En juillet 2017, avec le retrait du service de son dernier Bâtiment de transport léger [BATRAL, classe Champlain], le Dumont d’Urville, la Marine nationale a perdu la capacité de mener des opérations logistiques et amphibies dans les départements et les collectivités d’outre-Mer.
Certes, ces navires ont depuis été remplacés par quatre Bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer [BSAOM], dotés de nouvelles fonctionnalités [remorquage, grue de levage, etc]. Mais ceux-ci permettent pas d’effectuer les mêmes missions que les BATRAL, lesquels avaient la capacité de transporter jusqu’à 12 véhicules et 130 hommes, ce qui était fort utile en cas, par exemple, de catastrophe naturelle pour acheminer de l’aide humanitaire.
Un rapport du Sénat, publié en 2022, s’en était justement inquiété. Le retrait des BATRAL « constitue une rupture de capacité qui ne dit pas son nom, la disparition d’une capacité amphibie basique et immédiatement disponible intra-théâtre outre-mer posant de nombreux problèmes logistiques. Le rétablissement de ces capacités amphibies est aujourd’hui primordial », avaient soutenu ses auteurs.
Seulement, le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 n’évoque pas ce sujet… Du moins était-ce encore le cas jusqu’au 26 mai. En effet, lors de son examen en séance par les députés, quatre amendements [n°1516, n°1704, n°1705 et n°1706] visant à lancer un programme de navire amphibie léger ont été soutenus respectivement par Jean-Louis Thiériot [LR], Yannick Chenevard [Renaissance], Jean-Charles Larsonneur [Horizon] et Fabien Lainé [Modem].
Il s’agit de « doter notre marine, dans ses fonctions outre-mer, de bâtiments de transport léger susceptibles […] d’intervenir en débarquement sur des plages dépourvues d’infrastructures portuaires importantes. Cette capacité n’existe plus. Nous proposons le lancement d’un programme qui nous permettrait de disposer à terme d’un Batral par aire d’outre-mer : un aux Antilles, un dans l’océan Indien – qui pourra intervenir à Mayotte […] – et deux dans le Pacifique, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie », a expliqué M. Thiériot.
Et de souligner que de tels navires auront une « fonction militaire dissuasive » en permettant le débarquement d’une compagnie de combat, ce qui pourrait être utile si un « problème survenait demain aux îles Éparses, sur les îlots Matthew et Hunter ou dans d’autres territoires qui pourraient être contestés », et ils seront aussi « en mesure de remplir des missions civilo-militaires, puisqu’ils [seront]parfaitement adaptés à des crises naturelles ou climatiques ».
Cela étant, lors d’une audition à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de LPM 2024-30, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier, avait évoqué une réflexion « assez approfondie » avec le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA] au sujet d’un successeur au BATRAL.
« Les bâtiments susceptibles de faire de l’amphibie léger, c’est-à-dire d’apporter sur une île des capacités légères, du soutien et de l’assistance, ont un coût de l’ordre de 15 à 20 millions. La notion de signalement stratégique par prépositionnement dans les outre-mer est importante et elle passe par le fait de montrer régulièrement des unités militaires dans ces zones parfois très isolées », avait en effet expliqué l’amiral Vandier, précisant que la question restait encore « ouverte ».
Quoi qu’il en soit, lors des débats, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, s’est dit favorable à l’adoption de ces amendements. Et la réflexion sur ce sujet est déjà assez avancée, à en juger par son propos.
« Ce programme est intéressant. Les BATRAL de demain ne seront pas les BATRAL d’hier, tant du point de vue du format que de celui du prix, puisqu’ils seront plus lourds », a en effet répondu M. Lecornu. Cependant, il a précisé qu’il s’agirait de mener des « études de faisabilité » car la « la décision de mise en production ou d’acquisition, le cas échéant, se prendra ultérieurement ».
Cependant, des solutions existent déjà… Comme le « navire de projection autonome » LCAT [photo], dévoilé en 2016 par le groupe CNIM, celui-ci l’ayant développé jsutement pour les opérations amphibies et humanitaires, ainsi que pour les missions relevant de l’action de l’État en mer. Le rapport du Sénat avait suggéré de s’inspirer de la force maritime d’autodéfense japonaise, laquelle utilise des hydroglisseurs de type LCAC.
Plus tôt, ce mois-ci, BAE Systems a indiqué qu’au moins 60 câbles [sur 23’000] avait été « intentionnellement endommagés » à bord de la frégate de Type 26 HMS Glasgow, en cours de construction au chantier naval de Scotstoun [Écosse]. « Nous avons immédiatement lancé une enquête interne, aux côtés de nos fournisseurs, et avons temporairement suspendu les travaux sur le navire pour en inspecter chaque zone et nous assurer que nos normes élevées et nos contrôles de qualité sont respectés », a ensuite précisé l’industriel.
Cela étant, ce cas de sabotage « présumé » n’est pas isolé… En effet, selon des informations révélées par « Le Télégramme », la Frégate de défense et d’intervention [FDI] Amiral Ronarc’h, première d’une série de cinq unités, a été visée par des « actes de malveillance », alors qu’elle est encore en construction à Lorient. Ainsi, comme le HMS Glasgow, « plusieurs câbles ont été volontairement sectionnés ». Les faits se seraient produits il y a « quelques semaines », avance le quotidien.
Une plainte a été déposée par Naval Group après la découverte de ce sabotage. Le parquet de Rennes, compétent pour les affaires militaires, a été saisi de cette affaire. Une enquête pour « destruction de bien de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation » a été ouverte. Les investigations ont été confiées à la Gendarmerie maritime.
