Revue Nationale Stratégique – Caramba encore raté…

Revue Nationale Stratégique – Caramba encore raté…

 

par Mars attaque – publié le 9 novembre 2022

https://mars-attaque.blogspot.com/2022/11/france-revue-nationale-strategique-rns-strategie.html

 

Décevant.

Il faut saluer la grande qualité des rédacteurs des exercices précédents de 2017 et 2021 qui, selon ceux de la nouvelle Revue Nationale Stratégique, ont vu tout juste, comme cela est plusieurs fois souligné dans le document récemment publié. Nécessitant finalement, selon les auteurs de la version 2022, de ne (quasi) rien changer, à part accélérer. Jamais bon quand nous sommes collectivement face à un mur… A se demander pourquoi lancer un nouvel exercice cette année alors que les constats sont déjà là (quasi prévisibles), ou qu’il est fait appel, comme peu jusqu’alors, à d’autres documents  : au Concept Stratégique de l’OTAN et à la Boussole Stratégique européenne. A moins que cela ne soit les solutions aux problèmes qui ont été ni trouvées ni mises en œuvre depuis lors.

 

 

Certains paragraphes relèvent plus du ‘Bullshit Bingo’ qu’autres choses, en tentant d’additionner en un minimum de phrases le maximum de menaces ou de concepts. Leur rédaction ayant été sans doute laissée à certaines administrations concernées (ou intérêts particuliers défendus, parfois industriels), en pleine exercice d’autojustification de leurs missions, de leurs périmètres et de leurs évolutions en cours. Ou pour satisfaire tout le monde, et personne à la fois. Le manque d’harmonisation de l’ensemble s’en ressent d’autant plus, avec certains éléments, soit redondants, soit attachés à certaines zones géographiques spécifiques qui pourraient sans effort (et raisonnablement) être attachés à bien d’autres zones. Ou à certains milieux ou certains champs, alors qu’ils s’avèrent plus généraux que particuliers. Avec des éléments micro-tactiques, très fouillés, pas inintéressants, côtoyant des grandes envolées, bien peu utilisables.

Plus que ces questions de forme (avec une RNS qui parle plus aux autres qu’aux Français, et encore à ceux qui comprennent le jargon employé) et aussi de fond, l’impression générale est que l’exercice laisse en suspens bien des questions, avec un scepticisme grandissant sur la capacité à poursuivre certaines courbes comme avant, qu’importent les difficultés conjoncturelles ou structurelles observées. Les alertes n’y faisant rien, alors que pourtant il s’agissait de tirer les conséquences d’un certain nombre d’alertes reçues en peu de temps : politique, sécuritaire, sociétale, militaire, environnementale, etc.

La rédaction comprend un exercice relativement classique de type Shadock (“Plus ça rate, plus on a des chances que cela marche“) ou de mythe revisité du Tonneau des Danaïdes. Avec des coups de barre redonnés dans un sens ou dans l’autre. Sur l’OTAN, sur l’UE, etc. Les seules orientations décrites sont de faire plus qu’avant, car avant c’était sans doute moins bien que bien. C’est finalement le cas globalement sur les alliances et les partenariats dits « priorisés » (quand ils ne font pas l’objet d’une “intimité” stratégique… sic... concept qui aurait été à succès, mais qui n’a malheureusement pas été conservé). Les formulations sont finalement pas tranchées sur nos limites d’action dans certaines zones (quand à nos capacités de projection, de greffe localement, etc.). Et pourtant des expériences récentes, il y en a. Au final, 95% de la planète est citée (jusqu’à la Moldavie). Pour ne froisser personne. Hormis le Listenbourg non cité. Et la Chine pour cette édition (un point notable) qui a le droit à un fort pointage du doigt (sans doute légitime) dont les conséquences, qui ne peuvent pourtant pas être ignorées, sont seulement effleurées dans le reste de la RNS.

S’il est sans nul doute légitime de décrire une hausse du niveau de menaces, en particulier du fait de nos dépendances (et de nos fondements géographiques propres, notamment du fait des territoires ultra-marins), il devrait être pertinent, avant de faire croire qu’il sera possible de tout résoudre, d’avoir pour premier réflexe de réduire ses dépendances. Ainsi, à la hausse du nombre de menaces devrait être proposé une réduction de notre surface d’attaque (espaces communs compris, mais pas seulement), et non un mythe d’une capacité française plus ou moins autonome capable de faire plus, partout, sans se recentrer fortement, ou en dépensant de manière aussi sous-optimale sur ce qui est déjà en place. L’autonomie stratégique recherchée ne passe pas (et sans doute plus) par le fait de boxer dans la catégorie supérieure quand les fondations sont aussi fragilisées. 

