Avec le Multi Role Support Ship, Britanniques et Néerlandais conçoivent le croiseur porte-hélicoptères d’assaut

Avec le Multi Role Support Ship, Britanniques et Néerlandais conçoivent le croiseur porte-hélicoptères d’assaut

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Avec le Multi Role Support Ship, Britanniques et Néerlandais conçoivent le croiseur porte-hélicoptères d’assaut


En juin dernier, Britanniques et Néerlandais annonçaient s’être engagés à developper conjointement le Multi Role Support Ship. À mi-chemin entre le porte-hélicoptère d’assaut LPD et le grand navire de soutien logistique, le MRSS était alors présenté comme un bâtiment proche de certaines classes existantes, comme les San Antonio de l’US Navy ou le Type 71 chinois.

À l’occasion du salon DSEI qui vient d’ouvrir ses portes dans la banlieue londonienne, un nouveau visuel, en illustration principale, du navire a été présenté par la ministre de la Défense néerlandaise, Kajsa Ollongren.

Or, celui-ci diffère radicalement des premiers visuels diffusés en juin dernier, et laisse transparaitre une nouvelle approche pour les navires. De prime abord, le navire ressemble à un porte-hélicoptère d’assaut comme il en existe beaucoup.

Le Multi Role Support Ship bien mieux armé que les LPD

On constate, en effet, que l’armement du navire est beaucoup plus conséquent que sur les LPD classiques. Ainsi, en plus d’un imposant canon naval à l’avant, probablement de 5 pouces (127 mm), le navire est protégé par deux systèmes d’artillerie de plus petit calibre sur la passerelle et le roof du hangar aéronautique.

Sea Ceptor CAMM-ER Quadpack
Le système Sea Ceptor et le missile CAMM-ER ont été conçus pour permettre d’intégrer quatre missiles par silo vertical, comme pour le VLS Mk41 américain.

Étant donné la taille des tourelles, il est probable qu’il s’agisse ici de canon de moyen calibre, entre 40 et 57 mm, spécialisé dans la defense antiaérienne et antimissile rapprochée.

Avec un tel calibre, le navire dispose simultanément de puissants systèmes CIWS (Close-incoming Weapon System) à vocation antimissile, que de capacités d’autodéfense rapprochée contre les aéronefs, les drones et les embarcations navales.

16 silos verticaux et 8 missiles antinavires

Un système de 16 silos verticaux apparait dernière la pièce d’artillerie principale. Il s’agit très probablement de missiles destinés à la defense antiaérienne et antimissile du navire, comme le CAMM-ER ou l’ESSM, tous deux capables d’embarquer à quatre missiles par silo avec le système Mk41.

Chaque navire disposerait alors de 64 missiles antiaériens à courte et moyenne portée, capables d’intercepter des cibles supersoniques jusqu’à 50 km, pour se protéger, alors que son artillerie navale assurera un second rideau défensif.

En d’autres termes, là où les navires d’assaut modernes pêchent souvent par leurs capacités d’autodéfense, le Multi Role Support Ship semble, lui, particulièrement bien pourvu dans ce domaine.

Harpoon missile Flotte d'assaut | Articles gratuits | Assaut amphibie
Les conteneurs croisés par quatre observés sur l’illustration principale du MRSS est typique de la disposition classique des missiles antinavires lourds comme le Harpoon, le NSM ou le MM40.

Surtout que deux systèmes, l’un devant le mat intégré, l’autre légèrement en arrière de celui-ci, paraissent être des lasers à haute énergie. La Grande-Bretagne développe, en effet, depuis plusieurs années, ce type de système pour accroitre la défense antimissile et antidrone de ses navires.

De fait, l’intégration de ce type de système à haute énergie pour compléter la protection d’un navire majeur transportant potentiellement 300 Royal Marines, parait tout indiquée.

La chose la plus surprenante, apparue sur le nouveau visuel diffusé lors du salon DSEI, n’est autre que la présence de missiles antinavires lourds sur le navire. On remarque ainsi quatre conteneurs comparables à ceux employés pour les missiles Tomahawk ou Harpoon dans un espace intégré dans la coque après le mat intégré.

Ces missiles peuvent servir à engager des cibles navales en situation d’autodéfense, mais également pour frapper des cibles terrestres en soutien de l’opération aéro-amphibie déployée à partir du navire.

Grande-Bretagne et Pays-Bas imaginent le croiseur porte-hélicoptères d’assaut

En effet, celui-ci dispose toujours d’un radier conçu pour accueillir un aéroglisseur amphibie de type LCAC et une barge amphibie, alors que la plate-forme et le hangar aviation sont dimensionnés pour mettre en œuvre plusieurs hélicoptères dont des appareils de transport Merlin.

Les MRSS pourront donc mener des opérations amphibies, mais d’ampleur moindre de celle qu’un LHD comme les Mistral français ou les America américains pourront mener. Ils seront, en revanche, bien mieux armés que ces derniers, et pourront évoluer avec une escorte réduite, de sorte à accroitre la furtivité de l’opération.

Le Multi Role Support Ship permettra à la Marine royale néerlandaise de prendre la suite du LPD Karel Doorman.
Le Multi Role Support Ship permettra à la Marine royale néerlandaise de prendre la suite du Karel Doorman.

En d’autres termes, les MRSS semblent taillés pour les opérations amphibies de type raids de commando, davantage que pour les grandes opérations aéro-amphibies pour lesquels le dimensionnement de son radier et de ses infrastructures aéronautiques sont trop réduites.

Si le visuel présenté par Kajsa Ollongren au salon DSEI préfigure effectivement de la configuration à venir des Multi Role Support Ship britanniques et néerlandais, ces navires pourraient préfigurer l’apparition d’une nouvelle catégorie de navire militaire, à mi-chemin entre le destroyer et le porte-hélicoptère d’assaut LPD, avec des dimensions le classant aisément comme un croiseur.

Par le passé, certains navires avaient associé la fonction croiseur de celle de croiseur, comme les Moskva soviétiques ou la Jeanne D’arc de la Marine nationale.

Toutefois, jamais un tel navire n’a été doté dans le même temps d’un radier pour mener des assauts amphibies, lui conférant une polyvalence accrue, probablement très utile sur certains théâtres, comme dans le Pacifique.

Des fonds pour les bêtes des grands fonds de l’alliance AUKUS

Des fonds pour les bêtes des grands fonds de l’alliance AUKUS

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 2 octobre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Le gouvernement britannique a annoncé dimanche avoir conclu des contrats d’un montant de quatre milliards de livres (4,6 milliards d’euros), avec plusieurs groupes dont BAE Systems, pour financer une nouvelle phase du projet de sous-marins d’attaque (SNA) de nouvelle génération SSN-AUKUS.

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Le projet AUKUS est porté par la triade USA, Royaume-Uni et Australie après la dénonciation du contrat signé avec Naval Group pour la fourniture de sous-marins d’attaque conventionnels.

 

Ces contrats, qui impliquent également les groupes britanniques Rolls-Royce et Babcock, s’inscrivent dans le cadre de l’alliance militaire AUKUS conclue entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni pour contrecarrer les ambitions chinoises dans la région Asie-Pacifique.

Les premiers exemplaires de ce sous-marin doivent être livrés à la fin de la décennie 2030.

 

Des missiles Trident 2 rénovés pour la Royal Navy

Outre l’avancement du programme AUKUS portant sur les futurs SNA, la modernisation des missiles qui équipent les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la Royal Navy va de l’avant.

En effet, le Pentagone a annoncé le 29 septembre avoir attribué plusieurs contrats portant sur l’armement des SNLE britanniques.

Un marché a été attribué à l’entreprise américaine Lockheed Martin. D’un montant de 1,2 milliard de dollars, il concerne la production et l’installation des missiles Trident II (version D5) qui équipe les marines américaines et britanniques.

Un autre marché d’une valeur de 2,18 milliards de dollars au Charles Stark Draper Laboratory, de Cambridge, dans le Massachusetts pour la modernisation du système de guidage (passant du Mark 6 au Mark 7) qui équipe les missiles Trident II.

Le troisième marché (un avenant en fait à un marché antérieur d’une valeur de 242,4 millions de dollars) a été attribué L3 Harris Technologies Inc. d’Anaheim, en Californie. Il concerne des tests sur les instruments de vols des missiles.

Le Trident II (D5) est un missile balistique mer-sol stratégique armé d’ogives nucléaires. Il est lancé à partir d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Quatorze sous-marins américains de la classe Ohio et les quatre sous-marins britanniques de la classe Vanguard en sont équipés. La version D5 est supposée rester en service jusqu’en 2042.