Par ailleurs, Naval Group a indiqué avoir renforcé la surveillance de son site de Lorient. Mais il ne souhaite pas donner plus de détails sur ces actes de malveillance ayant visé la FDI Amiral Ronarc’h, lancée en novembre 2022. La même discrétion est de mise du côté de la justice. « eu égard au contexte de ces faits, je n’envisage d’apporter aucune précision sur leur matérialité », a confié Philippe Astruc, le procureur de Rennes.
Au regard du contexte international, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait évoqué, en septembre 2022, un « risque de sabotage contre les chaînes de production des industriels français de l’armement ». Et d’ajouter : « Nous constatons et nous surveillons un certain nombre d’agissements. Je n’irai pas plus loin parce que cela est couvert par le secret ».
Il n’est pas impossible que des actes de sabotages aient un rapport avec le climat social et politique. En tout cas, le Directeur du renseignement et de la sécurité de la Défense [DRSD], le général Philippe Susnjara, n’a pas écarté cette hypothèse lors d’une récente audition parlementaire.
« D’une manière générale, nous suivons l’ensemble de la radicalisation, qui se développe malheureusement dans la société actuelle. […] Nous suivons la présence de l’ultradroite au sein des armées, mais il n’y a pas de sujet particulier : nous prenons les mesures d’entrave, en lien avec le commandement, lorsqu’elles sont nécessaires. Et nous agissons de la même façon avec l’islam radical. Pour l’ultragauche, la situation est opposée puisque nous avons plutôt affaire à des gens qui pourraient viser la BITD [Base industrielle et technologique de défense, ndlr] ou les institutions de l’extérieur : là, nous travaillons de manière coordonnée avec les autres acteurs du renseignement », avait-il expliqué.
Pour rappel, affichant un déplacement de 4500 tonnes pour une longueur de 122 mètres, la FDI est conçue selon une « architecture numérique innovante lui permettant de s’adapter en continu aux évolutions technologiques et opérationnelles ». En plus, notamment, d’un sonar de coque, d’un radar Sea Fire 500 à quatre antennes planes fixes entièrement numérique et d’un mât unique rassemblant l’intégralité des capteurs aériens, elle sera dotée de deux lanceurs de 8 missiles Aster 30, d’une tourelle de 76 mm, de canons de 20 mm télé-opérés. de torpilles MU-90 et de missiles anti-surface Exocet.
Selon le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, la Marine nationale en comptera trois unités à l’horizon 2030, les deux dernières devant lui être livrées avant 2035. Par ailleurs, la construction de la première des trois FDI commandées par la Grèce a commencé en octobre 2022, à Lorient.
Depuis le mois de mars, le 3ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMA) de Carcassonne teste ses premiers Serval. Ce véhicule, fabriqué par Nexter et Texelis, équipera à terme les brigades parachutiste et montagne. Pour les soldats, c’est une toute nouvelle manière de faire la guerre qui commence. Capital a pu embarquer avec eux.
Sous le regard scrutateur d’un drone de la taille d’une libellule, les marsouins progressent. Sur son écran, le commandant de compagnie surveille leur prise du village de Jean Couzy. Sans un mot, il distribue ses ordres en quelques clics, réduisant au strict minimum son empreinte électromagnétique : les soldats lancent leurs grenades, lâchent une série de rafales. Le clou du spectacle n’est pourtant pas cette démonstration de force scénarisée sur le camp d’entrainement de Caylus, dans le sud de la France : tout le monde admire les virages des Serval entre les bâtiments.
Les jeunes parachutistes du 3ème RPIMA sont les premiers à challenger une vingtaine de ces gros 4×4 blindés de 17 tonnes, embarquant une dizaine de combattants. Larges de 2,5 mètres, ils peuvent atteindre les 4 mètres de hauteur avec leur tourelleau de 12,7mm téléopéré depuis l’intérieur de l’habitacle. Le véhicule frôle les 100 km/h et revendique 600 km d’autonomie. Surtout, cette machine de guerre se conduit comme une simple voiture.
« Avec ce poste de pilotage, vous passez du XVIIIème au XXIème siècle », s’enthousiasme le sergent-chef Nicolas, l’un des premiers instructeurs de pilotage. La maniabilité et les capacités de franchissement sont démultipliées par rapport aux anciennes machines. Grâce aux caméras réparties tout autour de son véhicule, il peut manœuvrer sans aucune difficulté.
Engin du futur
Le Serval projette les jeunes militaires dans une nouvelle ère. « Je peux indiquer en un clic qu’il y a un char ennemi sur cette position, explique le caporal-chef Thomas, radio-tireur. Je peux indiquer s’il a été détruit ou non. Cela fait automatiquement le compte rendu. » En même temps qu’il pianote sur son écran tactile, les autres engins reçoivent les informations en direct. Perdu dans les menus, il hésite encore un peu : « C’est une gymnastique à apprendre mais à la fin, ce sera aussi intuitif qu’avec un téléphone portable ! »
Côté confort, la montée en gamme est considérable : clim’ en été, chauffage en hiver… et des fauteuils plutôt douillets. Surtout, cet engin se distingue de ses ancêtres par son niveau de numérisation : il appartient au programme Scorpion, qui vise à connecter tous les nouveaux blindés de l’armée de terre, Griffon, Jaguar et Serval. Sur le véhicule, un mat de détection acoustique peut repérer les départs de coups ennemis et indiquer automatiquement la direction dangereuse aux équipages. A terme, les ordinateurs doivent même suggérer aux différentes machines et à leurs armes les meilleures réponses à apporter.
D’ici 2033, l’armée de terre doit recevoir 2038 Serval déclinés en 29 sous-versions : combat d’infanterie, mortier, génie, poste de commandement, évacuation sanitaire… La maintenance est optimisée grâce à un fonctionnement en kits. Les militaires remplacent une multitude de micro-parcs de véhicules différents par une machine commune, adaptée à la mission en quelques coups de tournevis.
