Interview: le général (2s) Bertrand Cavallier, expert en sécurité intérieure, passe en revue les défis du futur ministre de l’Intérieur

Interview: le général (2s) Bertrand Cavallier, expert en sécurité intérieure, passe en revue les défis du futur ministre de l’Intérieur

Place Beauvau
Ministère de l’Intérieur (Photo d’illustration LVDG)

Immigration clandestine dans l’hexagone et outre-mer, narcotrafic, tranquillité publique, contestation sociale, terrorisme islamique et écoterrorisme, le futur ministre de l’Intérieur fait face à des attentes très lourdes en matière de sécurité dans un contexte budgétaire très tendu.

Fort d’une longue et riche expérience, commandant de groupement de gendarmerie départementale et de gendarmerie mobile, commandant du centre national d’entrainement des forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier, commandant de région, et sous-directeur des compétences, le général de division (2S) de Gendarmerie Bertrand Cavallier, l’un des meilleurs experts français en matière de sécurité intérieure et de défense passe en revue les défis qui attendent le gouvernement. Dans une seconde interview qui sera publiée dans les jours prochain, il se penche sur les défis qui attendent le futur chef des gendarmes qui devrait être nommé rapidement.

LVDG Un nouveau ministre de l’Intérieur va être nommé. Quelles sont, d’après vous les leviers à sa disposition pour améliorer l’efficience des forces de sécurité intérieure et de ce fait la sécurité des Français ? 

Trois grands défis essentiels, pour ne pas dire vitaux, mais inter-agissants, sont à relever par la France : celui tout d’abord de l’économie qui conditionne tout le reste. N’oublions pas que la charge de la dette va bientôt peser davantage que le budget de la Défense alors même que l’environnement géopolitique est de plus en plus désordonné et menaçant. Ensuite, celui de l’éducation qui conditionne le maintien de notre pacte social par l’appropriation de nos valeurs communes, non négociables, mais aussi notre capacité à innover dans un environnement notamment technologique de plus en plus compétitif marqué par le recul constant de la France. Enfin, celui sécuritaire, tant on constate une augmentation considérable de la violence, des fractures, qui menacent la cohésion et la survie de notre nation, sous l’effet notamment d’une immigration massive.

Le futur ministre de l’Intérieur devra pleinement s’emparer de ces enjeux sachant que le déni de réalité ne fonctionne plus. La légèreté d’être des élites depuis des décennies, pour ne pas dire leur lâcheté par crainte de la pensée politiquement correcte et du coût social devant être assumé par celui qui osait tenir un discours de vérité, suscite une révolte croissante dans la population, révolte légitime. 

Cependant, la tâche du ministère de l’Intérieur va s’avérer très ardue du fait d’un contexte budgétaire catastrophique qui impose d’en finir avec la surenchère de moyens et d’acquis catégoriels, le syndrome du quoi qu’il en coûte, sous notamment la pression des syndicats.

L’intervention du premier président de la Cour des Comptes, dans le Figaro (version numérique du 8 septembre) est très claire : “Ce sera sans doute le budget le plus délicat de la Ve République …il va falloir une rupture…un pays trop endetté est un pays impuissant”.

La Cour des comptes avait déjà sonné l’alarme s’agissant du ministère de l’Intérieur en constatant que, malgré une hausse significative de la masse salariale  – entendre plus de gendarmes et policiers, certes pour compenser partiellement les réductions d’effectifs mises en oeuvre sous la présidence Sarkozy, mais également des avantages catégoriels – , on observait une diminution constante de la présence des forces de l’ordre sur le terrain, ainsi qu’une érosion des taux d’élucidation. Plus récemment, dans une note parue le 7 juillet dernier, et intitulée “Les forces de sécurité intérieure : des moyens accrus, une efficience à renforcer”, la même juridiction déclarait que “des hausses de crédits ont été consacrées aux augmentations salariales des policiers et gendarmes prévues dans le cadre du “Beauvau de la Sécurité”, finançant des primes souvent sans cohérence… ”.

Un impératif de redevabilité envers la nation lorsque des avancées catégorielles sont accordées

Il ne s’agit pas ici de fustiger le gendarme ou le policier en soi, sachant que nombre d’entre eux sont dévoués, et prennent des risques dans un environnement de plus en plus menaçant mais d’enfin poser certains principes :

Il y a un cadre budgétaire donné, et désormais, il n’y a plus de marge. Ce qui doit être intégré par les organisations syndicales, dont les ressorts, tels qu’ils m’ont été confiés par certains responsables, sont guidés principalement par “le maintien du nombre d’encartés”, donc assez éloignés de l’intérêt général.