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Le 27 septembre, un tir d’essai d’un Trident II D5 non armé a eu lieu dans le Pacifique, au large de la Californie, selon Lockheed Martin.

De premiers points d’appui en Ukraine pour la filière défense française

De premiers points d’appui en Ukraine pour la filière défense française

– Forces opérations Blog – publié le

Mission accomplie pour la vingtaine d’entreprises de défense française conduite cette semaine à Kyiv par le GICAT. Accompagnée du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, cette délégation y a jeté les bases d’une coopération de long terme avec la filière industrielle ukrainienne. Autant de partenariats bilatéraux officialisés en marge d’un premier Forum international des entreprises de défense et dont l’objectif commun sera d’ancrer l’appui aux force ukrainiennes dans la durée.

« Il n’y a pas de défense sans industrie de défense », rappelait le secrétaire général de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg, lors d’un forum qui aura attiré plus de 160 entreprises de 26 nationalités différentes dans la capitale ukrainienne. L’enjeu partagé par tous ? Participer à l’émergence d’une base industrielle et technologique de défense robuste, innovante et dimensionnée pour appuyer une armée engagée dans un conflit appeler à durer. 

En amorçant cette démarche, la France souhaite miser autant, voire davantage, sur les acquisitions et le partage des savoir-faire que sur les dons de matériels. « Nous allons passer d’une logique de cessions à partir de nos stocks, à celle de partenariats industriels », affirmait le ministre des Armées. « Nous avons une grande industrie de défense, qui peut aider les Ukrainiens à être endurants pour assurer des livraisons dans la durée. Ce n’est pas une question de profits, mais bien d’assurer une aide directe et durable », complétait-il lors d’un entretien accordé au Parisien

Si elle implique de rivaliser avec des mastodontes mieux implantés comme les États-Unis et l’Allemagne, l’initiative se concluait par une première salve de succès. « Près de 16 accords ont été signés entre les industriels français et les industriels ukrainiens », annonçait hier le ministère des Armées. 

Nexter décrochait ainsi une commande pour six CAESAR supplémentaires, en plus des 18 donnés par les armées françaises et des 12 acquis auparavant par l’Ukraine. La maison-mère, KNDS, a quant à elle signé un accord pour l’intégration en territoire ukrainien d’armements sur les véhicules des forces armées. Déjà mobilisé pour la fourniture de 150 drones, le toulousain Delair remportait un nouveau contrat pour la livraison d’exemplaires supplémentaires.

D’autres partenariats relèvent du soutien d’équipements en service et de perspectives de productions locales. Ainsi, si Nexter et de Delair assureront la maintenance des CAESAR, AMX-10 RC et drones en service au travers de sociétés ukrainiennes, Arquus fera de même pour les VAB cédés par la France via la production par un partenaire local de pièces de rechange. Le groupe français et son nouvel associé se sont également engagés à étudier la perspective d’une production de VAB neufs en Ukraine. 

Spécialiste de l’impression 3D, Vistory s’est rapproché d’une société ukrainienne pour déployer des ateliers mobiles de fabrication de pièces de rechange sur le théâtre d’opérations, contribuant par là à accélérer et à rapprocher du front certaines opérations de maintenance. Enfin, Thales et Turgis & Gaillard ont chacun signé un accord avec un acteur ukrainien « pour co-développer des drones, avec comme perspective de les fabriquer localement ».

Cette approche au cas par cas s’entoure par ailleurs de deux accords ratifiés par la Direction générale de l’armement (DGA) et le GICAT, tous deux visant à renforcer la coopération franco-ukrainienne en matière d’armement. Pour perdurer, elle devra également trouver une base financière solide. « Il y aura, pour accompagner cela, des fonds français, européens et des fonds souverains ukrainiens », indiquait Sébastien Lecornu à ce titre dans Le Parisien.

Crédits image : Forces armées ukrainiennes

Nexter et Naval Group ont fait voler un essaim de 100 drones lors d’une démonstration organisée avec l’armée de Terre

Nexter et Naval Group ont fait voler un essaim de 100 drones lors d’une démonstration organisée avec l’armée de Terre

https://www.opex360.com/2023/09/29/nexter-et-naval-group-ont-fait-voler-un-essaim-de-100-drones-lors-dune-demonstration-organisee-avec-larmee-de-terre/


 

Ainsi, lors de cette démonstration, organisée avec l’appui de la Section technique de l’armée de Terre [STAT], Nexter et Naval Group ont d’abord insisté sur la fonction « saturation », en faisant voler un essaim de cent mini-drones. Ce qui est autant spectaculaire qu’impressionnant, la scène semblant être tirée d’un épisode de la série télévisée Black Mirror… Disposer d’une telle capacité pourrait permettre d’infliger des dommages « considérables » à « moindre coût » laisse entendre Nexter/KNDS. Tout dépend, en réalité, des contre-mesures mises en place par l’adversaire…

Un autre fonction explorée est la reconnaissance, avec une formation de six micro-drones mis en oeuvre depuis un véhicule blindé multi-rôle léger [VBMR-L] Serval. En fonction de la charge utile emportée, ces appareils peuvent faire de la cartographie en temps réel, détecter des menaces potentielles ou bien encore marquer une cible. Cela étant, la vidéo diffusée par Nexter/KNDS n’évoque pas d’autres capacités intéressantes, comme celles consistant à leurrer une force adverse ou brouiller [ou relayer] les communications.

« Nexter et Naval Group ont pris l’initiative d’expérimenter des solutions afin d’amorcer des études sur ce sujet avec les Armées et la Direction générale de l’armement. Nous avons choisi de présenter différentes fonctions : auto-géolocalisation des véhicules, scan du terrain en temps réel, géolocalisation et agression de cibles. À terme, cela permettra d’augmenter les capacités des systèmes de Nexter et de Naval Group [afin] de donner à nos clients un avantage tactique sur leur adversaire », explique l’industriel.

« Nos essaims continuent de se développer… Nous n’avons pas l’habitude de communiquer sur notre travail mais quand nos clients le font nous en sommes très contents », a commenté Icarus Swarms.

Cela étant, la DGA, via l’Agence de l’innovation de Défense [AID], a déjà lancé, dans ce domaine, le programme TAMOS [pour « Tactical Multi-Objectices Swarming UAVs], confié à Safran Electronics & Defense et Squadrone-System.

Ce « projet prévoit la mise en œuvre d’essaims de drones pour permettre la réalisation d’une ou plusieurs missions, avec la capacité d’adapter et de reconfigurer les flottes dynamiquement, le tout contrôlé par un superviseur intelligent », avait expliqué l’AID, dans son bilan d’activités pour l’année 2022, publié en juin dernier. Si elles sont susceptibles d’être intégrées au Système de combat aérien du futur [SCAF], les solutions développées dans le cadre de TAMOS pourraient aussi avoir des applications terrestres et maritimes… ou même rendre possible la coordination entre des robots de différents types.

LPM 2024-2030 : « rupture maîtrisée » ou « continuité vigilante » ?

LPM 2024-2030 : « rupture maîtrisée » ou « continuité vigilante » ?

 

Votée le 1er août 2023, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 se substitue à la LPM 2019-2025, dont les deux dernières annuités avaient été laissées dans le flou.

Comme les précédentes, cette loi comporte une prévision de ressources financières année après année, une présentation générale de son contenu physique (effectifs, normes de préparation opérationnelle, équipements) et des dispositions normatives diverses, qui ne sont pas l’objet principal des commentaires qui suivent.

Un rappel préliminaire des limites de tout exercice de programmation budgétaire militaire n’est pas inutile, d’autant que quelques spécificités sont identifiables pour celui-ci.