Défauts et finitions
Aux aguets, le colonel Benoît Cussac, chef de corps du 3ème RPIMA, s’interroge tout de même sur la fâcheuse tendance de ses chefs de groupes à ne plus décoller l’œil de l’écran pour regarder ce qui se passe dehors. Il récolte les retours d’expérience et ne cache pas sa fierté de pionnier : « Les paras voient arriver un véhicule qui a de la gueule. Ils sont comme des gosses. C’est important pour eux. Ils veulent voir comment ils montent dedans, où ils posent leurs affaires. » La caisse reste étroite et déjà, les opérationnels repèrent quelques défauts : en entrant ou en sortant, alourdis de leurs armes, leurs gilets pare-balles et leurs casques, ils ont tendance à embarquer telle poignée ou tel câble radio. L’industriel devra le prendre en compte pour améliorer le produit.
« Ce n’est pas inquiétant, rassure le colonel Cussac. Tout cela fait partie de l’appropriation du véhicule. Nous avons l’impression de contribuer à l’édifice. C’est ce que je dis à mes paras : ne râlez pas, soyez enthousiastes. Nous passons d’une R5 à une Alpine en à peine deux mois. »
Le sourire aux lèvres, les représentants des industriels écoutent les louanges sans tiquer sous les critiques. Eux aussi savent que développer un programme moderne d’armement en à peine quatre ans et demi est un sacré défi. Ils savent aussi que la satisfaction des marsouins sera un précieux argument commercial pour tenter l’aventure à l’export. Le responsable du programme chez Nexter glisse avoir de bons espoirs pour lancer des prospections. Sans vouloir lâcher le prix de l’engin, il concède qu’il est probablement trop cher pour l’Afrique. Mais pourquoi pas les pays Baltes et la Belgique, qui a déjà acheté la plupart les autres briques du programme Scorpion ?
Romain Mielcarek pour CapitalRomain Mielcarek, au camp de Caylus
Rehausse de la cible et des capacités du Leclerc, remplacement anticipé, abandon du développement d’un char en franco-allemand (MGCS), etc. : une vingtaine d’amendements au projet de loi de programmation militaire 2024-2030 ont été déposés avec pour enjeu commun de « muscler » le parc de chars de l’armée de Terre.
Quel avenir pour le parc de chars français ? Les combats en Ukraine et le réarmement généralisé constaté en Europe ont rebattu certaines cartes, à tel point que de nombreux parlementaires militent pour modifier un projet de LPM qui, dans ce segment, mise sur la continuité des efforts engagés. En l’état, la rénovation du Leclerc sera poursuivie mais étalée jusqu’en 2035, choix assumé par le chef d’état-major de l’Armée de Terre, le général Pierre Schill, pour garantir le renforcement de capacités longtemps délaissées. De même, MGCS restera la voie poursuivie pour « préparer l’avenir du combat terrestre », insiste le rapport annexé.
Ce statu-quo ne convainc pas, tant dans les rangs de l’opposition que parmi certains députés de la majorité. Sur les 1741 amendements déposés à ce jour, au moins 24 traitent du sujet. Pour la LFI-NUPES et le Rassemblement national, la France doit dès à présent se désolidariser de l’Allemagne. Dans plusieurs amendements, chacun exhorte à s’écarter du partenaire en mettant un terme au programme MGCS, « ce programme voué à l’échec » selon le groupe LFI-NUPES.
Tant pour les deux « extrêmes » que pour quelques élus républicains et socialistes, il conviendrait désormais de privilégier d’autres pistes pour trouver un successeur au Leclerc, jusqu’à proposer une voie souveraine plus longue et plus coûteuse. Pour certains, le meilleur candidat se résume à quatre mots : Enhanced Main Battle Tank (EMBT). Présenté l’an dernier sous la forme d’un démonstrateur par KNDS (Nexter + KMW), ce char « de génération intermédiaire » serait le plan B à envisager pour un remplacement progressif du Leclerc.
Ce scénario est d’ores et déjà bien pris en compte par l’industriel français concerné, le groupe Nexter. « D’une manière ou d’une autre, une solution intermédiaire devra être trouvée pour succéder au char Leclerc, solution qui s’impose petit à petit du fait du contexte ukrainien et de l’arrivée de chars avec de nouvelles capacités », expliquait son PDG, Nicolas Chamussy, le 3 mai en audition parlementaire.
Séduisante, l’option EMBT suppose néanmoins de se pencher sérieusement sur les questions de coûts, de calendrier, d’industrialisation et, surtout, de finalité opérationnelle. Un char de nouvelle génération, oui, mais pour faire quoi ? Et, bien qu’à une échelle moindre, un tel choix amènera de toute façon à devoir compiler avec l’Allemagne, ce partenaire « loin d’être fiable » selon l’alliance LFI-NUPES. Autant de questions qui semblent aujourd’hui échapper à beaucoup, mais sur lesquelles députés socialistes, républicains et d’extrême droite demandent au gouvernement de se prononcer, pour les premiers, « dans un délai de 24 mois ». « Un rapport permettrait de déterminer la nécessité d’un tel investissement et, si tel était le cas, les solutions pertinentes », notent des députés RN.
Faute de solution de remplacement, le groupe LFI-NUPES exhorte à rehausser la cible de Leclerc XLR à horizon 2030, qui passerait de 160 à 180 exemplaireslivrés sur les 200 attendus. « En attendant l’arrivée d’un hypothétique char européen, la France dispose de ses chars Leclerc, qu’il convient de rénover », commente-t-elle.
