Pour le général Burkhard, il n’y a « pas de menace militaire contre la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française »
Aussi, pour l’IFRI, il était donc nécessaire de faire monter en gamme les forces françaises de souveraineté afin de prendre en compte la « prolifération » des capacités de déni et d’interdicition d’accès ainsi que le « développement des capacités de projection de forces adverses ».
« Des zones jusqu’alors hors de portée de toute menace conventionnelle, comme la Polynésie française, par exemple, ne seront à l’avenir plus aussi isolées qu’auparavant. Cet enjeu pose à terme la question des moyens français de protection de l’ensemble du territoire, y compris ultra-marin, et le cas échéant de l’émergence d’une propre stratégie nationale de déni d’accès », avait alors prévenu l’IFRI, tout en mettant aussi en garde contre les stratégies « hybrides », qui se situent entre la compétition « pacifique » et la « confrontation indirecte ». Ce qui serait un moyen de contourner la dissuasion nucléaire, qui garantit les intérêts vitaux de la France.
La Revue stratégique actualisée en 2021 était allée dans le sens de l’IFRI, en affirmant que la crise sanitaire liée au covid-19 avait « montré la réalité de la continuité stratégique entre la métropole et les territoires ultramarins » ainsi que « le besoin de réassurance face aux prédations et à la manipulation d’informations ». Et de suggérer en conséquence de reconfigurer les forces de présence et de souveraineté pour « pouvoir accueillir dans la durée et sous faible préavis, des détachements déployés en renfort depuis la métropole ».
Plus tard, dans un entretien accordé à Mer&Marine, l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] avait dit ne pas écarter un scénario identique à celui de la guerre des Malouines/Falklands [1982]. « L’Argentine a cru pouvoir s’emparer des possessions britanniques dans l’Atlantique sud », ce qui s’est réglé de « façon conventionnelle », avait-il rappelé. Et d’ajouter : « De la même manière, on pourrait imaginer à l’avenir une tentative d’éviction de la France de certaines régions du monde, notamment celles où nous avons des territoires. Nous devons pouvoir décourager et si nécessaire empêcher de telles initiatives ».
Cela étant, le 30 mai, lors d’une audition au Sénat [son compte-rendu vient d’être publié, ndlr], le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA] a souligné que l’Indo-Pacifique était en train de devenir « de plus en plus le centre de gravité du monde » et que la « France y a des intérêts et des atouts importants ». Aussi, a-t-il poursuivi, « notre capacité d’action doit être conçue en prenant en compte la tyrannie des distances, et donc les délais d’action ».
Pour autant, l’accent est surtout mis sur les opérations humanitaires « à la suite d’une catastrophe humanitaire », comme l’a montré le récent exercice « Croix du Sud ». Pour le CEMA, ce « type de mission est sans doute celui qui répond le mieux aux attentes des différents pays de la zone », ceux-ci, « déjà soumis à la pression chinoise » et devant faire face « aux conséquences du changement climatique », étant « demandeurs d’une aide en la matière ».
Les interrogations sur les moyens nécessaires pour assurer la défense des intérêts français dans la zone Indo-Pacifique ont fait dévier le fil de l’audition du général Burkhard sur la question d’un second porte-avions pour la Marine nationale.
Un sujet pour lequel le CEMA a visiblement quelques réserves… « Plus que le coût d’un porte-avions, c’est le coût d’un groupe aéronaval qu’il faut considérer, avec ses matériels et ses hommes : groupe aérien, frégates d’escorte, ravitailleurs, sous-marins, etc. C’est tout cela qu’il faut considérer pour estimer si un 2ème porte-avions est ou non ‘à notre portée’ », a-t-il répondu aux sénateurs. Et il n’a pas non plus semblé favorable à la création de nouvelles bases dans le Pacifique.
« Nous disposons déjà de bases sur place. La question est de déterminer la menace. Il n’y a pas selon moi de menace militaire contre la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie Française », a en effet soutenu le général Burkhard. « En revanche, une menace visant l’exercice de notre souveraineté est plus d’actualité », a-t-il ajouté.
« Cette question a une dimension locale. Il faut savoir comment enraciner le sentiment d’appartenance à la France. Il y a aussi la menace liée à l’influence chinoise : ce n’est pas seulement en construisant des bases qu’on la contrecarrera. Il faut pour cela répondre aux besoins des populations et des pays de la zone », a ensuite enchaîné le CEMA, notant, au passage, que les « pays riverains ne sont pas focalisés sur l’aspect militaire, car ils ne veulent pas avoir à choisir un camp ou un autre ».
« En revanche, a-t-il conclu, ils sont préoccupés à juste titre par le changement climatique, les conséquences des catastrophes naturelles. Nous devons leur apporter une aide en ces domaines, les aider à contrôler leur ZEE [zone économique exclusive], etc. C’est dans cette voie que nous devons avancer ».
Quoi qu’il en soit, le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 prévoit un investissement de 13 milliards d’euros au profit des forces de souverenaité. Il s’agira notamment de les doter de « capacités de surveillance-anticipation développées qui amélioreront la couverture de nos territoires Outre-mer et de leurs zones économiques exclusives ».
« Nos forces de souveraineté bénéficieront d’un effort généralisé sur le plan capacitaire [protection, intervention et appuis, infrastructure] et constitueront un premier échelon renforcé immédiatement disponible [présence, protection et action humanitaire] afin de décourager toute tentative de déstabilisation ou de prédation », est-il annoncé dans ce texte.