Lors de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace [AAE], le général Stéphane Mille, avait évoqué le possible déploiement du futur EuroMale, le drone MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance] européen, dans les territoires et collectivités d’outre-Mer. Comme, du reste, la force aérienne royale néerlandaise [KLu], qui exploite des MQ-9 Reaper depuis l’île de Curaçao, dans les Antilles néerlandaises.
Cependant, dans son rapport sur la LPM 2024-30, le député Jean-Michel Jacques avait livré quelques précisions sur les projets de l’armée de l’Air et de l’Espace [AAE], actuellement dotée de 12 MQ-9 Reaper, dont certains ont été portés au standard Block 5.
« Les conditions d’emploi du Reaper pourraient évoluer, puisque des réflexions sont en cours sur le déploiement d’un drone Reaper en Polynésie, ainsi que l’a souligné le général Yves Métayer, chef de la division emploi à l’état-major des armées, lors de son audition », rapporta M. Jacques.
Étant donné que l’opération Barkhane est terminée et que les forces françaises vont quitter le Niger, les MQ-9 Reaper de la 33e Escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque [ESRA] ont désormais une activité moindre que par le passé. D’où l’idée d’en déployer dans les territoires d’outre-Mer, d’autant plus que de tels appareils pourraient également être engagés dans des missions de surveillance maritime, des « évaluations opérationnelles » ayant été menées en ce sens par l’AAE.
Mais en attendant, le prochain théâtre d’opérations des MQ-9 Reaper français pourrait être le Levant, afin d’y mener des missions ISR [renseignement, surveillance, reconnaissance] au profit de l’opération Chammal. L’un d’eux aurait même déjà été déployé sur la base aérienne projetée [BAP] H5 en Jordanie. C’est en effet ce qu’avance le dernier numéro de Raids Aviation. « Le premier drone doit être opérationnel dans le courant de l’été et un deuxième pourrait suivre », écrit le magazine. Pour le moment, l’État-major des armées [EMA] n’a fait aucune communication à ce sujet, pas plus que l’AAE.
Quoi qu’il en soit, l’envoi d’au moins un drone Reaper dans le Pacifique [Papeete ou Nouméa?] n’est pas pour tout de suite. Toujours selon Raids Aviation, qui tient l’information de l’AAE, il serait question d’y déployer des avions légers de surveillance et de renseignement [ALSR] « VADOR » [pour « Vecteur aéroporté de désignation, d’observation et de reconnaissance »].
« Les Reaper nécessitent un minimum d’infrastructures pour les héberger ainsi qu’une bonne couverture satellitaire. Ces contraintes sont moins fortes pour les VADOR, dont la projection, par contre, est plus complexe car elle se fait par une série de sauts de puce [à moins de passer par la voie maritime] », explique Raids Aviation.
Par ailleurs, au regard des espaces immenses à couvrir dans le Pacifique, le VADOR dispose d’une autonomie limitée, celle-ci étant – si l’on se base sur celle du Beechcraft King Air 350 dont il est dérivé – de 2600 km.
Pour rappel, en août, les deux VADOR de l’AAE [un troisième a été commandé en 2020] ont rejoint la base aérienne de Cognac, où ils ont été affectés à l’escadron 4/33 « Périgord ». L’objectif « est de créer un pôle ‘renseignement’ en temps réel, favorisant ainsi la synergie et le partage d’expérience avec les équipages de drone Reaper de la 33ème Escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque », avait-il été expliqué à l’époque.
Initialement, l’AAE devait disposer de huit VADOR… Mais cette cible a été réduite à seulement trois unités dans la LPM 2024-30.
Le secteur spatial européen pris dans une tenaille stratégique Politique étrangère, vol. 88, n° 3, automne 2023
Le secteur spatial européen traverse une période difficile, marquée par la perte temporaire de ses capacités autonomes d’accès à l’espace, par la forte concurrence américaine et par la transformation du marché des satellites.
L’Union européenne est aussi en retard dans le domaine numérique et la valorisation des données spatiales lui échappe largement. Dans ce contexte tendu, où les États-Unis et la Chine investissent massivement, un réveil européen est nécessaire – au risque d’un abandon de souveraineté.
par Paul Wohrer– IFRI – publié le 13 septembre 2023
Ces dernières semaines, les médias ont rapporté des informations préoccupantes concernant la coopération industrielle franco-allemande dans le domaine de la défense. En effet, les programmes MGCS (char de nouvelle génération) et SCAF (avion de combat futur) sont grandement sous tension, autour du partage industriel, du calendrier et des enjeux industriels et opérationnels.
Bien que le programme SCAF ait l’assurance d’atteindre les phases 1B et 2, avec l’étude et la conception d’un démonstrateur, son avenir au-delà reste incertain en raison des éventuelles conséquences de l’annulation du programme MGCS.
Dans ce contexte, il est important de prendre en compte les conséquences potentielles d’un échec successif des programmes MGCS et SCAF, ainsi que d’évaluer les alternatives pour remplacer les chars et avions de combat français dans les décennies à venir.
1. Les menaces sur les programmes MGCS et SCAF
En dehors des quelques mois d’euphorie politique ayant suivi l’annonce, en 2017, par Emmanuel Macron et Angela Merkel, d’une vaste initiative industrielle et politique franco-allemande autour du concept encore flou d’Europe de la Défense, les programmes lancés alors conjointement rencontrèrent rapidement d’importants écueils.
C’est ainsi qu’en cinq ans de temps seulement, les programmes CIFS (artillerie à lingue portée), Tigre III (hélicoptère de combat) et MAWS (Patrouille maritime), furent enterrés faute de décision de la part de Berlin.
Le programme Tigre III a été abandonné par Berlin
Début 2022, seuls 2 programmes subsistaient Le programme MGCS pour le remplacement des chars Leclerc et Leopard 2 en 2035, et SCAF, le système de combat aérien du futur pour prendre le relais des Rafale et Typhoon en 2040. S’ils subsistaient, ils n’en rencontraient pas moins d’importantes difficultés.
Ainsi, à l’hiver 2022, les tensions entre Dassault Aviation et Airbus DS obligèrent les ministres des Armées des trois pays membres de programme, Allemagne, Espagne et France, à forcer la main de leurs industriels pour sortir de l’ornière et lancer la phase 1B, pour l’étude du démonstrateur technologique.
1.1 MGCS : Le char de Schrödinger
Si SCAF semblait, début 2023, sur une trajectoire plus sécurisée, ce n’était pas le cas de MGCS. En effet, sous l’action conjuguée de l’augmentation de la demande en matière de chars de combat, de la guerre en Ukraine, et de l’arrivée de Rheinmetall au sein du programme en 2019, le programme était depuis plusieurs mois en état de stase. Les quelques évolutions et avancées le concernant suffisaient à peine à le maintenir en vie, et à ne pas suivre le destin de CIFS ou MAWS.