Le député RN Laurent Jacobelli entreprend quant à lui de sanctuariser une capacité pour l’instant non prise en compte dans l’opération de rénovation du Leclerc. L’amendement déposé vise ici « à garantir l’inclusion d’un module de protection active sur au moins une partie de nos chars Leclerc, sans fixer de cible contraignante ». Un effort supplémentaire annoncé auparavant par le CEMAT et sur lequel la Direction générale l’armement et les industriels progressent dans le cadre du PTD Prometeus.
Si le retard de MGCS est « quelque peu préoccupant » pour le ministre des Armées Sébastien Lecornu, le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, confirmait cette volonté commune consistant « à poursuivre la feuille de route de notre char de combat ». « Nous sommes en train d’accélérer à ce sujet, en étant conscients des différents points de passage, afin de conserver notre capacité opérationnelle en matière de char de combat », déclarait-il le 2 mai.
Régulièrement évoqué en vue du remplacement du Véhicule blindé léger [VBL] dans le cadre du programme SCORPION, le Véhicule blindé d’aide à l’engagement [VBAE] n’est pas cité dans le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. Et, interrogé à son sujet lors de la partie à huis clos d’une récente audition à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard a botté en touche… « Les choix que nous avons essayé de tenir sont ceux qui nous semblaient les meilleurs pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui », a-t-il seulement répondu.
Pourtant, lors de la préparation de la LPM 2019-25, le général Charles Beaudouin, alors chargé des plans et des programmes au sein de son état-major [EMAT], avait laissé entendre qu’un successeur du VBL pourrait être prêt assez rapidement. « Nous n’attendrons pas 2025 pour penser et dérisquer ce véhicule [le blindé d’aide à l’engagement, ndlr] », avait-il dit.
À l’époque, deux blindés auraient pu servir de point de départ pour la mise au point du VBAE : le Hawkei de Thales et le démonstrateur Scarabee, doté d’une motorisation hybride. À noter que le français Soframe a fait part de son intérêt pour ce marché, en dévoilant le concept « Mosaic ».
Finalement, l’idée de développer le VBAE en coopération avec la Belgique – impliquée dans SCORPION via le programme CaMo [pour capacité motorisée] – a été privilégiée par la suite. De même que la mise au point de « briques technologiques » dans le cadre des projets liés aux Futurs systèmes blindés augmentés européens à haute mobilité [FAMOUS 1 et 2], financés par l’Union européenne [UE]. Les français Nexter et Arquus y sont impliqués, ainsi que l’allemand Krauss-Maffei Wegmann, le finlandais Patria et le belge John Cockerill.
Pour autant, s’il ne figure pas explicitement dans le projet de LPM 2024-30, le programme VBAE doit faire l’objet d’un contrat pour une étude de faisabilité, celui devant être notifié par l’Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement [OCCAr] pour le compte de la France et de la Belgique.
En attendant, la Section technique de l’armée de Terre [STAT] assure une veille sur les « briques technologiques » pouvant être utiles non seulement pour le VBAE mais aussi pour d’autres blindés. Et c’est donc dans le cadre de cette dernière que John Cockerill lui a présenté son « intercepteur terrestre », le Cockerill i-X.
« Dans le cadre de sa veille technologique, la STAT s’est fait présenter les capacités opérationnelles du véhicule Cockerill® i-X, intercepteur terrestre doté d’un système d’arme rétractable développé par la société belge John Cockerill », a-t-elle en effet indiqué via le réseau social Linkedin. « Les briques technologiques de celui-ci pourraient nourrir la réflexion quant aux futurs véhicules de l’armée de Terre », a-t-elle ajouté.
Le Cockerill i-X « a pu démontrer ses capacités en termes de mobilité et d’agression dans le cadre idéal du camp de Suippes », a encore précisé la STAT.
D’une masse d’environ 4 tonnes et offrant une protection de niveau 2 et 3 [c’est à dire contre les menaces balistiques et les mines, ndlr], ce véhicule est doté d’une tourelle rétractable pouvant être armée d’un canon de 25 ou de 30 mm. Il est possible de compléter cet armement avec deux ou quatre missiles antichars et deux mitrailleuses [l’un de 7,62 mm, l’autre de 12,7 mm].
Grâce à sa motorisation [thermique ou hybride] de 750 à 800 chevaux, le Cockerill i-X atteint la vitesse de 160 km/h sur une piste désertique [et de 200 km/h sur route]. Tout-terrain, il est aérotransportable et peut même être parachuté.
« Doté d’un camouflage adaptatif, il intègre une technologie de fusion de données multi-capteurs [casque intelligent, système embarqué de gestion de la sécurité, caméras, capteurs : LWS, détection et localisation acoustique des tirs], précise John Cockerill, qui parle d’un « système de combat révolutionnaire pour l’interception de défense territoriale ».
Ça y est .. ils ont craqué... C’est probablement en ces termes que l’immense majorité des lecteurs, tout du moins les plus mesurés d’entre eux, ont abordé ce nouvel article au titre un tantinet provocateur. En effet, le nouveau char KF-51 Panther présenté par son concepteur, l’allemand Rheinmetall, lors du salon Eurosatory 2022, est aujourd’hui le principal outil dans les mains de son Pdg, Armin Papperger, pour tenter de faire dérailler le programme franco-allemand MGCS qui vise à concevoir, précisément, le remplaçant du char français Leclerc comme du Leopard 2 allemand. Développé en fonds propres, le Panther est proposé par Rheinmetall à quiconque montre un intérêt pour acquérir un nouveau char lourd, y compris dans des montages pour le moins improbables. Comment, dans ce cas, peut-on ne serait-ce qu’imaginer que la France puisse se tourner vers ce blindé, alors même qu’elle développe le MGCS et modernise le Leclerc ?
