On sentait bien que le gouvernement tournait autour de la question depuis quelques années. Le service national universel, au fond, ne prévoyait pas autre chose que l’encadrement des mineurs par l’armée, sous des modalités assez floues d’ailleurs. L’annonce d’Éric Dupond-Moretti semble préciser un peu plus sous quelle forme les militaires français vont être mis à contribution. « Semble », seulement, car, à bien y regarder, rien n’est vraiment clair. « Désormais, comme s’y était engagé Emmanuel Macron, des mineurs sous main de justice seront pris en charge par des militaires dans le cadre de programmes adaptés. »

On peut noter plusieurs choses dans cette annonce, pour essayer de bien comprendre de quoi il est question. « Désormais » semble laisser entendre que cette mesure est à effet immédiat. Cela semble surprenant, car aucune disposition légale n’a été annoncée, mais pourquoi pas. Le terme « mineurs sous main de justice » laisse cependant planer le doute sur un certain nombre de points, dont le statut et, surtout, la nationalité desdits mineurs. La cuistrerie administrative du terme ne masque pas le flou du périmètre. « Des militaires » : oui, certes, mais d’active ou de réserve ? Recrutés ad hoc ou prélevés sur l’existant ? Quant à ces « programmes adaptés », on ne voit pas bien desquels il pourrait s’agir, puisqu’une nouvelle fois, aucun dispositif légal ne semble avoir été envisagé.

Ce flou légèrement préoccupant ne doit pas masquer une petite révolution de fond. La Macronie, qui ne cesse de célébrer les vertus de la jeunesse de France, même et surtout quand elle ne sait pas lire, passe sa vie sur TikTok et fume des pétards, veut déléguer à l’armée, un corps d’État par définition assez obéissant, une mission de service public qu’elle ne pourra pas refuser. Le pouvoir semble donc reconnaître que, malgré tous les discours, il y a un petit problème d’insertion sociale du côté des mineurs délinquants.

À l’heure où on cherche par tous les moyens à faciliter la destruction de la famille, et dans un système où l’Éducation nationale a totalement failli à sa mission d’instruction publique pour se concentrer sur le bourrage de crâne woke, la sensibilisation aux discriminations et un souverain mépris de la lecture et du calcul, il ne reste peut-être plus que l’armée pour reconstruire tout ce que l’école prétend déconstruire : le sens de la discipline, entendue comme adhésion à une communauté, le goût du travail bien fait, la fraternité réelle de gens qui viennent de toute la France, l’égalité vécue par le port de l’uniforme et l’absence de prérogatives indues.

Ce discours est cependant à moitié utopique. Encore faudrait-il, en effet, demander à ces militaires s’ils sont en mesure d’assurer cette mission. Ont-ils été formés à réagir à la paresse, à l’individualisme et au manque de respect ? Ont-ils seulement signé pour cela ? Ce travail d’éducateur spécialisé se fera-t-il sur la base du volontariat ? On l’imagine.

Il paraît (selon le discours d’Emmanuel Macron aux armées) qu’avec la récente loi de programmation militaire, l’armée a changé de priorité. Il paraît aussi que ses soldats n’iront plus en Afrique (dont ils sont en train de se faire chasser par le Burkina, après le Mali). Enfin, après avoir donné dix-huit canons CAESAr à l’Ukraine, la France se prépare à en donner d’autres et étudie l’envoi de chars Leclerc. Il va falloir occuper tous ces artilleurs sans canons, ces tankistes sans chars. Seront-ils ravis de devenir assistantes sociales auprès de jeunes qui détestent tout ce qu’ils représentent ? On verra.

Cette décision signe donc à la fois l’échec patent du modèle éducatif français, l’échec patent de son système judiciaire… et l’utilisation un peu hasardeuse des derniers moyens disponibles pour faire illusion : une armée dont on prend les canons pour les remplacer par des mineurs délinquants, en espérant que le devoir de réserve fera passer la pilule.