« Pour beaucoup de Maliens, Wagner est plus efficace que la France ». Entretien avec Michael Shurkin 

« Pour beaucoup de Maliens, Wagner est plus efficace que la France ». Entretien avec Michael Shurkin 

 

par Revue Conflits – publié le 27 avril 2023


Pour beaucoup de Maliens, Wagner a une action positive car la société apporte la stabilité et lutte efficacement contre les groupes djihadistes. Si cette vision est contestable, c’est comme cela que le groupe russe est perçu et c’est la raison pour laquelle son image est plus positive que la France. Entretien avec Michael Shurkin sur l’action de Wagner au Mali. 

Ancien élève de l’EHESS, titulaire d’un PhD de Yale, Michael Shurkin était analyste à la CIA et chercheur au sein de la Rand Corporation. Aujourd’hui, il travaille pour 14 North Strategies, une entreprise de Conseil spécialisée dans l’Afrique subsaharienne. Il est l’auteur de deux rapports sur le Mali publiés en 2015 et 2017 par la Rand Corporation. Entretien avec Michael Shurkin.

Propos recueillis Par Gil Mihaely.

Conflits : Samedi 22 avril, la base de Wagner à Sévaré (600 km au nord-est de Bamako) a été attaquée par Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), une milice djihadiste affiliée à AQMI. Que pouvez-vous nous dire sur cet incident et sur sa signification dans un contexte de sécurité plus globale ?

Michael Shurkin : Nous savons que 11 terroristes ont participé à l’attaque et que les cibles visées étaient probablement une base de gendarmerie et une base aérienne militaire, qui abrite également du personnel de Wagner. Cependant, nous ne savons pas si les auteurs de l’attentat espéraient toucher des membres de Wagner. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas atteint les cibles présumées, grâce en partie aux actions des forces de sécurité maliennes. Ils ont fait exploser leurs bombes dans une zone civile causant la mort d’au moins dix civils et trois soldats.

La presse malienne affirme quant à elle qu’il s’agit d’un échec de la part des djihadistes et un succès pour les forces de sécurité maliennes ; j’en suis moins sûr. Deux raisons me poussent à l’affirmer. D’abord, l’attentat a démontré que malgré la pression militaire exercée sur eux au centre du Mali par les FAMa (forces armées maliennes) et Wagner, le JNIM (en supposant que ce sont bien eux) conserve la capacité d’y organiser des attaques. Ensuite, n’oublions pas que semer la terreur parmi les civils est en soi une victoire pour les insurgés, car cela sape la confiance dans l’armée. C’est la raison pour laquelle le gouvernement malien tente de faire croire que l’attaque a échoué.

Quels sont les effectifs de Wagner au Mali ? Qui est responsable de leur logistique ? De leurs renseignements ?

Il y a environ 1 000 membres du personnel de Wagner au Mali. Ils sont apparemment en charge de leur propre logistique et disposent également de capacités de renseignement organiques. Il s’agit notamment de capacités de renseignement d’origine électromagnétique et de drones de reconnaissance. Il est possible qu’ils reçoivent également des images satellites de l’État russe, mais nous ne le savons pas.

Plus généralement, quel est le bilan de Wagner depuis que la France a mis fin à Barkhane en novembre dernier ?

Le bilan est globalement bon là où Wagner fait partie des opérations militaires (le centre du pays, dans les régions de Mopti et Ségou), surtout aux yeux de nombreux Maliens. Sa présence semble avoir amélioré le moral des Maliens en même temps qu’elle offre un certain avantage tactique. Les combattants sont actifs sur le terrain et semblent bien se battre.  Du côté positif, Wagner a aidé les FAMa à remporter des victoires dans le centre du Mali, ce qui aurait encouragé certains combattants djihadistes à retourner à déposer les armes, du moins pour l’instant. Du côté négatif, Wagner est complice de violations des droits de l’Homme. Il est avéré que cela encourage la radicalisation dans certaines communautés, car cela pousse les civils dans les bras des groupes djihadistes. In effet, l’histoire des guerres contre-insurrectionelles nous rappelle que des succès tactiques n’apportent pas toujours des succès stratégiques. Comme on dit souvent par rapport aux Américains au Vietnam, l’armée américaine a gagné toutes les batailles. Pourtant…

Je ne veux pas dire que Wagner est plus efficace que l’intervention française à travers Barkhane ne le fut. Mais, vraie ou fausse, c’est la perception de nombreux Maliens, qui n’ont pas compris ce que les Français faisaient, et ce que la France leur a apporté. Aussi, il faut se rappeler que Barkhane s’est focalisée sur d’autres régions du Mali, au nord et au nord-est, et non pas le centre, qui est actuellement le focus des opérations militaires maliennes et russes.

Le problème fondamental de Barkhane était probablement que la France menait dans une certaine mesure une guerre distincte et que Paris et Bamako n’étaient pas toujours d’accord sur l’identité des ennemis. En revanche, Wagner se contente de combattre les gens que le Mali lui désigne. Autrement dit, les objectifs tactiques et stratégiques de Wagner sont très probablement fixés par les Maliens et par eux seuls. Cela rend la contribution de Wagner moins suspecte aux yeux de Bamako. C’est ainsi que du point de vue de nombreux Maliens, Wagner fait un travail satisfaisant. Ce point est discutable à l’infini, mais c’est ce que beaucoup de gens pensent là-bas.

Pour moi, le fond de l’affaire est que la présence de Wagner permet au régime malien de faire croire que ses efforts sont plus fructueux qu’ils ne le sont réellement, comme si Wagner était une solution magique. Il est une façon de détourner l’attention publique des défauts de la junte malienne.

Certes, mais Wagner peut-il sécuriser Gao, Ménaka et Tombouctou ? A-t-il pris l’initiative sur le JNIM ?

À eux seuls, les chiffres des effectifs et moyens suggèrent que les FAMa et Wagner auront du mal à sécuriser des sites sur un territoire aussi vaste. C’était également l’un des problèmes de Barkhane : les forces allouées ont toujours été trop faibles pour sécuriser tout le territoire. Concrètement, sous la pression militaire exercée par les FAMa et Wagner dans le centre du Mali, le JNIM semble déplacer certaines de ses ressources vers le sud du pays. C’est là une partie du défi militaire auquel le Mali est confronté : incapables de sécuriser simultanément une grande partie du pays, les forces maliennes se contentent de pousser les djihadistes vers d’autres régions.

Savez-vous combien le gouvernement malien paie Wagner ?

L’AFRICOM a affirmé que la facture s’élève à 10 millions de dollars par mois, un chiffre que nous ne sommes pas en mesure de confirmer. En revanche, nous pouvons affirmer qu’à ce jour, il n’y a pas de contrats miniers ou d’autres arrangements « en nature » entre Wagner ou des entités associées à Wagner et Bamako, et qu’aucune exploitation minière au Mali n’entretient des liens avec la Russie. Je suis amené à douter que Wagner profite de son intervention au Mali, qui suggère que les Russes sont là pour des objectifs politiques ou géopolitiques, et non pas pour des raisons pécuniaires.