Renforcement blindé
par Blablachars – publié le 24 avril 2024
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Après le 22 février 2022, plusieurs pays européens ont choisi de muscler leur composante blindée mécanisée en lançant des programmes (souvent ambitieux) de modernisation ou d’acquisition d’engins blindés, parmi lesquels l’achat de chars modernes figure en bonne place dans les différents processus en cours ou à venir. Cet engouement pour la « chose blindée » étant basée sur l’observation du conflit ukrainien et de la place tenue par les différents engins dans les opérations. Loin d’une Europe confrontée au retour de la guerre de haute intensité, un autre pays a également fait le choix de muscler sa composante blindée pour répondre aux menaces actuelles et futures.
On a appris aujourd’hui que les Forces de Défense Israéliennes (FDI) avaient décidé d’augmenter le nombre de compagnies de chars dans chaque bataillon du Corps blindé. Cette décision semble être le résultat direct des enseignements tirés des opérations menées par Tsahal, depuis six mois dans la Bande de Gaza. Cette décision qui vise à augmenter le nombre d’unités blindées annule une décision prise il y a plus de dix ans, qui visait à réduire le nombre de chars dans l’armée israélienne. L’observation des engagements dans la bande de Gaza a confirmé l’utilité des chars dans la conduite des opérations en milieu urbain, au sein duquel les destructions contribuent à entraver l’action des engins. Les zones ouvertes hors des localités ont également permis aux chars de tirer le meilleur parti de leurs capacités de jour comme de nuit, comme ce fut le cas lors des premières incursions de Tsahal au mois d’octobre dernier.
Selon le Cne AMITAI, commandant une compagnie de chars au sein du 82ème Bataillon blindé « Gaash » appartenant à la 7ème Brigade blindée « Saar me-Golan« , les véhicules blindés ont joué un rôle essentiel dans le conflit. Engagée aux côtés de la 188ème Brigade blindée « Barak » et de la 401ème Brigade blindée » Ikvot HaBarzel » dans la Bande de Gaza, la 7ème Brigade blindée a été engagée le long du littoral afin de contrôler les accès sud et centre de la ville de Gaza, en vue de l’isoler. Pour l’officier israélien, les chars ont permis de protéger et de fournir des feux aux fantassins et sapeurs engagés en zone urbaine, tout en offrant une capacité de déplacement rapide en tout terrain. A la tête d’une compagnie de Merkava IV, le Cne AMITAI a évidemment souligné le rôle essentiel du système de protection active Trophy dans l’engagement des chars à Gaza, permettant de décupler l’efficacité des engins et de renforcer la confiance des équipages. Pour illustrer l’efficacité du Trophy, l’officier israélien évoque une embuscade au cours de laquelle le char du commandant de bataillon a été ciblé par deux missiles antichars, interceptés par le système de protection israélien, tout en permettant au char poursuivre son action.
Jonathan SPYER, chercheur à l’Institut de stratégie et de sécurité de Jérusalem indique que les forces blindées ont joué un rôle central et vital dans les combats à Gaza menés au sein de dispositifs interarmes et que la décision de recréer les compagnies dissoutes s’inscrit dans le cadre de l’augmentation du budget de la défense qui devrait suivre la guerre. Selon le chercheur, l’augmentation de la capacité blindée de Tsahal reflète l’idée selon laquelle les FDI doivent être équipées pour lutter contre des forces semi-régulières et régulières, perspective d’emploi qui qui crée des besoins différents et exige donc des moyens également différents de ceux liés aux opérations de contre-terrorisme ou de contre-insurrection.
