“L’identité nationale” : Lettre ASAF du mois de janvier 2023
À l’aube de la quarantième année d’existence de notre association, il est bon de rappeler que, parmi les éléments constitutifs de ses fondations, se trouve sa perception d’une unité nationale française. Notre identité nationale, c’est d’abord une histoire d’amour : l’amour d’un pays, de son passé, de son présent et même du futur que l’on espère pour lui.
L’identité nationale
À l’aube de la quarantième année d’existence de notre association, il est bon de rappeler que, parmi les éléments constitutifs de ses fondations, se trouve sa perception d’une unité nationale française. Notre identité nationale, c’est d’abord une histoire d’amour : l’amour d’un pays, de son passé, de son présent et même du futur que l’on espère pour lui. En donner une définition est donc rigoureusement impossible. De même que l’amour entre des personnes est un hasard qui devient destin, l’identité nationale est la somme de hasards individuels qui deviennent destin collectif.
Oui, naître Français est le fruit du hasard. Le devenir aussi, car les prétendants à la citoyenneté française, que cela soit par désir ou par nécessité, ont souvent subi, dans leur pays d’origine, des événements qu’ils n’ont pas choisis. Nés sur le sol de France ou non, ceux qui y vivent doivent l’aimer. Qu’importe la façon dont apparaît et se développe cet amour : ce peut-être le coup de foudre, ou un amour qui se construit jour après jour, voire un amour « de raison ». Ce peut être aussi un amour « passion » au nom duquel on est prêt à tout donner, y compris sa vie, ou une immense tendresse alimentée par les voix de tous ceux qui se sont tus après avoir apporté une pierre à l’édification de notre patrimoine commun, ou encore un amour acquis « non par le sang reçu, mais par le sang versé ».
C’est l’agrégation, dans le creuset commun de la Nation, de tous ces amours aux formes diverses qui constitue notre destin commun. On pourrait aussi la nommer « solidarité nationale ». Cette solidarité a un ciment : c’est, comme le disait Ernest Renan[1], « le sentiment des sacrifices que l’on a faits et de ceux que l’on est disposé à faire ». Traduisons en langage plus commun : c’est, simultanément, la commémoration du 11 novembre et l’engagement volontaire, dans les armées, du jeune Français qui sait qu’il risque de partir en opération, au Sahel ou ailleurs, où il risquera sa vie.
Certains seraient tentés de définir la Nation autour de la République et de la laïcité, d’autres autour des valeurs chrétiennes, d’autres encore en se référant à l’héritage de Pascal ou Montesquieu, de Hugo ou Zola, de Sartre ou Aron. Qu’importe si ce sont là, pour les uns ou pour les autres, leurs façons particulières d’exprimer leur amour de leur pays ! Ce qui compte, c’est la finalité, c’est-à-dire la constitution, autour de ces valeurs variées, d’une conscience morale partagée.
Bien sûr, pour tenter de dessiner les contours de l’identité nationale peuvent aussi être avancées des considérations relatives à la race, à la langue, à la religion, aux fleuves et aux rivières, aux montagnes et aux collines, aux pâturages et aux vignobles, aux châteaux, aux églises, à toutes les vieilles pierres qui témoignent de l’œuvre et, souvent, du génie de nos pères bref, à tout ce qui constitue l’Histoire de notre pays. Une Histoire, soit dit en passant, qui est une. On ne peut la découper en rondelles : il faut la prendre tout entière ou la laisser. C’est Marc Bloch qui disait[2] : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération ».
Alors voilà, nous, membres de l’ASAF, aimons notre pays. Depuis quarante ans bientôt, notre association travaille au rassemblement d’un maximum de Français autour d’un certain nombre de valeurs que vous, lecteurs de cette lettre, vous partagez. Depuis quarante ans bientôt, année après année, nos liens se sont resserrés et nous avons bâti une œuvre commune. Entre nous des affinités (au sens littéral du terme) si fortes se sont créées que les liens qui nous unissent sont indissolubles comme le sont les liens du sang. Nous nous sentons en analogie tant nous nous ressemblons. Tiens, n’est-ce pas là la description d’une identité, la nôtre, l’identité ASAF qui est une partie indissociable de notre identité nationale ?
