La triple mission du 13e BCA au Sahel

La triple mission du 13e BCA au Sahel


Une partie du 13e bataillon de chasseurs alpins (13e BCA) s’envolera à l’été pour le Sahel. La mission sera triple pour les troupes de montagne : poursuivre la lutte contre le terrorisme dans le cadre de l’opération Barkhane, déployer pour la première fois le système d’information du combat Scorpion (SICS) en OPEX et anticiper la projection des premiers véhicules Griffon à l’automne 2021.

Une année et demi de montée en puissance

Cette relève inédite, le 13e BCA la prépare depuis un bon moment. Au moins depuis janvier 2020 et la formation au 1e RCA de Canjuers (Var) des premiers pilotes et instructeurs régimentaires sur Griffon. Sa transformation Scorpion a pris un coup d’accélérateur avec la réception, fin mai 2020, des premiers Griffon. Cette étape franchie, le régiment a poursuivi son cycle de préparation opérationnelle tout en s’appropriant progressivement les premières briques Scorpion lors d’exercices interarmes de plus en plus ambitieux.

Depuis juin 2020, le 13e BCA est ainsi passé trois fois par le CENTAC de Mailly-le-Camp. En octobre dernier, il était le premier régiment à y réaliser sa période de restitution de la transformation Scorpion (PRETS), mettant en œuvre durant trois semaines les appuis dont il disposera en OPEX : cavalerie, génie et artillerie.

La dernière rotation en date, menée entre janvier et février 2021, aura réuni près de 400 chasseurs alpins. Un entraînement de niveau brigade qui s’est achevé sur une situation tactique de haute intensité dont l’objectif principal aura été d’ « éprouver le système SICS dans les conditions les plus proches de la réalité pendant 96 heures de combat non-stop », détaillait l’adjudant Thomas de la 1ère compagnie du 13e BCA, lors d’une journée de présentation des troupes de montagne.

Déployer SICS en OPEX

À l’issue de ce processus de préparation-appropriation, deux compagnies – les 1ère (les Loups) et 2ème (Belle 2) – du 13e BCA sont maintenant passées expertes dans l’emploi du système SICS. Et si la composition exacte du contingent envoyé cet été au Sahel n’est pas encore fixé, ces deux unités font néanmoins figure de candidats idéaux. S’y ajouteront les appuis habituels, en toute logique issus des 2e régiment étranger de génie, 4e régiment de chasseurs et 93e régiment d’artillerie de montagne. À eux de lancer la mécanique Scorpion sur un théâtre d’OPEX.

Bien qu’il l’ait espéré, le 13e BCA n’opérera pas sur Griffon mais sur les véhicules de troisième génération, essentiellement des VAB. Ce choix n’est en rien compromettant pour l’usage du SICS, ses capacités n’étant pas impactées par le choix du porteur. L’une de ses grandes forces relève d’ailleurs de la possibilité de l’utiliser en combat débarqué.

Ainsi, SICS va bien au-delà des deux terminaux fixes embarqués dans chaque Griffon, l’un à l’avant pour le chef tourelle véhicule d’infanterie (CTVI) et l’autre à l’arrière pour le chef de groupe. De fait, SICS a dès l’origine été décliné en version débarquée sur tablette et smartphone durcis. Ce dernier est fourni par Crosscall, basé à Aix-en-Provence et spécialisé dans les téléphones étanches et résistants. Seule une section de chasseurs alpins en est aujourd’hui équipée.

Redondance oblige, la carte n’est jamais très loin du smartphone Crosscall SICS pour ce chasseur alpin (Crédits : 13e BCA)

Quant à la tablette durcie Panasonic, celle-ci est davantage destinée au commandant d’unité. Elle est aujourd’hui en expérimentation. « C’est à dire que, lorsque nous avons commencé à expérimenter le SICS, nous nous sommes aperçus que le commandant d’unité, quand il débarquait, n’avait pas de moyen SICS débarqué à son niveau », explique l’adjudant Thomas. Un projet d’innovation a donc été lancé en lien avec la STAT pour intégrer un moyen dédié. Cet outil a été évalué par le 13e BCA en début d’année au CENTAC et devrait l’accompagner dans la bande sahélo-saharienne.

Les deux modèles débarqués sont reliés au système Félin, qui comprend un récepteur GPS DAGR d’origine américaine. À l’avenir, l’adoption d’autres systèmes devrait permettre de basculer sur la constellation européenne Galileo. Quant à l’autonomie, celle-ci atteint plusieurs jours pour la version Crosscall. L’utilisateur dispose par ailleurs  d’une batterie portable supplémentaire alimentée au moyen d’un mini-panneau solaire intégré. Plutôt utile au vu du potentiel d’ensoleillement qu’offre le Sahel. Grâce à la connectique du système Félin, tablettes et smartphones peuvent aussi être rechargés à l’intérieur d’un VAB.

Et si jamais SICS se dégrade ou est compromis par le brouillage adverse, les chasseurs alpins seront toujours en mesure de poursuivre le combat avec cartes et radios. Ce sont d’ailleurs des scénarios de haute intensité qui ont été joués au CENTAC. « On nous a brouillés pendant un peu plus d’une demi-heure pour évaluer nos capacités de réaction. On retravaille alors à l’ancienne pour pouvoir continuer notre phase de combat », indique l’adjudant Thomas, selon qui « le SICS est vraiment un outil d’aide au commandement. Il ne faudrait pas qu’il devienne un outil de commandement ».