En cause, des visions de plus en plus divergentes entre les besoins des deux armées, la France privilégiant la mobilité, l’Allemagne la protection et la puissance de feu. Les agendas industriels et opérationnels devenaient, eux aussi, plus complexes à fusionner.
Le programme MGCS doit concevoir un système de combat terrestre, bien davantage qu’un simple char
L’Allemagne, la Bundeswehr et ses industriels, ne sont pas exposés aux mêmes contraintes. Avec le KF-51 de Rheinmetall et le Leopard 2A8, ceux-ci disposent non seulement de solutions intérimaires performantes, mais également de produits demandés sur le marché.
En conséquence de quoi, au-delà des divergences déjà profondes concernant la nature même du système à concevoir, Paris et Berlin ne sont, aujourd’hui, d’accord sur rien autour de ce programme, surtout pas son calendrier ni son périmètre industriel et technologique.
De fait, depuis quelques mois, l’instar du chat de Schrödinger, le programme MGCS est simultanément mort, du fait de l’explosion évidente des divergences entre les deux protagonistes, et vivant, si l’on en croit les déclarations des ministres de tutelle, Sébastien Lecornu et Boris Pistorius.
Et tout porte à penser que la rencontre prévue entre les deux hommes, d’ici à la fin du mois septembre, aura pour but d’ouvrir la boite, et de regarder, objectivement, si le char a bu le poison, ou pas.
1.2 Un dangereux effet domino
De l’avis même de sources proches du projet, aujourd’hui, les chances que le programme MGCS tourne court dans les semaines ou mois à venir, sont de l’ordre d’une chance sur deux, et l’avenir de celui-ci est désormais en grande partie entre les mains de Boris Pistorius, de KMW et de Rheinmetall.
Or, les programmes MGCS et SCAF ont été artificiellement liés, lors de leur conception, au travers du partage industriel. De fait, la chute de l’un pourrait venir gravement menacer l’avenir de l’autre, dans un dangereux effet de domino.
Les programmes MGCS et SCAF sont artificiellement liés depuis leur conception
À ce titre, selon ces mêmes sources, il s’agirait désormais de la plus importante menace sur le déroulement du programme SCAF, même si tout porte à croire que les phases 1B et 2, visant respectivement à concevoir puis fabriquer le démonstrateur technologique du NGF et de certains de ses systèmes, iront à leurs termes.
Reste que si MGCS et SCAF venaient à péricliter, chacun des pays devrait alors trouver des solutions alternatives et palliatives, pour répondre aux impératifs opérationnels et technologiques jusqu’ici censés être couverts par les deux programmes.
2. Coût du développement de MGCS et SCAF
La question se pose donc, pour la France, de savoir si celle-ci sera en mesure de développer seule, ou différemment accompagnée, ces deux programmes indispensables aux armées françaises entre 2035 et 2040.
La Base industrielle et technologique défense, ou BITD, française, dispose de l’ensemble des compétences nécessaires pour développer, par elle-même, un programme comme MGCS ou SCAF. En effet, dans le domaine des blindés, elle peut s’appuyer sur Nexter, concepteur du Leclerc, et sur un écosystème complet pour concevoir un nouveau char de combat, et son système de systèmes à venir.
La BITD française a les compétences pour developper MGCS par elle-même
Il en va de même autour d’un éventuel SCAF franco-français. Emportée par Dassault Aviation, Safran, Thales, MBDA et l’ensemble de la Team Rafale, la BITD aéronautique française est aujourd’hui l’une des cinq pouvant effectivement développer en toute autonomie un avion de combat de 6ᵉ génération dans le monde.
Ce d’autant qu’une partie des développements requis pour SCAF sera préalablement développée dans le cadre du très ambitieux programme Rafale F5, annoncé par Sébastien Lecornu à l’occasion des débats parlementaires concernant la Loi de Programmation Militaire française 2024-2030.
2.1 Estimations financières
Si le développement technologique et industriel de ces deux programmes ne représente pas un obstacle pour l’industrie de défense française, leur financement, en revanche, sera incontestablement difficile à mettre en œuvre, tout au moins en visant les mêmes ambitions.
C’est d’ailleurs l’une des principales justifications avancées par l’exécutif français pour soutenir l’intérêt d’un codéveloppement franco-allemand de ces deux programmes, plutôt qu’une solution purement nationale, comme ce fut le cas pour le Leclerc et le Rafale.
En effet, concevoir seule, puis construire les quelques centaines de chars de combat, véhicules de combat blindés et lance-missiles de nouvelle génération de MGCS, ainsi que les 250 avions de chasse, et autant de drones de combat, du programme SCAF, couterait cher, et même très cher au budget des armées.
Le EMBT peut représenter une solution d’attente, mais pas une alternative à MGCS
Sur la base des projections existantes concernant ces deux programmes, ceux-ci couteraient à la France entre 3,5 et 4,5 Md€ (en euro 2023) par an, et ce pendant plus de 20 ans.
Déduction faite des engagements de financement dans le cadre des coopérations existantes, il s’agirait d’un surcout de 2 à 3 Md€ par an, particulièrement sensible lors de la phase de conception.
2.2 Impacts sur le budget de défense français
Ce surcout peut paraitre « accessible » à la France et son PIB de 3 000 Md€. Il représente toutefois une hausse de l’ordre de 20 Md€ sur la seule LPM 2024-2030, inflation comprise, mais aussi une hausse de près de 30 % du budget consacré par les Armées aux Programmes à Effet Majeur, ou PEM, autour de 8 Md€ en 2023.
Il sera donc tout sauf aisé pour la France de financer seule un tel effort, tout de moins en préservant le périmètre technologique et les ambitions préalablement définies autour des deux programmes.
Il s’agit, à ce titre, d’une des craintes exprimées par les personnes qui aujourd’hui y travaillent côté français, redoutant que, dans une telle hypothèse, la France, ses armées et son industrie de défense, doivent descendre d’une division face aux nouveaux chars et avions américains, allemands, britanniques ou chinois.
Les Armées françaises doivent financer d’autres programmes gourmands en ressources, comme le porte-avions de nouvelle génération
Il est vrai que les opportunités françaises pour financer de tels programmes, sont peu nombreuses. La pression fiscale étant déjà à un très haut niveau, il n’est pas question de s’appuyer sur de nouvelles taxes pour générer des recettes supplémentaires.
De même, la dette publique française, qui atteint désormais les 3 000 Md€, interdit à Paris de se tourner vers de quelconques formes de financement classique, fut-il issu d’un emprunt national ou d’un livret d’état, sauf à radicalement changer les paradigmes actuels concernant le financement de l’effort de défense, ce qui n’est pas d’actualité.
