Le robot doit apprendre la guerre avant de la faire

Le robot doit apprendre la guerre avant de la faire

 

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Visuel intégrant trois robots terrestres de taille différentes ainsi qu'un drone aérien opérant au sein d'une unité d'infanterie (Crédits : Safran Electronis & Defence)

Visuel intégrant trois robots terrestres de taille différentes ainsi qu’un drone aérien opérant au sein d’une unité d’infanterie (Crédits : Safran Electronis & Defence)

La phase 2 du programme Scorpion intègre la technologie robotique à ses objectifs, la Direction Générale de l’Armement se posant la question du rôle que pourrait jouer un système autonome dans le combat collaboratif. Sur les champs de bataille futurs le fantassin aura besoin de nouveaux partenaires pour surpasser l’ennemi, du petit système de reconnaissance à l’engin blindé, les robots pourraient devenir les équipiers du soldat français. Mais pour cela, le robot équipier doit apprendre à agir en tant que tel. Avant la question de l’armement, il y a d’autres priorités, comme la sécurité du véhicule autonome lui-même et des hommes autour de lui, et si l’on veut se préparer à l’avenir – en appliquant les avancées technologiques au monde militaire – il faut penser à tout, et pour penser à tout il faut s’en donner les moyens (financiers). 

D’abord, pensons doctrine. Une nouvelle technologie n’apportera rien sur un champ de bataille si la doctrine d’une armée ne l’intègre pas, chacune devant alors s’adapter à l’autre, et c’est tout le défi que Safran Electronics & Defence doit relever avec son projet Furious commandé par la DGA (éclairer, surveiller, appuyer et soutenir sont les premières missions confiées aux robots dont les fonctions d’autonomie doivent progresser) : dit de manière familière, c’est bien beau tous ces robots, cette autonomisation des systèmes d’armement et des plateformes, cette intelligence artificielle qui pourrait un jour décider d’engager le combat, mais dans notre manière de combattre, cela a-t-il réellement un sens ? Y a-t-il un apport opérationnel qui vaille la peine de s’y attarder et d’y investir de l’argent ? 

Bien que la doctrine militaire française évolue pour s’adapter aux menaces qui peuvent être caractérisées par les nouvelles technologies appelées à proliférer sur les champs de bataille futurs, qui font évoluer la tactique militaire et les manières de faire, elle n’évolue pas aussi vite que la technologie. Attention, car l’ennemi lui, n’attend pas, et parfois même, ne s’embête pas avec des questions doctrinales ou éthiques pour « armer » les dernières technologies (avec la démocratisation du drone on a pu voir des drones commerciaux équipés de bombes, pourquoi ne verrait-on pas un scénario similaire quand la technologie robotique sera disponible à grande échelle ?). Si la doctrine militaire française est empreinte de « conservatisme », ce qui est l’une des raisons d’être d’une doctrine, chez Safran Electronics & Defence l’on reconnait à Florence Parly et au chef d’état-major de l’Armée de terre, le général Bosser, une attitude proactive sur la question de l’innovation où la robotique tient une place déterminante. Sous leur impulsion, la France ne veut pas perdre une miette des possibilités offertes par les dernières avancées, mais tout cela doit être réfléchi au travers de la valeur opérationnelle. Quoiqu’il en soit, et « heureusement », toutes les armées conventionnelles, amies ou ennemies, appartiennent au même monde, le militaire, où les changements sont incrémentaux quand les avances technologiques rapides se retrouvent surtout dans le monde civil qui bénéficie lui de modes de financement très différents ouvrant la porte à des crédits beaucoup plus conséquents.

