Comment les communications du Hezbollah ont été affaiblies

Comment les communications du Hezbollah ont été affaiblies

par Alain RODIER – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°652 / septembre 2024

https://cf2r.org/actualite/comment-les-communications-du-hezbollah-ont-ete-affaiblies/


Les 17 et 18 septembre, les services israéliens ont déclenché des attaques non-conventionnelles massives contre les télécommunications du Hezbollah libanais. De ce fait, cette organisation paramilitaire se retrouve très diminuée et dans l’impossibilité – pour l’instant – de conduire des actions d’ensemble cohérentes depuis le Sud-Liban contre l’État hébreu.

C’est un coup très rude porté au Hezbollah dont la chaîne de commandement se retrouve sans possibilité de communiquer rapidement, devant utiliser les vieux systèmes comme le téléphone filaire et les messagers. De plus, à la suite des nombreuses neutralisations de responsables du Hezbollah par les Israéliens depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, le secrétaire général du mouvement chiite libanais, Hassan Nasrallah, avait demandé en février de cette année aux membres de son organisation de remplacer leurs smartphones (qui permettaient aux Israéliens de localiser leurs utilisateurs) par des bipeurs jugés plus sûrs.

Al-Qaida et Daech avaient été confrontés dans le passé aux mêmes problèmes mais la différence réside dans le fait que le Hezbollah fonctionne comme une armée qui a un besoin vital de communications rapides et sûres. Pour un mouvement terroriste clandestin, le temps compte beaucoup moins.

Les services israéliens se sont attaqués aux bipeurs, aux talkies-walkies et même à des radios qui avaient été préalablement piégés. Un certain nombre de ces matériels ont explosé provoquant une véritable panique. Les activistes se sont en plus empressés de se débarrasser de leurs appareils – tous genres confondus – craignant d’être atteints à leur tour.

Les bipeurs

Le 17 septembre 2024, vers 15 h 30, heure locale, au moins un millier de bipeurs (« pagers » en anglais) utilisés par des membres du Hezbollah libanais ont explosé en l’espace d’une demi-heure à travers le Liban et la Syrie.

Des informations disent que les bipeurs ont vibré et montré un message d’erreur sur l’écran. Ils n’auraient explosé que lorsque l’utilisateur a appuyé sur un bouton pour éliminer l’erreur augmentant la probabilité que l’opérateur soit vraiment son propriétaire.

Au moins douze personnes ont été tuées et plus de 2 750 ont été blessées dont certaines gravement. Certaines sources parlent de plus de 600 personnes qui auraient perdu la vue – au moins temporairement. Des civils ont également été atteints.

Mojtaba Amani l’ambassadeur d’Iran au Liban, a été grièvement touché à la tête et aurait perdu un œil après l’explosion du bipeur qu’il portait. Plusieurs membres du personnel de l’ambassade d’Iran ont également été blessés.

Les explosions ont retenti dans de nombreux fiefs du Hezbollah à Beyrouth, dans la vallée de la Bekaa et au Sud-Liban, mais aussi en Syrie où des activistes sont déployés depuis des années en soutien du régime de Bachar el-Assad.

Les hôpitaux ont été submergés de patients dont beaucoup souffrent de blessures au visage, aux mains et au ventre. En réponse, le ministère libanais de la Santé a conseillé aux personnes ayant des bipeurs de s’en débarrasser et a donné pour instruction aux hôpitaux de rester en « alerte élevée ». De son côté, Téhéran a rapatrié nombre de blessés en Iran.

Les bipeurs, bien que relevant d’une technologie ancienne (début des années 2000), sont intéressants sur le plan technique. Le Gold Apollo AR-924 choisi par le Hezbollah pour équiper ses cadres a une autonomie bien supérieure à celle des téléphones portables. Alimenté par de petites piles, il peut fonctionner pendant des semaines sans être rechargé. Cette caractéristique est précieuse dans les zones de conflit ou lors d’opérations prolongées où les ressources sont limitées et où l’accès à l’électricité est rare. Sur le plan sécuritaire, leur fonctionnement repose sur des ondes radio à basses fréquences ce qui les rend moins détectables par les moyens d’interception modernes.