  • Stricto sensu, les LPM ne s’imposent pas aux budgets annuels successifs, et, dans le passé, rares ont été les lois qui ont tenu leurs engagements. Force est cependant de constater que, jusqu’en 2023, la loi 2019-25 a tenu les siens année après année, tandis que le tuilage des deux lois sur 2024-25 se fait à une hauteur supérieure par rapport aux attentes initiales (3,3, puis 3,2 milliards, en regard des deux marches de 3 milliards attendues).
  • La loi « saute » l’élection présidentielle et les législatives de 2027 ; elle prévoit une actualisation en 2027. La période 2027-2030 reste donc soumise aux aléas de ces échéances. C’est un principe démocratique difficilement contestable !
  • De même que celles qui l’ont précédée depuis environ 25 ans, cette LPM est exprimée en crédits de paiement et ne comporte ni enveloppe ni échéancier d’autorisations de programme. D’un point de vue strictement financier, elle traduit donc une capacité à « payer des factures » et non à « passer des commandes ».
  • Dans ces conditions, il est normal de constater, comme cela a été fait avec une certaine approche polémique, qu’une grande partie des ressources de la loi servira à payer les commandes ou une partie des commandes des années passées. Si l’on prend également en compte le socle des « dépenses contraintes » du ministère (effectifs, entretien du patrimoine), il est tout aussi normal que seulement un quart à un tiers des crédits de paiement votés soient disponibles pour payer, en seconde partie de la loi, des besoins ou des commandes nouvelles. C’est la logique de la programmation en crédits de paiement.
  • Enfin, s’agissant des commandes et livraisons, cette loi ne prévoit aucun échéancier, seulement des cibles d’équipement à terminaison de la loi (même si ce calendrier existe sans nul doute dans les documents de travail du ministère). Cela peut s’expliquer par des annuités initiales qui, bien qu’en forte hausse, restent insuffisantes pour faire face aux commandes volumineuses des deux LPM précédentes et à l’incertitude créée par l’arrivée de besoins nouveaux urgents. D’ailleurs, pour la première fois, le concept de « marge frictionnelle » a été mis en avant par le Secrétaire général pour l’administration du ministère[1]: les aléas dans le déroulement des programmes, d’équipement comme d’infrastructure, permettent d’anticiper une certaine marge de gestion, qui rend inutile de fixer avec précision les flux de paiement, surtout en fin de période. C’est une réalité, au même titre que la « friction clausewitzienne » dans la conduite de la guerre !
  • On peut également noter que contrairement à la précédente, cette loi ne comporte pas d’échéancier de réduction du report de charges, sans doute une précaution vis-à-vis des effets attendus de l’inflation, dont l’impact sur le pouvoir d’achat du ministère a été intégré à hauteur de 30 milliards sur la période. 

Quelles sont les données brutes de la loi ?

Le maître mot de cette LPM est la « cohérence » entre toutes les composantes des capacités militaires. C’est au titre de cette cohérence que des étalements de livraisons touchent plusieurs des grands programmes en cours de réalisation, au bénéfice des munitions, des stocks de rechanges, de la préparation opérationnelle ou du lancement de nouveaux programmes dont le besoin est issu de l’observation du conflit en Ukraine, et d’autres tensions géopolitiques.

En augmentation de 40% par rapport à la précédente[2], l’enveloppe globale prévoit 400 milliards d’euros[3], avec un complément de 13,3 milliards de ressources extra-budgétaires (REX), dont plus de la moitié proviennent des remboursements de l’Assurance maladie de droit commun pour le fonctionnement du service de santé des armées. Le reliquat est fourni par les sources habituelles (produits de cessions de matériels ou d’aliénations immobilières). Le recours aux REX étant élevé en début de période, la discussion du texte a conduit à prévoir une clause de sauvegarde inscrite dans la loi : dans l’hypothèse où les ressources extra-budgétaires ne seraient pas à la hauteur des attentes une année donnée, le manque serait compensé par la loi de finances suivante, autre explication possible de l’absence de dispositions sur le report de charges. Un point d’attention, car l’inventivité budgétaire n’a pas de limite !

Le budget des armées passe ainsi de 43,9 milliards en 2023 à 47,2 milliards en 2024, en visant 67,4 milliards en 2030, soit une progression de plus de 50% par rapport à 2017, en euros courants. Les marches successives se situent entre 3,2 et 3,5 milliards selon les années[4].

Nul doute que les commentaires iront bon train pour comparer ce budget à celui des alliés anglais et allemands qui affichent des dotations plus importantes. Cependant, les différences dans l’équilibre entre les différentes composantes de ces budgets incitent à la prudence sur l’efficience des euros allemands et des livres anglaises, et aucun de ces deux pays n’a un « agrégat équipements » pesant plus de 50% de son budget[5].

Il est à noter que sous la pression du Sénat, les échéanciers initiaux ont été modifiés, ramenant 2,3 milliards vers l’avant sur la période 2024-2027. Ce décalage n’a pu être fléché que sur des besoins à faibles délais de réalisation (préparation opérationnelle, munitions, MCO) que des autorisations d’engagement suffisantes devront rendre possibles.

La loi et son rapport annexé mettent en avant des « efforts » qui sont autant d’axes de la communication ministérielle, permettant aux non spécialistes et au grand public de mettre du corps en regard de l’effort financier.

Dans le domaine capacitaire, sur la période de programmation, ces efforts sont les suivants (en milliards) :

Innovation 10
Renseignement 5
Défense sol-air 5
Cyber 4
Espace 6
Drones 5

En outre, quelques thématiques sont mises en avant, mais avec des recoupements avec les domaines capacitaires ci-dessus ou des programmes d’équipement mentionnés par ailleurs…

Munitions 16 (+45%)
Outre-mer 13
Forces spéciales 2

Le MCO est doté de 49 milliards, avec la reprise ad nauseam des incantations habituelles pour « des efforts de négociation rénovée entre les services de soutien et l’industrie, pour atteindre des niveaux de disponibilité plus élevés, une meilleure réactivité dans la fourniture des pièces de rechange, à coûts maîtrisés »

Pour les effectifs, 6 300 postes seront ouverts pendant la période couverte par la loi (portant les effectifs à 275 000 militaires et civils en 2030). Un effort est également promu concernant la réserve, avec un objectif de 80 000 en 2030 (puis 105 000 en 2035), et comme slogan ministériel « un réserviste pour deux militaires d’active »[6].

Prenant acte de la fin annoncée des grandes opérations en Afrique et des réflexions en cours sur l’opération Sentinelle, la loi réduit la dotation budgétaire pour les OPEX/MISSINT de 1 200 à 750 millions d’euros annuels.

Enfin, ni le Service national universel (SNU), ni le coût budgétaire de l’aide militaire à l’Ukraine ne sont inclus dans le texte et les dotations de la LPM. 

Quatre questions sur cette loi… 

Première question : rupture ou continuité ? 

Quasi unanimes ont été les responsables politiques, militaires, économiques, et nombre d’experts et d’observateurs également, à considérer que le « 24 février 2022 » marquait une rupture dans l’ordre mondial. C’est un fait indéniable, bien plus que le traumatisme du « 11 septembre 2001 ».

Présentée à l’automne 2022, la revue nationale stratégique (RNS) reprenait les orientations de celles de 2017, puis 2021, qui actaient l’évolution des menaces et le risque de glissement stratégique face à des États s’éloignant des normes des relations internationales mises en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui s’étaient maintenues, vaille que vaille, tout au long de la Guerre froide, puis de la recomposition géopolitique qui lui avait succédé.

Dans le contexte stratégique actuel, sans renier les engagements vis-à-vis de ses alliés, l’OTAN principalement comme le montre son action dans la suite de l’invasion russe en Ukraine, la France met en avant sa stratégie de « puissance d’équilibres » (avec un S)… Si la loi acte certaines évolutions capacitaires tirées de l’observation du conflit ukrainien, celles-ci demeurent marginales et ne font qu’accélérer des tendances déjà lancées. Plus que la capacité à s’engager massivement dans un « conflit de haute intensité » face à un acteur majeur, c’est l’option « gagner la guerre avant la guerre » qui prévaut, concept bâti par les armées elles-mêmes il y a peu.

Dans ce cadre, la dissuasion nucléaire autonome reste le pilier central de la défense nationale et constitue en fait l’effort réel de cette LPM, comme celui de celles qui l’ont précédée. Compte tenu des programmes en cours de réalisation et de leur environnement, la dissuasion appellera chaque année des ressources grandissantes, sans doute au-delà des 5,6 milliards du budget 2023. Conjuguée avec l’accent mis sur les outre-mer et l’Indo-Pacifique, elle a mécaniquement un effet d’entraînement sur les programmes conventionnels de la Marine, et dans une moindre mesure de l’armée de l’Air et de l’Espace.

La dissuasion nucléaire reste au cœur de la défense nationale pour des raisons qu’il ne faut pas négliger :

  • Elle est le fondement du positionnement stratégique « d’équilibre » de la France depuis le retour aux affaires du général De Gaulle, même si au fil des décennies le vocabulaire a évolué.
  • À ce titre, personne ne peut prendre la responsabilité de passer au compte des pertes et profits les investissements colossaux qui lui ont été consacrés depuis plus soixante ans.
  • Ce d’autant que la souveraineté de la dissuasion nucléaire est le premier facteur de la souveraineté de l’industrie de défense nationale, dans les domaines nucléaire, naval, aéronautique, électronique au sens très large, spatial… en dépit de ses évolutions capitalistiques.
  • Enfin, et c’est sans doute le fait nouveau du « 24 février 2022 », le comportement de la Russie a redonné toute sa place à la « dialectique du nucléaire » avec ce pays.