“L’Europe : Un espace géographique où Noël est fêté partout“. Lettre ASAF du mois de décembre 2022
Christmas Market At Cologne Cathedral
« S’inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit… ». Voici le salmigondis qui aurait dû servir d’introduction au traité constitutionnel européen de 2004 qui, en définitive, n’a pas été ratifié, et qui ouvre le traité de Lisbonne de 2007 qui lui a été substitué. Cette formule est d’une rare malhonnêteté intellectuelle puisqu’elle nie, implicitement, que l’ « héritage religieux » dont parle le texte est, sur le continent européen, à 99 % chrétien.
“L’Europe : un espace géographique où Noël est fêté partout”
Il y a 15 ans, le 13 décembre 2007, était ratifié le traité de Lisbonne
« S’inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit… ». Voici le salmigondis qui aurait dû servir d’introduction au traité constitutionnel européen de 2004 qui, en définitive, n’a pas été ratifié, et qui ouvre le traité de Lisbonne de 2007 qui lui a été substitué. Cette formule est d’une rare malhonnêteté intellectuelle puisqu’elle nie, implicitement, que l’ « héritage religieux » dont parle le texte est, sur le continent européen, à 99 % chrétien. Il aura donc fallu tout le cosmopolitisme de l’élite technocratique européenne pour évacuer toute référence explicite aux racines chrétiennes de l’Europe. Cerise sur le gâteau, dans ce jeu d’esquive malsain, de convictions identitaires incertaines, de déni de soi-même, le président de la République française du moment, inspiré sans doute par sa pathétique propension à la repentance, a pesé d’un poids décisif.
Pourtant, relisons ce qu’écrivait Fernand Braudel en 1986[1]: « En fait,l’expérience carolingienne est à l’origine – ou, si vous préférez, elle a confirmé la naissance – de la Chrétienté et aussi de l’Europe, les deux termes étant alors identiques, comme deux figures géométriques qui, exactement, se recouvrent ».
Tous les historiens s’accordent pour dire que c’est du Xe ou XIe siècle jusqu’au milieu du XVe que le destin de la France et de l’Europe s’est joué de façon irréversible. Ces siècles sont au coeur de notre histoire. Or, précisément, dès les premières années du XIe siècle déferle sur l’Europe une vague de constructions d’églises nouvelles. Un chroniqueur de l’époque s’extasie : « C’était comme si le monde, en secouant son ancien costume, s’était redressé dans le blanc manteau d’églises nouvelles ». C’est le début de l’architecture romane qui, jusqu’au XIIe siècle, modèlera les paysages sur l’ensemble du continent. L’Europe alors se constitue et s’affirme ; elle se consolide, se cimente. Mais elle le fait justement parce qu’elle s’affirme chrétienne. Donnons à nouveau la parole à Fernand Braudel qui nous dit que dans cette période : « L’Europe n’est une que parce qu’elle est, en même temps, la Chrétienté ; mais la Chrétienté et, avec elle, l’Europe ne peuvent affirmer leur identité que face à l’autre. Aucun groupe, quelle que soit sa nature, ne se forme mieux qu’en s’opposant à un tiers. À sa façon, l’Islam aura participé à la genèse de l’Europe. D’où l’importance des croisades [2]»
Hou la la, monsieur Braudel ! Si vous teniez ces propos aujourd’hui, il n’est pas certain que votre agrégation d’histoire, vos douze diplômes de docteur « honoris causa » d’universités étrangères, votre Légion d’honneur[3] ou votre fauteuil à l’Académie française[4] vous épargneraient d’être traité d’affreux « islamophobe ». Pourtant, les musulmans intégristes, eux, ne s’y trompent pas et font référence plus volontiers que nous à cette période de notre histoire. Ils continuent à nommer les Occidentaux et/ou les Chrétiens, car eux ont bien compris que les deux se confondent : « les Croisés » !