La question de la durée de temps de travail réelle

Il y a un impératif de redevabilité envers la Nation lorsque des avancées catégorielles sont accordées (à noter que ces dernières années, les négocations étaient limitées à leur plus simple expression tant les gouvernements cédaient sur tous les points).

Comme l’évoquait la Cour des Comptes, il faut s’interroger, sur des règles d’organisation du service, de fonctionnement, très complexes, et pour partie non appliquées.

Ceci doit conduire à poser la question de la durée de temps de travail réelle, lors d’une journée de service, mais plus encore mesurée sur toute une année (ce qui est encore plus explicite) d’un policier ou d’un gendarme.  Ceci renvoie également au poids grandissant des polices municipales qui vont jusqu’à se substituer à la force étatique, dans certaines communes d’importance. 

En d’autres termes, il faut en finir avec ces discours surréalistes tenus sur certains plateaux de télévision, par des prétendus experts, et des acteurs corporatistes, justifiant de nouvelles demandes exorbitantes en mettant en exergue la sécurité dans Paris à l’occasion des Jeux Olympiques.

Comme s’il était possible de durablement saturer l’espace public avec 18000 gendarmes,  de milliers de policiers, dont beaucoup issus de la province, une vingtaine de milliers de militaires de Sentinelle….

Les leviers dont va donc disposer le ministère de l’Intérieur auront pour préalable un discours de vérité, un constat lucide et objectif, nécessitant un courage certain. J’insisterai notamment sur trois leviers qui me semblent majeurs.

Le premier levier : le nécessaire renouveau de la hiérarchie policière et gendarmique

Le premier levier portera sur le nécessaire renouveau de la hiérarchie policière et gendarmique, laquelle doit retrouver toute sa place, pour redonner une cohérence à l’ensemble du système, tant dans son organisation que dans son fonctionnement. Une hiérarchie qui attend cette mesure de bon sens, et pour affirmer cela, je m’appuie sur nombre de confidences, car il est depuis des années hasardeux pour ses membres de parler ouvertement de sa fragilisation, voire parfois de sa marginalisation, j’évoquerai dans cet article le cas particulier de la hiérarchie en Gendarmerie.

Elargir les conditions d’usage des armes, simplifier les procédures pénales

Le second concerne le soutien aux gendarmes et policiers de terrain, les producteurs premiers de sécurité.

Il faut élargir les conditions d’usage des armes, lesquelles ont en particulier été considérablement restreintes pour les gendarmes, et qui globalement, de toute évidence, ne sont plus adaptées au contexte sécuritaire. Elles Induisent une véritable inhibition face à l’usage des armes chez les gendarmes et policiers alors qu’ils sont confrontés à des comportements de plus agressifs, à une délinquance de plus en plus violente, déterminée, et disposant de plus en plus d’armes de guerre, sans évoquer la généralisation des refus d’obtempérer.

C’est un point capital, au-delà des forces de l’ordre, pour la défense de notre société, qui mérite un développement particulier. J’ajouterai la simplification des procédures pénales, tant aujourd’hui elles accaparent gendarmes et policiers, pour des résultats finaux au demeurant décourageants du fait de la saturation des services de justice.

Le ministre devra se positionner sur la répartition Police Gendarmerie

Le troisième a trait à la problématique migratoire. Je l’aborde ci-dessous.

Enfin, Les Jeux olympiques et paralympiques étant passés, le futur ministre de l’Intérieur – à l’inverse de son prédécesseur qui a fait machine arrière sur ce sujet- ne pourra pas s’exonérer de se positionner sur les recommandations du Livre blanc concernant les redéploiements Police Gendarmerie.

Il devra dire s’il est favorable, quitte à s’affirmer face à certains syndicats de police à ce que la Gendarmerie prenne en compte la sécurité publique de villes moyennes comme par exemple Cannes, Digne, Mende, Lons-Le-Saunier, et des départements complets tels que le préconisait le Livre blanc. 

LVDG Réduire drastiquement l’immigration illégale est l’un des principaux challenges du futur ministre de l’Intérieur. Pourquoi ne pas donner davantage de place à la Gendarmerie dans le dispositif humain d’autant que de nombreux secteurs de passage, au Sud et à l’ouest sont en zone de compétence Gendarmerie ? Un ancien directeur de la Police aux frontières vient d’ailleurs dans un livre de constater des moyens humains et technologiques limités. 

