Haute intensité: quand les chefs et les PC jouent leur survie

Haute intensité: quand les chefs et les PC jouent leur survie

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 21 mai 2022

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Les militaires en campagne sont rustiques mais ils ne refusent jamais un peu de confort : ils prennent leurs aises, ils s’étalent, ils causent trop… Et leurs postes de commandement ont adopté les mêmes mauvaises habitudes, alors que ces PC devraient être « petits, discrets, mobiles et frugaux »​, assure le général Vincent Giraud qui commande les 7 500 hommes de la 2e brigade blindée, héritière de la fameuse 2e DB.

La mort, depuis février, d’une douzaine de généraux russes et d’encore plus nombreux colonels lors de frappes ukrainiennes sur leurs postes de commandement illustre parfaitement les vulnérabilités des PC. Ils constituent des cibles de choix dont la neutralisation permet de paralyser l’action d’une force militaire, en la privant de ses moyens d’analyse, de transmissions et de commandement et même de ses chefs.

Des PC félins

« Nous n’avons pas attendu la guerre en Ukraine pour faire ce constat et réagir »​, assure le général Giraud à l’ombre d’un filet de camouflage tendu entre un quatuor de blindés d’où son état-major pilote l’exercice Strasbourg 2022.

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C’est un exercice d’état-major certes mais il rassemble, en terrain libre, 150 véhicules et 600 soldats. Le reste : les troupes amies, les forces ennemies, les frappes aériennes, les tirs d’artillerie…, tout est virtuel. « Mais la simulation est extrêmement réaliste »​, assure le commandant Thierry qui pilote le centre opérationnel, terré dans une friche industrielle à Charmes (Vosges). De fait, les radios du PC français témoignent des combats en cours, des pertes amies : « Bleu 4 au contact. Un VBL détruit par tir d’artillerie ; trois blessés »​, de la casse chez l’ennemi : « Trois chars T-72 et un blindé de reconnaissance BRDM détruits » ​et de la menace qu’il fait peser avec, par exemple, ce « regroupement de chars T-90 au sud de Lunéville »​.

« Dans le combat de haute intensité, la vulnérabilité des PC est flagrante et leur survivabilité essentielle »​, explique le colonel Lemerle, le chef d’état-major de la 2e BB du fond d’un hangar agricole prêté par un exploitant ravi d’accueillir le PC de la brigade pour une dizaine d’heures. « Les drones et l’aviation nous traquent ; les unités de reconnaissance essaient de nous localiser. Leur objectif : nous détruire ! »​.

« D’où la nécessité de réduire notre empreinte visuelle en camouflant les véhicules et en réduisant leurs mouvements »​, ajoute le colonel Merlin, chef de corps du Régiment de marche du Tchad, depuis son propre PC régimentaire. « Il faut aussi réduire l’empreinte thermique en évitant de faire tourner les moteurs et en privilégiant les zones boisées pour déployer nos moyens de commandement ; il faut diminuer les bruits comme ceux des groupes électrogènes, surtout la nuit, mais nos PC sont tellement gourmands en énergie… »​. Et ultime nécessité : être prêt à décamper en moins de 20 minutes si la menace se précise.

 

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Quant à l’empreinte électromagnétique, elle reste la plus difficile à réduire. « Un PC émet beaucoup et reçoit beaucoup. Au mieux, on est brouillé ; au pire, détruit »​, résume la lieutenant Maude de la compagnie de commandement et de transmissions de la brigade, tout en considérant le bosquet d’antennes qui surplombent le PC. « On peut déporter des antennes mais il faut surtout réduire les échanges en phonie, privilégier la transmission de données, être discipliné et bref à la radio »​.

Et même si « c’est celui qui a la plus petite (empreinte) ​qui gagne »​, comme le lance à la volée un capitaine casqué, l’invulnérabilité n’existe pas. « D’où le recours au mode dégradé avec des cartes sur papier et des ordres écrits transmis par des estafettes, comme autrefois »​, précise en souriant le général Giraud. Et d’ajouter plus sérieusement : « On a aussi imaginé de dupliquer le poste de commandement, malheureusement avec des moyens humains et matériels presque constants et qui seraient déportés sur deux sites. L’idée, c’est que l’effet miroir permette d’assurer la continuité et la permanence ».

 

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« C’est ce que nous avons testé lors de Strasbourg 2022 avec des doubles postes de commandement, sur roues pour la mobilité et sous blindage pour la résilience (alors que les PC sont rarement blindés)​, au niveau tant de la brigade que des sept régiments engagés », explique Vincent Giraud.  ​« L’un des PC est toujours actif, l’autre se redéployant selon la menace ennemie ou la progression des unités amies. Tout en essayant de ne pas avoir de déperdition d’informations lors des phases de bascule ! »​.

« C’est le prix de la résilience »​, résume le colonel Garnier, le patron du 40e régiment d’artillerie pour qui le combat de haute intensité induit certes une nouvelle « convergence de complexités » ​mais aucun changement de l’effet final : « Il faut détruire l’ennemi »​. De fait, en quatre jours de combat, la 2e BB a encaissé le choc ennemi, résisté, repris l’initiative, franchi la Meurthe et ouvert la voie à une division blindée américaine. Et aucun de ses PC n’a été détruit. « On a pris des coups »​, admet le général Giraud, « mais nos PC sont restés capables de comprendre, de réagir et d’ordonner à tout moment »​.