L’analyse stratégique qui sous-tend cette loi n’occulte pas le risque d’être confronté un jour à un engagement débouchant sur les formes les plus exigeantes et violentes du combat conventionnel ; mais c’est surtout la dissémination rapide de technologies militaires très vulnérantes parmi un nombre croissant d’acteurs au profil indéterminé qui caractérise ce risque.

Face à des acteurs étatiques, la France mise sur la dissuasion nucléaire et son appartenance active à l’OTAN pour anticiper et éviter un engagement majeur destructeur et de longue durée. C’était d’ailleurs déjà la doctrine gaullienne lors de la guerre froide.

Par conséquent, au risque de décevoir tous ceux qui appelaient à l’urgence de « préparer la guerre de masse », la LPM poursuit sur la voie d’un modèle d’armée complet, unique en Europe et cousin lointain du modèle américain[7].

Confrontée à la réalité des ressources, même en augmentation, l’ambition de ce modèle (dissuasion nucléaire autonome, capacité spatiale complète, armées professionnalisées, « blue water Navy », capacité de projection stratégique, déploiement important et permanent sur cinq continents) ne peut que le faire apparaître en permanence imparfait ou du moins en construction…

C’est à ce titre que l’on peut identifier les grandes orientations capacitaires que porte la LPM 2024-30, dans la continuité, et non la rupture, si tant est qu’elle puisse être possible.

  • La préservation du modèle d’armée complet, plus par construction évolutive que par grandes ruptures, avec, inflexion notable, un rejet de la course à la masse au bénéfice de la cohérence capacitaire (le « DORESE »[8] mis en avant de longue date au sein de l’armée de Terre). Le prix à payer est le ralentissement de certains programmes majeurs.
  • Cette inflexion se traduit par des objectifs ambitieux en matière de réactivité d’engagement d’un volume plus important de forces des trois armées (ENU-R, FIRI…)[9], d’où l’accent mis sur les soutiens, les munitions et l’entraînement.
  • L’attachement à la capacité d’engagement et de « nation-cadre » au sein d’une coalition, prioritairement au sein de l’OTAN, capacité qui passe par les moyens de commandement et d’appuis au sens large.

Deuxième question : la loi prend elle en considération de « nouvelles menaces » ?

Les « nouvelles menaces » ont été décrites lors des exercices d’évaluation stratégique successifs et rappelées par la RNS 2022, la guerre russo-ukrainienne n’ayant en fait été qu’une concrétisation de certaines d’entre elles. Leur analyse était à l’origine de la stratégie de « gagner la guerre avant la guerre », afin de ne pas se laisser entraîner dans des spirales de confrontation nécessitant des moyens hors de portée.

En effet, le choc provoqué par l’irruption d’un conflit européen digne de la Seconde Guerre mondiale ne doit pas occulter les autres sources d’inquiétude pour la sécurité nationale et celle de l’Europe. On peut citer : les tensions dans l’espace Indo-Pacifique, la course mondiale aux capacités spatiales, l’échec relatif ou total de « la lutte contre le terrorisme » et le retrait qui s’en suit des Occidentaux de certaines parties du monde[10], l’exploitation des fragilités des sociétés européennes, ouvertes, transparentes et placées « hors du monde cruel » par plus de soixante-dix ans de paix interne.

Au niveau stratégique, la LPM 2024-30 poursuit les efforts entamés depuis une dizaine d’année dans les domaines du renseignement et des capacités regroupées sous le terme « cyber ». Comme pour le spatial, ces capacités ne sont plus considérées comme des « facilitateurs » des autres capacités, mais au contraire comme des moyens à placer au centre des modes d’action, y compris dans leur emploi offensif. Il en va de même de l’action dans les champs dit « immatériels ».

Toujours au niveau stratégique, la capacité de projection lointaine de volumes de forces bien calibrés relève également de cette stratégie. Qu’il soit nucléarisé ou non, un acteur étatique sera toujours plus réticent à engager la confrontation violente s’il sait d’emblée qu’il sera confronté aux forces d’une puissance nucléaire, qui plus est agissant dans le cadre de l’OTAN.

La projection graduelle des moyens décrits dans le rapport annexé, depuis les premiers modules du l’ENU-R jusqu’à la division à trente jours (pour ne parler que du domaine terrestre), joue en quelque sorte le rôle que le 2e corps d’armée stationné en Allemagne jouait durant la guerre froide : démontrer l’acceptation d’une confrontation conventionnelle pouvant déboucher sur des extrêmes mal définis (c’est la finalité du dispositif de « réassurance » aux confins orientaux de l’Europe auquel la France participe depuis une dizaine d’années. C’est également celle des déploiements aéronavals lointains dont la capacité est régulièrement démontrée, comme l’exercice réalisé en Indo-Pacifique pendant l’été 2023).

On peut dire la même chose de la capacité d’action dans les grands fonds marins qui, de prime abord, peut laisser perplexe. Comment peut-on avoir la prétention de savoir protéger l’ensemble les capacités numériques qui transitent par le réseau tentaculaire des câbles sous-marins ? L’intérêt n’est-il pas plutôt d’affirmer une capacité de créer un risque de contact direct dans ce nouvel espace de « guerre hybride », au-delà de la mise en évidence de la preuve ?

Au niveau tactique, le choc des images a donné aux opérations terrestres du conflit russo-ukrainien un écho propice à l’emballement des enseignements… Les effets meurtriers de puissants feux d’artillerie, la réduction des villes en tas de ruines, le blocage de toute progression par le minage intensif, autant de réalités qui renvoient aux images d’un lointain passé et à des capacités massives abandonnées en France faute de moyens (y compris humains) ou du fait des lois internationales (comme les mines).

Si l’approche par la masse est sans nul doute possible abandonnée par la stratégie de « gagner la guerre avant la guerre », la capacité de constituer des modules de forces plus agressifs, mieux appuyés et soutenus semble bien au cœur des efforts de la loi au titre de la cohérence déjà évoquée. Et quoique l’on en pense, l’effort à fournir ne doit pas être sous-estimé : pour l’armée de Terre, il faudra dès 2027 disposer de la capacité d’engagement d’une division à deux brigades à trente jours, avec en 2030 une capacité de la relever. C’est un objectif ambitieux dont il faudra suivre la réalisation tout au long de la période de programmation, en se souvenant que la projection durant l’hiver 2022 d’un bataillon en Roumanie, si elle a été rapide n’en a pas moins nécessité de faire appel à 80 points de perception pour réunir ses équipements[11].

Les autres armées ont également des objectifs ambitieux. Si la nature de leurs milieux d’évolution, plus homogène que le milieu terrestre, peut paraître leur créer moins de difficultés, les distances et la permanence seront leurs défis. En effet, alors que les forces terrestres doivent se préparer à des actions de force en Europe et au Moyen-Orient, les outre-mer et l’Indo-Pacifique prennent désormais une importance inédite dans les stratégies navale et aérienne.

Toujours au niveau tactique, un autre effet des moyens inscrits dans la loi réside dans ce que l’on pourrait qualifier de « descente » des capacités nouvelles (renseignement, cyber, influence, champs immatériels…) vers la plupart des niveaux tactiques. Sa concrétisation la plus visible est la « dronisation » de tous ces niveaux, y compris des cellules de base que sont, dans l’armée de Terre, le groupe de combat de 10 hommes ou le véhicule blindé. On pourrait en dire autant de la « guerre électronique ». D’où l’évolution des systèmes de commandement annoncés dans le prolongement de ces choix.

Il y a ici une question subsidiaire à poser : Quid des menaces anciennes ?

Les deux grands glissements stratégiques des dernières années, résurgence de la confrontation OTAN/Russie, militarisation progressive des tensions avec la Chine en Indo-Pacifique, n’ont pas pour autant fait disparaître les vecteurs des menaces ou des risques de crise qui ont marqué les engagements des armées françaises pendant trente ans depuis la chute du mur de Berlin.

Pour reprendre une question posée récemment par l’animateur d’un blog très suivi[12] : Est-on certain qu’en 2035, l’adversaire le plus probable ne sera pas toujours le terroriste (ou trafiquant) africain, armé d’une kalachnikov, d’IED et d’un smartphone avec une bonne liaison internet ?

