Lecture – « (Les Belles Lettres) Pilotes de combat » par Nicolas Mingasson
L’auteur a bien voulu répondre à nos questions sur le pourquoi et le comment d’un ouvrage marquant.
1. Comment s’est faîte cette rencontre avec Mathieu Fotius ? Le désir de raconter est-il venu de lui ou de vous ?
Tout commence par ma rencontre avec Alice Gaudin, épouse de Matthieu Gaudin, alors que je travaillais à l’écriture d’un livre sur le deuil de guerre. Durant la journée que je passais chez elle, Alice me confia son désir que Mathieu Fotius raconte à ses enfants les dernières semaines de leur père dont ils ne connaissaient rien ou si peu. Quant à sa dernière mission, Mathieu était le seul qui pouvait le faire !
Je rencontrais Mathieu quelques semaines plus tard, toujours dans le cadre de mon travail sur le deuil de guerre. Les soldats aussi, et cela est trop souvent oublié, portent aussi le deuil de leurs camarades tués au combat. Lorsque je lui ai parlé du désir qu’Alice m’avait confié qu’il témoigne, il n’a pas fait secret du fait qu’il ne pouvait répondre à cette demande. Il ne se voyait pas raconter les choses face aux enfants de Matthieu Gaudin, ni non plus de l’enregistrer. Quant à écrire, cela ne lui semblait pas être à sa portée.
L’idée de ce projet m’est venue subitement, par un titre. Ce serait « Lettre à tes enfants » ! J’ai vu d’emblée la forme que pourrait prendre ce récit. Ce fut une évidence : il y avait un livre à écrire. Mathieu s’est montré immédiatement enthousiaste, et soulagé. Quelque chose, pour les enfants de Matthieu, allait pouvoir se faire. Il ne nous restait plus que l’accord d’Alice, qui était pour Mathieu une obligation morale. Elle se montra également enthousiaste.
Au gré de l’écriture, je me suis orienté sur une narration un peu différente, dans laquelle Mathieu s’adressait à son chef de bord disparu et non pas aux enfants de celui-ci. Cela m’a permis de donner une dimension plus universelle à ce récit (ce que nous souhaitions avec mon éditrice) en prenant de la distance vis-à-vis de l’histoire propre de ces deux pilotes de combat, en la personnalisant moins, en tout cas, qu’elle ne l’aurait été si les enfants avaient été les destinataires du récit.
2. Déjà auteur de plusieurs ouvrages sur le conflit Afghanistan, pourquoi replonger dans cet épisode précis là, avec sans doute plus d’attention que ce qu’a permis « 1929 jours » ?
C’est le hasard de ces rencontres. Je n’avais pas, à priori, plus d’intérêt pour cette histoire que pour une autre. Le projet a également tenu au fait qu’Alice souhaitait un témoignage pour ses enfants. Elle ne m’en n’aurait pas parlé, rien, sans doute, ne se serait fait.
Il y avait aussi la dimension particulière de cette histoire. Le binôme que les deux Mathieu et Matthieu formaient, auquel s’ajoutaient les enfants, et qui permettait cette narration particulière et que j’ai vu tout de suite. C’est cette forme, la possibilité de cette narration qui m’a intéressé et suscité mon envie de me lancer dans ce projet. Ce ne serait pas un récit de guerre de plus, mais un récit différent et dont la forme me permettait de raconter bien plus de choses.
Écrire ce livre était aussi la possibilité de me replonger dans ce que j’avais vécu en Afghanistan. J’ai beaucoup puisé dans mes souvenirs pour écrire ce livre, et ce d’autant qu’il a fallu plus d’une fois compléter les souvenirs de Mathieu, dont certains s’étaient perdus dans le crash ; j’ai volé aux mêmes endroits qu’eux, et cela m’a énormément servi.
3. Qu’est ce qui est souhaité lorsque vous vous lancez dans un tel projet cathartique, à la fois pour celui qui raconte, peut-être plus globalement pour d’autres militaires, acteurs plus ou moins directs des événements narrés ?
Difficile pour moi de répondre à la place de Mathieu et d’Alice. Je ne peux que vous dire qu’elle m’a parlé du « bien fou que ce livre lui a fait ». Quant à Mathieu, il m’a dit que cela l’avait fait beaucoup avancer.
Ceci dit, il est évident que chaque occasion donnée de raconter aux personnes ayant vécu des événements traumatiques est positive. Je l’ai vu en travaillant sur le deuil, je l’ai vu avec Mathieu et je le vois en travaillant aujourd’hui sur le Stress Post-Traumatique. Les occasions qui leur sont données de parler librement sont rares. Et les effets positifs sont démultipliés, si l’on peut parler ainsi, quand ils savent que leur parole sera partagée. C’est le plus souvent la raison pour laquelle ils s’engagent dans de tel projet.
Me concernant, la difficulté, si l’on peut dire les choses comme ça, est de savoir où je suis et pourquoi je fais les choses. Je ne suis pas psy, je ne suis pas coach, mais dans les faits, il y a un peu de tout ça quand je parle avec eux. Il faut savoir jouer sur tous ces registres en gardant à l’esprit que si cela peut leur faire du bien, ce n’est pas le but de la manœuvre ; je dirais que c’est un effet collatéral positif qu’il faut garder à l’esprit. Et assumer. Sans oublier tout ce que ces longues discussions (je suis resté cinq jours chez Mathieu) peuvent avoir de douloureuses, peuvent remuer. Enfin, il faut toujours faire attention à ne pas se faire happer par leurs histoires, garder à l’esprit que ce sont bien leurs histoires, même s’ils m’accueillent dans leur intimité ; je ne suis là que pour les narrer. Bien sûr, cela n’empêche pas l’empathie, ni l’amitié de naitre de ces rencontres.
Pilotes de combat Poche – 17 mai 2018 Prix : 11 €