La réattribution budgétaire, enfin, qu’elle soit interne au ministère des Armées ou externe à ce dernier, semble aussi à exclure, tant les budgets sont sous tension dans nombre de domaines, interdisant toute marge de manœuvre de ce type à Bercy.
On comprend, dans ce contexte, l’attachement de la France à la poursuite de ces deux programmes actuels. Il s’agit aussi d’un des principaux reproches faits par l’Allemagne à la France les concernant. Les Allemands estiment, non sans raison, n’être avant tout que les financiers de cette coopération aux yeux de la France et de son industrie de défense.
3. La France peut-elle se tourner vers de nouveaux partenaires ?
De fait, la solution la plus évidente pour Paris, face à un effondrement du partenariat industriel de défense franco-allemand, serait de se tourner vers d’autres partenaires. Bien que prometteuse, cette solution n’est pas dénuée de risques et de contraintes.
En effet, les contraintes qui aujourd’hui viennent menacer SCAF et MGCS, et avant eux de nombreux autres programmes français en coopération européenne, peuvent évidemment entraver d’éventuels nouveaux partenariats industriels de défense.
3.1 Atouts et contraintes du partenariat technologique international
Il est vrai que la France fait office de mouton noir en Europe, alors qu’elle a, derrière elle, une longue liste de programmes de défense avortés avec l’Allemagne, mais aussi la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne et d’autres.
3.1.1 Réduction des couts et extension de l’assiette industrielle
Cette coopération a bien sûr de nombreux atouts. D’une part, elle permet de partager les couts de recherche et de développement, même si une règle empirique veut que les couts de conception augmentent selon la racine carrée du nombre de partenaires.
Le partage industriel est l’un des sujets critiques dans la conception d’une coopération internationale industrielle de défense
Ainsi, à deux partenaires, les couts de conception augmenteront en moyenne de 40 %, et de presque 75 % à trois. Cependant, la participation de chaque État s’avère 30 % moins élevée à 2 partenaires, et plus de 40 % moins onéreuse si trois pays collaborent.
D’autre part, la collaboration internationale permet d’étendre l’assiette industrielle du programme, et ainsi d’atteindre certains seuils entrainants des baisses de couts par économie d’échelle. C’est le cas aussi bien pour la production initiale que concernant la maintenance et l’évolutivité des équipements produits.
Enfin, chaque partenaire apporte avec lui son propre réseau international et commercial, ce qui doit permettre, en toute logique, d’accroitre les chances de succès à l’exportation de l’équipement.
3.1.2 Divergence des besoins, partage industriel et véto commercial
Toutefois, la coopération internationale ne vient pas sans de sérieuses contraintes. Ce sont d’ailleurs celles-ci qui aujourd’hui menacent les deux programmes franco-allemands, et avant eux, les trois autres programmes déjà passés par pertes et profits.
Avant tout, il convient de s’assurer que l’ensemble des partenaires partagent les mêmes besoins, et ont les mêmes attentes en termes de performances, d’évolutivité et de calendrier, pour chacun des programmes.
Les calendriers français et allemands sur MGCS, divergent depuis l’apparition du Leopard 2A8 et du KF-51 Panther
Dans le cas de SCAF et MGCS, ce sont précisément ces divergences, masquées initialement par l’enthousiasme politique, qui ont creusé le précipice vers lesquels ils semblent se diriger.
Par ailleurs, la participation d’un état s’accompagne inexorablement d’un partage industriel, voire de clauses de transfert de technologies. Ce partage industriel, dans le cas de la France dont la BITD est globale, se fera systématiquement au détriment de compétences détenues par des entreprises nationales.
Dans ce domaine, la notion de ‘Best Athlete », avancée initialement par Paris face à Berlin, s’avère extraordinairement contre-productive. Non seulement ne permet-elle pas de faciliter les négociations autour du partage industriel, tout au mieux exacerbe-t-elle les frustrations, mais elle contribue à faire apparaitre les autres partenaires comme des acteurs secondaires, ajoutant à leur défiance.
Enfin, si un partenaire peut étendre les opportunités commerciales des équipements co-produits, il peut également venir entraver les chances de succès vers certains clients potentiels. Cela peut se faire par l’intermédiaire d’un droit de veto nationale difficile à contourner, soit tout simplement en raison de certaines tensions entre le client potentiel et l’un des partenaires.
3.2 Vers quels pays se tourner ?
De ce qui précède, il est possible de tracer un portrait robot du ou des partenaires idéaux de la France sur la scène internationale, pour l’accompagner dans le développement d’un système de combat aérien du Futur de type SCAF, ou d’un Système de combat blindé terrestre de nouvelle génération de type MGCS.
3.2.1 Portrait robot du partenaire international idéal pour la France
Bien évidemment, ce portrait diffère selon les programmes. Pour MGCS, d’abord, le ou les partenaires devront partager une conception proche de celle de la France concernant l’engagement blindé. Ainsi, le ou les blindés à concevoir et à produire devront être très mobiles, donc d’une masse inférieure à celle des blindés américains, allemands et britanniques actuels.
L’inde est un partenaire stratégique de la France et de son industrie de défense
Même si le califat qu’il avait autoproclamé en 2014 a été défait, l’État islamique [EI ou Daesh] demeure une menace et le dernier rapport des Nations unies sur l’activité des organisations jihadistes a mis en garde contre un « risque de résurgence bien réel » du groupe « en cas de relâchement de la pression antiterroriste. D’où les opérations régulièrement menées contre lui par les forces locales ainsi que par les forces spéciales, notamment américaines, dans le cadre de l’opération Inherent Resolve [OIR].
Cela étant, des commandos français, affectés à la « task force » Hydra [qui relève de la force Chammal, ndlr], sont également engagés, généralement en toute discrétion, dans de telles missions contre l’EI. Et c’est au cours de l’une d’elles, menée en appui des forces de sécurité irakiennes que le sergent Nicolas Mazier, du Commando Parachutiste de l’Air n°10 [CPA 10] a été mortellement blessé, le 28 août.
« Hier, en fin d’après-midi, une unité de militaires français a été engagée dans une opération de reconnaissance en appui des forces irakiennes, à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad. Un groupe de terroristes retranchés a vivement pris à partie les forces irakiennes. Les militaires français ont immédiatement riposté pour le partenaire, infligeant de sérieuses pertes à l’ennemi », a expliqué l’État-major des armées [EMA], dans un communiqué.
Malheureusement, lors de cet échange de tirs, le sergent Mazier a été mortellement touché et quatre de ses camarades ont été blessés. Ils ont depuis été transférés vers un hôpital militaire américain à Bagdad.