Certes le désengagement du Sahel, la nouvelle stratégie africaine, une appréciation différente du risque sur le territoire national laissent aujourd’hui envisager le contraire, et la réduction des dotations budgétaires pour les OPEX va dans ce sens. Mais rien ne dit que la conjonction de la mauvaise gouvernance dans de nombreux pays, des tensions interétatiques, des effets dramatiques du dérèglement climatique sur des populations souvent pauvres, fragiles et de plus en plus nombreuses, notamment au sud du Sahara, n’ouvriront pas à nouveau un cycle d’engagements peut-être moins puissants mais toujours compliqués.

Bien sûr, des armées qui occupent le haut du spectre capacitaire ne devraient pas avoir de difficultés à s’engager un cran en dessous, « qui peut le plus, peut le moins »… À voir ! En tout cas, à surveiller, au travers de la formation, de l’entraînement, de certains équipements, de la doctrine d’emploi des forces spéciales et de leur environnement, ainsi que, pour l’armée de Terre, de l’atteinte de la capacité de maintenir une brigade interarmes disponible pour intervenir sur quatre théâtres d’opérations « secondaires ».

Troisième question : quels sont les effets de la loi sur l’écosystème de production des équipements militaires ?

Pour être caricatural, on peut confondre cet écosystème avec l’expression péjorative de « lobby militaro-industriel », heureusement tombée quelque peu en désuétude.

Destiné à produire les équipements constitutifs des capacités militaires et leur soutien, il regroupe et articule, d’une part les acteurs publics et leurs procédures, d’autre part le tissu industriel impliqué dans la défense, avec ses caractéristiques capitalistiques.

La loi inscrit d’emblée parmi ses objectifs la souveraineté de l’industrie de défense nationale. Ce terme doit être bien compris comme le souci qu’aura plus que jamais l’État français de maîtriser les capacités industrielles et de les piloter prioritairement dans le sens de ses intérêts. La création d’une « direction de l’industrie de défense » au sein de la DGA se rattache à cette priorité.

L’existence même de la programmation militaire fournit le cadre d’élaboration d’une vision partagée de l’avenir par l’administration (armées, DGA, ministère du budget) et l’industrie. La mise au point d’une LPM vise à fournir un outil de pilotage cohérent du déroulement des programmes d’équipement, notamment en assurant la crédibilité des engagements de l’État (c’est la raison pour laquelle, exprimée en crédits de paiement, la LPM doit garantir aux industriels le paiement des commandes passées lors des lois précédentes…).

Dans une perspective d’avenir, la loi doit également permettre à l’écosystème de le préparer au mieux, au-delà de la poursuite des programmes en cours. C’est tout le rôle des ressources consacrées à « l’innovation », terme qui recouvre désormais les études amont, les subventions aux opérateurs comme le CEA, le CNES, la recherche appliquée… En prévoyant un total de 10 milliards sur la période, la loi reste sur la tendance à la hausse imprimée depuis 2018, avec l’objectif de ne plus chercher à rattraper des retards, mais plutôt à promouvoir des « innovations de rupture »[13].

À priori, le décalage des commandes et livraisons de certains programmes majeurs, dont les cibles restent inchangées, n’est pas une préoccupation forte des acteurs industriels qui se sont exprimés lors de l’élaboration de la LPM 2024-30. Pour la plupart (surtout dans les domaines aéronautique, naval et munitionnaire), les plans de charge et le chiffre d’affaires bénéficient des succès à l’export des dernières années et des besoins de production pour alimenter l’Ukraine en équipements et munitions, financés en grande partie par l’Union européenne.

L’attention des industriels se polarise plus sur les dispositions désormais regroupées dans l’article 49[14] de la loi qui, au titre de « l’économie de guerre », institue à la fois des obligations de constitution de stocks stratégiques, à la charge financière des industriels, et un « droit de préemption » de l’État français sur la production industrielle, fusse au détriment des livraisons prévues à des clients étrangers. Quasi totalement privée, soumise tant aux règles du marché concurrentiel qu’à la surveillance de la Commission européenne, l’industrie rappelle que sa contribution à l’économie de guerre décrétée en France ne l’exonère pas des dangers de la guerre économique qu’elle conduit à l’international.

Au-delà du coût à supporter pour les stocks stratégiques, c’est le risque de se voir écarter des compétitions internationales qui est identifié comme le principal, les clients potentiels ne pouvant accepter de voir éventuellement leurs livraisons ne pas respecter les délais contractuels.

Les conditions de mise en œuvre de cet article de la loi seront vraisemblablement une des premières tâches de la direction de l’industrie de défense de la DGA. Une tâche qui comportera également le traitement de l’accès au crédit bancaire, sujet brûlant qui touche toute l’industrie de défense, avec des effets dévastateurs pour le tissu des PME sur lequel repose largement l’écosystème.

Quatrième question : la loi conforte elle le système humain des armées ?

L’affirmation du rôle premier des femmes et des hommes dans la robustesse du système de défense est dans la bouche de tous les responsables politiques et militaires… depuis des siècles, au moins pour les hommes !

La LPM 2024-30 apporte sa contribution à la consolidation de ce rôle, par une multitude de dispositions dont les objectifs sont tout à la fois l’attractivité des carrières pour fidéliser les militaires en service et recruter des compétences nouvelles, améliorer les conditions de la mobilité des familles et de leur implantation dans les territoires, enfin de poursuivre les actions de reconnaissance de la Nation vis-à-vis des blessés et des familles de militaires morts en service.

L’attractivité des carrières, en fait le combat du recrutement et de la fidélisation, passera par un prolongement de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) mise en œuvre par la précédente loi, notamment au niveau indiciaire pour compenser le « tassement vers le haut » de la grille indiciaire, qui se révèle un frein à l’attractivité des progressions volontaires de carrière.

Le « Plan Famille 2 » inscrit désormais dans la durée ce mode de pilotage d’ensemble de tous les éléments constitutifs de l’accompagnement familial de la fonction militaire (logement, aide à la petite enfance, environnement médico-social). C’est déjà en soi une avancée très appréciable, même si les situations particulières et le contexte de stationnement et d’emploi de chaque armée laisseront toujours subsister des manques et des insatisfactions. Le « Plan Famille 2 » est doté de 750 millions d’euros.

Un autre aspect du modèle RH décrit par cette LPM est la volonté de porter le nombre de réservistes à 80 000 en 2030, sur une trajectoire à 105 000 en 2035. L’effort de recrutement, de formation et de fidélisation à fournir est en lui-même un défi, avant que les armées ne précisent les missions et les équipements de cette réserve opérationnelle massive.

Le modèle RH porté par la LPM 2024-30 est donc cohérent avec les objectifs fixés aux armées et s’inscrit dans la continuité de la consolidation de l’armée professionnalisée décidée il a plus de 25 ans. Absorbant plus du quart des ressources financières du ministère, il est confronté à de multiples défis, notamment ceux liés à la montée en gamme des compétences recherchées sur un marché du travail tendu et à l’évolution sociétale qui fait de la fidélisation dans toutes les catégories de grade un combat permanent.

GCA (2S) Tristan VERNA


NOTES :

  1. Audition du SGA par la Commission de la défense de l’assemblée nationale, le 12 avril 2023, reprenant une expression utilisée par le Premier Président de la Cour des Comptes devant la même Commission.
  2. Taux de progression à prendre pour ce qu’il vaut : les deux périodes programmation n’ont pas la même durée, se superposent et l’inflation rend précaire toute comparaison…
  3. Tous les montants financiers sont exprimés en crédits de paiement.
  4. Cette progression permet de viser les 2% du PIB en 2025-2027, nonobstant la fragilité de cet indicateur emblématique lié à un agrégat, PIB, dont la réalité n’est connue qu’avec plusieurs années de décalage. Il est à noter que pour certains responsables du ministère, les 2% du PIB seraient dès à présent atteints, et en voie d’être dépassés.
  5. Sans oublier qu’en 2022, des officiels américains ont fait état d’un supposé déclassement des armées britanniques, tandis que ce sont les responsables militaires allemands eux-mêmes qui ont annoncé leur incapacité d’assurer leur mission de défense nationale.
  6. La limite d’âge de tous les réservistes est portée à 72 ans, mesure mise en œuvre dès l’été 2023 par l’armée de Terre.
  7. On peut objecter l’existence d’un modèle complet en Russie, mais quelle est sa véritable fiabilité ?
  8. Pour « Doctrine, Organisation, Rh, Entraînement, Soutien, Équipement ».
  9. Échelon national d’urgence renforcé, Force d’intervention rapide interarmées.
  10. Comme la perte progressive des bases françaises en Afrique.
  11. Audition du CEMAT par la commission de la défense de l’Assemblée nationale, le 12 avril 2023.
  12. Michel Goya, dans une interview sur France Inter.
  13. Cette formulation, en cédant à la facilité, aurait pu être lourde de conséquences pour certains systèmes d’armes majeurs bien installés dans le paysage actuel des armées. Ses effets sur l’avenir devront être suivis attentivement.
  14. Il s’agit des modifications à apporter au Code la défense pour ce qui concerne « l’industrie de défense ».

