Des stocks (du déstockage) et des flux,d’aujourd’hui et de demain

Des stocks (du déstockage) et des flux,d’aujourd’hui et de demain

Crédits : FSV / MA.
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Une donnée d’entrée sur l’analyse des opérations en Ukraine et en Russie, et sur l’efficacité perçue ou réelle de tel modèle d’armée ou telle capacité, est la prise en compte, il est vrai pas simple à ajuster, de la question des stocks et des flux matériels (sans même parler de la question des ressources humaines).

Soit intégrer la disponibilité assurée dans le temps (court/moyen/long terme) de telle ou telle capacité avant de tirer les conclusions, faites par certains, que finalement, cela ne change pas grand-chose sur le modèle poursuivi ou les concepts d’opérations, les faiblesses capacitaires identifiées, leur priorisation, et la manière d’y remédier. Il est possible que telle ou telle capacité semble fonctionner, encore faut il, en préalable, avoir l’assurance de la détenir (à temps et en nombre).
Sans minorer la part des Ukrainiens (dans les stocks initialement détenus, en partie recomplétés en propre par réparation et production, ou dans l’extension, plutôt horizontale, de ces derniers en allant chercher des matériels autres : drones civils, technicals, réemploi de matériels capturés…), force est de constater la part prise par les alliés. Alliés ayant des stocks relativement « conséquents » (car mis en commun), disponibles (car non utilisés ailleurs) et acheminables (via des moyens logistiques lourds, rares, eux-mêmes disponibles). Avec un effort logistique, si ce n’est pas colossal, du moins très important en lui-même (et peu à pas perturbé, pour le moment).

Or, après le précédent Irak-Syrie ayant lui aussi impacté parfois des stocks similaires, Libye de manière plus relative avant lui et après certaines “campagnes expéditionnaires” usantes et abrasives, combien de fois, dans quels délais et avec quelle ampleur des alliés seraient capables de soutenir et de réitérer un tel effort pour parvenir à soutenir tel ou tel allié (permettant d’éviter d’être ainsi en première ligne) demain ou après-demain ?
En conséquence, quelle juste importance est-il possible de donner au critère, considéré parfois comme un critère d’entrée, sur le fait que « les alliés seront là, et y pourvoiront, totalement ou partiellement, en complément ». Car, au-delà du « le voudront-ils », il y a aussi « le pourront-ils »… Et si oui, dans quelle mesure.

Quand on voit, pour avoir une vision globale, comment sont raclés, ou presque, par plusieurs alliés les fonds de tiroirs sur certains stocks (anti-chars, sol-air, radios, artillerie, petits équipements…) ou fortement entamés les stocks (anciens, mais aussi parfois plus modernes). Les délais annoncés de relance ou de ré-accélération de chaines de production (chez les missiliers, les munitionnaires…) du fait de la complexité intrinsèque des systèmes. Les délais de livraisons de matières premières (poudres, par exemple, avec des sur-stocks anticipés par certains dès les premiers jours conduisant à des tensions d’approvisionnement non résorbées à ce jour). Les coûts des matières premières ou transformées (aciers par exemple, avec des devis, à la hausse – potentiellement de manière durable – ne tenant pas 15 jours, tant la volatilité est forte…), impactant en partie les marges faites ailleurs dans les budgets. Les délais de livraisons de certains composants (puces, cartes…). L’impact des tensions internationales sur les cycles de transport (aériens, maritimes, etc.). Ou encore, et sans être exhaustif, la disponibilité effective des matières premières (métaux / matériaux rares…) pour le secteur militaire (quand la demande explose en parallèle pour d’autres secteurs, en phase de transition, qui jouent sur des effets de volume, bien plus importants, pour être servis en premier).
Il y a de délicates questions à se poser sur la pertinence de, en plus de rechercher l’optimisation ultime de l’emploi des capacités détenues, toujours vouloir prolonger indéfiniment les courbes (poids, consommation, hauteur de la marche d’appropriation dans la formation…) rendant à ce jour plus lente la fabrication, plus complexe la projection (en contraignant le nombre de modes d’acheminement possibles, par exemple), plus consommatrice l’emploi, plus longue l’entrée en service… Le triptyque de conception mobilité / protection / agression des systèmes doit être complété du critère global de soutenabilité (dans toute sa durée de vie) pour être plus pertinent.

Il est possible de s’enorgueillir que la consommation en flux (pétrole, électricité, alimentation, munitions, etc.) d’une division française serait de l’ordre de 3 fois plus réduite qu’une division américaine (selon certaines conclusions tirées de l’exercice Warfighter 21-4) en situation équivalente, le fil à la patte (opérationnel, économique, industriel, etc.) n’en reste pas moins important, avec urgente nécessité de le réduire.
Ainsi, quelle juste répartition entre recomplétement des stocks point par point (ou presque, en profitant pour les moderniser) et changement de la composition de ces mêmes stocks. En faisant autrement, pour faciliter leur éventuel recomplétement plus tard, gagner en juste autonomie pour réduire les dépendances (recyclage, renoncements sur certains choix technologiques, détournement de technologies, etc.), rendre l’ensemble plus soutenable (donc, en fait, plus efficace), tout en se coordonnant (éventuellement en harmonisant) à une juste échelle.
Car si la question des flux, tirés ou poussés (et des vecteurs logistiques) est d’importance, encore faut-il avoir des stocks à déplacer au bon endroit et au bon moment. Au final, au-delà du confort opératif bien entamé depuis quelques années, le confort actuel de la disponibilité des alliés, de leurs stocks, des matières, des outils de production (peu touchés en tant que tels, en étant plutôt loin sur les arrières des lignes de front) et de la sécurité des flux n’est en rien forcément une garantie pour demain.