Comme souvent, le point de vue par lequel on aborde un problème conditionne sensiblement le raisonnement et donc la conclusion que l’on peut y apporter. Ainsi, aujourd’hui, les autorités françaises comme l’opinion publique du pays, soutiennent activement le concept d’armée globale pour les armées françaises, à savoir une force armée disposant de la majorité des capacités requises pour répondre à un champs d’utilisation très étendu. C’est ainsi que l’Armée de terre dispose à la fois de forces adaptées à l’engagement de haute intensité symétrique qu’à la projection de forces en environnement dissymétrique, que la Marine dispose d’une composante aéronavale enviée de nombreux autres pays et d’un savoir-faire en matière de suprématie navale et de projection de puissance très élargi, et que l’Armée de l’Air est apte à soutenir ces deux armées dans l’ensemble des scénarios d’emploi.
Qui plus est, la France dispose d’une dissuasion à deux composantes, par ailleurs technologiquement très avancée, lui conférant un poids sensiblement égal à celui de la Chine dans ce domaine. Ce qui est encore plus rare, la France dispose d’une base industrielle et technologique Défense, ou BITD, elle aussi globale, lui conférant une très grande autonomie d’action et de décision quant à l’emploi de ses forces armées, ainsi qu’un atout de poids sur la scène internationale grâce aux exportations d’armement.
L’Armée de Terre ne va moderniser que 200 de ses 226 Leclerc encore en service
Pour y parvenir, la France consacre chaque année plusieurs Milliards d’Euro pour financer les programmes de Recherche et de Développement de la BITD, de sorte à conserver des armements aussi performants sur le terrain qu’attractifs sur la scène export, ce qui lui permet notamment d’engranger d’importantes recettes budgétaires et fiscales liées à ce dernier aspect et permettant d’alléger le fardeau budgétaire pour les finances publiques, en particulier grâce à certains équipements stars des exportations comme l’avion Rafale, le canon CAESAR, le sous-marin Scorpène ou la frégate FDI. Dans ce contexte, la question posée en titre de cet article, apparait probablement inutilement provocante.
Pourtant, pour peu que l’on étudie avec méthode et objectivité le sujet, il apparait que la conception de certains équipements, notamment les chars lourds, engendre en France des coûts loin d’être compensés par les recettes à l’exportation, mais également loin d’offrir un bénéfice opérationnel ou politique suffisamment significatif pour justifier de tels développements, plutôt que de se tourner vers des solutions proposées par des partenaires internationaux, et qui pourraient s’avérer plus économiques et moins contraignantes tant pour l’acquisition que pour la mise en oeuvre de ces équipements. On continue ?
Pour poser le sujet, il est important d’en définir les paramètres. Et aujourd’hui, le plus contraignant d’entre eux concernant la flotte de chars lourds français n’est autre que la dimension du parc. Ainsi, si l’Armée de terre avait acquis plus de 1300 chars AMX-30 entre 1966 et 1980, elle n’aura reçu que 488 chars Leclerc à partir de 1993, ce qui contraint le Ministère de la Défense à ventiler les couts de développement, soit 1,8 Md€, sur un nombre réduit de coque, amenant le char à un prix d’acquisition unitaire de 15 m€ par char en 1995 (soit 26 m€ en euro 2023), là où, à la même époque, le Leopard 2A5 était proposé à 6m€ (soit 11 m€ 2023).
Il est évidemment possible d’ergoter sur les capacités supérieures du Leclerc vis-à-vis de son homologue allemand. Pour autant, le faible volume de la commande française, ainsi évidement qu’un calendrier très malchanceux (du point de vue industriel) avec la fin de la Guerre Froide, fit du Leclerc un programme très déficitaire du point de vue des finances publiques, ce même en tenant compte des 388 chars acquis par les Emirats Arabes Unis. Au delà des surcouts d’acquisition, le périmètre réduit de la flotte, ainsi que du marché export, a considérablement handicapé les opportunités de modernisation du blindé depuis son entrée en service, les chars français ayant très peu évolué depuis leur livraison initiale.
Berlin envisage d’acquérir une flotte complémentaire de chars de génération intermédiaire pour durcir sa composante haute intensité
La situation autour du Leclerc ne va certainement pas s’améliorer dans les années à venir alors que, dans le cadre de la LPM 2019-2025, la modernisation prévue du parc de l’Armée de terre ne portait que sur 200 unités. Et alors que le rôle du char de combat a été mis en évidence de manière incontestable face à ses détracteurs par la guerre en Ukraine, la planification française demeure inchangée, avec 200 exemplaires armant 3 régiments de chars et une compagnie de 3 régiments d’infanterie mécanisée jusqu’en 2035 et l’arrivée espérée du MGCS. Or, si le développement et l’amortissement d’un programme de char lourd ont déjà été lourdement handicapés par un format de moins de 500 unités à la fin des années 80, on imagine ce qu’il pourrait en être avec un format de flotte à 200 exemplaire, 250 en étant optimiste et en tenant compte de machines d’entrainement et de réserve, alors même que les couts de développement vont être beaucoup plus importants du fait de l’évolution technologique.
Ce d’autant que le marché export sur lequel sur successeur du Leclerc pourrait arriver en 2035, MGCS ou autre, pourrait bien avoir bien davantage de points communs avec le marché 1990 du Leclerc qu’avec le marché 1970 de l’AMX-30. En effet, les offres se multiplient aujourd’hui sur la scène internationale, avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme le K2 Black panther sud-coréen, l’Altay turc et le VT4 chinois, alors que les acteurs traditionnels américains, allemands et russes, semblent déterminés à conserver leurs parts de marché dès maintenant. Dit autrement, un successeur au Leclerc qui entrerait en service en 2035 comme visé par l’Armée de terre, pourrait bien arriver exactement entre deux vagues d’acquisitions à l’échelle mondiale, celle en cours aujourd’hui et celle qui débutera en 2045 pour remplacer précisément les chars acquis en ce moment.