Bertrand Cavallier La lutte contre l’immigration illégale (ou clandestine) est devenue capitale à deux titres : d’une part, elle constitue un des facteurs majeurs de criminalité qu’aucun politique sérieux ne conteste aujourd’hui. Ainsi, comme cela était avancé dans l’Opinion du 9 novembre 2022, “s’appuyant sur les statistiques, Gérard Darmanin mais aussi Emmanuel Macron ont fait sauter le tabou entre immigration et insécurité. Il y a en effet une réalité factuelle”. Plus récemment, sur Cnews, le 27 mai 2024, la députée Ensemble pour la République Maud Bregeon déclarait :“ Il y a aujourd’hui en France un lien entre insécurité et immigration”. Violence voie publique, trafic de stupéfiants, agressions de femmes…Cette triste réalité s’impose en effet ;

d’autre part, elle provoque aujourd’hui de par la nature et la masse des flux (qui pourrait se traduire en submersion de l’Europe), sur fond de confrontation civilisationnelle, la partition des territoires, annoncée par Gérard Collomb, admise par François Hollande alors président de la République. Cette confrontation s’exprime de plus en plus en termes de conception de la personne, de la place de la femme, de l’acceptation de l’homosexualité, de la vision de la société, du droit applicable…tels qu’existant dans la majorité des pays à majorité musulmane.

Le défi est immense. Et comme le déclare le Premier ministre, Michel Barnier, “il y a le sentiment que les frontières sont des passoires et que les flux migratoires ne sont plus maîtrisés. Et nous allons les maîtriser avec des mesures concrètes”. 

Immigration : une nécessaire réforme des normes juridiques et une révision complète de la manœuvre opérationnelle

Avant d’aborder la question sous un angle franco-français, et de nature technique, rappelons que cette question relève au premier chef de l’Union Européenne. C’est à ce niveau que doivent être initiés :

  • tout d’abord une réforme des normes juridiques, en s’affranchissant notamment dans ce domaine de la CEDH (Cour Européenne des droits de l’homme), en posant prioritairement la question si sensible du droit d’asile, auquel est éligible la moitié de l’humanité ;
  • d’autre part une révision complète de la manoeuvre opérationnelle qui imposerait de mettre en oeuvre une protection effective des frontières européennes, appelant notamment une action de l’avant dans les espaces maritimes, relevant d’un commandement militaire, compte tenu de l’étendue et de la complexité de la zone d’action, du volume des flux et de leurs modes opératoires, et des moyens à déployer. 

Je n’évoquerai pas la question des laissez-passer consulaires tant il est évident que la France – qui reste la 7ème puissance mondiale, doit réaffirmer sa souveraineté, et ne saurait en particulier se soumettre aux volontés de l’Algérie, du Mali…ou de quelque autre état.

La Gendarmerie davantage impliquée dans la lutte contre l’immigration clandestine ?

Le droit du sol, dont la suppression à Mayotte devait faire l’objet d’un projet de loi constitutionnelle, repoussé en raison de la dissolution, doit l’être également dans les autres territoires ultramarins, en particulier de manière urgente en Guyane où des surinamaises viennent accoucher en très grand nombre.

La direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) est la direction spécialisée est en charge du contrôle aux frontières et de la lutte contre l’immigration irrégulière.

Elle a donc dans ces domaines un rôle central en terme de définition des objectifs et de coordination.

Pour autant, le contrôle aux frontières et la lutte contre l’immigration irrégulière exige aujourd’hui une autre approche opérationnelle. Il s’agit en effet d’interdire de vastes segments, dans des terrains souvent complexes, appelant des manoeuvres d’envergure, s’appuyant dans la profondeur, et nécessitant le déploiement d’effectifs importants, robustes, aptes si nécessaire à l’engagement de force. Dans ses zones de compétence, la gendarmerie a naturellement vocation à répondre à de telles exigences.

Sous réserve qu’elle soit engagée selon le principe de contrats opérationnels lui permettant de valoriser les atouts que lui confèrent sa culture militaire en termes de planification, d’organisation du commandement (articulation en groupements tactiques Gendarmerie intégrant l’ensemble de ses moyens dont ceux aériens), de modes opératoires, et évidemment sa connaissance intime du terrain qu’apportent ses unités territoriales. Coordonnée au niveau de région zonale avec la Sous-direction des frontières, la mission de la Gendarmerie s’arrêtait cependant aux fonctions de rétention et d’éloignement.

LVDG En matière de lutte contre les stupéfiants et de terrorisme, deux infractions souvent connexes à d’autres crimes ou délits, quelles sont les mesures qu’attendent du nouveau gouvernement les praticiens que sont les magistrats, les policiers et les gendarmes ? 