« Issu du CPA 10, le sergent Nicolas Mazier était déployé en opération extérieure depuis le 19 juillet 2023 dans le cadre de l’opération Chammal. Il contribuait à la formation et à l’appui de nos partenaires irakiens dans le domaine de la lutte anti-terroriste », a précisé l’EMA.
« C’est avec une très vive émotion que le président de la République a appris la mort du sergent Nicolas Mazier du commando parachutiste de l’air n°10, tué hier en Irak alors que son unité appuyait une unité irakienne en opération antiterroriste », a fait savoir l’Élysée. « La Nation pleure de nouveau aujourd’hui l’un de ses fils […] J’adresse mes condoléances à sa famille, ses proches et à ses frères d’armes. Face au terrorisme, la France ne reculera pas », déclaré Sébastien Lecornu, le ministre des Armées.
« Je m’incline avec tristesse devant l’engagement du sergent Nicolas Mazier, CPA 10, mort le 29 août en Irak dans le cadre de l’opération Chammal. Un Aviateur remarquable aux qualités reconnues de tous. Mes pensées vont vers sa famille, ses camarades blessés, ses frères d’armes », a réagi le général Stéphane Mille, le chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE].
« D’abord engagé comme militaire du rang, le sergent Mazier était un sous-officier perfectionniste et d’une motivation sans faille. Cet aviateur aguerri a très rapidement démontré son sens de l’engagement et ses compétences, que ce soit lors de ses différentes OPEX ou en métropole », a-t-il précisé.
Après l’adjudant Nicolas Latourte et le sergent Baptiste Gauchot, de l’armée de Terre, le sergent Mazier est le troisième militaire français à avoir perdu la vie en Irak au cours de ces deux dernières semaines. Pour rappel, les forces spéciales françaises avaient été endeuillées pour la première fois au Levant en septembre 2017, avec la perte de l’adjudant-chef Stéphane Grenier, du 13e Régiment de Dragons Parachutistes [RDP], lors d’une mission de combat contre l’EI.
Un militaire français de l’opération Chammal, en 2019. DAPHNE BENOIT / AFP
Lancée en septembre 2014, l’opération Chammal rassemble près de 600 militaires français en Irak et en Syrie voisine. Ces soldats y mènent toujours des actions d’appui et de formation aux forces locales.
Deux jours après la mort du sergent Baptiste Gauchot, un deuxième militaire français a perdu la vie en Irak, dimanche 20 août. L’adjudant Nicolas Latourte est décédé lors d’un «exercice opérationnel», a indiqué l’Élysée, le ministre des Armées Sébastien Lecornu précisant qu’il «participait à une mission de formation de l’armée irakienne». Le sergent Gauchot est, lui, mort le vendredi 18 août, après un «accident de la circulation». Il était également engagé dans cette mission de formation de l’armée irakienne.
La présence de soldats français en Irak et en Syrie est moins médiatisée ces dernières années, éclipsée par d’autres opérations d’envergure, comme Barkhane au Sahel. L’opération Chammal a pourtant été lancée quasiment en même temps que cette dernière, le 19 septembre 2014. Elle représente le volet français de l’opération internationale Inherent Resolve (OIR), rassemblant 80 pays et cinq organisations internationales. Son but premier : apporter un soutien militaire aux forces irakiennes engagées dans la lutte contre Daech.
Des actions d’appui
Aujourd’hui, la perte d’influence de l’État islamique sur ces territoires a limité l’action de la coalition. Plus aucune opération au sol n’est par exemple menée depuis janvier 2022. Mais quelque 600 militaires français y sont encore déployés. Car si Daech n’a plus d’emprise territoriale en Irak et en Syrie, la menace terroriste y demeure élevée. Le soutien de la coalition se concentre donc surtout sur la montée en compétences des forces irakiennes, afin d’établir les conditions d’une paix durable.
Dans cet objectif, la France et ses militaires œuvrent selon deux piliers complémentaires : l’appui et le conseil. Pour le premier, outre les 600 militaires déployés, la coalition peut compter sur 10 Rafale*, positionnés sur des bases aériennes au Levant et aux Émirats arabes unis. Ces chasseurs appuient directement les troupes au sol, mènent des missions de renseignement, de reconnaissance, et ponctuellement des frappes en cas d’urgence. Ils manœuvrent souvent en interopérabilité avec des F-16 jordaniens ou irakiens et des F-15 américains.
Les effectifs de l’opération Chammal. Ministère des Armées
Un volet maritime de l’opération Chammal est également assuré par la présence quasi continue d’une frégate en Méditerranée orientale ou dans le golfe Arabo-Persique. L’action de ces chasseurs français est complétée par celle d’aéronefs qui réalisent des missions de ravitaillement et de commandement aéroporté. Depuis 2014, l’opération Chammal a ainsi donné lieu à quelque 12.700 sorties aériennes et plus de 1570 frappes qui ont détruit 2400 objectifs, selon les chiffres du ministère des Armées.
Formation et déminage
la coalition s’illustre également par une mission de conseil et d’accompagnement du commandement irakien des opérations dans sa mission de stabilisation de la région. Cette collaboration a permis aux unités irakiennes d’étoffer leurs compétences tactiques et de développer leur autonomie opérationnelle, se targue le ministère.
La France joue ici un rôle important : depuis 2020, c’est le Military Advisory Group (MAG), une entité interarmées, qui se charge de la politique de conseil au profit des états-majors irakiens. La MAG dirige le Joint Operations Advisory Team (Jocat), à la tête duquel se trouve un colonel français, et qui comprend également quatre autres officiers français, spécialisés dans les domaines des feux dans la profondeur, des opérations terrestres et des opérations aériennes.
Très concrètement, le rôle des militaires français en Irak se cantonne aujourd’hui à assurer la formation des troupes irakiennes. Le sergent Baptiste Gauchot officiait d’ailleurs auprès d’elles «dans les domaines du combat d’infanterie et du secourisme au combat», indique le ministère des Armées. Les soldats tricolores mènent aussi régulièrement des actions de déminage. L’adjudant Nicolas Latourte a ainsi été «mortellement blessé en marge d’un exercice d’entraînement au combat en zone urbaine», alors qu’il formait des soldats irakiens à la lutte contre les engins explosifs improvisés.
*le Rafale est une production du groupe Dassault, propriétaire du Figaro.
Il est désormais acquis que l’Ukraine ne disposera pas avant le printemps, voire l’été 2024, de chasseurs-bombardiers F-16 de conception américaine qu’elle réclame à cor et à cri depuis plusieurs mois. La semaine passée, le Washington Post, en a donné les raisons. Et celles-ci ont été confirmées par le général James B. Hecker, le commandant des forces aériennes américaines en Europe et en Afrique, lors d’une réunion virtuelle du Defence Writers Group, le 18 août.