Il est évidemment possible qu’à l’avenir, au delà de l’exécution de la future LPM 2024-2030, le format des forces blindées lourdes puisse être appelé à évoluer positivement, ce qui permettrait d’étendre la surface d’application des couts de conception. En outre, si le remplaçant du Leclerc est effectivement le programme MGCS franco-allemand, ces couts seront répartis également entre la France et l’Allemagne, alors que le volume de production sera lui au moins multiplié par deux. On est sauvé ? C’est possible, et c’est incontestablement aujourd’hui le plus important argument en faveur de ce programme de coopération.
Toutefois, il convient de garder à l’esprit que l’histoire des programmes de ce type a montré qu’ils avaient aisément tendance à déborder des prévisions budgétaires et de leur calendrier initialement établi, parfois au point de venir neutraliser les bénéfices espérés de la coopération. D’autre part, des informations concordantes et de plus en plus insistantes laissent entendre que Berlin envisagerait de viser une échéance opérationnelle à 2045 pour le MGCS, tout en achetant à court terme une nouvelle flotte de chars de génération intermédiaire (Panther ou Leopard 2A8) et en modernisant ses Leopard 2A6 pour assurer l’interim, alors que les points de friction entre Nexter et Rheinmetall, notamment au sujet de l’armement principal du char, n’ont pas été arbitrés.
Le démonstrateur E-MBT est une alternative attractive pour la France si celle-ci entend continuer à jouer un rôle sur le marché des chars de combat dans les 2 décennies à venir.
Dans ce contexte, il n’est pas absurde de s’interroger objectivement sur la pertinence, pour Paris, de s’engager dans le développement d’un remplaçant du Leclerc, y compris en coopération, plutôt que de se tourner vers une acquisition sur étagère européenne ou internationale. Et dans cette hypothèse, il apparait que l’industriel, mais également le pays, qui seraient prêts aux plus grandes concessions afin de vendre 200 de leurs chars de génération intermédiaire, seraient probablement Rheinmetall et l’Allemagne, le premier qui pourrait enfin trouver son client export, et non des moindres, pour lancer la production de son Panther, le second pour aligner les calendrier français et allemands au sein de MGCS, tout en créant un précédant industriel qui, jusqu’ici, n’a jamais eu lieu entre Paris et Berlin à un tel niveau.
Quant à l’Armée de terre, elle disposerait d’un char plus moderne que ne le sera le Leclerc modernisé et surtout bien mieux protégé grâce au système hard-kill du Panther. Une autre alternative serait le K2PL polonais de conception sud-coréenne, lui aussi performant et probablement plus économique que le Panther, qui ouvrirait d’importantes opportunités pour accroitre les coopérations industrielles et opérationnelles entre Paris et Varsovie.
Bien évidemment, d’autres solutions existent, la plus évidentes étant d’engager rapidement le développement du char E-MBT précisément pour saisir l’opportunité commerciale du moment en ouvrant le programme à d’autres partenaires, comme la Grèce mais également l’Egypte, les EAU ou l’Arabie Saoudite, des pays qui tous vont devoir prochainement moderniser leur parc blindé lourd dans les années à venir. Pour autant, ce qui apparaissait initialement comme une hérésie méritant le pire des châtiments, apparait, de toute évidence, bien moins hérétique une fois l’ensemble des paramètres et des contraintes encadrant le sujet posé.
Plus globalement, si le choix de disposer d’une Armée Globale contrainte par ses effectifs et son budget relève d’un arbitrage politique, le fait de se doter, ou pas, d’une BITD globale, en revanche, découle directement des formats effectifs constatés dans les armées, ou des partenariats industriels et politiques qu’il est possible de fédérer autour de ces sujets. De toute évidence, la pire des solutions, ou tout au moins la plus onéreuse et la moins efficace, serait d’imposer artificiellement à cette BITD un caractère global sans disposer du format des armées suffisant pour justifier une telle décision.
Au regard du retard pris et des incertitudes qui demeurent à son sujet, le programme SCAF [Système de combat aérien du futur, mené par la France en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne, risque de ne pas être opérationnel à l’horizon 2040. D’où la nécessité de développer le standard F5 du Rafale, afin de permettre aux Forces aériennes stratégiques [FAS] et l’Aéronautique navale de mettre en oeuvre le missile à superstatoréacteur hypersonique ASN4G au cours de la prochaine décennie.
Lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE], le général Stéphane Mille, a confié que le lancement des travaux de développement du standard F5 avait été approuvé par Sébastien Lecornu, le ministre des Armées. « Ces travaux seront réalisés dans le cadre de la présente Loi de programmation militaire [LPM]. Ils témoigneront de l’évolutivité du Rafale, que nous recherchons depuis plusieurs décennies », a-t-il dit.
Pourtant, le projet de LPM 2024-30, qui sera prochainement discuté en séance publique par les députés, ne parle pas du Rafale F5 mais seulement d’une « évolution du Rafale » et la « préparation de l’avion de combat futur » dans le cadre du SCAF. Or, actuellement, il est prévu de porter le Rafale au standard F4… Ce qui peut prêter à confusion…
Quoi qu’il en soit, le ministère des Armées entend clarifier ce point avec l’amendement n°292. Celui-ci vise en effet à préciser que « le standard F5 du Rafale sera développé pendant cette loi de programmation militaire. Mais il livre aussi une information importante. « Il [ce nouveau standard] comprend notamment le développement d’un drone accompagnateur du Rafale, issu des travaux du démonstrateur nEUROn ».