Bertrand Cavallier Il m’apparaît important d’aborder les deux sujets de façon distincte, même s’il y a des liens croissants entre les deux phénomènes.

J’aborderai d’emblée la question terroriste. Outre le renforcement des unités d’intervention spécialisée (GIGN, RAID, et BRI), des progrès considérables ont été consentis depuis une dizaine d’années, notamment au travers de l’essor de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), dont il faut saluer le travail considérable dans le suivi et le démantèlement de réseaux terroristes, relevant principalement  de l’islam dit radical. Cependant, la même DGSI dans un rapport intitulé “État des lieux de la pénétration de l’islam fondamentaliste en France”, posait le constat suivant : “les réseaux islamistes ont investi un ensemble de champs et d’institutions leur permettant de fabriquer des individus dont la vision du monde est étrangère au lègs de l’héritage politico-culturel français (…) Le risque ultime que font peser les quatre mouvements islamistes les plus actifs – Frères Musulmans, salafistes, tabligh, turcs – est l’avènement d’une contre-société sur le territoire national. Ce risque se matérialise et s’intensifie alors que près de 53% de français de confession musulmane pratiquent un islam “conservateur” voire “autoritaire” qui confine à une forme de sécessionnisme politique et social pour 28% d’entre eux”. La France est donc confrontée à l’essor d’une matrice idéologique, voire civilisationnelle, sur fond de haine de ce que nous sommes, de ce nous représentons. Cette haine est de plus dopée par la question du conflit israélo-Hamas. Cette matrice engendre un terrorisme d’atmosphère (pressions, menaces notamment contre les professeurs, port ostentatoire de vêtements religieux…) mais également des actions très violentes qui relèvent de plus en plus d’individus isolés. Face à cela, l’action de la DGSI est moins aisée, et ce sont les gendarmes et des policiers des unités à vocation de sécurité publique (brigades territoriales, Psig, commissariats dont les BAC) qui, à tout moment, et sans transition, peuvent devoir agir comme primo-intervenants. Ce qui constitue une prise de risque maximale. Et renvoie à la question de leur équipement, de leur formation,  et du “soutien” assuré de leur hiérarchie et des magistrats, pour qu’ils puissent, dans le “brouillard” de l’intervention, agir efficacement.

Mais sur le plan sécuritaire, faut-il encore prendre la question par le commencement et agir en amont, en limitant une immigration qui, de par ses origines, renforce cette contre-société.

À titre d’exemple, et qui sera dérangeant, que penser des arrivées de ressortissants afghans dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord, tellement massives que les forces de sécurité intérieure ne mettent même plus en oeuvre la procédure d’OQTF. Mesure à l’efficacité certes limitée, notamment du fait des fausses identités, mais qui permet une traçabilité minimum.

Déchéance de nationalité pour les trafiquants de stupéfiants

Le lien entre immigration et trafic de stupéfiants est assez logique tant cette criminalité est dominée par des individus d’origine immigrée, pour partie de citoyenneté française, mais aussi en proportion notable étrangers, principalement d’origine africaine, et que des passerelles sont établies avec des mouvances islamistes.

Mais une question première s’impose. Pour qu’il y ait offre, il faut une demande, même si aujourd’hui l’offre si endémique stimule la demande. La France – triste record – est en tête du classement des pays d’Europe pour la consommation de Cannabis. L’observatoire français des drogues (OFDT) constate par ailleurs que le marché des drogues se caractérise par des évolutions considérables : diversification des produits consommés, essor des poly-consommations, adaptation constante des modes de diffusion avec l’utilisation croissante par les réseaux de l’internet favorisant notamment la diffusion de drogues de synthèses…

Donc, question de toute évidence sociétale, qu’est-ce qui peut expliquer cette forme d’addiction si massive, dans notre pays, et notamment au sein de la jeunesse ? On ne pourra s’économiser une réflexion de fond en la matière.

En termes de réponse, depuis le 1er septembre 2020, la réponse pénale a évolué avec l’introduction de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants, dressée par les forces de l’ordre.  Sera-ce suffisamment dissuasif ? D’autant que, s’agissant du cannabis, l’environnement européen penche pour une libéralisation de son usage. Et que penser du choix du Canada d’exercer un contrôle complet de ce stupéfiant de sa production à sa consommation ? 

Mais cela ne règle pas la question des autres drogues qui prolifèrent (cocaine…), et sur lesquelles les trafiquants orienteront davantage leurs activités.

