Selon un rapport, un soldat dépenserait en moyenne 400 euros par an pour son équipement personnel
Que des militaires achètent leurs propres équipements personnels – soit pour remédier une carence, soit pour remplacer ceux qui leur ont été fournis parce qu’ils les estiment inadaptés – n’est pas un phénomène nouveau. Mais c’est un phénomène qui n’est pas toujours bien vu par leur hiérarchie.
Ainsi, alors qu’il était encore major général de l’armée de Terre, le général Elrick Irastorza avait estimé que « l’achat sur deniers personnels d’effets ou d’équipements de combat majeurs » devait « être fermement prohibé » car il n’était pas question d’avoir « une armée à la Bourbaki » [en référence à l’armée de l’Est du général Bourbaki, équipée de bric et de broc durant la guerre de 1870, ndlr].
Mais la raison de cette réprobation était surtout liée à des problèmes de sécurité, les équipements acquis sur le marché civil n’ayant pas été soumis à des batteries de tests réglementaires pour vérifier leurs propriétés intrinsèques [qualité, résistance au feu, par exemple].
Mais, que ce soit vu d’un bon ou d’un mauvais œil par le commandement, cela ne change rien à l’affaire : les soldats continuent de s’équiper sur leurs deniers personnels, même si ce phénomène tend à s’infléchir depuis quelques années, la qualité des équipements qui leur sont attribués étant désormais de meilleure qualité. Tel est le constat établi par les députés Jean-Pierre Cubertafon [MODEM] et André Chassaigne [PCF], dans un rapport d’information relatif à la sur la politique d’approvisionnement du ministère des Armées en ‘petits’ équipements. »
« L’équipement ‘hors circuit’ des combattants – dans les commerces spécialisés, des magasins d’articles sportifs et, surtout, en ligne – n’est ‘pas un mythe ». […] Toutefois, la qualité de l’équipement personnel ayant tendance à s’améliorer depuis une vingtaine d’années, la part de l’équipement personnel dans les matériels des soldats à tendance à décroître », avancent les deux parlementaires, en s’appuyant sur le témoignages de représentants du Conseil supérieur de la fonction militaire [CSFM].
Ce qu’ils ont pu constater de visu au 92e Régiment d’Infanterie [RI] de Clermont-Ferrand. « Les fantassins qui ont présenté leurs matériels […] ont confirmé que l’on relève encore des achats de matériels personnels, tout en notant une différence nette, dans ces pratiques, entre les plus anciens ‒ qui ont beaucoup acquis ‒ et les plus jeunes, qui ont beaucoup moins ce réflexe car ils sont contents (ou se contentent) de leurs matériels », écrivent MM. Chassaigne et Cubertafon.
Et d’ajouter : « Les cadres de contact précisent que nombre de personnels continuent cependant à acquérir des matériels à titre personnel, mais qu’ils le font pour un nombre beaucoup plus réduit d’articles qu’il y a quinze ans, à mesure que les nouveaux effets entrent en dotation. »
Mais si ce phénomène « décroît », il reste encore une réalité pour plusieurs raisons. La première reste l’inadaptation de « certains matériels », qui se « révèle dans la conduite des opérations ». Sur ce point, les rapporteurs donnent l’exemple des holsters [la « quasi-totalité » des soldats en achètent, celui qui leur est fourni étant « lâche et donc fragile », expliquent-ils], des effets de pluie, des brelages [inadaptés aux ceintures de sécurité des véhicules de l’opération Sentinelle, ndlr], etc.
Ensuite, il arrive encore que des produits disponibles sur le marché civil soient plus performants que ceux qu’ils ont officiellement en dotation. Selon le CSFM, ce serait « le cas de certaines housses de fusils, pour lesquelles l’offre civile propose des produits de qualité supérieure, par exemple en matière d’étanchéité . » Ou encore, pour les marins, des chaussures « base », lesquelles « ne tiennent pas deux mois alors que l’on trouve ‘dans le civil’ des articles deux fois moins cher pour une meilleure qualité. »
Une troisième raison est que les soldats souhaitent « optimiser leur confort personnel ». Exemple : le modèle réglementaire des grenouillères en dotation « s’attache au treillis par des élastiques, ce qui le rend pénible à porter par de grandes chaleurs, pourtant courantes dans certains théâtres d’opérations. » Aussi, « nombre de militaires se sont dès lors équipés à titre personnel de genouillères s’attachant directement à leur treillis », expliquent les deux députés.
Enfin, la standardisation « très poussée de certains équipement » fait que ces derniers peuvent être inadaptés aux « caractéristiques physiques de certains soldats ».
Reste à savoir le montant des dépenses consenties par les soldats pour améliorer leur équipement personnel. La réponse n’est pas évidente. « L’ampleur du phénomène est difficile à évaluer », admettent en effet les rapporteurs. Cependant, et sur la base des réponses données par militaires interrogés, ils estiment, de « façon empirique », que, « en moyenne, un soldat dépense 400 euros par an à ce titre, et pafois bien davantage avant un engagement en opération extérieure ». Aussi, concluent-ils, « compte tenu de la modestie des soldes versées à la plupart des militaires, de telles sommes n’ont rien de négligeable. »
Pour y remédier, les deux députés avancent trois pistes de réflexion. L’une d’elle consisterait à verser en espèce les crédits d’habillement « non-utilisés » dans l’année, comme cela a pu être fait dans la Marine nationale par le passé. Mais cette solution n’a pas leur faveur. « Aux yeux des cadres de contact interrogés par les rapporteurs sur le terrain, le risque serait grand que les soldats s’en servent comme d’une source de revenus supplémentaires, in fine au détriment de leur équipement », estiment-ils.
Une autre piste, défendue par des membres du CSFM, serait de s’inspirer des magasins « PX » des bases américaines, lesquels relèvent de l’Army and Air Force Exchange Service [AAFES]. Ces échoppes proposent en effet aux soldats des équipements qui, complémentaires à ceux du paquetage standard, sont testés et certifiés par le Pentagone. De cette façon, si le soldat se blesse avec ces équipements, il peut recourir à l’assurance utilisée par l’armée américaine, ce qui l’incite à s’équiper dans ces magasins plutôt que ‘hors circuit’ », expliquent les rapporteurs.
Pour autant, une telle solution ne serait pas non plus, à leurs yeux, satisfaisante car, si elle est « sécurisante », elle ne serait qu’un « palliatif ». D’où la troisième piste qui réuni leurs suffrages : veiller, en étroite coordination avec le service du commissariat des armées, à ce que les progrès technologiques soient pris en compte, notamment en matière de textiles. »