« Anticiper la montée des menaces » : Lettre ASAF du mois de décembre 2020
Lors des récentes auditions devant les commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et du Sénat, les quatre chefs d’état-major ont insisté sur l’absolue nécessité de disposer des ressources prévues dans la loi de programmation militaire (LPM 2019-2025).
Lors des récentes auditions devant les commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et du Sénat, les quatre chefs d’état-major ont insisté sur l’absolue nécessité de disposer des ressources prévues dans la loi de programmation militaire (LPM 2019-2025). Ils ont rappelé que, non seulement il était urgent de remplacer nos matériels vieillissants, mais aussi de durcir les moyens et l’entraînement de nos forces, de donner de « l’épaisseur » à nos armées, ainsi que de développer des capacités nouvelles notamment dans les domaines cyber et spatial.
Des propos d’alerte stratégique bien peu médiatisés
Les comptes rendus de ces auditions constituent une mine d’informations et il est consternant de voir que les préoccupations des grands responsables militaires demeurent quasiment confidentielles tandis que des chroniqueurs abordent les questions de Défense sans avoir la moindre compétence.
Quel média du service public a interviewé, à une heure de grande écoute, ces généraux qui engagent la vie de 250 000 Français dans des opérations complexes, de jour comme de nuit, 365 jours par an sur toute la surface du globe ? Qui leur demande comment sont utilisés les 35 milliards d’euros du budget de la Défense ? Combien de journalistes s’inquiètent des insuffisances de nos armées et dans quels domaines ?
La ministre des Armées a reconnu celles du service de santé des Armées au regard de ses effectifs et des besoins à couvrir tant en Métropole et en Outre-mer qu’en opération. Personne ne cherche à savoir comment les armées, malgré la crise de la Covid, s’entraînent et remplissent leurs missions de défense de l’espace aérien, des approches maritimes et du territoire.
Durcir les moyens et l’entraînement
Nos armées sont engagées depuis des décennies dans des opérations dites asymétriques, au cours desquelles elles ont notamment la maîtrise du ciel qui permet à nos drones, avions et hélicoptères d’utiliser l’espace aérien librement. Mais qu’en serait-il si l’ennemi disposait de missiles antiaériens ?
Durcir nos moyens signifie remplacer les moyens anciens, peu blindés ni armés, par des engins plus récents, disposant de blindages composites et équipés de détecteur de visée ou de missile. Mais c’est aussi augmenter leur « épaisseur opérationnelle », car, aujourd’hui, l’armée de Terre n’aligne que 250 chars et 120 canons, la Marine 5 sous-marins nucléaires d’attaque et 13 frégates multi-missions, enfin l’armée de l’Air et de l’Espace ne dispose que de 3 avions ravitailleurs récents et ne comptera en 2025 que 125 Rafale….
Dans le cadre de l’opération Barkhane au Sahel, sur 5 millions de km2, nous ne déployons qu’une vingtaine d’hélicoptères. Nos moyens sont « échantillonnaires ». Or nous savons, depuis au moins un siècle, qu’une armée engagée dans un conflit conventionnel perd très vite beaucoup de matériels. Quant aux stocks de munitions, la situation est sans doute encore plus critique.
Durcir aussi l’entraînement, surtout dans une armée de métier, c’est d’abord sélectionner des cadres selon des critères physiques, intellectuels et de personnalité exigeants. Tous les candidats sélectionnés doivent répondre aux mêmes critères. En ce temps de parité, plus question d’accepter des barèmes physiques différents selon le sexe, ni de passe-droit pour cause de discrimination positive. Notons enfin qu’un renforcement de l’entraînement individuel et collectif exige de disposer du potentiel correspondant pour les matériels. La simulation est utile pour l’instruction mais insuffisante pour l’entraînement. C’est dans l’effort et l’apprentissage du risque vécus que l’on développe la supériorité du combattant comme celle du groupe ; ce qui permettra de limiter les pertes au combat.
Développer de nouvelles capacités
Tandis que nous commençons à rattraper le retard accumulé depuis 1990 par le choix délibéré de l’exploitation des « dividendes de la paix », il nous est non seulement indispensable de remplacer les matériels obsolètes et d’augmenter le nombre de matériels nouveaux, mais nous devons aussi acquérir les capacités nécessaires pour combattre dans les nouveaux espaces.
Avec les ressources prévues en fin de LPM, nous devrions atteindre annuellement 2 % du PIB (avant Covid). En 1980, cette part était de 3 % et nous avions bien du mal à équiper et soutenir nos armées. Comment avec un budget de la Défense à 2 % du PIB (prévu en 2025) pourrions-nous espérer développer des moyens de cyberdéfense, de surveillance et de défense de l’Espace alors qu’en 1980, avec 3 % du PIB, nous n’avions pas à le faire ?
Notons que l’effort financier considérable consenti pour atténuer les effets du confinement et relancer l’économie ne profite guère aux armées alors que 1 € investi dans l’industrie de Défense rapporte entre 2 et 3 €, que nos industries de haute technologie sont implantées en France, que la « recherche et développement » est très souvent duale (civilo-militaire) et que nous avons 40 ans de sous-investissement à rattraper dans ce secteur !
Pourquoi ne pas investir dans la remontée en puissance de notre industrie d’armement et fabriquer en 5 ans ce qui était prévu en 10 ans ? Nous pourrions non seulement reprendre la maîtrise de certaines filières abandonnées à des firmes étrangères, renforcer notre armée plus rapidement, exporter davantage, mais aussi garder le contrôle des pépites industrielles à haute valeur stratégique qui sont convoitées par des pays étrangers, en particulier alliés, et reconstituer des stocks avec des munitions récentes.
Dans un monde qui présente certaines analogies avec les années 30, notre pays doit réinvestir dans sa Défense. Il lui faut se rassembler autour de son armée et adopter les vertus essentielles qu’elle pratique en vue du combat. La France, retrouvant sa fierté, peut redevenir une grande nation, forte et enracinée dans quinze siècles d’histoire en s’appuyant sur son goût de l’ouverture et de l’excellence. Nos armées, par leur diversité et leur valeur, illustrent bien cette vocation particulière de notre Patrie.
La RÉDACTION de l’ASAF
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