Un syndrome de sud américanisation

Aborder la lutte contre les trafics de stupéfiants nécessite de bien saisir toute la dimension de ce défi compte tenu d’une part du préjudice porté à la jeunesse, d’autre part de la généralisation de la violence, et de l’essor d’organisations, soit des cartels, dont les capacités sont telles qu’ils peuvent aujourd’hui menacer la souveraineté de certains Etats d’Europe occidentale. J’ai dans un autre média évoqué un syndrome de sud-américanisation.

Il faut donc aujourd’hui raisonner aujourd’hui en termes de guerre contre ce qui affecte nos capacités vitales au sens premier du terme, soit les nouvelles générations, mais également remet en cause notre pacte social et le principe même de l’Etat de droit. 

Le trafic de drogue développe, à partir de ses centres de gravité, soit les quartiers dits difficiles, un réseau très étendu, sous formes notamment de petits commerces (épiceries, kebabs, ongleries, barbiers…) maillant les territoires, y compris ruraux. Il se traduit désormais par de vastes guerres de territoires, provoquant une escalade de la violence, avec le recours désormais banalisé aux armes de guerre.

Il se caractérise pour ses approvisionnements par de fortes connexions internationales, en particulier avec le Maghreb, mais aussi avec l’Europe du Nord, où, selon Europol, “se situe l’épicentre du marché de la cocaïne”. Les plus gros trafiquants, ceux qui tirent les ficelles de ces réseaux tentaculaires, résident de plus en plus à l’étranger, notamment au Maroc, en Algérie, mais surtout dans les Emirats Arabes Unis. DubaÏ s’est notamment imposé, selon le juge Christophe Perruaux, comme “le trou noir de la lutte contre le blanchiment de l’argent de la drogue”. Ces narco-trafiquants dont des dizaines de français, ont accumulé des richesses considérables qu’ils ont investies localement. Faute de convention judiciaire au niveau européen, et du fait de la lenteur des procédures, ils sont encore pratiquement intouchables. Or, ces individus, ainsi que leur patrimoine, sont parfaitement identifiés, grâce notamment à l’infiltration par l’agence Europol de l‘application cryptée Sky ECC.

Cette guerre exige de la République en danger, certes une volonté inflexible, mais surtout un grand pragmatisme.

Sur le plan juridique, les procédures doivent être simplifiées, en finir avec leurs effets incapacitants, notamment pour la saisie des avoirs criminels. En la matière, il faut :

privilégier la saisie des avoirs criminels visibles par la population avoisinante, et flécher la distribution des biens mal acquis au profit des quartiers où ils ont été saisis pour que la richesse négative devienne positive pour toute la collectivité éprouvée par ces trafics ;

faire de la non-justification de ressources une infraction à part entière, en inversant la charge de la preuve;

Ressortissant à la norme juridique concernant les personnes, il faut mettre en oeuvre les mesures suivantes :

systématiser, à l’occasion de toute condamnation à une peine d’emprisonnement, l’interdiction de paraître dans le quartier à minima durant six mois, ainsi que l’interdiction du territoire français à tout individu étranger avec mesure effective d’expulsion. Alors que les capacités de l’administration pénitentiaire sont saturées, les mesures d’expulsion assorties de l’interdiction du territoire national, qui devraient être logiquement applicable à tout étranger auteur d’infractions graves ou multi-récidiviste, seraient de nature à réduire de façon significative la population carcérale (plus de 20% de ressortissants étrangers). Par là-même, les condamnations à une peine d’emprisonnement pourraient être plus effectives, et ainsi faire reculer ce syndrome gravissime de l’impunité ;

procédant de l’adaptation indispensable de notre politique migratoire, procéder très rapidement à l’expulsion des étrangers en situation irrégulière, notamment les dits mineurs non accompagnés, qui sont massivement recrutés par les dirigeants des réseaux. Il faut aussi étendre la déchéance de nationalité aux trafiquants de stupéfiants binationaux afin d’expulser ces marchands de mort.

Contractualiser la mission de restauration durable de la sécurité avec la force de l’ordre la plus adaptée

Sur le plan opérationnel, deux actions complémentaires s’imposent. Premièrement harceler, déstabiliser sur toute l’étendue du territoire les points de distribution et de blanchiment des trafiquants en coopération étroite avec les services fiscaux. Ensuite, selon une logique de concentration des efforts en ciblant certaines zones emblématiques, et en démontrant ainsi que la République sait et peut encore agir, contractualiser la mission de restauration durable de la sécurité avec la force de l’ordre la plus adaptée (atouts de proximité, capacités de montée en puissance…), sous l’autorité d’un préfet coordonnateur, et avec l’appui d’une task force de magistrats.