Mais revenons à la déclaration introductive du traité de Lisbonne. On y fait référence à l’héritage humaniste de l’Europe. En vérité, c’est là une contrefaçon sémantique ayant pour objet d’éviter d’écrire « origine chrétienne de l’Europe ». Car, en effet, l’humanisme, c’est-à-dire « la position philosophique qui place l’homme et les valeurs humaines au-dessus des autres valeurs [5]» est, par définition, d’essence chrétienne. La reconnaissance de l’individu procède par nature du message évangélique et s’oppose à l’ « umma » de l’Islam, c’est-à-dire à la communauté des croyants qui seule compte. Cette souveraineté de la personne, son unicité, sa responsabilité, sa capacité à choisir et aussi à espérer, qui n’ont rien à voir avec la forme dévoyée qu’est l’individualisme qui, hélas, nous submerge aujourd’hui, sont, par nature, d’essence chrétienne et européenne. Ce sont d’ailleurs ces notions qu’ont reprises les philosophes des Lumières sous une forme sécularisée. Elles constituent l’antithèse du caractère inéluctable de la destinée du musulman tout entier contenu dans la formule récurrente « Inch Allah ! ».
Ces quelques rappels historiques en même temps que théologiques devraient permettre d’éclaircir certaines zones d’ombre qui obscurcissent la pensée de certaines bonnes âmes et qui jouent chez elles le rôle de ce que Freud appelait le « continent noir » quand il évoquait la psychologie féminine :
La Turquie a-t-elle jamais eu vocation à rejoindre un jour l’Europe, quand bien même serait-elle devenue alors un modèle de démocratie ? La réponse est évidemment non !
Est-il normal, acceptable, souhaitable, utile, nécessaire de donner des gages aux « autres » (selon la terminologie de Braudel) en gommant la croix rouge de nos véhicules sanitaires militaires ou en demandant à nos militaires féminins de porter le tchador sous prétexte que nous sommes chez eux (la plupart du temps à leur demande), alors que, sur le territoire national, ceux qui se revendiquent de l’Islam prient dans nos rues ? De la même façon la réponse est non !
Peut-on refuser aux Ukrainiens de s’intégrer à un ensemble « qui place l’homme et les valeurs humaines au-dessus des autres valeurs » ? Là encore, la réponse est non !
Inscrite dans le marbre d’un ersatz de constitution, la non référence à ses racines chrétiennes a scellé le destin de l’Europe. Celle-ci a opéré un virage identitaire et a renoncé à ses valeurs de civilisation. « Inch Allah ! ».
“Une minute de silence pour la France des morts” : Lettre ASAF du mois de novembre 2022
La minute de silence sur la tombe du Poilu Inconnu un an après la première minute de silence en France, Agence Meurisse, 1923 – source Gallica-BnF
il y a un siècle, le 11 novembre 1922, la France célébrait la première « minute de silence » de son histoire. Auparavant, l’hommage aux morts était marqué soit par le son des cloches, soit par celui des canons. C’est le président du Conseil d’alors, monsieur Raymond Poincaré, qui imposa cette nouvelle forme d’hommage.
“Une minute de silence pour la France des morts”
En ce mois de novembre 2022, un anniversaire risque de passer complètement inaperçu. En effet, il y a un siècle, le 11 novembre 1922, la France célébrait la première « minute de silence » de son histoire. Auparavant, l’hommage aux morts était marqué soit par le son des cloches, soit par celui des canons. C’est le président du Conseil d’alors, monsieur Raymond Poincaré, qui imposa cette nouvelle forme d’hommage.