CERCLE MARÉCHAL FOCH

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).

Caesar, EFA et robots de déminage: victoire commerciale française en Ukraine mais la guerre n’est pas gagnée

Caesar, EFA et robots de déminage: victoire commerciale française en Ukraine mais la guerre n’est pas gagnée

 

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 30 septembre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


La visite à Kiev de Sébastien Lecornu et d’une délégation d’industriels de la Défense français, jeudi, s’est soldée par la signature de plusieurs contrats et accords. A Kiev, le ministre français venu défendre des partenariats avec des industriels ukrainiens, a rencontré le ministre Oleksandr Kamychine, chargé des industries stratégiques (photo ci-dessus. Les photos de ce post sont de moi), et Rustem Umerov, le nouveau ministre de la Défense. 

Sa visite a précédé l’ouverture par le président Zelensky du premier forum international consacré à l’industrie de la défense, qui veut attirer des fabricants étrangers capables de produire des armes en Ukraine et de lui “construire un arsenal” face à la Russie. “Nous sommes intéressés par la localisation de la production des équipements nécessaires à notre défense et des systèmes de défense avancés utilisés par nos soldats”, a résumé Zelensky dans son discours d’introduction, diffusé ce samedi.

Voici la liste  des accords et contrats signés vendredi (c’est moi qui souligne):
Coopération DGA / DPA
La direction générale pour l’armement (DGA) et son homologue ukrainienne, la Defense Procurement Agency (DPA) ont signé un accord pour favoriser la coopération en matière d’armement entre les deux pays.

Coopération industrielle
Le GICAT a signé deux accords, avec les Ministère de la Défense et Ministères de l’Industrie Stratégique ukrainiens sur le développement de la coopération en matière d’industrie de défense entre la France et l’Ukraine.

Artillerie
Fourniture de 6 systèmes d’artillerie supplémentaires. Au-delà des canons Caesar déjà fournis, que ce soit au titre des cessions par l’armée françaises (18) ou au titre des acquisitions par le ministère ukrainien directement auprès de KNDS (12), KNDS va fournir 6 canons Caesar supplémentaires.
MCO (maintien en conditions opérationnelles) des systèmes Caesar fournis. Le MCO des systèmes CAESAR est d’ores et déjà assuré par KNDS via un flux de pièces de rechanges. Par ailleurs, KNDS a signé un accord avec une société ukrainienne pour assurer le MCO des Caesar dans la durée sur le territoire ukrainien, comprenant la production de pièces localement. Cet accord prend également en compte le MCO des AMX 10 cédés par l’Armée de Terre.

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Véhicules terrestres
Intégration d’armements : La société KNDS a signé un accord avec une société industrielle ukrainienne pour l’intégration en Ukraine d’armements sur les véhicules des Forces Armées Ukrainiennes.
MCO des véhicules fournis : ARQUUS, fabriquant de VAB (Véhicules de l’avant blindé), s’est engagé, au travers d’un accord signé avec une société ukrainienne, à soutenir les véhicules cédés par les Armées françaises – notamment à travers de la production locale de pièces – et à étudier la mise en place d’un partenariat avec des entreprises ukrainiennes afin de produire des VAB neufs dans le pays.
Fabrication additive : La société Vistory a signé un accord avec une société ukrainienne pour des solutions de fabrication additive de pièces de rechange. Ce sujet est très prometteur pour autonomiser les Ukrainiens, y compris potentiellement pour déployer des solutions mobiles de fabrication de pièces de rechange sur le théâtre d’opérations.
Fourniture d’engins amphibie : La société CEFA va fournir 8 engins amphibie qui permettent le franchissement de cours d’eau.

Drones
Drones Delair : Au-delà du premier contrat de drones, et dont les premiers exemplaires sont en cours de livraison auprès des Ukrainiens, la société Delair a signé un nouveau contrat avec le MOD ukrainien pour la fourniture de drones supplémentaires, ainsi qu’un accord portant sur la maintenance des drones livrés et ouvrant la voie à une production locale.
Partenariats industriels : les sociétés Thales d’une part et Turgis & Gaillard d’autre part ont chacune signé un accord avec des sociétés ukrainiennes pour co-développer des drones, avec comme perspective une fabrication locale de drones.

Déminage
L’entreprise CEFA a signé un contrat pour la fourniture de 8 premiers robots SDZ de déminage. C’est un moins qu’espéré (10 unités) mais le résultat témoigne de la confiance des Ukrainiens dans ce matériel. 

Quelques remarques personnelles:

Ces bons résultats et ses bonnes perspectives sont dus aux efforts conjoints des équipementiers français, du ministère des Armées et du GICAT qui a organisé du 18 au 20 septembre, à Kiev, un premier séminaire de coopération industrielle franco-ukrainien. 

En termes de fournitures, on notera les drones Delair (type non spécifié), les 6 Caesar supplémentaires mais surtout les 8 robots de déminage SDZ de l’entreprise CEFA (deux livrables à l’armée de Terre française pourraient être déviés vers l’Ukraine). En matière de déminage, la France s’avère malgré tout en retrait d’autres pays dont les entreprises spécialisées ont capté une partie du marché il y a déjà plusieurs mois (je reviendrai sur ce sujet dans un prochain post).

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Cette même entreprise va aussi livrer 8 EFA (engins de franchissement de l’avant. Photo ci-dessus prise lors d’Orion 4); ces systèmes d’occasion issus de l’ex-parc du génie pourront être livrés très rapidement. 

Léo Péria-Peigné : “L’armée allemande a une stratégie claire, contrairement à la France”

Léo Péria-Peigné : “L’armée allemande a une stratégie claire, contrairement à la France”

 

par Léo PÉRIA-PEIGNÉ, interviewé par Clément Daniez pour L’Express– IFRI _ publié le 29 septembre 2023

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/leo-peria-peigne-larmee-allemande-une-strategie-claire-contrairement


La montée en puissance de l’armée allemande rebat les cartes en Europe, explique Léo Péria-Peigné, qui vient de publier une étude sur le sujet pour l’Ifri.

Laissée en déshérence pendant des années, l’armée allemande, la Bundeswehr, remonte en puissance. La décision a été prise juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un événement menant, pour l’Allemagne, à un nécessaire “changement d’époque” (“Zeitenwende”), comme l’a qualifié le chancelier Olaf Scholz. Grâce à un fonds de 100 milliards d’euros, Berlin multiplie les commandes, dans le cadre d’un programme de rééquipement destiné à en faire la “première armée d’Europe”.

Dans un rapport invitant la France à mieux appréhender la révolution en cours de l’autre côté du Rhin – “La Bundeswehr face au Zeitenwende” –, Elie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné, du centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri), auscultent la transformation de l’outil militaire allemand. “L’Allemagne a un but stratégique unique et clair, quand la France, elle, court trois lièvres à la fois : être une alliée crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présente dans l’espace indo-pacifique”, explique Léo Péria-Peigné à L’Express. Entretien.

L’Express : Le gouvernement allemand a annoncé qu’il disposerait bientôt de la première armée d’Europe. En prend-elle vraiment le chemin ? 

Oui, mais pas de la façon dont on l’imagine d’un premier abord. La Pologne est l’autre pays qui a l’ambition d’être la première armée de terre d’Europe. Mais elle pense d’abord à elle-même, alors que l’Allemagne ambitionne cela de manière européenne. Elle se dote de moyens de commandements, de communications, de supports logistiques, qui vont permettre à d’autres nations de brancher leur armée sur ce système, pour amplifier les synergies dans le cadre de l’Otan. L’Allemagne pourrait ainsi devenir la première, en devenant la base d’une « armée européenne », pas forcément en nombre de chars. 

Beaucoup d’experts, en Allemagne, soulignent que les 100 milliards du fonds spécial serviront surtout à combler les retards accumulés… 

 Oui, un peu comme l’augmentation du budget pour la France selon sa loi de programmation militaire (LPM, 413 milliards d’euros de 2024 à 2030). Le fonds de 100 milliards est un plan de restauration, pour faire fonctionner ce qui existe et redensifier certaines capacités perdues. Ils ne dureront que quelques années, mais permettront d’atteindre l’objectif de l’équivalent de 2% du PIB consacré à la défense, comme le préconise l’OTAN. L’idée est ensuite qu’en 2027, les 2% seront assurés par le seul budget, sans un fonds complémentaire. Pour le prochain gouvernement allemand, il faudra cependant que ce soit politiquement acceptable. Pour cela, il faudra que le « Zeitenwende » atteigne les consciences. 