D’aucuns, (tel Christian Estrosi NDLR) ont évoqué l’engagement de l’armée de terre. Cette option procède d’une vision simpliste qui voudrait renouveler la bataille d’Alger. Laissons agir les forces de sécurité intérieure qui ont les capacités et la culture professionnelles requises pour mener ces opérations.

En revanche, s’agissant tout particulièrement de l’interception dans les espaces maritimes, mais aussi de la localisation et de la neutralisation de membres de cartel opérant depuis l’étranger, les capacités du ministère des armées  (rens, cyber, intervention…)  apparaissent très précieuses.

La République a la capacité de reconquérir ces territoires en agissant avec force. Mais pour que cette reconquête soit durable, elle doit comprendre que l’enjeu essentiel est la population qui y réside. Elle se doit donc de reconquérir les âmes et les coeurs, en restant présente, par la mise en oeuvre concrète de la sécurité de proximité, et la sécurité retrouvée, en agissant de façon globale (éducation, économie …).

Sur le plan diplomatique, eu égard aux enjeux qui sont essentiels, ne plus les sacrifier à des intérêts court-termistes, en réaffirmant, ce qui est plus qu’attendu par un pays affichant des ambitions d’acteur international, notre souveraineté.

LVDG En matière de maintien de l’ordre, face à des « black block » ou à des “écoterroristes”, ou encore dans un contexte très dégradée comme en Nouvelle Calédonie, que préconisez vous, compte-tenu des effectifs et moyens disponibles ?

Bertrand Cavallier Les dix dernières années révèlent un engagement sans précédent des forces spécialisées dans le maintien de l’ordre (Gendarmerie mobile, CRS, Compagnies départementales d’intervention). Certaines crises comme celle des Gilets jaunes, qui a connu des épisodes très violents, à Paris mais aussi en province (Le Puy-en-Velais, Pouzin en Ardèche…) ont même nécessité, du fait de leur ampleur, l’engagement des unités territoriales, qui souffrent d’un manque d’équipement adapté.

La situation budgétaire et économique de la France, les fractures politiques (présence d’une mouvance révolutionnaire très active), sociales mais aussi culturelles, obligent tout analyste lucide et raisonnable à comprendre que notre pays est entré dans une période de turbulences. Cette donne concerne tant la métropole que les territoires d’outre-mer, avec la dérive insurrectionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

Un élément d’importance dans ce contexte, qui peut participer d’un paradoxe, est l’attente, consciente ou intuitive, d’ordre par une majorité de la population.

Le prochain gouvernement, et plus particulièrement le ministre de l’Intérieur, doit donc anticiper pour gérer au mieux les troubles d’ampleur. Il doit dans cette perspective avoir comme priorité d’économiser les forces de l’ordre, en priorité la gendarmerie mobile et les CRS.

Ceci implique de réduire les grands évènements, très consommateurs en forces mobiles, mais également de prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire le volume de forces engagées, par des dispositifs mieux ajustés à la réalité de la menace de troubles, la poursuite de la judiciarisation et un renforcement des moyens de force intermédiaire à la disposition des gendarmes et des policiers.

Le bon dimensionnement des dispositifs de maintien de l’ordre relevant du principe de l’économie des forces, est assuré par une étroite collaboration entre le responsable de l’ordre public (le préfet) et le commandant des forces mobiles. Ce qui est d’ailleurs préconisé dans les textes en vigueur. Cette collaboration se traduit par la validation d’une conception d’opération privilégiant la manoeuvre fondée sur la mobilité des forces, et un positionnement très clair de l’autorité préfectorale durant la conduite de la manoeuvre.

Deux exemples concrets permettent d’illustrer ce qui doit devenir la règle générale.

Tout d’abord Paris, soit le centre de gravité de notre pays.

L’arrivée de Laurent Nunez à la tête de la préfecture de police de Paris a été marquée par des changements très positifs, attendus depuis longtemps tant par la gendarmerie mobile que par les CRS, et participant, sans doute, d’une autre philosophie du maintien de l’ordre que celle de ses prédécesseurs immédiats.

Outre une posture très bienveillante, le préfet Nunez a systématisé la participation des officiers supérieurs de Gendarmerie mobile, et des CRS, aux réunions préparatoires aux opérations de maintien de l’ordre, dont beaucoup peuvent dégénérer du fait notamment de la présence quasi systématique des blacks-blocs. Ces échanges, sous la gouverne de la DOPC (direction de l’ordre public et de la circulation), ont permis de mettre en oeuvre des dispositifs plus manoeuvriers, tout d’abord en remédiant au mélange d’unités de forces différentes, en favorisant une meilleure subsidiarité, et en systématisant la constitution de GAP, soit des Groupes d’appui projetables, constitués par des professionnels du maintien de l’ordre, soit des gendarmes mobiles, soit des CRS. Ces GAP, agissant dans le cadre de dispositifs jalonnant à distance les cortèges, ont vocation à intervenir très rapidement en cas de regroupement d’activistes. en limitant ainsi l’usage de la force légitime. 