Le texte n’apporte pas plus de détail… Et sans doute en saura-t-on davantage lors des prochains débats parlementaires. Cependant, il est possible que l’intention du ministère des Armées soit de développer un drone de type « ailier fidèle » [Loyal Wingman].
Pour rappel, fruit d’une coopération européenne associant la France [Dassault Aviation, maître d’oeuvre], la Suisse [avec RUAG], la Suède [avec Saab], l’Italie [Leonardo], l’Espagne [Airbus Defence & Space] et la Grèce [HAI], le nEUROn est un démonstrateur de drone de combat [UCAV] à la furtivité « excellente ». D’une masse de 7 tonnes pour 12,5 mètres d’envergure et 9,2 mètres de large, il a la capacité d’emporter des bombes guidées laser GBU-12. Enfin, grâce à son turboréacteur Rolls-Royce Turbomeca Adour Mk. 951, il peut voler à la vitesse de Mach 0,8 à 14’000 mètres d’altitude.
Comme l’a expliqué Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement, aux députés de la commission de la Défense, les capacités du nEUROn dans les domaines de la manœuvrabilité et de la furtivité sont « intégrées dans notre feuille de route sur le futur de l’aviation de chasse ».
« Nous conduisons également des réflexions sur la dronisation d’avions de combat dans le cadre du SCAF. Celui-ci concerne un avion de nouvelle génération doté d’un cloud de combat et intégrant deux ailiers dronisés. Ceci implique de travailler sur les capacités de robotisation d’un avion sans pilote et d’interaction avec un avion piloté et le pilote lui-même », a ensuite développé M. Chiva, qui n’a pas pu en dire plus, les autres travaux en cours étant « classifiés ».
Quoi qu’il en soit, selon le général Mille, le Rafale F5 sera un avion « très différent », avec la capacité de traiter « d’énormes volumes de données » et une connectivité accrue. En outre, il permettra de disposer à nouveau de capacités dites SEAD [suppression des défenses aériennes adverses].
Un véhicule blindé Jaguar de l’armée française à Paris lors du défilé du 14 Juillet en 2022. LUDOVIC MARIN
Le ministère des Armées a annoncé ce vendredi le remplacement progressif des chars légers AMX-10 livrés à Kiev.
Le ministère français des Armées prévoit de commander 130 blindés supplémentaires – 38 Jaguar et 92 Griffon – pour remplacer les chars légers AMX-10 et véhicules de l’avant blindé (VAB) cédés à l’Ukraine. Dans un amendement au projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 déposé avant l’examen du texte en séance à l’Assemblée nationale, le gouvernement prévoit d’ici 2030 d’avoir en parc 238 Jaguar, des engins blindés de reconnaissance et de combat dotés d’un canon de 40 mm, contre 200 prévus dans une première mouture du texte.
De même, il table dorénavant sur un total de 1437 blindés Griffon en 2030, contre 1345 prévus initialement. Fin 2023, il est prévu que l’armée ait 60 Jaguar et 575 Griffon. «Pour ne pas peser sur le format des armées, le gouvernement financera hors ressources budgétaires de la LPM le recomplétement de matériels plus anciens cédés à l’Ukraine», précise le gouvernement dans l’exposé de cet amendement.
Préserver le format des armées
La France a donné depuis janvier plusieurs dizaines -elle se refuse à en préciser le nombre exact- de blindés AMX-10, des engins de reconnaissance équipé d’un canon, et de VAB de transport de troupes. Le remplacement de ces blindés anciens, qui commençaient à être progressivement retirés du service, ne se fait pas sur la base d’un ratio d’un pour un, a-t-on affirmé dans l’entourage du ministre des Armées Sébastien Lecornu.
Il s’agit d’un «remplacement par des capacités équivalentes pour préserver le format des armées afin de répondre aux contrats opérationnels», selon cette source. «Le rythme de livraison de ces blindés supplémentaires se fera avec le souci de limiter les pics de charge des industriels concernés et en cohérence avec la livraison des équipements annexes (telles que les infrastructures)», précise le gouvernement dans l’exposé expliquant son amendement.
Le projet de loi de programmation militaire prévoit 413,3 milliards d’euros de ressources pour les armées entre 2024 et 2030. Pour porter l’effort dans certains domaines clés, le gouvernement a prévu d’étaler la livraison de nombreux matériels. Le parc final de 300 Jaguar et de 1.818 Griffon est dorénavant prévu en 2035, contre 2030 prévus par la précédente LPM.
Auditionnés hier au Sénat, les présidents des grands groupements industriels de défense – les GICAT, GIFAS et GICAN – sont inquiets. En cause, non pas les étalements de cibles inscrits dans le projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030 mais les notions de stockage stratégique et de priorisation qu’il contient et auxquelles n’a pas été associée la filière concernée.
C’est l’une des évolutions inscrites dans la prochaine LPM : la prise en compte du chantier « économie de guerre » dans plusieurs des 36 articles du document. Deux d’entre eux s’avèrent préoccupants pour la BITD, dont un article 24 instituant la constitution de stocks de matières premières pour anticiper des pics d’activité ainsi que la priorisation de la production au profit des armées françaises. Étudié depuis la crise sanitaire, ce mécanisme en vigueur depuis longtemps aux États-Unis « nous avait paru être une bonne idée », souligne Pierre Éric Pommelet, PDG de Naval Group et président du GICAN. Mais si le principe est globalement compris et partagé, « le diable est dans les détails », alerte Guillaume Faury, PDG d’Airbus et président du GIFAS.