Le Hezbollah aurait acquis quelques 5 000 AR-924 de la société taïwanaise Gold Apollo qui ont été importés au Liban depuis 2022. Les dirigeants de cette firme ont déclaré que ce modèle était assemblé en Hongrie par une société nommée BAC Consulting KFT qui avait obtenu la licence de la marque. Chose étrange, cette société « de conseil » hongroise déclare ne pas assembler de bipeurs et son siège n’est qu’une modeste boîte aux lettres…

Pour le moment, aucune unité de production d’AR-924 n’a été découverte… Les premières investigations laissent entendre que les services israéliens se sont servis de sociétés écran (dont la BAC Consulting KFT) pour développer et importer les bipeurs habilement modifiés.

Même la manière dont ces 5 000 bipeurs sont arrivés au Liban n’est pas connue sauf que cela a eu lieu en plusieurs livraisons. Il n’est pas certain que tous les bipeurs étaient piégés – les premiers livrés en 2022 ont dû être inspectés de près par les services de sécurité du Hezbollah. Ce qui est vérifié, c’est qu’ils étaient la propriété du Hezbollah qui les a distribués à ses cadres – particulièrement intermédiaires – et à des alliés.

L’explosif aurait été installé à côté de la batterie de chaque appareil et un commutateur intégré pour les faire exploser à distance. Les Gold Apollo AR-924 étant des dispositifs programmables, il est techniquement possible de les reprogrammer pour répondre à un signal particulier.

Les talkies-walkies

Le lendemain, une nouvelle vague d’explosions a eu lieu impliquant des centaines de talkies-walkies ICOM V82 qui ont fait a fait au moins neuf morts et plus de 300 blessés dans la banlieue sud de Beyrouth ainsi que dans le sud et l’est du Liban. Des postes radio classiques auraient aussi explosé. Les talkies-walkies ICOM V82 parvenaient au Hezbollah via le Power Group – qui représente la société japonaise de télécommunications ICOM au Liban – et Faza Gostrar, qui prétendait être « le représentant officiel de l’ICOM en Iran ».

Le message adressé aux activistes Hezbollah est clair : « nous pouvons vous frapper n’importe où, n’importe quand, au jour et au moment de notre choix et nous pouvons le faire en appuyant sur un bouton ». Il est peu probable que cela va effrayer les activistes dont l’objectif final est de « connaître le martyre ». Mais cela peut décourager une partie de leurs soutiens tout en créant une véritable psychose sécuritaire.

Les questions sont nombreuses

– Comment les bipeurs ont pu être piégés. Le plus probable est que cela se soit passé au moment de la fabrication mais qui les a vraiment assemblés et où ?

– Pourquoi le Hezbollah pourtant très sourcilleux sur sa sécurité n’a pas détecté le piégeage à la réception des appareils ?

– Même questions pour les talkies-walkies (eux fabriqués au Japon).

– Comment les services israéliens (très vraisemblablement le Mossad chargé des opérations secrètes extérieures) ont procédé pour monter cette méga-opération qui fera école dans l’Histoire de l’espionnage ?

La suite

Dès le début de la guerre à Gaza en octobre 2023, le Hezbollah a ouvert un front à la frontière sud du Liban avec Israël pour soutenir le Hamas. Après des affrontements continus mais sporadiques qui ont entraîné le déplacement de dizaines de milliers d’habitants, cette opération non-conventionnelle lancée par Israël marque un changement de stratégie.

Sans l’évoquer, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a estimé que le « centre de gravité » de la guerre se déplaçait « vers le nord ». Il a précisé : « nous menons nos tâches simultanément » au nord et au sud, et « notre tâche est claire : assurer le retour des habitants du nord sains et saufs chez eux ». Ses propos ont été confirmés par le Premier ministre, Benjamin Netanyahu et le chef d’état-major israélien, le général Herzi Halevi, dans des déclarations séparées. De son côté, le chef de la diplomatie libanaise, Abdallah Bou Habib, a estimé que l’attaque de mardi pourrait être le présage d’une guerre plus large au Moyen-Orient…

Sur le terrain, les bombardements israéliens se sont multipliés au Sud-Liban ciblant des dépôts d’armes et de munitions ainsi que des aires de lancement de missiles et de drones. D’importantes manœuvres terrestre de Tsahal devraient débuter dans le nord d’Israël. C’est une méthode pour dissimuler un déploiement de forces destinées à lancer une offensive mais Israël a des mauvais souvenir de ses interventions précédentes.

À n’en pas douter, le Proche-Orient arrive à un moment clé dont personne ne connaît la suite…

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