Peut-être ici alors, certains penseront que la solution serait de regarder directement dans le monde civil pour « copier-coller » ses avancées au monde militaire. Mais non, cela ne fonctionne pas comme ça. Surtout dans le cas de l’autonomisation, il faut penser militaire ! Tout simplement par exemple, sur la question d’une autonomisation de la navigation des véhicules, chez Safran on rappelle avec justesse qu’une forêt, par exemple, c’est tout à fait autre chose qu’une autoroute avec ses lignes blanches, ses glissières de sécurité bien définies et continues et avec ses files de voitures. Avant de vouloir donner au robot ou au drone un rôle militaire déterminant sur le champ de bataille –  sans même parler de « robot tueur » on se concentre pour le moment sur le robot en support (transport, appui etc) – le système intelligent doit apprendre l’action militaire. Comment dire, le Projet de Science et Technologie remporté par Safran Electronics & Defence vise à rendre opérationnels des prototypes de systèmes « équipiers », c’est à dire que, sans obligatoirement remplacer le soldat dans ses tâches – ils seraient justement là pour que le soldat se concentre sur ses tâches premières, soit d’avoir son arme en mains, et de l’utiliser si il le devait – le système intelligent doit agir comme un soldat : comprendre les ordres, comprendre les menaces, comprendre comment y répondre etc. Même, chez Safran on se pose des questions pertinentes sur le principe même des ordres : pour pouvoir compter sur un (véritable) équipier, il faut que celui-ci, en plus de comprendre la tactique dans laquelle le groupe est engagé (ce qui passe par l’apprentissage) puisse comprendre, non seulement les ordres vocaux – ce qui n’est pas très compliqué si on pense aux ordinateurs de bord dans les véhicules modernes, ou tout simplement au système Siri d’Apple – mais aussi les ordres de la main qui permettent aux fantassins de communiquer rapidement et en toute discrétion.

Bref, ne nous éloignons pas trop, il se pourrait qu’on ne revienne pas avant quelques pages. Pour les chargés de programme et d’innovation de Safran Electronics & Defence, l’objectif n’est pas de produire des plate-formes, mais bien de donner vie à des systèmes intelligents que l’on intégrerait un jour à celles-ci si leur application au monde militaire était effective. Alors, avant de penser à quel canon on pourrait équiper sur quel robot, il y a d’autres priorités, comme la sécurité : à quoi bon déployer des robots chenillés au sein d’une unité d’infanterie si celui-ci, ne reconnaissant pas son équiper, lui passe sur le corps et le tue ? Ou encore, moins grave, mais tout aussi déterminant, indique un chargé de programme, quel intérêt aurait un robot sur le champ de bataille, si ne sachant pas faire la différence entre un obstacle infranchissable et une touffe d’herbe (réaction face à l’inconnu), se retrouverait bloqué devant celle-ci, ne se pensant pas capable de la franchir ? Voilà ce qu’il faut comprendre ici : si l’on veut un système militaire intelligent tâchons de le rendre réellement intelligent avant de le « rendre militaire ».

En s’entretenant avec les hommes et les femmes de Safran Electronics & Defence, beaucoup d’idées nous viennent à l’esprit et nous font repousser encore à plus tard la question des « robots tueurs ». Pensons d’abord à la sécurité de nos militaires. L’application de la technologie robotique au domaine militaire peut répondre à de nombreuses problématiques que l’on ne soupçonnerait pas au premier abord : il y a la question de l’autonomisation des convois, partielle dans un premier temps, qui permettrait de réduire le nombre d’occupants des véhicules de transport logistique et donc de minimiser les pertes dues aux engins explosifs improvisés ou encore aux embuscades; on peut penser aussi aux blessés qui, sous le feu de l’ennemi seraient difficilement secourus sans mettre d’autres soldats en danger, et l’on enverrait alors des robots en protection, ou alors un jour peut-être on les enverrait directement chercher (voire soigner?) ces blessés. Évidemment, et comme cela est prévu avec les démonstrateurs du programme Furious (eRider, Jaguar, Viking), les robots seront aussi utiles à la reconnaissance, au déminage et aux autres tâches périlleuses pour l’homme – le Viking est par exemple capable de monter les marches d’un escaliers et d’ouvrir des portes – et serviront tout aussi bien de « mules » pour alléger le poids porté par le combattant débarqué.

Chez Safran, où l’on a déjà beaucoup investi dans les systèmes autonomes (le eRider est un programme auto-financé et l’industriel français poursuit d’autres projets de véhicules autonomes avec PSA et Valeo) on suit une approche transversale, on pense à tout, on ne laisse rien de côté (sur Furious, Safran Electronics & Defence travaille avec une dizaine de laboratoires comme celui des Mines ou de Saint-Cyr Coëtquidan et d’industriels comme Effidence ou Kompaï Robotics), on pense à la synergie aérienne/terrestre, aux programmes futurs qui seront financés par le ministère des Armées, comme par exemple au VBAE (Véhicule Blindé d’Aide à l’Engagement) qui devra remplacer dans quelques années le Véhicule Blindé Léger. La première phase du programme Scorpion (renouvellement de la flotte blindée) n’a pas intégré la question robotique, tant pis, c’est comme ça, maintenant il s’agit de ne plus rater le coche. Pour résumer : il faut aller plus vite, mais pas trop vite non plus.