Les orientations stratégiques doivent pourtant être la rencontre des ambitions et des attentes, sans décisions prises dans des tours d’ivoire. Et sans le jargon propre à ces tours d’ivoire, surutilisé dans cette version qui est pourtant la version publique donc qui doit être accessible pour tous, Français, partenaires et dans une moindre mesure, adversaires. Ainsi, réussir à rédiger une RNS sans prendre en compte le besoin d’adaptation et de transition de nos modèles de société, appelé collectivement par les membres de la communauté (visible sauf à vivre dans une tour d’ivoire), et donc de nos modèles de forces, relève de l’exploit. Exploit pourtant relevé haut la main par cette RNS. Hélas. Avec un vrai risque d’amplification des fractures sociétales. A titre d’exemple, ce n’est pas plus la RNS que la stratégie Climat & Défense (indigente) qui permettra une véritable orientation des efforts dans le domaine dès lors qu’est plus pris en compte l’inflation des missions à prévoir (constat implacable) plus que la manière de pouvoir continuer à les réaliser dans les limites connues. L’articulation des risques et des menaces pesant sur les besoins les plus vitaux et primaires de la communauté avec la manière d’y répondre est ainsi balayée en quelques allusions, au nom d’une « prospérité » et d’autres mythes, sympathiques pour rêver et notamment technologiques, mais quasi anachroniques aujourd’hui. Et sans doute encore plus demain.

Pour les dix objectifs stratégiques, l’effort de segmentation et de listage est salutaire. Saluons-le. Ils sont néanmoins de nature très différente. Parfois des fins, ou parfois des moyens. Risquant pour certains d’être datés d’ici quelques mois, quand certains sont de plus longue haleine. Généralistes ou ultra-détaillés (comme les capacités d’actions dans les champs hybrides, axe d’efforts particulièrement notable à articuler et intégrer à tous les autres, là étant ans doute la vraie clé de la supériorité). Globalement, au caractère particulier des risques et menaces, les rédacteurs diront hybrides (comme ils l’ont dit plus de 50 fois dans cette RNS, qui est sans doute elle-même aussi hybride), devrait être proposé des réponses particulières, et non les mêmes que celles qui ont fait que nous en sommes là. D’une certaine façon, épuisés, contestés, fragiles. Au-delà de quelques attributs de puissance qui perdurent. En étant sans doute peu capables d’encaisser le 2nd ou le 3ème choc car misant avant tout sur le 1er. Notamment via une dissuasion 360° théoriquement sans maillon faible : forces nucléaires (crédibles, robustes, légitimes, efficaces, indépendantes, souveraines, et sans doute quelques autres qualificatifs oubliés par les auteurs qui n’ont pourtant pas lésinés sur les qualificatifs), forces conventionnelles, et société, sans oublier la BITD. 

Pourtant les enseignements tirables de faits observables pourraient être nombreux. Avec de vrais abondons à décider pour mieux concentrer les efforts, et accélérer sur certains segments, en termes d’utilité, de facilité d’usage, d’économie, de robustesse, de quantité, d’effets produits, etc. Avec quelques points d’inflexion bienvenus, ne le nions pas, qui devront trouver un cadre dépassant les expérimentations actuelles : influence, résilience – avec de vraies doutes si il s’agit in fine de garantir la permanence d’un modèle bancal quoiqu’il arrive, commandement des approvisionnements stratégiques, etc. 

En l’absence de quelconques arbitrages, la RNS ne permettra sans doute pas d’apporter le cadre pertinent et surtout pérenne, là est la vraie puissance d’une communauté humaine vivant à terre, qui permettra de légitimement articuler les fins et les moyens. La puissance d’équilibres (avec un “s”, car pourquoi pas…) reste sans doute déséquilibrée elle-même. Cette RNS ne sera sans doute pas l’exercice qui mettra fin aux demandes et exigences disproportionnées parfois émises pour calibrer les moyens de réponse. Disproportionnées et pourtant légitimes dans les faits car répondant aux ambitions (mal taillées) décrites. La Loi de Programmation Militaire à venir sera-t-elle le cadre adéquat de cet ajustement ? Tous les espoirs d’adaptation sont permis. Même si les armées ne sont finalement qu’un des outils de la palette, la RNS ayant, là aussi classiquement, un (trop) fort tropisme militaire. Cachant le reste.

La RNS aurait pu être l’occasion d’accompagner mieux des mouvements à l’œuvre et de rééquilibrer plus nettement des efforts. C’est sans doute une occasion manquée. En pouvait-il en être autrement vu le processus et les délais ? Pas certain. Dommage.
PS : Les propos de cet article n’engagent que son auteur.
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