SCORPION ou pas, le « fantassin du futur » aura toujours besoin d’une carte et d’une boussole
Lors du dernier salon Viva Technology, qui a lieu la semaine passée, le ministère des Armées a mis l’accent sur plusieurs projets innovants, dont le « Fantassin du futur », lequel pourrait être équipé d’un casque RAFT [Réalité augmentée pour le fantassin].
Étant donné que le programme SCORPION [Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation] repose, comme son nom l’indique, sur le combat collaboratif et l’infovalorisation, le combattant débarqué, déjà doté du système FELIN [Fantassin à équipements et liaisons intégrés] sera donc de plus en plus « connecté » et bardé de différents capteurs.
Ainsi, par exemple, le casque RAFT donnera au fantassin une meilleure connaissance de son environnement et la possibilité de partager en temps réel une situation tactique. « Vision, connection wifi et bluetooth », cet équipement permettra « à l’ensemble des acteurs d’être interconnectés tout en favorisant la prise de décision », expliquait la Direction générale de l’armement [DGA], en novembre dernier.
Cela étant, permettant l’échange d’informations en à peine quelques secondes entre plusieurs véhicules déployés dans une zone donnée afin qu’ils puissent détecter et contrer une menace visant l’un d’eux et riposter, le combat collaboratif « profite surtout au combat embarqué » relève le colonel Paul Bury, commandant la Force d’Expertise du Combat SCORPION, dans un article paru dans le dernier numéro de la revue Fantassin [.pdf], publiée par l’École de l’infanterie.
Reposant sur Vétronique commune SCORPION [VCS], c’est à dire l’électronique embarquée à bord des futurs véhicules Griffon, Jaguar et Serval, le combat collaboratif ne concerne pas directement le fantassin, du moins tant que les informations de lui ont pas été transmises vers son SICS [Système d’information du combat SCORPION] débarqué.
Aussi, le colonel Bury s’interroge : « Le fantassin débarqué est-il le grand perdant de SCORPION? ». Or pour prendre l’avantage sur un champ de bataille, il faudra toujours des fantassins pour occuper le terrain et combattre à vue. Et cela, souligne-t-il, « parfois au corps à corps, quand l’avantage des moyens de communication et de partage de l’information est fortement nivelé par un combat dans lequel les actes réflexes et élémentaires, individuels comme collectifs, tout autant que le courage prennent le pas sur l’environnement technique. »
Aussi, pour le colonel Bury, que le grenadier-voltigeur soit le « laissé pour compte du combat collaboratif » n’est pas un problème en soi. « Le fantassin débarqué, lui, n’a pas des besoins d’esquive aussi immédiats qu’un engin », estime-t-il.
« En effet, un engin SCORPION ciblé par le télémètre d’un char n’a que quelques secondes pour esquiver la menace, là où le rythme du combat du fantassin débarqué s’inscrit dans une autre durée pour laquelle la réception des informations via le SICS débarqué en temps réflexe sera de toute façon déjà un progrès important par rapport à la situation actuelle », explique l’officier.
En outre, s’il s’agit de combattre à vue, voire d’aller au corps à corps, « il est préférable d’avoir les yeux rivés sur le terrain et l’ennemi que sur une tablette informatique », ajoute le colonel Bury, pour qui un « chef de groupe ne doit pas être, par exemple, surchargé d’informations venant du haut ou des engins » dans la mesure où il « a besoin de temps pour analyser la situation à son niveau et surtout, pour commander les mouvements et le tir de son groupe. »
Par ailleurs, poursuit-il, chercher à faire du combattant débarqué un « hoplite numérique », c’est à dire un acteur du combat collaboratif « dans le temps immédiat » en le suchargeant de capteurs n’est pas souhaitable car « l’effet en serait d’autant plus limité que les sources d’émission, quoiqu’offrant une vulnérabilité importante à la guerre cyber, nécessiteraient en outre un apport énergétique qui rendrait, plus encore qu’aujourd’hui, le fantassin dépendant de son engin pour recharger ses batteries. » Et, souligne le colonel Bury « ceci serait, à force, peu compatible avec une qualité première du fantassin débarqué, qui est d’occuper le terrain dans la durée, y compris coupé de ses engins. »
Qui plus est, le combat infovalorisé n’est pas forcément compatible avec la nécessaire discrétion dont doivent faire preuve les combattants débarqués.
« Pour être infovalorisé, il faut émettre de façon quasi permanente, donc, pour être discret en termes de rayonnement, il faut couper les systèmes d’émission, et revenir, au moins temporairement [infiltration ou embuscade, par exemple] à un mode de fonctionnement dégradé dans lequel la boussole, la carte, le commandement aux gestes et les estafettes retrouvent toute leur pertinence », fait ainsi valoir le colonel Bury.
Enfin, si le chef de section doit pouvoir disposer de toutes les informations utiles et être en mesure de transmettre sa situation aux autres unités ainsi qu’au commandement [d’où l’intérêt du SICS débarqué et des moyens de transmission CONTACT], la « véritable place du fantassin, celle du combat des derniers mètres et de la tenue du terrain dans la durée […] n’est pas destinée à évoluer », estime le colonel Bury. Et de conclure : « Il sera absolument vital pour les unités d’infanterie de dominer SCORPION, d’en exploiter les avancées, sans jamais y perdre leur âme, et donc, sans jamais renoncer aux fondamentaux qu’imposera le combat en mode dégradé. »
Le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Jean-Pierre Bosser, qui ne cesse de mettre en avant « l’esprit guerrier », ne dit pas autre chose.
« L’infanterie, force motrice et intégratrice de la synergie interarmes et interarmées, entre avec Scorpion dans l’ère du combat collaboratif/infovalorisé. Demain en pointe des avancées technologiques, elle devra faire preuve des mêmes vertus militaires antiques que ses ainés », a en effet assuré le CEMAT, via Twitter, lors des journées prospectives de l’infanterie, le 7 mai dernier.
Photo : EMA