D’abord, et comme l’avaient fait avant lui Frank Kendall, le secrétaire à l’US Air Force, et le général Mark Milley, le chef d’état-major des forces américaines, il a estimé que les F-16 ne constitueront pas une « solution miracle » devant permettre aux forces ukrainiennes de prendre le dessus sur leurs homologues russes. En revanche, ils faciliteront l’usage de munitions occidentales qui lui ont été fournies, comme par exemple le missile anti-radar AGM-88 HARM ou encore le missile air-air AIM-120 AMRAAM
Quoi qu’il en soit, pour le général Hecker, « maîtriser le F-16 ne se fait pas du jour au lendemain ». Ainsi, « on peut devenir compétent sur certains systèmes d’armes assez rapidement, mais avec ceux comme le F-16, il faut plus de temps. Et aligner quelques escadrons de F-16 avec un état de préparation suffisamment élevé peut prendre quatre ou cinq ans », a-t-il expliqué.
Et pour cause : un pilote de chasse ukrainien, même expérimenté, devra se familiariser avec un système d’armes radicalement différent de ceux dont il a habitude, puisque hérités de la période soviétique. Outre l’obstacle linguistique, il doit s’approprier de nouvelles tactiques en rapport avec les armements qu’il aura à mettre en œuvre et les performances propres au F-16 [ou à un autre avion de facture occidentale]. Et les choses ne sont pas plus simples quand il s’agit de former un « aspirant » pilote.
Or, la force aérienne ukrainienne ne peut pas se permettre de se séparer de ses pilotes les plus chevronnés pour les envoyer se former sur F-16.
« Le groupe de pilotes qui suivent une formation sur F-16 est très jeune et il aura besoin d’acquérir de l’expérience pour maîtriser l’avion », a affirmé le général Hecker.
Sur les 32 pilotes ukrainiens appelés à prendre les commandes d’un F-16, seulement 8 ont une maîtrise suffisante de la langue anglaise pour entamer leur formation. Quant aux autres, ils « suivent une formation linguistique au Royaume-Uni », a dit le général Hecker, confirmant ainsi les informations du Washington Post et de Politico.
Selon l’officier américain, ces pilotes ukrainiens doivent ensuite s’entraîner sur des avions à hélice, sachant que la Royal Air Force dispose de Tutor Mk1 [Grob G-115], de Prefect Mk1 [Grob G-120TP] et de T-6 Texan II. Puis, a-t-il continué, ils se rendront « en France pour voler un peu sur Alphajet ». Ce qui a de quoi surprendre.
En effet, l’armée de l’Air et de l’Espace [AAE] n’utilise plus d’Alphajet pour la formation depuis le 16 mars, date à laquelle six élèves pilotes ont reçu leur macaron, après avoir suivi un cursus complet au sein de l’escadron de chasse 3/8 « Côte d’Or », dont la mission principale est de tenir le rôle de « force adverse » pour la préparation opérationnelle.
« En recevant les brevets de pilote de chasse, la promotion composée de six officiers […] a ‘clôturé’ 59 années de formation de la filière chasse sur la base aérienne 120 Cazaux. Elle fut la dernière à recevoir ses ailes sur Alphajet, ainsi que la seule à avoir été formée entièrement au sein de l’escadron de chasse 3/8 ‘Côte d’Or’ à qui la mission de formation avait été attribuée temporairement. La formation sur Alphajet est donc désormais révolue », avait en effet résumé l’AAE, à l’époque.
Ces pilotes ukrainiens iront donc sans doute à Cazaux, au sein du 3/8 « Côte d’Or ». À moins qu’il ne soit fait appel à une Entreprise de services de sécurité et de défense [ESSD], certaines ayant racheté des Alphajet sur le marché de l’occasion, comme la canadienne Top Aces.
Reste que, en février, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait dit ne pas exclure la possibilité de former des pilotes ukrainiens en France. Et, un mois plus tard, le quotidien Le Figaro avait révélé qu’au moins trente aviateurs venus d’Ukraine suivaient une formation « accélérée » à Mont-de-Marsan et à Nancy pour apprendre à piloter des… Mirage 2000. « La France veut se garder toutes latitudes. Si un jour la décision politique est prise, il faudra que les pilotes soient formés », avait confié une source au fait du dossier.
Les débuts de l’avion, « plus lourd que l’air », n’ont pas laissé indifférent l’armée de Terre qui s’intéressait depuis les années 1880 à l’espace aérien pour élargir sa manœuvre. L’auteur nous retrace cette histoire, depuis les ballons pour l’observation du terrain, les reconnaissances et le réglage des tirs d’artillerie, jusqu’à l’aérocombat d’aujourd’hui.
En 1877, le génie militaire crée le premier laboratoire aéronautique au monde sous les ordres du capitaine Renard. Cet « Établissement central de l’aérostation militaire », installé dans le parc de Chalais-Meudon, avait pour mission de poursuivre l’étude théorique de toutes les formes possibles du vol : dirigeable, hélicoptère, aéroplane. En 1890, une convention est signée avec Clément Ader et des subventions lui sont versées pour qu’il développe un avion. Avec un appareil s’inspirant de la morphologie des chauves-souris, il peut ainsi parcourir 200 mètres le 14 octobre 1897, au camp de Satory. Mais les difficultés qu’il éprouve dans l’amélioration de son prototype et ses demandes de rallonges budgétaires conduiront l’armée à mettre fin à la convention en 1898.
En décembre 1903, aux États-Unis, Wilbur Wright réussira à franchir 260 mètres, puis dès 1904, l’avion des Wright réussira à réaliser une boucle. Après avoir pris contact avec les frères Wright, l’armée française les installe au camp d’Auvours pour leurs expérimentations. Le 21 septembre 1908, Wilbur établit le record du monde de durée et de distance en parcourant 66 kilomètres en une heure 31 minutes. Le 31 décembre 1908, Wilbur couvre 124 kilomètres en deux heures vingt minutes. La passion pour la « locomotion aérienne » s’empare alors du monde politique français.
Mais les pionniers européens ne sont pas restés sans initiative. Le 27 mai 1905, Ferber a réussi en Europe à s’élever comme les frères Wright. Le 25 juillet 1909, Blériot franchit la Manche. Un exploit considérable dont les conséquences militaires sont bien perçues par le Morning Post qui écrit : « Cela va modifier profondément les théories de la guerre et menacer nos moyens traditionnels de défense ». L’armée a compris le sens de cette évolution et, dès 1910, elle achète différents modèles d’avions à des fins d’expérimentation. Elle les utilise lors des grandes manœuvres en Picardie puis, satisfaite des résultats, crée en octobre 1910 l’Inspection permanente de l’aéronautique dont dépendent l’aérostation et l’aviation.
Le troisième avion construit par Clément Ader, qui a volé, exposé au Grand Palais à Paris. Carte postale tirée d’une collection personnelle.