Auparavant, en mai 1919, un journaliste et ancien combattant australien, Edward George Poney, avait proposé, dans une lettre ouverte au journal London Evening News, de substituer au caractère bruyant des célébrations d’alors un temps de recueillement silencieux. L’homme d’État sud-africain, Sir James Percy FitzPatrick, suggéra, lui, deux minutes de silence : une minute pour les morts et une autre pour les vivants. Le 27 octobre 1919, le roi George V rendit officielle cette mesure dans tout le Commonwealth. Depuis, cette tradition des deux minutes s’est perpétuée dans tous les pays anglo-saxons. En France, c’est donc la durée minimale qui a été choisie et encore, notre minute de silence est rarement respectée dans son intégralité.[1]
Nous sommes en novembre, mois dont les deux premiers jours sont dédiés au souvenir des morts et mois dont le onzième jour nous voit commémorer le souvenir de tous les morts de toutes les guerres. À cette occasion, nous pourrions aussi nous souvenir de ce que fut l’année 2020 lorsque l’épidémie de la Covid nous vit confinés, d’abord du 17 mars au 11 mai, puis du 30 octobre au 15 décembre. Les morts se comptaient mensuellement par milliers, parmi lesquels de nombreux personnels soignants. Alors, comme ce fut le cas pour les victimes des attentats, d’aucuns proposèrent que ces personnels soignants, morts de la Covid dans l’exercice de leur fonction, soient déclarés « Morts pour la France ». Cela ne fut pas possible puisque cette qualification est aujourd’hui réservée aux soldats tués lors d’opérations menées à l’extérieur du territoire national. Le lieutenant-colonel Beltrame, mort en mars 2018, dans des circonstances que tout le monde a encore en mémoire, n’a pu lui-même en bénéficier. C’est peut-être l’utilisation de la mention « Mort pour le service de la Nation » qui a été retenue pour le lieutenant-colonel Beltrame qui aurait été, dans le cas de la Covid, la plus pertinente. Elle permet l’inscription des noms des bénéficiaires sur les monuments aux morts et la reconnaissance de leurs ayants droit enfants comme « pupilles de la Nation ».
Pour autant, et compte tenu des circonstances sanitaires qui ont fait qu’au cours des mois terribles du printemps 2020, les familles des morts de cette épidémie, de tous les morts et pas seulement des soignants, n’ont pas eu la possibilité de leur rendre l’hommage qu’elles souhaitaient, nous pourrions réfléchir à « un geste » qui pourrait les aider à faire leur deuil demeuré jusque-là impossible.
Ce qui rend à ces familles l’épreuve de la mort de leur proche insupportable, c’est d’une part le fait d’avoir dû laisser le défunt mourir seul et d’autre part de n’avoir pas pu se réunir pour une cérémonie de funérailles. Il y eut là un « empêchement » à la réalisation de deux aspirations humaines parmi les plus profondes et de ce fait fondamentales.
Sans réunion pour un dernier adieu, sans cérémonie d’hommage, le deuil est encore plus douloureux. De surcroît, l’identité du défunt se fond dans le drame collectif. Son corps devient un parmi tant d’autres et, comme on n’a pas pu le voir, on a du mal à accepter la réalité de la perte ce qui est le premier objet du deuil. Ces décès deviennent alors des « disparitions » comme dans le cas des marins péris en mer où des soldats morts au combat dont on n’a jamais retrouvé la dépouille.
Depuis cette période extraordinaire, il y a toujours, aujourd’hui, quotidiennement, des morts « ordinaires » de la Covid. Au total, depuis le début de l’épidémie, cette maladie a déjà tué plus de 150 000 Français soit plus que les morts cumulées lors des guerres d’Indochine (83 300) et d’Algérie (25 000).
L’État devrait faire quelque chose pour aider la cicatrisation d’une plaie qui aura du mal à se refermer. Il faudra de sa part un geste fort à inventer pour créer un espace physique et psychique permettant d’annihiler un sentiment collectif d’impuissance voire de culpabilité. De nombreuses options sont possibles : une journée nationale dédiée à toutes les victimes, mais il y en a déjà beaucoup et celle-ci risque d’être diluée dans le nombre ; des noms gravés quelque part à l’instar de Ground zero à New York, mais où ? Dans chaque ville ou village ou en un lieu unique ?