Jusqu’à quand la Bundeswehr va-t-elle rester « à sec », avec très peu de disponibilité de matériel, comme la dit le chef de son armée de terre ? 

La situation s’améliore déjà et cela devrait continuer. Par exemple, il y avait un gros problème de disponibilité dans la marine allemande, lié à l’encombrement des chantiers navals civils. En 2017, aucun des six sous-marins allemands n’était disponible. La marine a acheté des infrastructures existantes qui lui sont maintenant dédiées pour résoudre ce problème. Les améliorations vont s’amplifier, mais jusqu’à un certain seuil. Car il faut que les ressources humaines suivent. Il faut des spécialistes et des volontaires pour utiliser les nouveaux équipements. 

L’Allemagne n’ayant plus le service militaire, elle doit attirer des talents, des jeunes, avec des compétences de plus en plus pointues. Dans un pays plus vieillissant – bien plus que la France –, c’est déjà un problème. A cela s’ajoute le fait que le marché du travail civil est plus attractif. Si les Allemands n’arrivent pas attirer de nouveaux soldats, l’effet de la revitalisation restera limité. Il y a un travail à mener pour rendre la fonction militaire plus attirante pour les jeunes. 

Pourquoi ce Zeitenwende renforcent-ils plus le partenariat de l’Allemagne avec les Etats-Unis qu’avec la France ? 

Le Zeitenwende va servir à renforcer non seulement le partenariat avec les USA, très important pour l’Allemagne [achat de nombreux appareils américains, en particulier des avions et des hélicoptères], très attachée à l’Otan. Mais il va aussi lui servir à renforcer son partenariat avec l’Europe, plus qu’avec la France. Pour une raison très importante : si, en Europe, l’Allemagne est le principal partenaire de la France, l’inverse n’est pas vrai. Son principal partenaire, ce sont les Pays-Bas. A l’heure actuelle, les trois brigades qui composent l’armée de terre néerlandaise sont intégrées dans les trois divisions de l’armée allemande.  

L’Allemagne développe des partenariats avec d’autre pays européens pour les intégrer dans son modèle de force et constituer une plateforme commune. D’autres pourraient se monter avec la Hongrie, ou au niveau des différentes armées de la Baltique, en particulier les marines. Celui lui vaut certaines critiques, à Paris, comme quoi l’Allemagne fournit les fonctions non-combattantes pour envoyer les autres Européens sur le front à leur place.   Mais la France pourrait tenter de faire la même chose avec la Belgique, comme elle a commencé à le faire avec son partenariat stratégique sur les capacités motorisées CaMo. Une unité luxembourgeoise pourrait aussi être intégré au sein des divisions françaises. 

En quoi, les deux pays veulent se constituer deux armées différentes ? 

L’armée française se perçoit comme une armée d’emploi, qui peut faire la guerre et intervenir là où on a besoin d’elle, même loin. Après la fin de l’URSS et la réunification, l’Allemagne s’est lancée elle aussi dans une logique d’interventions internationales, comme en Afghanistan, mais cela n’a pas vraiment bien marché. Depuis, elle est revenue à sa culture d’armée d’avant la chute du mur : une armée conventionnelle, qui doit maintenir un niveau de puissance suffisant pour dissuader tout agresseur potentiel, axé sur la haute intensité. La France, elle court trois lièvres à la fois : être un allié crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présent en Indopacifique, avec un budget en grande partie consacré à la dissuasion nucléaire. La LPM a acté cette absence de choix.  

Peut-on être sûr que les deux grands programmes franco-allemands phare, le SCAF (l’avion du futur) et le MGCS (le char du futur), se feront ? 

Ces projets ont été lancés pour des raisons politiques et avancent lentement et de manière chaotique. Mais ils ont du mal à avancer sur le plan militaire et industriel. Les armées ne veulent pas la même chose. Concernant le SCAF, les Français veulent qu’il puisse atterrir sur un porte-avion et porter les futurs missiles nucléaires ASM4G. Les Allemands ne sont pas forcément prêts à payer pour ces capacités-là, dont ils se fichent. Sur le plan industriel, Airbus et Dassault, en plus d’être rivaux, se détestent, car Airbus a essayé de racheter Dassault au début des années 2000. 

Du côté du MGCS, le projet devait associer le français Nexter, très bon dans la fabrication de canons, et KMW, le concepteur de la caisse du Leopard 2. Mais le Bundestag a exigé qu’on ajoute Rheinmetall, une entreprise de défense beaucoup plus grosse que les deux autres. Or KMW craint de se faire racheter par Rheinmetall, dont le canon de 130 est en concurrence avec celui de 140 de Nexter pour équiper le MGCS…. 

Que faudrait-il faire pour relancer un partenariat franco-allemand dans la défense ? 

Il faudrait que les structures qui existent soient revitalisées et qu’on leur redonne une pertinence. Qu’on sache ce qu’on pourrait faire de la brigade franco-allemande. Pour la Marine, il y avait la Force navale Franco-Allemande (FNFA), une structure d’entrainement commun, tombée en désuétude.

[…]

> Lire l’interview intégrale sur le site de L’Express (réservé aux abonnés)

Un 11e Griffon VOA livré à l’armée de Terre

Un 11e Griffon VOA livré à l’armée de Terre


Un 11e Griffon « véhicule d’observation d’artillerie » (VOA) a été livré le 11 septembre à l’armée de Terre par la Direction générale de l’armement (DGA). Une version dédiée aux régiments d’artillerie et bientôt mobilisée pour l’atteinte d’un jalon majeur du programme SCORPION. 

La spécificité de ce membre de la famille Griffon ? L’intégration « d’un mât d’observation optronique, de moyens de pointage, télémétrie et désignation laser permettant l’observation, la désignation d’artillerie, voire de frappe aérienne avec présence d’un JTAC (Joint Terminal Attack Controller : contrôleur aérien avancé) », rappelle la DGA dans un communiqué diffusé aujourd’hui. 

Cette version embarque également un radar MURIN déployable hors du véhicule, un système de surveillance du champ de bataille conçu par Thales et en service depuis 2019 dans les batteries d’acquisition et de surveillance des régiments d’artillerie. 

Ce Griffon VOA vient s’ajouter aux cinq déjà livrés en 2023 et porte à 11 le nombre de véhicules fournis jusqu’à présent à l’armée de Terre. « Trois autres sont attendus d’ici la fin de l’année », complète la DGA. Ce parc initial équipera la Section technique de l’armée de Terre (STAT) et le 3e régiment d’artillerie de marine (3e RAMa).

Employé en juin lors de l’exercice Royal Black Hawk, le Griffon VOA le sera aussi en fin d’année lors de l’exercice BIA23. Six véhicules du 3e RAMa participeront à cette étape clé dans la constitution d’une première brigade interarmes SCORPION projetable. 

Crédits image : 1er régiment d’artillerie

Pour la première fois, la frégate Alsace a tiré avec succès un missile anti-navire MM-40 Block 3C

Pour la première fois, la frégate Alsace a tiré avec succès un missile anti-navire MM-40 Block 3C

https://www.opex360.com/2023/09/28/pour-la-premiere-fois-la-fregate-alsace-a-tire-avec-succes-un-missile-anti-navire-mm-40-block-3c/


Mercredi 20 septembre 2023, la frégate multi-missions à capacité de défense aérienne renforcée (FREMM-DA) Alsace réalise un tir de missile EXOCET MM40 block3c sur une cible flottante au Levant. Ce tir est réalisé en coopération avec les équipes de la direction générale de l’armement (DGA) ainsi que l’industriel MBDA.

 

Seulement, la Marine nationale a dû patienter pour obtenir ses premières munitions « complexes » de ce type afin d’en équiper ses frégates multimissions [FREMM]. Annoncée pour 2018, leur livraison a finalement eu lieu en décembre 2022. Cela « tient d’une part, des retards industriels dans le développement, et d’autre part, de l’impact de la crise sanitaire [du covid-19, ndlr] sur les capacités industrielles », explique un document budgétaire du ministère de l’Économie et des Finances, publié en mars dernier.

Quoi qu’il en soit, et alors que la Marine nationale a fixé la norme d’un tir de munition complexe par navire de premier rang tous les deux ans afin d’accroître la préparation opérationnelle de ses unités, la frégate multimissions à capacité de défense aérienne renforcée [FREMM DA] Alsace aura été la première à effectuer un tir d’évaluation technico-opérationnelle d’un MM-40 Block 3C, dans une situation « représentative d’un combat en ambiance de guerre électronique », au large de Toulon, le 20 septembre.