L’aéronautique militaire, « cinquième arme »
Une loi du 29 mars 1912 crée l’aéronautique militaire. Elle est chargée de « l’étude, de l’acquisition ou de la construction, et de la mise en œuvre des engins de navigation aérienne utilisables pour l’armée, tels que ballons, avions, cerfs-volants » Elle est organisée en sept compagnies d’aéronautique et dotée d’un budget de 16 479 040 francs. L’aéronautique militaire est instituée comme la cinquième arme, à côté de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et du génie militaire. Les discussions entre ces deux dernières armes qui avaient chacune une vue différente de l’emploi du « plus lourd que l’air », la première voulant régler ses tirs et la deuxième voulant effectuer des reconnaissances sont terminées. Désormais, l’aéronautique militaire non seulement remplira ces missions, mais élargira son champ d’action tout au long de la Grande guerre. Son parc est constitué en deux types différents : les appareils légers dit « de cavalerie ou d’artillerie » et les appareils lourds dits « de reconnaissance ou de bombardement ». Les premiers combattent en liaison directe avec les forces, les seconds remplissent des missions de soutien qui peuvent se dérouler plus loin en avant des zones d’action.
La grande affaire de l’aéronautique militaire avant la guerre furent les manœuvres de septembre 1912, dans laquelle l’aéronautique déploya 60 appareils, engagés avec une doctrine et une organisation militaire et non plus en « appliquant pour le mieux l’aviation dans sa forme sportive aux besoins de l’armée ». Les escadrilles sont constituées avec personnels et matériels volants, et personnels et matériels pour les trains de combat qui se déplacent de 20 à 30 kilomètres pour établir les campements, les terrains de travail et monter les tentes abris « Bessonneau » sous lesquelles dormiront les avions « au coin du bois ».
L’avion se contente en effet de pistes de fortune en herbe, les escadrilles suivant ainsi au plus près les forces terrestres dans lesquelles elles sont imbriquées. En conclusion de cette manœuvre, se dessinait déjà le destin futur des combattants de la troisième dimension, comme on peut le lire dans le bulletin de l’association générale aéronautique du septembre 1912 : « Il est probable qu’on concevra bientôt deux types distincts d’aviation d’armée qui justifieront les deux méthodes : l’appareil léger suivant les lignes (l’armée de terre) avec impedimenta réduits au minimum ; grands appareils lourds et puissants, armés et blindés, tenus à l’arrière de l’armée jusqu’au moment du besoin ». De ces deux visions naîtra bien plus tard l’ALAT et l’Armée de l’Air.
L’essor de l’avion dans la Grande guerre
Durant toute la guerre 1914-1918, l’aéronautique militaire sera engagée dans ces deux espaces de manœuvre, spécialisant progressivement ses unités, car très rapidement est apparu que la doctrine d’emploi de l’arme aérienne ne pouvait être monolithique. Les progrès des avions en rayon d’action et en capacité d’emport, tant d’armes d’attaques (bombes, fléchettes) que de défense (mitrailleuses), permettaient d’envisager leur emploi sur les arrières ennemis contre des objectifs militaires ou contre des infrastructures ou des usines d’armement. La manœuvre aérienne élargissait ainsi sa zone d’action au-delà des zones d’intérêt de la manœuvre terrestre et gagnait ainsi de l’autonomie.
De leur côté, les forces terrestres exigeaient toujours plus de l’aéronautique pour affiner leurs mouvements : observation, reconnaissance, réglage de tir, surveillance de zone, appui feu rapproché. Toutes ces opérations devaient être conduites en étroite coordination avec les troupes au sol, posant rapidement le problème de la préparation intégrée de l’action, des communications pendant le vol, de la coordination des opérations aéroterrestres.
Carte postale à la gloire de Georges Guynemer, qui totalisa 53 victoires en combat aérien avant d’être abattu le 11 septembre 1917 à l’âge de 22 ans. Collection personnelle.
Curieusement, durant toute cette période, le combat aérien n’est, aux dires des analystes de l’époque, qu’un phénomène prestigieux mais de second plan au regard de l’apport de l’avion dans toutes les autres missions. Car l’Allemand refuse de s’exposer dans ces duels inefficaces.
Entrée en guerre avec 140 avions en 1914, l’armée de terre aura en novembre 1918 une aéronautique militaire de plus de 3600 avions et une doctrine qui en fera « un instrument aérien capable de compenser, grâce à sa mobilité stratégique et à sa puissance de feu, les cruelles carences en effectifs dont souffre une armée française saignée à blanc par quatre années de combats meurtriers ». Cette aéronautique sera articulée autour d’unités d’armée et d’une division aérienne crée en mai 1918. En somme, une doctrine et une organisation qui n’est pas sans forte ressemblance avec l’ALAT et sa doctrine d’aérocombat d’aujourd’hui.
Aux sources de l’aérocombat : la guerre du Rif
La guerre du RIF en 1925 en sera le modèle achevé : intervention de l’aviation en avant des forces terrestres pour stopper l’ennemi. « L’aviation a sauvé Fez » dira le Maréchal Lyautey. On développa des actions combinées tout au long de la campagne (combat, reconnaissance, surveillance, tirs et appui feu, etc.), avec des escadrilles déployées sur les terrains avancées au plus près des fantassins.
L’action autonome dans la profondeur, et principalement sur les villages des tribus rebelles, souvent envisagée, fut toujours refusé par Lyautey, qui se souvenait de la recommandation de Gallieni « Lorsque vous prenez un village, agissez toujours en pensant que vous devrez y ouvrir un marché le lendemain ». Mais d’autres commandants en chef n’hésitèrent pas à l’utiliser. La guerre du Rif fut la matrice de l’aérocombat dans laquelle l’on retrouve bien des traits de l’emploi de l’hélicoptère dans les opérations modernes (guerre du Golfe 1991 avec l’assaut des RHC en avant des forces terrestres ; Balkans et les actions aéroamphibies ; Afghanistan ; Côte d’Ivoire ; Lybie 2011 ; Mali 2013 ; etc.).
Le tournant des années 30
Les progrès techniques modifièrent le rôle des avions. L’augmentation de leur puissance, de leur vitesse et de leur rayon d’action des avions, comme la nécessité de les mettre en œuvre à partir d’infrastructures fixes, devaient progressivement leur faire perdre les caractéristiques nécessaires à l’aérocombat. Une autre voie devenait nécessaire pour tirer pleinement parti de leurs capacités. Le 1° avril 1933, l’armée de l’Air était créée, et le 2 Juillet 1934 une loi fixait « L’organisation générale de l’Armée de l’Air ».