Mais on pourrait aussi, plus simplement, lors d’une cérémonie de funérailles nationales rendre hommage, de façon collective, à toutes les victimes, sans aucune distinction, de cette épidémie, avec la pose d’une plaque commémorative dans un lieu symbolique (Invalides, Arc de Triomphe ?) et avec l’exécution d’une vraie minute de silence qui durerait… soixante secondes. La France que nous aimons, c’est aussi celle de tous ses enfants morts, quelles que soient les circonstances. Les morts de la Covid acquièrent une dimension nationale puisqu’ils sont les victimes d’un drame qui ne l’est pas moins. Ce sont nos morts à tous.
La RÉDACTION de L’ASAF www.asafrance.fr
[1] Un journaliste du Monde, Donald Walther, a chronométré les 83 minutes de silence observées à l’Assemblée nationale entre 1998 et 2016. Il en a fait la moyenne qui est de 32,47 secondes avec un minimum record à … 11 secondes.
” La « rentrée parlementaire » : un saut dans l’inconnu ? ” : Lettre ASAF du mois d’octobre 2022
Souvenez-vous : « Nous allons entrer dans un monde nouveau. Rien ne sera plus comme avant ». Voici le leitmotiv que des oracles autoproclamés nous ressassaient à l’envi, en 2020 et 2021, à longueur de confinements. …
La « rentrée parlementaire » :
un saut dans l’inconnu ?
Quand vous lirez ces lignes, nous serons en pleine « rentrée parlementaire ». Le mot rentrée, jadis, ne s’appliquait qu’au monde scolaire et marquait le retour des élèves dans les classes après les congés d’été que l’on nommait « les grandes vacances ». Aujourd’hui, ce terme s’applique à toutes les catégories de la société, chacune effectuant « sa rentrée », et donc, en particulier, à la classe politique et au Parlement. Il est temps, en effet, que le calendrier politique « normal » reprenne ses droits car, depuis l’élection présidentielle d’avril et les élections législatives de juin, nous avons assisté à une foire d’empoigne parlementaire qui n’a, en aucune façon, éclairci le débat. Quel sera le cap poursuivi lors de ce nouveau quinquennat alors que nous sommes, sur fond de guerre, au bord de l’inconnu ?
Ainsi, souvenez-vous : « Nous allons entrer dans un monde nouveau. Rien ne sera plus comme avant ». Voici le leitmotiv que des oracles autoproclamés nous ressassaient à l’envi, en 2020 et 2021, à longueur de confinements. Parmi eux, nombreux étaient les laudateurs de la mondialisation, du libéralisme effréné, du supranationalisme européen qui, devenus les émules des devins de la mythologie grecque, n’avaient pourtant jamais envisagé que le monde dans lequel ils se complaisaient puisse un jour disparaître.
Mais, à la vérité, ces pythies se trompaient. Après la pandémie qui, bien qu’atténuée, est toujours active, nous ne sommes pas entrés dans un nouveau monde, mais dans le monde ancien, celui de la guerre, d’une politique internationale faite de sanctions et de rétorsions, d’une résurgence « du sang, de la sueur et des larmes ».
Après avoir subi les effets destructeurs du productivisme et de la marchandisation, nous allons devoir nous réapproprier notre autonomie dans de nombreux domaines à commencer par notre capacité à nous protéger et à nous soigner, mais aussi à nous alimenter, à nous chauffer et à faire tourner nos usines sans dépendre de l’approvisionnement en matières premières ou en énergie de l’étranger.
Il nous faut entrer dans une véritable économie de guerre et pratiquer un retour à une souveraineté nationale « à l’ancienne » qui devra s’accompagner, bien évidemment, d’un contrôle aux frontières. Il faudra aussi reconquérir une complète indépendance dans les domaines militaire et diplomatique ce qui loin d’affaiblir notre pays lui permettra, au contraire, de mieux faire entendre sa voix dans le concert des nations. Seuls des projets communs avec des alliés européens sûrs devront être privilégiés.