À l’occasion des JO et dans une manoeuvre d’échelle inédite, procédant de cette démarche d’étroits échanges en amont, le préfet Nunez a opté pour une sectorisation missionnelle et spatiale des forces déployées. Il a également permis une meilleure inter-opérabilité avec les compagnies d’intervention de la préfecture de police, par l’initiation d’entraînements communs avec les gendarmes mobiles, au Centre National d’Entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier.

Il est à espérer que cette évolution vertueuse ne dépendra pas que du seul facteur humain.

Ce constat est aussi valable pour la province, avec les différentes opérations conduites par des manifestants dits écologistes mais largement infiltrés par des activistes de l’ultra-gauche, contre les bassines dont celle de Sainte-Soline devenu le symbole “totémique” de cette contestation. L’étroite collaboration du commandement de la Gendarmerie au niveau régional et départemental, avec les autorités préfectorales, a permis de privilégier une manoeuvre dynamique, par la combinaison d’actions défensives, mais surtout mobiles (bascules, projections…) favorisées par la composante renseignement. Cette conception de manœuvre a permis de prendre l’ascendant sur les adversaires, avec un usage minimum de la force. 

La judiciarisation du maintien de l’ordre doit constituer un mode d’action majeur s’agissant de l’effet final recherché

La judiciarisation du maintien de l’ordre, soit la capacité à identifier les fauteurs de troubles, et à réunir les éléments de preuve pour leur imputer une infraction donnée (dont au premier niveau, la participation à un attroupement sur le fondement de l’article 41-4 du Code pénal) doit constituer un mode d’action majeur s’agissant de l’effet final recherché : le retour à une situation normale par la gestion régulée de la conflictualité ( inhérente  au pacte social) en s’appuyant sur la logique incontestable de l’état de droit.

Cette judiciarisation est fortement attendue par la population, qui ne comprend pas l’impunité dont ont pu bénéficier des fauteurs de troubles professionnels, une impunité de fait les incitant ainsi à poursuivre leurs actions prédatrices, mais également par les gendarmes et policiers.

Les forces de l’ordre, dont on exige qu’elles agissent selon les principes de proportionnalité et d’absolue nécessité dans l’usage de force, attendent de façon légitime, face notamment aux individus violents, une plus plus grande effectivité de la réponse pénale. Cette réponse, qui participe de l’action de justice dévolue à tout citoyen, est indispensable pour neutraliser durablement des acteurs de plus en plus agressifs, et par là, abaisser les risques d’affrontement, et moins exposer les gendarmes et policiers

En définitive, la judiciarisation doit permettre de diminuer le volume des forces engagées, et l’attrition des unités (moins de blessés), ce qui indispensable en termes d’économie des forces.

Cette judiciarisation est désormais pleinement intégrée dans les conceptions d’opération, comme l’a démontré la dernière vaste manoeuvre conduite par la région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine lors des manifestations anti-bassines, en juillet dernier, dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente maritime (présence des magistrats, “engagement des OPJ” de l’avant au sein des escadrons de gendarmerie mobile). Cependant, plusieurs pistes pourraient être explorées pour l’optimiser, sachant que l’arsenal pénal, durci ces dernières années,  est largement suffisant :

la systématisation de la participation des magistrats du parquet à la conception de la manoeuvre (réalisée lors des opérations à l’occasion des manifestations anti-bassines) ;

la mise en place (projection sur le terrain) de magistrats spécialisés en matière de violences à agents dépositaires de l’autorité publique, formés à cet effet ;

l’amélioration des dispositifs d’identification d’auteurs présumés de violence par le recours aux innovations technologiques dont les marqueurs à distance, permettant de privilégier des arrestations après les opérations proprement dites (diminution des risques), la généralisation de la fiche de mise à disposition électronique, expérimentée avec succès au sein de la Préfecture de police de Paris depuis 18 mois, et permettant une meilleure prise en comptes des fauteurs de troubles présumés par le parquet.

Rééquilibrer les moyens des forces de l’ordre

Le rééquilibrage des moyens des forces de l’ordre par rapport aux armements, sans cesse perfectionnés, dont disposent leurs adversaires, est indispensable.