Permettre au 3e RIMa de transformer l’essai

Si la projection du 13e BCA s’avère si importante, c’est parce qu’elle doit participer à établir les bases techniques essentielles au déploiement opérationnel des véhicules Scorpion. Le premier d’entre eux, le Griffon, est attendu au Sahel avant la fin de l’année. Au total, 32 véhicules seront assignés à un GTIA Scorpion majoritairement armé par le 3e régiment d’infanterie de marine (3e RIMa) de Vannes, première unité de l’armée de Terre à avoir basculé dans l’ère Scorpion.

En attendant ce GTIA-S initial, SICS devra avoir été éprouvé en opération et les Griffon avoir été correctement réceptionnés et prépositionnés « pour pouvoir donner une ligne de débouché au 3e RIMa », soulignait un officier supérieur de la 27e BIM. Une autre mission qui incomberait en partie au 13e BCA, alors seul régiment de l’armée de Terre formé pour manœuvrer le véhicule présent au Sahel. 

Du côté de l’armée de Terre, on se dit prêt au rendez-vous. Les véhicules sont disponibles – 220 avaient été réceptionnés par la DGA au 1er janvier – et le soutien technique vient d’être repris par les militaires après avoir été assuré pendant 18 mois par les industriels du GME Scorpion (Nexter-Arquus-Thales).

Un Griffon à Djibouti lors d’une phase d’aguerrissement en zone désertique de niveau SGTIA (Crédits : 5e régiment interarmes d’Outre-mer)

Cette projection a été « très largement anticipée par de nombreux groupes de travail (…) pour mettre en place à partir de juillet prochain les matériels, donc les 32 Griffon qui vont être projetés pour la première fois en opération », précisait le colonel Hugues Legris, responsable du soutien en service Scorpion au sein de la SIMMT, jeudi dernier lors d’un point presse du ministère des Armées.

D’après le colonel Legris, les Griffon seront livrés à Miramas, où est basé l’un des détachements du 4e régiment du matériel (4e RMAT), puis rejoindront La Rochelle d’où ils devraient logiquement entamer leur voyage par la mer vers le Sahel. Ils seront accompagnés de lots d’autonomie initiale de projection (AIP), envoyés sur le théâtre afin de « lancer les flux logistiques ». Ces lots AIP regroupent environ 3000 pièces de rechange, avec un accent particulier mis sur ce que l’armée de Terre appelle les « essentialités 1 », c’est à dire les composants majeurs qui engagent la disponibilité de l’engin.

Le blue force tracking, une révolution

Ce SICS, « c’est vraiment le cœur du système Scorpion. C’est ce qui permet à nos chefs de commander leurs hommes sur le terrain », rappelait l’adjudant Thomas. SICS équipera la chaîne de commandement du chef de groupe jusqu’au poste de commandement régimentaire et au chef de corps, en passant par les chefs de section et commandants d’unité. À terme, il doit pouvoir collaborer avec le Système d’information des armées (SIA), successeur du SICF dans l’armée de Terre.

Entre autres avancées majeures, SICS apporte pour la première fois le blue force tracking ou géolocalisation amie (GLA), soit le positionnement précis de tous les alliés. Les alliés, mais également des menaces dont le signalement (fantassin, véhicule, IED) et la position peuvent être partagés en quasi temps réel à tout utilisateur présent dans la boucle SICS. « N’importe quel adversaire ajouté sur la carte apparaît ensuite sur tous les porteurs grâce au système de relayage interboucle. En une dizaine de secondes, l’ensemble de la compagnie détient l’information ».

Pour l’adjudant Thomas, c’est « une révolution » qui permet non seulement d’éviter les tirs fratricides mais aussi d’améliorer considérablement la coordination. Ce sursaut technologique aura été particulièrement prégnant lors des missions de reconnaissance offensive menée au CENTAC. L’ajout de la GLA « fluidifiait le réseau radio parce qu’il n’y avait plus besoin de se coordonner à la radio pour savoir qui est où. On peut désormais le voir directement sur la carte, ce qui permet de garder la phonie pour le contact », relève l’adjudant Thomas.

SICS fournit ensuite une capacité de chat jusqu’à 14 caractères. Le nombre rappelle peut-être les premières heures de la téléphonie mobile mais suffit largement pour transmettre instantanément une information codé. « Pas besoin de raconter notre vie sur le chat. L’idée est d’être succinct et d’aller vite, donc 14 caractères c’est largement assez pour ce qu’on en fait ». Pour l’instant limité par la VHF du poste radio PR4G, le débit de données de SICS augmentera significativement avec l’arrivée de la radio logicielle CONTACT.  

Enfin, l’outil fonctionne dans les trois dimensions, une nécessité pour que les hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) puissent eux aussi être au rendez-vous de l’engagement du premier GTIA-S. Cette évolution a été expérimentée au CENTAC avec l’hélicoptère d’attaque Tigre. Muni du SICS « version ALAT », celui-ci peut entre autres échanger des informations avec le sol en passant par des boucles de circonstance.