Cela est d’autant plus prégnant que le conflit de haute intensité, tel que nos penseurs éclairés disaient qu’il n’en existerait plus jamais, qui a surgi en Ukraine, fait renaître la Guerre froide. Il faut donc d’urgence relocaliser sur notre territoire toutes les industries concourant à un contrôle national sur les secteurs vitaux pour la vie de la Nation et sa défense, comme les médicaments, l’énergie, la libre utilisation des moyens et infrastructures de transport et l’industrie d’armement.
C’est dans le domaine militaire qu’il faudra faire feu de tout bois en procédant à un réarmement massif de notre pays. En effet, aujourd’hui, notre armée est en situation de faiblesse ce qui la rend incapable de mener seule une opération militaire dans la durée contre une puissance régionale. Or, beaucoup de pays qui comptent dans le monde renforcent leurs moyens militaires et nous redécouvrons, à l’occasion de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, que ce sont toujours les rapports de force qui régissent les relations internationales.
Dans l’affaire ukrainienne, le combat de haute intensité auquel nous assistons avait été pressenti par le chef d’état-major des Armées qui ne cesse de répéter qu’il faut être capable de « gagner la guerre avant laguerre ». Cette forme de dissuasion « classique » nécessitera de notre part un effort considérable comme ce fut le cas pour la mise en place de notre dissuasion nucléaire dans les années soixante.
C’est bien là, aussi, un retour au monde d’hier où, au sortir de la Guerre froide, l’Occident a gagné la 3e guerre mondiale de la meilleure façon qui soit, c’est-à-dire en ayant évité de la faire, mais après avoir consenti de très importants efforts pour sa défense.
Faute de n’avoir pas, collectivement, poursuivi cet effort après l’effondrement de l’URSS et afin d’engranger au plus vite « les dividendes de la paix », nous demeurons aujourd’hui tétanisés devant le président russe qui, lui, dans une situation économique plus défavorable que la nôtre, a fortement augmenté le budget destiné à ses armées.
Dans son allocution du 14 juillet dernier, le président de la République, chef des Armées, s’est engagé à consentir l’effort nécessaire : dont acte. Mais, nous aurions préféré que les faits ne nous donnent pas raison et que cet effort fût engagé plus tôt.
Piqûre de rappel : le SNU vise essentiellement à impliquer la jeunesse française dans la vie de la Nation. Il n’est pas encore obligatoire mais le sera bientôt. Il a immatriculé cette année quelques 40 000 volontaires et concerne les jeunes entre 15 et 17 ans. Dans sa première phase, il comporte un séjour de cohésion de deux semaines et une mission d’intérêt général de 84 heures, réparties au cours de l’année. Les activités du séjour de cohésion sont structurées autour de 7 thématiques : activités physiques et sportives – autonomie, connaissance des services publics, accès aux droits – institutions nationales et européennes, citoyenneté – culture et patrimoine – Défense, sécurité et résiliences nationales – Développement durable et transition écologique – découverte de l’engagement. Les missions d’intérêt général se déroulent dans le cadre d’associations, de collectivités locales, d’institutions, d’organismes publics, de corps en uniforme.
Qu’est-ce que le SNU ? Pour répondre à cette question, approchons-nous de l’accroche officielle sur le site du gouvernement : « Vous avez entre 15 et 17 ans, vous êtes de nationalité française, vous souhaitez participer à la construction d’une société de l’engagement, bâtie autour de la cohésion nationale, ne ratez pas les inscriptions du Service national universel ! »
Eh oui, le SNU est l’un des moyens pour retrouver cette cohésion nationale en prenant comme ciment la jeunesse de notre pays, tout en lui permettant de s’engager plus facilement au sein de la société sur la base du volontariat ! Avant de s’engager, ne faudrait-il pas avoir conscience de notre État-nation qui découle de notre histoire commune ? Cette notion mériterait d’être abordée.
La montée en puissance de mon centre
La planification, gage de réussite, prend tout son sens dans la préparation, l’organisation et le déroulement du séjour de cohésion. Si nous voulons qu’une mission soit un véritable succès, il faut se donner des moyens. Le directeur devrait être recruté plus en amont pour être en mesure de mettre en place l’équipe la plus pertinente afin d’avoir un projet pédagogique le plus finalisé possible.