Cette augmentation de potentiel blindé, qui se traduit par la réactivation de compagnies de chars consiste à transformer la troisième compagnie de chars des bataillons blindés. Armée jusqu’à présent par des réservistes, cette unité devrait donc devenir une unité d’active, donnant aux bataillons une véritable troisième unité, dont les réservistes disponibles pourraient être engagés dans d’autres missions. Selon les FDI, trois compagnies ont déjà été réactivées au sein du 82eme, 52eme et 71ème Bataillon blindé, appartenant respectivement à la 7ème, 401ème et 188ème brigade, les prochaines pourraient l’être d’ici la fin de l’année. Cette remontée en puissance est en outre permise par l’afflux de volontaires pour servir au sein des unités blindées, avec un accroissement de 30% du volume de recrues au sein des brigades de chars par rapport aux années passées. Cette vague pourrait constituer le plus grand volume de recrutement du Corps blindé pour les prochaines années. La transformation en unités d’active des unités de chars de réserve souligne l’objectif affiché par les FDI de ne pas compter sur les réservistes pour la mise en œuvre de leurs blindés, dont plus de 300 000 furent rappelés au lendemain des attaques du 7 octobre. Selon le Times Of Israël, de nombreux réservistes ont manifesté leur volonté de ne pas rejoindre leur unité pour marquer leur opposition au projet de réforme du système judiciaire. En dépit de la signature par 6000 réservistes d’une déclaration affirmant leur engagement à servir le pays, il est probable que la décision de ne plus confier ces unités aux seuls réservistes, ne traduit pas uniquement le manque d’adaptation de l’armée israélienne à soutenir un conflit dans la durée, mais aussi la crainte de devoir composer avec d’éventuelles oppositions en cas de mobilisation massive. Avec ces nouvelles unités, Tsahal augmente donc sa capacité à occuper plus longtemps le terrain sans que cela ne se traduise par le rappel de réservistes supplémentaires ou par l’augmentation du nombre de chars en service. Au sein du 82ème bataillon blindé, la compagnie nouvellement créée sert sur des Merkava IV, à la différence des unités de réserve habituellement équipées de chars de versions plus anciennes, comme le Merkava III. Ce choix devrait donc se traduire par une plus grande homogénéité en matière de formation et d’entrainement, synonyme d’une efficacité accrue.
Même si elle constitue l’un des volets d’une probable stratégie de contournement destinée à prévenir les problèmes liés au rappel des réservistes, la nouvelle organisation traduit surtout l’importance du char et des blindés dans la stratégie de Tsahal. Comme les pays européens concernés et à la différence de la France, l’armée israélienne reste convaincue de la polyvalence du char et de son utilité dans les différents conflits potentiels. Il est important de noter qu’au moment où plusieurs armées européennes se heurtent à des difficultés accrues de recrutement, Tsahal ne semble pas connaitre de problèmes pour armer ses unités blindées en raison de l’afflux de volontaires désireux de servir dans les chars. Cet afflux qui pourrait être également lié à l’attitude de certains réservistes est probablement motivé par le côté technologique des engins utilisés ainsi que par la protection offerte aux équipages blindés, qui peuvent se sentir moins exposés que leurs camarades fantassins ou sapeurs. Cette opération, qui ne se limite pas à une simple manipulation RH souligne également l’importance de disposer d’unités de réserve équipées et spécialisées. Dans ce domaine, l’armée française a probablement raté une occasion au moment du retrait des AMX 30B2, qui aurait pu s’accompagner de la création d’escadrons de réserve au sein des Régiments de chars. Servis par des équipages de réserve (anciens d’active ou réservistes) suivant de véritables cycles d’entrainement et de contrôle, ces unités auraient pu contribuer de façon significative aux missions des régiments de chars auxquelles elles auraient été rattachées. En outre, on peut imaginer que ces unités auraient très certainement favorisé le recrutement de réservistes, attirés par ce métier et accru le rayonnement des régiments de chars. Au moment où la spécialisation des brigades revient à l’ordre du jour avec la création d’écoles de milieu au sein de la 9ème BIMa (Brigade d’Infanterie de Marine) et de la 11ème BP (Brigade Parachutiste), la constitution d’une véritable réserve blindée pourrait contribuer à confirmer la spécificité des brigades blindées et à renforcer leur attractivité, à défaut de créer une école de milieu blindé mécanisé.