“Les autorités au plus haut niveau doivent prendre les dispositions pour éviter qu’il y ait des blessés graves, voire des morts au sein des forces de l’ordre, car la maîtrise dans l’emploi de la force ne signifie pas la sur-exposition des gendarmes et policiers et dans un contexte très incertain, il ne faut surtout ne pas déstabiliser les corps constitués majeurs”

Les moyens à disposition des forces de l’ordre.

Les évènements en Nouvelle-Calédonie sont, en termes d’ordre public, d’une toute autre nature que celle des troubles qu’a pu connaître la métropole, ces dernières années. Les forces de l’ordre sont en effet confrontées à une situation insurrectionnelle qui dure depuis quatre mois. Elle se caractérise par des opposants très déterminés, majoritairement jeunes, pour partie conditionnés sur le plan idéologique, et le recours très fréquent à la prise à partie des forces de l’ordre avec des armes à feu de gros calibre.

Revoir, en mettant en œuvre l’économie des forces, le schéma fonctionnel de la gendarmerie mobile pour sanctuariser les créneaux d’entraînement

La Gendarmerie qui fournit la plus grande partie du dispositif engagé a déployé l’ensemble de ses capacités, dont une composante blindée renforcée depuis la métropole par des Centaures, et qui constitue un atout opérationnel majeur.

La culture militaire de la Gendarmerie, et plus particulièrement celle de la gendarmerie mobile, s’est avérée capitale pour agir dans un tel environnement qui, correspondant au sommet du spectre du maintien de l’ordre, relève en réalité de l’infra-combat.

Les premiers retex portent sur :

l’importance première de la formation militaire tactique et de la robustesse à la fois physique mais aussi mentale et morale. S’agissant notamment de la gendarmerie mobile, il faut revoir, en mettant en oeuvre l’économie des forces, son schéma fonctionnel pour sanctuariser les créneaux d’entraînement ;

l’efficacité d’un dispositif cohérent intégrant l’ensemble des moyens de la Gendarmerie sous une chaîne de commandement unique, y compris en s’appuyant sur les ressources humaines et technologiques de l’IRCGN (optimisation de la manoeuvre de police judiciaire….);

la pertinence de la planification, du déploiement d’état-majors opérationnels, et d’une résilience  logistique. À l’inverse de la mutualisation et de l’externalisation, la Gendarmerie doit recouvrer son autonomie, notamment dans le domaine du soutien des moyens de mobilité terrestre ;

l’avantage de l’inter-opérabilité avec les armées, en particulier avec les régiments du génie ; cette inter-opérablité, qui s’appuie notamment sur une culture de base commune et une proximité des hiérarchies respectives, doit être confortée.

Un enseignement qui appelle une prise en compte rapide par les responsables politiques, porte sur la nécessité impérieuse d’une mise à plat des armements dont dispose la gendarmerie mobile en situation très dégradée

Les engagements récents en Nouvelle-Calédonie ont en effet mis en exergue :

une grande fragilité dans la capacité à agir dans les 0-40 mètres du fait, d’une interdiction du lancer à main de la grenade GM2L  (Interdiction depuis levée mais mesure malencontreusement limitée à la seule Nouvelle-Calédonie), de l’absence de grenades à effets de souffle puissant (de type GLI, voire OF37) pour se désengager face à des individus lourdement armés, du manque d’efficacité des nouvelles munitions de LBD…sachant que le GIGN est doté de certains moyens de force intermédiaire, à l’efficacité éprouvée, qui pourraient être mis en dotation dans les escadrons de gendarmerie mobile ;

Une carence grave en matière de capacité à administrer des tirs à longue distance

Une carence grave en matière de capacité à administrer des tirs à longue distance, suite, il y a une dizaine d’années,  à l’incompréhensible suppression au sein des escadrons de gendarmerie mobile, des cellules observation tireur, équipées alors de carabines Tikka (conservées heureusement au sein des CRS) et de moyens optiques performants.

Un Centaure en action (Photo Sirpa Gendarmerie)

La réflexion prochaine doit également s’intéresser au format de la composante blindée, renouvelée avec l’arrivée des Centaures.

Pourquoi la Gendarmerie doit renouveler ses blindés ? les explications de Bertrand Cavallier

S’il est évidemment à espérer que l’ordre républicain soit rétabli durablement en Nouvelle-Calédonie, au plus grand profit de l’ensemble de la population, dans toutes ses composantes, il faut toutefois bien saisir que ce scénario pourrait se renouveler dans d’autres territoires, y compris et surtout en métropole du fait de l’expansion de zones hautement “volcaniques”, en particulier dans la proximité immédiate de la capitale.

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