tour Eiffel dans le cadre de l’opération Sentinelle. © Capture d’écran Spartacus / Stat

Les régiments français sont donc équipés du logiciel Spartacus et « chaque chef militaire va entraîner ses hommes à quelque chose dont il estime qu’ils ont besoin », note Guillaume Silve. Et de poursuivre : « Avec Spartacus, on peut faire des entraînements qu’on ne pourrait même pas faire dans des entraînements de terrain, faute de moyens. Ce sont des actions qu’on ne voit que dans la ‘vraie guerre’ : l’utilisation de drones, l’infrarouge, etc. »

Très concrètement, le logiciel Spartacus permet surtout l’entraînement à la tactique, c’est-à-dire la coordination entre les factions, la formulation et l’application des ordres, et l’utilisation des outils numériques qu’on retrouve sur le terrain. Dans le jargon militaire, on appelle ce dernier point la Neb (Numérisation de l’espace de bataille). Elle permet en quelque sorte l’interconnexion de tous les opérateurs d’une force, de l’état-major aux engins et sections.

Un véhicule utilisé par l'armée française. © Capture d'écran Spartacus / Stat

Un véhicule utilisé par l’armée française. © Capture d’écran Spartacus / Stat

« L’avenir » de l’armée de terre

En novembre, à l’occasion du Forum Innovation Défense à Paris, la ministre des armées Florence Parly comparait l’innovation à « une nécessité ». « L’avenir ne se construit qu’en se réinventant. Le futur de notre défense réside dans notre capacité à nous dépasser, à innover », enchaînait-elle.

« Quand on fait la guerre, on dresse des hypothèses. Avec la simulation, on multiplie le nombre d’hypothèses qu’on est capables d’imaginer. C’est pareil pour la cartographie : avant on faisait des maquettes, aujourd’hui, on peut les faire en simulation 3D », explique Guillaume Silve, pour qui ces outils technologiques sont aujourd’hui essentiels dans la gestion des conflits. Et demain plus encore : « Peut-être que dans le futur, on devra faire face à des ennemis non-conventionnels. Pas des extra-terrestres, mais des robots par exemple. »

Pour ce qui est de Spartacus, le logiciel devrait être remplacé en 2020 par Sparte, une version améliorée. Elle devrait équiper les forces armées au moins jusqu’en 2025. D’ici là, les équipes de la DGA travailleront à la création d’une autre version évoluée.

La Section technique de l'armée de terre (Stat) a pour mission de conduire les programmes d’armement destinés aux forces aéroterrestres. © Aurélien Defer

La Section technique de l’armée de terre (Stat) a pour mission de conduire les programmes d’armement destinés aux forces aéroterrestres. / Photo Aurélien Defer

« Pour beaucoup, les militaires n’ont rien à faire dans un bureau »

Pour autant, ces innovations militaires ne font pas l’unanimité. En théorie, chaque régiment est censé utiliser Spartacus pour l’entraînement tactique. Mais dans les faits, « cela dépend de l’ouverture d’esprit du chef de régiment », concède Guillaume Silve, qui reconnaît volontiers que « les militaires ne sont pas forcément les gens les plus souples ». « Il y a des gens complètements rétifs, qui vont penser qu’on n’apprend jamais mieux que sur le terrain, qui vont être saoulés par le moindre bug. Pour beaucoup, les militaires n’ont rien à faire dans un bureau », ajoute-t-il.

Il y aussi ceux qui ont « peur » de toutes ces avancées technologiques, signale le chef de bataillon. Comme dans chaque vidéo, Spartacus possède des « bots », c’est-à-dire des personnages contrôlés par l’ordinateur et contre lesquels les joueurs peuvent combattre. À leur propos, il préfère parler d’ »automates » que d’« intelligence artificielle », un mot redouté par certains militaires « qui ont peur de se faire dépasser ».

Se faire dépasser par les technologies elles-mêmes oui, mais aussi et surtout par les armées étrangères qui les inventent. C’est ce à quoi faisait référence la ministre Florence Parly lors de son discours adressé aux personnels de la défense en juin 2018. « L’innovation n’est pas négociable. Ou nous innovons et nous sommes à la pointe de la recherche et des technologies ou alors nous serons condamnés à être dépassés, exposés et tributaires des autres puissances. Ce n’est vraiment pas ma conception des choses. » Effectivement, les militaires de la Stat s’inquiètent de projets innovants tels que Neom (avec un m, promis monsieur le colonel), le projet à 500 milliards de dollars initié par le prince Mohammed Ben Salman en Arabie Saoudite.

« Besoin de sous » et de recrues

Pour l’armée française, tout ça coûte cher. Rien que pour le simulateur Spartacus, la Stat a dépensé « quelques millions d’euros », dit Guillaume Silve. Aussi, l’un des défis les plus importants de l’armée est de trouver des fonds. Pour cela, il faut convaincre les politiques de l’utilité de l’innovation en s’appuyant… sur l’innovation elle-même. « Après les attentats du 13 novembre 2015, on a refait l’opération du Bataclan pour comprendre ce qui avait pu merder, lâche le chef de bataillon. Mais c’était aussi un moyen de convaincre les politiques parce qu’il nous faut des sous. » Pour 2019, l’Assemblée nationale a d’ailleurs voté un budget en hausse de 5%.

La devanture du Bataclan dans Spartacus. © Capture d'écran Spartacus / Stat

La devanture du Bataclan dans Spartacus. © Capture d’écran Spartacus / Stat

Mais l’innovation peut aussi permettre à l’armée de recruter davantage. En communiquant sur ce penchant innovant, notamment via le premier « Forum innovation défense », les militaires cherchent à séduire les plus jeunes et remplir les régiments. Avant NEON, le youtubeur Monsieur GRrr avait ainsi pu tester le simulateur Spartacus et en faire une vidéo (ambiance promo) sur sa chaîne.

Dans les commentaires, un petit message (aussi ambiance promo) du compte officiel de l’armée de terre : « Monsieur GRrr, heureux de vous avoir accueilli dans l’une de nos unités à la pointe de l’innovation et de la technologie. D’ici 2023, l’armée de Terre va généraliser l’utilisation de systèmes de simulations de type SPARTACUS à l’ensemble de ses forces. L’objectif est déjà de préparer nos soldats dans des conditions toujours plus proches de la réalité de nos conditions d’engagements. Militairement vôtre 😉 » Mais au-delà des plans communication « millenials », pas sûr que les gadgets suffiront à convaincre 21 000 jeunes de porter le treillis…