En l’état, cet article « est porteur de nombreuses incertitudes pour l’industrie». Quelles sont les modalités de constitution des stocks ? Quels sont les produits concernés ? Quels sont les coûts, y compris ceux de la logistique ? Quel sera la durée d’immobilisation de ces stocks ? Comment compenser les conséquences indirectes de la réorientation d’une commande prévue pour un client export ? Quel sera l’impact réputationnel ? « Ce sont des questions auxquelles il faudra apporter des réponses », note le PDG d’Airbus.
La prise de risque est en effet multiple pour les entreprises. Elle est tout d’abord financière car « au moment où nous parlons, aucune indemnisation n’est prévue pour compenser les coûts liés à la constitution et à l’immobilisation desdits stocks », rappelle le sénateur Yannick Vaugrenard (PS), rapporteur pour le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». Cet effort devra donc être entièrement supporté sur fonds propres.
Ces obligations pourraient par ailleurs « avoir un impact significatif » en matière de réputation auprès des clients étrangers. L’export ne doit pourtant pas être pris à la légère. Essentiel pour « compenser » un marché national trop restreint, ce marché représentait 40% des 9 Md€ de chiffre d’affaires générés en 2021 par les adhérents du GICAT. Et le ratio atteint 60 à 70% pour certains chantiers navals, relève Pierre Éric Pommelet. L’export potentiellement placé au second plan, ce sont des revenus ou des opportunités qui disparaissent et un modèle fondé sur les investissements internes qui se retrouve menacé.
Autre point « un peu inquiétant », l’article 24 installe l’État comme client et régulateur de stocks dont l’utilisation n’est pas assurée. Selon le patron d’Airbus, « ces sujets de relations contractuelles toxiques sur des stockages de biens intermédiaires peuvent amener certaines entreprises dans d’autres domaines à sortir du business ». Il sera dès lors impératif de « fonder une relation contractuelle logique, saine, qui permet de stocker de façon appropriée et à des coûts raisonnables ».
Les enjeux sont, enfin, opérationnels et industriels. Stocker nécessite de l’espace. « Concrètement, ces stocks, où les met-on ? », interroge Marc Darmon, directeur général adjoint du groupe Thales et président du GICAT. De même, stocker dans la durée requiert des conditions appropriées, notamment pour des matériaux pyrotechniques frappés de péremption. Là encore, les industriels devront mettre la main à la poche.
Si l’idée portée par l’article 24 est « une bonne chose », il est nécessaire que l’industrie soit associée aux conditions de mise en œuvre », estime le président du GIFAS. « Il est nécessaire que le groupe de travail État-industries, stocks et approvisionnements soit saisi, ce qui à ma connaissance n’a pas été le cas jusqu’à présent, et établisse en commun les voies pour arriver à un mécanisme répondant au besoin de l’État et de l’industrie », complète son homologue du GIFAS.
Ces interrogations n’ont pas échappé aux sénateurs Hélène Conway-Mouret (PS) et Cédric Perrin (LR), tous deux rapporteurs pour le programme 146 « Équipement des forces ». Le sénateur républicain s’est ainsi dit « très dubitatif sur l’article 24, sur ses conséquences et je pense pouvoir le juger assez inopérant pour l’instant ». Le texte sera étudié mi-juin en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Restent donc quelques semaines pour plancher sur les amendements qui permettraient de rendre le sujet plus lisible et d’installer le dialogue demandé par la partie industrielle.
Deux satellites-espions CSO français sont actuellement en orbite. Un troisième, qui devait être lancé fin 2022 par une fusée Soyouz, est désormais “prévu en 2024” – Olivier Sattler – CNES
Le ministère des Armées compte déployer avant 2030 un satellite d’observation militaire de nouvelle génération, un ajout au projet de loi de programmation militaire 2024-2030.
Le ministère des Armées compte déployer avant 2030 un satellite d’observation militaire de nouvelle génération, un ajout au projet de loi de programmation militaire 2024-2030 que le gouvernement introduira par voie d’amendement, a annoncé mardi le ministre Sébastien Lecornu.
“La semaine prochaine je vais pouvoir porter un amendement du gouvernement à la loi de programmation militaire qui va permettre d’inscrire un satellite supplémentaire, Iris, dès cette loi programmation militaire sans attendre 2030-2035″, a affirmé le ministre des Armées lors des questions au gouvernement à l’Assemblée.
“C’est une bonne nouvelle pour notre souveraineté et pour notre service de renseignement”, a-t-il estimé.
Deux satellites-espions CSO français sont actuellement en orbite. Un troisième, qui devait être lancé fin 2022 par une fusée Soyouz, est désormais “prévu en 2024”, a rappelé le ministre. CSO-3 devrait être finalement lancé à bord d’une Ariane 6, le lanceur russe opéré depuis la Guyane n’étant plus disponible depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Le projet de LPM prévoyait jusqu’à présent que le programme Iris, qui prendra la suite de CSO, se traduise par la mise en orbite de deux satellites entre 2030 et 2035. Concernant les satellites militaires de communications sécurisées en orbite géostationnaire (à 36.000 kilomètres d’altitude), la loi de programmation militaire prévoit des “études pour la construction de la génération Syracuse 5”, a ajouté le ministre.
Un deuxième exemplaire de la génération Syracuse 4, le 4B, doit être lancé le 16 juin par la dernière fusée Ariane 5. La LPM acte en revanche l’abandon d’un troisième satellite, Syracuse 4C.
“Il y a des pistes de travail actuelles sur des constellations en orbite basse (à quelques centaines de kilomètres d’altitude, NDLR) ou des achats de services”, a affirmé Sébastien Lecornu, assurant qu'”on garde dans notre coeur de souveraineté sur les gros satellites en orbite haute notre propre savoir-faire”.
La LPM prévoit également le renouvellement des satellites de renseignement électromagnétique avec le programme Céleste, amené à succéder aux satellites Ceres.