Ces textes prévoyaient que l’armée de l’air rassemblerait tous les avions pour remplir trois missions : les opérations purement aériennes, la défense du territoire et les opérations aériennes combinées avec l’armée de terre. Mais la faiblesse du parc et la volonté d’affirmer l’indépendance de la nouvelle armée ont conduit à négliger la troisième mission. La France n’aura ni aviation d’assaut, ni d’ailleurs de forces blindées, au contraire de son ennemi allemand qui établira sa force sur le couple char-avion.
Elle n’aura même pas d’aviation légère avant que l’équipement des Forces Françaises Libres, sur le modèle des divisions américaines, ne la dote des avions légers de reconnaissance qui ouvriront la voie de beaux succès français, notamment sur le Garigliano, et permettront au capitaine Callet et au Lieutenant Mantoux, du peloton aérien de la 2° DB (Division Blindée) de larguer sur la préfecture de police de Paris, au milieu d’une grêle de balles, le message de Leclerc, « Tenez bon, nous arrivons ! ».
L’hélicoptère et le retour progressif aux principes de l’aérocombat
L’hélicoptère Tigre en Afghanistan. Photo adc Petremand/armée de terre
Si cette aviation légère facilite la manœuvre terrestre, elle ne peut y contribuer pleinement, comme ce fut le cas de 1912 à la fin de la guerre du Rif. Ce sera grâce à la souplesse de l’hélicoptère que l’armée de terre renouera avec la manœuvre en trois dimensions. Et les tactiques de l’aérocombat ne cesseront plus de s’affiner au fur et à mesure des innovations techniques (turbine et vol de combat, intensification de lumière et thermographie pour le combat de nuit, demain, nécessairement, coopération drone/hélicoptère pour l’action en sureté).
Aujourd’hui, Armée de l’air et ALAT sont l’une et l’autre redevables des efforts faits par l’armée de terre, notamment dans la période 1910-1934, pour développer les avions et leur emploi opérationnel. Chacune des deux institutions est légitime pour trouver dans cette période « commune » ses racines et ses principes d’action. L’ALAT y puise les principes fondateurs et intemporels de sa doctrine actuelle nourrissant une volonté constante d’innovations et d’améliorations.
(*) Jean-Claude Allard, saint-cyrien, diplômé de l’École supérieure de guerre, de l’Institut des Hautes Études de Défense nationale et du High Command and Staff Course, a été, entre autres, chef des opérations de la KFOR au Kosovo, représentant de la France au Central Command des Etats-Unis. Il a commandé le 4ème régiment d’hélicoptères de commandement et de manœuvre puis a été commandant de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre (ALAT). Il a été directeur de recherche à l’IRIS et enseignant à IRIS SUP. Il est désormais chercheur associé à l’IRIS.
Source photo bandeau : Airbus Helicopter / Ministère des Armées
Lancé dans le cadre du projet européen MUSIS [Multinational Space-based Imaging System for Surveillance, reconnaissance and observation], le programme CSO [Composante Spatiale Optique] prévoit de mettre sur orbite trois satellites d’observation aux performances significativement accrues par rapport à leurs prédécesseurs, à savoir Helios 2A et Helios 2B.
Les deux premiers satellites de cette constellation ont été lancés par une fusée russe Soyouz, depuis le Centre spatial guyanais [CSG] de Kourou et sous l’égide d’Arianespace en 2018 et en 2020.
Ainsi, CSO-1 a été placé sur une orbite héliosynchrone phasée, à 800 km d’altitude. D’une masse de 3,5 tonnes, il s’agit d’un satellite « manoeuvrant » car il est capable de prendre des images à très haute résolution dans les domaines visible et infrarouge d’une même zone géographique sous plusieurs angles. Quant à CSO-2, il évolue à une altitude de 480 km afin de photographier des sites d’intérêt en « extrême haute résolution », ce qui permet d’atteindre un niveau de détail similaire à celui offert par des capteurs aéroportés.
Normalement, CSO-3 aurait déjà dû rejoindre la même orbite que celle de CSO-1. Sauf que son lancement, initialement prévu en 2021, a été retardé à plusieurs reprises, à cause de problèmes rencontrées lors de la mise au point de la nouvelle fusée Ariane 6, ArianeGroup ayant fait état, dès 2020, de « difficultés techniques imprévues » amplifiées par la pandémie de covid-19.
Pendant un temps, le ministère des Armées a envisagé d’avoir de nouveau recours à un lanceur Soyouz… Mais la guerre en Ukraine et la décision russe de suspendre toute collaboration dans le domaine spatial avec les Occidentaux l’obligèrent à revoir sa copie.
Cela étant, et selon un nouvel échéancier proposé par ArianeGroup, Ariane 6 aurait dû effectuer son vol inaugural durant le second trimestre 2022. Et le ministère des Armées s’en était accommodé pour le lancement de CSO-3. « Le décalage induit sera d’environ un an mais il n’y aura pas d’impact opérationnel à court terme », avait-il assuré, avant de souligner que CSO-1 et CSO-2 fournissaient « déjà un nombre d’images très important. »
Seulement, en octobre dernier, ArianeGroup a annoncé que la mise en service d’Ariane 6 ne pourrait finalement pas avoir lieu d’ici le 4e trimestre 2023… Et il est désormais question d’un nouveau décalage.
En effet, ce 9 août, l’Agence spatiale européenne [ESA] a fait savoir que, selon ArianeGroup, Arianespace et le Centre national d’études spatiales [CNES], le premier vol d’Ariane 6 serait a priori programmé en 2024. La décision dépendra des essais qu’il reste à effectuer.
Ainsi, prévu à l’origine le 18 juillet mais reporté à cause d’un souci technique, un court allumage [au sol] du moteur Vulcain 2.1 de l’étage principal d’Ariane 6 doit être réalisé le 29 août prochain. Puis un second allumage, d’une durée de 500 secondes [ce qui correspond à sa durée d’utilisation en vol] est prévu pour le 26 septembre prochain. Le même jour, un essai de mise à feu du moteur réallumable Vinci [destiné à l’étage supérieur du lanceur] devrait être effectué à Lampoldshausen [Allemagne].
Maître d’œuvre des lanceurs européens, l’ESA ne pourra être en mesure de préciser la « fenêtre de lancement » d’Ariane 6 pour 2024 qu’à l’issue des tests prévus le 26 septembre, a en effet indiqué Joseph Aschbacher, son directeur général.
En attendant, la date du lancement de CSO-3, qui doit donner à l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] et à la Direction du renseignement militaire, une fonction de « revisite », reste incertaine… Et si un retard d’un an ne posait pas de problème au niveau opérationnel, il risque d’en aller autrement en cas d’un nouveau décalage. D’autant plus que le ministère des Armées a l’intention d’accélérer le programme IRIS, appelé à prendre la suite de CSO. Un premier satellite, doté d’une capacité dite EHRmin et de miroirs en carbure de silicium, doit être lancé avant 2030.