« Ce tir a été réalisé avec succès dans des dispositions matérielles et humaines identiques à celles tenues en opération. Le missile a parfaitement suivi la trajectoire prévue, et a démontré les performances de son autodirecteur de dernière génération », a indiqué la Marine nationale, une semaine après cette évaluation, conduite lors de l’opération « Taennchel » [du nom d’un sommet du massif des Vosges, situé dans le Haut-Rhin].

Et de préciser : « la mise en place et la coordination des moyens nécessaires à la conduite et l’analyse du tir [cible marine, radars de trajectographie, moyens de télémesure et moyens optiques] ont été dirigées depuis l’ile du Levant par la Direction générale de l’armement [DGA Essais de missiles – site Méditerranée] qui a mis en œuvre toute son expertise technique ».

Successeur du MM40 B3, « déjà en service au sein de plusieurs marines autour du globe », rappelle MBDA, le MM-40B3C « s’appuie sur le savoir-faire acquis […] tout au long des améliorations successives de ce missile » et « affiche toutes les caractéristiques qui ont fait la renommée du missile, en particulier sa capacité ‘tous temps’ et sa grande flexibilité d’utilisation ». En outre, poursuit l’industriel, il est doté d’un « autodirecteur de nouvelle technologie » et de nouveaux « algorithmes missiles » développés « pour répondre aux nouvelles contraintes opérationnelles de la lutte antinavire ».

D’une longueur de 6 mètres pour un diamètre de 50 centimètres et une masse de plus de 800 kg, le MM-40B3C peut atteindre une cible située à plus de 200 km de distance, en volant à une altitude de 2 mètres [vol en sea-skimming, ndlr]. Ayant une faible signature radar et infrarouge, il a une capacité « tire et oublie » grâce à son système de navigation inertielle et son autodirecteur électromagnétique actif. Il est également en mesure de « discriminer » les cibles.

« Ce tir d’évaluation opérationnelle d’un EXOCET MM-40B3C, réalisé depuis la frégate multi-missions Alsace, a été un succès total. Il démontre les nouvelles capacités de cette toute dernière génération du missile, des évolutions majeures adaptées à un contexte de haute intensité », s’est félicité Éric Béranger, le PDG de MBDA.

« Je suis extrêmement fier de cette nouvelle réussite, l’EXOCET est pour MBDA un véritable symbole, et ce succès est une nouvelle preuve de l’excellence humaine et technique de MBDA. Je tiens à remercier les équipes de la DGA et de la Marine nationale pour la réalisation de ce tir », a-t-il conclu.

La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon

La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon

Eurofighter italy e1654864479374 Modernisation Retrofit équipements de défense | Allemagne | Aviation de chasse

La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon


Certains des composants du Glass Cockpit qui équipera les futurs Eurofighter Typhoon Tranche 3, seront soumis à licence d’exportation ITAR américaine. Pourtant, cela ne semble nullement émouvoir industriels et observateurs des quatre pays membres du consortium Eurofighter.

À l’instar de très nombreux pays, les Etats-Unis supervisent finement les exportations de technologies de défense en provenance de leur outil industriel. C’est ainsi que toutes les exportations d’équipements majeurs doivent obtenir l’aval de l’exécutif, mais aussi celui d’une sous-commission dédiée appartenant à la commission des forces armées du Sénat américain.

Cette supervision s’étend également à des composants à vocation duale, c’est-à-dire pouvant être employés aussi bien pour la conception de systèmes d’armes, que pour celui d’équipements civils. Ces composants sont répertoriés dans une liste spécifique, obligeant les industriels d’obtenir une autorisation d’exportation spécifique comparable avant de pouvoir le faire.

Ainsi, en 2006, Boeing s’est vue infliger une amende de 15 m$, pour avoir vendu à l’exportation une centaine d’avions civils qui étaient équipés d’un capteur gyroscopique, par ailleurs employé par le missile AGM-65 Maverick américain, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation de le faire.

AGM-65 Maverick missile
Le missile AGM-65 Maverick était équipé d’une puce gyroscopique inscrite sur la liste ITAR des composants à usage dual soumis à autorisation d’exportation.

La réglementation ITAR américaine

Cette liste est souvent désignée abusivement par l’acronyme ITAR. En effet, l’International Traffic in Arms Regulations, ou ITAR, englobe l’ensemble des règles législatives américaines encadrant l’exportation et l’importation d’armes ou de systèmes et composants assimilés.

Celle-ci fut promulguée en 1976, afin de protéger les industries et technologies américaines, et par ailleurs pour servir les intérêts des Etats-Unis sur la scène internationale.

Par l’ampleur et la position dominante des industries technologiques américaines sur la scène internationale, cette législation est devenue, au fil des années, un puissant outil aux mains de l’exécutif américain, pour davantage protéger ses intérêts économiques et politiques, qu’éviter que des technologies critiques ne fuitent à l’étranger.

En outre, la liste des composants concernés par cette réglementation est particulièrement dynamique, de sorte qu’un composant spécifique peut y être ajouté au seul jugement de l’exécutif, pour appuyer ses ambitions internationales.

C’est ainsi qu’en 2018, le président Trump a fait ajouter à cette liste, un composant de géolocalisation employé à bord des missiles de croisière Storm Shadow et Scalp, dans le seul but de faire dérailler les négociations en cours entre Paris et le Caire en vue de l’acquisition d’avions de combat Rafale supplémentaires.

ITAR Glass Cockpit Collins Aerospace Typhoon
Le futur Glass Cockpit de Collins Aerospace qui équipera l’Eurofighter Typhoon ne sera pas ITAR-Free

De fait, l’étiquette « ITAR-Free », c’est-à-dire dépourvu de composants soumis ou pouvant être soumis à la législation ITAR, est désormais devenue un argument de vente efficace pour l’exportation d’équipement de défense, notamment auprès de certains clients ayant une posture politique pouvant parfois diverger des attentes de Washington.

Avec son nouveau Glass Cockpit, l’Eurofighter Typhoon ne sera plus ITAR-Free

En dépit de la proximité politique et technologique des Etats-Unis avec les quatre pays membres du consortium Eurofighter (Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni) le chasseur Typhoon était jusqu’à présent ITAR-Free. Mais cela ne devrait plus être le cas des nouveaux chasseurs de la Tranche 3, et de la Tranche 4 à venir.

En effet, le britannique BAe vient d’annoncer que l’appareil européen serait dorénavant équipé d’un nouveau glass cockpit, à l’instar du F-35, avec un unique écran interactif couvrant l’ensemble de la planche de bord.

L’écran retenu par l’avionneur britannique est fourni par l’américain Collins Aerospace, et s’appuie en particulier sur un composant employé pour la sauvegarde des données, appartenant à la liste ITAR.

De fait, les prochains Eurofighter Typhoon équipés de ce cockpit avancé et modernisé, devront obtenir une licence d’exportation américaine avant de pouvoir être livrés, y compris, d’ailleurs, aux membres du consortium Eurofighter.

Rafale SCALP
Donald Trump fit ajouter à la liste ITAR un composant employé à bord du missile SCALP pour faire dérailler l’acquisition de Rafale supplémentaires par l’Égypte. Cela obligea MBDA à revoir l’électronique de navigation de son missile, et retarda la commande de plusieurs années.

Une contrainte assumée par les européens

Toutefois, le sujet ne semble pas particulièrement inquiété ni les industriels, ni même la presse spécialisée, que ce soit en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne. Seul le site espagnol Infodefensa a traité le sujet, tout en multipliant les superlatifs au sujet de la nouvelle avionique à venir.

On notera, à titre d’illustration, que le refus allemand d’autoriser la vente de 48 Typhoon supplémentaires à l’Arabie Saoudite, n’aura créé que des remous superficiels et de courte durée, dans les trois autres pays, en dépit des conséquences économiques et politiques que cette décision entrainait.

Dans les faits, à l’exception de l’industrie de défense française qui fait figure d’exception en Europe, aucun pays européen n’a développé d’offre industrielle orientée vers l’autonomie stratégique, et donc vers la conception de systèmes ITAR-Free.

Dès lors, les conséquences des arbitrages US, par ailleurs souvent impliqués directement dans les programmes majeurs de défense de ces pays, sont considérés comme normales, et ne donnent lieu à aucune tension particulière.

On comprend, dans ces conditions, les divergences de perception qui ont amené ces mêmes pays à privilégier un turbopropulseur de conception américaine plutôt que française, pour équiper le futur Eurodrone RPAS.