Sous le regard scrutateur d’un drone de la taille d’une libellule, les marsouins progressent. Sur son écran, le commandant de compagnie surveille leur prise du village de Jean Couzy. Sans un mot, il distribue ses ordres en quelques clics, réduisant au strict minimum son empreinte électromagnétique : les soldats lancent leurs grenades, lâchent une série de rafales. Le clou du spectacle n’est pourtant pas cette démonstration de force scénarisée sur le camp d’entrainement de Caylus, dans le sud de la France : tout le monde admire les virages des Serval entre les bâtiments.

Les jeunes parachutistes du 3ème RPIMA sont les premiers à challenger une vingtaine de ces gros 4×4 blindés de 17 tonnes, embarquant une dizaine de combattants. Larges de 2,5 mètres, ils peuvent atteindre les 4 mètres de hauteur avec leur tourelleau de 12,7mm téléopéré depuis l’intérieur de l’habitacle. Le véhicule frôle les 100 km/h et revendique 600 km d’autonomie. Surtout, cette machine de guerre se conduit comme une simple voiture.

« Avec ce poste de pilotage, vous passez du XVIIIème au XXIème siècle », s’enthousiasme le sergent-chef Nicolas, l’un des premiers instructeurs de pilotage. La maniabilité et les capacités de franchissement sont démultipliées par rapport aux anciennes machines. Grâce aux caméras réparties tout autour de son véhicule, il peut manœuvrer sans aucune difficulté.

Engin du futur

Le Serval projette les jeunes militaires dans une nouvelle ère. « Je peux indiquer en un clic qu’il y a un char ennemi sur cette position, explique le caporal-chef Thomas, radio-tireur. Je peux indiquer s’il a été détruit ou non. Cela fait automatiquement le compte rendu» En même temps qu’il pianote sur son écran tactile, les autres engins reçoivent les informations en direct. Perdu dans les menus, il hésite encore un peu : « C’est une gymnastique à apprendre mais à la fin, ce sera aussi intuitif qu’avec un téléphone portable ! »

Côté confort, la montée en gamme est considérable : clim’ en été, chauffage en hiver… et des fauteuils plutôt douillets. Surtout, cet engin se distingue de ses ancêtres par son niveau de numérisation : il appartient au programme Scorpion, qui vise à connecter tous les nouveaux blindés de l’armée de terre, Griffon, Jaguar et Serval. Sur le véhicule, un mat de détection acoustique peut repérer les départs de coups ennemis et indiquer automatiquement la direction dangereuse aux équipages. A terme, les ordinateurs doivent même suggérer aux différentes machines et à leurs armes les meilleures réponses à apporter.

D’ici 2033, l’armée de terre doit recevoir 2038 Serval déclinés en 29 sous-versions : combat d’infanterie, mortier, génie, poste de commandement, évacuation sanitaire… La maintenance est optimisée grâce à un fonctionnement en kits. Les militaires remplacent une multitude de micro-parcs de véhicules différents par une machine commune, adaptée à la mission en quelques coups de tournevis.

Défauts et finitions

Aux aguets, le colonel Benoît Cussac, chef de corps du 3ème RPIMA, s’interroge tout de même sur la fâcheuse tendance de ses chefs de groupes à ne plus décoller l’œil de l’écran pour regarder ce qui se passe dehors. Il récolte les retours d’expérience et ne cache pas sa fierté de pionnier : « Les paras voient arriver un véhicule qui a de la gueule. Ils sont comme des gosses. C’est important pour eux. Ils veulent voir comment ils montent dedans, où ils posent leurs affaires. » La caisse reste étroite et déjà, les opérationnels repèrent quelques défauts : en entrant ou en sortant, alourdis de leurs armes, leurs gilets pare-balles et leurs casques, ils ont tendance à embarquer telle poignée ou tel câble radio. L’industriel devra le prendre en compte pour améliorer le produit.

« Ce n’est pas inquiétant, rassure le colonel Cussac. Tout cela fait partie de l’appropriation du véhicule. Nous avons l’impression de contribuer à l’édifice. C’est ce que je dis à mes paras : ne râlez pas, soyez enthousiastes. Nous passons d’une R5 à une Alpine en à peine deux mois. »

Le sourire aux lèvres, les représentants des industriels écoutent les louanges sans tiquer sous les critiques. Eux aussi savent que développer un programme moderne d’armement en à peine quatre ans et demi est un sacré défi. Ils savent aussi que la satisfaction des marsouins sera un précieux argument commercial pour tenter l’aventure à l’export. Le responsable du programme chez Nexter glisse avoir de bons espoirs pour lancer des prospections. Sans vouloir lâcher le prix de l’engin, il concède qu’il est probablement trop cher pour l’Afrique. Mais pourquoi pas les pays Baltes et la Belgique, qui a déjà acheté la plupart les autres briques du programme Scorpion ?

Romain Mielcarek pour Capital
Romain Mielcarek, au camp de Caylus