En juillet 2021, lors de sa dernière audition parlementaire en qualité de chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre avait confié aux députés qu’il venait s’assister, quelques jours plus tôt, à une « engueulade de gens bien élevés entre le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace [CEMAAE] et le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] » au sujet de l’entraînement au saut des troupes aéroportées [TAP].
Quant il était encore CEMAT avant d’être remplacé par le général Pierre Schill et de prendre la succession du général Lecointre, le général Thierry Burkhard s’était en effet inquiété, à plusieurs reprises, de l’insuffisance de la préparation opérationnelle des unités de la 11e Brigade Parachutiste [BP], faute de disposer d’avions de transport tactique disponibles. « Nous sommes descendus au seuil limite de six sauts par an lequel, selon moi, est à peine suffisant pour maintenir les qualifications », avait-il ainsi expliqué en octobre 2019.
Et il fit le même constat l’année suivante. « La capacité à entraîner nos troupes aéroportées est insuffisante » et « nous devons impérativement inverser cette tendance », avait-il dit, cette fois lors d’une audition au Sénat.
Cependant, avant de passer le témoin au général Burkhard, le général Lecointre avait soutenu que la situation allait s’améliorer.
« Concernant l’entraînement au saut des parachutistes, si nous étudions la voie de l’externalisation, je relève surtout que nous sommes en train de résoudre les problèmes que nous avons pu rencontrer en raison de l’amélioration des capacités et de la disponibilité technique de l’A400M. Celui-ci dispose enfin des capacités de faire sauter les parachutistes en files [stick], et nous ressentons les premiers effets de la réforme du maintien en condition opérationnelle aéronautique engagée par la ministre [Florence Parly] », avait-il expliqué aux députés.
Seulement, deux ans plus tard, le compte n’y est toujours pas. C’est en effet ce qu’il ressort de la dernière audition parlementaire du général Stéphane Mille, l’actuel CEMAAE. Au cours de celle-ci, reprenant des propos tenus par le général Schill [le compte rendu de son intervention n’est toujours pas disponible, ndlr], le sénateur Philippe Folliot a en effet évoqué l’insuffisance de l’entraînement des unités de la 11e BP.
Le CEMAT « nous a indiqué que les capacités de préparation opérationnelle des régiments parachutistes étaient fortement perturbées par le manque de disponibilité d’aéronefs, en citant un chiffre de 70 %. Ceci pose des problèmes de capacité opérationnelle de projection, mais aussi de sécurité pour les parachutistes, qui ne peuvent pas réaliser le nombre de sauts requis », a rapporté M. Folliot. Et d’ajouter que le général Schill avait fait savoir que « même s’il faisait appel, pour atteindre ce seuil de 70 %, à des prestataires extérieurs, cette solution n’était pas satisfaisante et n’allait pas dans le sens d’une bonne préparation des forces ». Aussi a-t-il demandé au CEMAAE si cette situation allait enfin s’améliorer.
La réponse de ce dernier n’a pas été rassurante… « Au-delà des sujets de disponibilité d’appareil, on trouve également des sujets d’annulation au regard du contexte », a-t-il dit, avant de prendre l’exemple de l’exercice interarmées Orion, lequel « prévoyait d’effectuer de grosses opérations de largage de parachutistes »… qui ont finalement été « toutes été annulées en raison de difficultés météorologiques ou de réflexions pour une éventuelle projection sur l’opération Sagittaire [évacuation des ressortissants français du Soudan, ndlr].
Quoi qu’il en soit, a poursuivi le général Mille, il « est difficile de garantir que nous ayons la capacité à faire sauter 100 % des parachutistes de l’armée de Terre ». En outre, a-t-il continué, il s’avère que « l’A400M n’est pas le meilleur vecteur, car il est trop lourd ». Or, justement, il était question de s’appuyer sur cet appareil pour remédier à l’insuffisance de la préparation opérationnelle de la 11e BP…
« Je réfléchis à un cargo médian à l’horizon 2030 pour remplacer les CASA [CN-235] et qui pourrait être utile pour la préparation opérationnelle de l’armée de Terre. Cette période est d’autant plus difficile que les sollicitations pour l’Ukraine sont importantes. Nous devons rendre des arbitrages et à défaut, trouver d’autres solutions passant par la location », a conclu le général Mille.
Sur les 12 drones MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance], seuls les trois laissés au standard Block 1 ont obtenu un certificat de navigabilité auprès de la Direction de la sécurité aéronautique de l’État [DSAE], ce qui leur permet d’évoluer dans l’espace aérien français et d’être, par exemple, engagés dans des Dispositifs particulier de sûreté aérienne [DPSA].
Quant aux neuf autres drones Reaper, ils ont été – ou sont sur le point de l’être – portés au standard Block 5. Et au regard des modifications induites par cette modernisation [nouveau système électrique, suite logicielle et capteurs plus performants, etc.], il s’agit quasiment de nouveaux appareils… Ce qui nécessite un nouveau certificat de navigabilité pour les faire voler en France. Faute de quoi, ceux qui n’ont pas été déployés sur un théâtre d’opérations extérieur seront condamnés à rester dans les hangars de la base aérienne 709 de Cognac.
Le problème est que, depuis deux ans, et en raison d’une « incertitude » concernant leur nouvelle suite logicielle, la Direction générale de l’armement [DGA] n’a pas encore été en mesure de garantir la sécurité des vols de ces Reaper Block 5.
« En France, nous avons trois Block 5 mais nous n’avons pas encore l’autorisation de les faire voler : nous sommes en attente de l’accréditation du certificat de navigabilité pour opérer dans l’espace aérien en métropole. Une nouvelle version logicielle doit être intégrée sur ces appareils, puis être testée et validée par la DGA», a a effet récemment expliqué le commandant de l’escadron de drones 2/33 Savoie au magazine spécialisé Raids Aviation.
Cependant, cette situation ne devrait pas tarder à évoluer. En effet, le 4 août, via Twitter, la DGA a fait savoir qu’elle venait de superviser les premiers vols d’essais du Reaper Block 5 « dans sa version logicielle dit ‘2408’ au-dessus du territoire » national.
« Ces premiers essais vont permettre la réalisation des vols d’expérimentation par le Centre d’expertise aérienne militaire [CEAM] au profit de l’armée de l’Air & de l’Espace », a-t-elle ajouté. À noter que deux Rafale ont également été impliqués dans ces tests, en raison de leur « complexité ».
« L’étude des résultats des expérimentations permettra la mise en service du Reaper dans sa version logicielle 2408 », ce qui permettra à l’AAE « à s’entraîner sur le territoire français avec des contraintes limitées, tout en assurant la sécurité de la population survolée », a conclu la DGA.