Tout commence par le recrutement, par l’Homme. Malgré les difficultés de recrutement, j’ai réussi à créer cet esprit de cohésion, de bienveillance et de camaraderie, aussi bien au sein de l’équipe d’encadrement que des jeunes volontaires. Nous ne faisons qu’un et nous veillons aux mêmes valeurs. Les retours positifs faits en direct ou à l’issue du séjour (lors de rencontres ou sur les réseaux sociaux par exemple) en sont la preuve.
Les constats sont assez simples. Nous n’avons que peu de postulants pour l’encadrement, plutôt jeunes, avec un profil d’étudiant, et ils sont déjà tous engagés dans la société française en tant que bénévoles dans le monde associatif (étudiant, sportif, culturel, humanitaire …). Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Que ce soit dans l’encadrement ou chez les jeunes volontaires, les filles sont majoritaires !
55,9 % des volontaires du SNU sont des filles. Photo DR
Avoir des encadrants engagés pour une mission « jeunesse engagée » est un atout non négligeable. Cela donne du sens à ce séjour. C’est pourquoi j’ai organisé lors de ce séjour une soirée pendant laquelle l’ensemble des membres de l’équipe a témoigné afin de partager leurs investissements divers et variés dans la société.
Nous devrions être sur un triptyque Éducation nationale, éducation populaire et Armées. Malheureusement peu de détenteurs de BAFA ou BAFD postulent. Et cette année, je n’avais aucun représentant de l’Éducation nationale au sein de mon équipe, sachant que l’an passé il n’y avait qu’un seul enseignant, mon adjoint pédagogique. Le manque de postulants peut s’expliquer par la méconnaissance du parcours SNU ainsi que par les conditions d’emploi, de rémunération et de considération humaine.
Une des forces a été de conserver, d’un stage à l’autre, quelques membres de mon encadrement. Il faudrait réussir à conserver une plus grande partie de l’encadrement d’un stage à un autre et avoir, parmi les membres de l’encadrement, des jeunes issus d’un SNU passé.
Le SNU, une source d’inclusion et d’émancipation
La tenue ou l’uniforme permettent de supprimer toute différence, quelle qu’elle soit. Tous les participants des stages de cohésion portent la même tenue. Elle est uniquement différenciée entre les jeunes volontaires et l’encadrement par la couleur de certains éléments.
Cours de secourisme, dispensé par des pompiers. Photo de l’auteur
Un regret selon moi, mais pas uniquement pour l’uniformité : la non-fourniture des chaussures. En 2019, nous avions tous la même tenue de la tête aux pieds ! Les chaussures étaient fournies. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Certains jeunes n’arrivent qu’avec une seule paire de chaussures et d’autres avec plusieurs paires de grandes marques. Ces chaussures fournies permettaient d’avoir une uniformité totale et, par conséquent, de supprimer tout signe de richesse extérieure et d’origine sociale. Il me semble donc dommage de ne pas conserver cette absence de marqueur social et sociétal.
Les jeunes sont accueillis avec toutes leurs différences physiques, intellectuelles, sociales, … Tout est fait pour leur permettre de vivre pleinement ces deux semaines en inclusion totale, qu’ils soient valides, en fauteuil roulant ou avec certaines faiblesses.
Quelques moments forts
Les rituels républicains sont l’un des piliers de ce stage de cohésion. La levée et la descente des couleurs marquent le rythme quotidien. Je mets un point d’honneur à ce que tous les jeunes y participent ainsi que tout l’encadrement. Nous pourrions faire un parallèle avec les écoles primaires dans lesquelles les jeunes sont accueillis le matin à un endroit spécifique de leur classe afin de découvrir leurs missions en classe, leurs activités de la journée, de faire le point sur le repas du midi. C’est un moment fort pour la cohésion d’une classe, d’un groupe et un point clé pour l’organisation avec, entre autres, le rappel du déroulé de la journée.
Initialement, nous ne chantions La Marseillaise que le matin à la levée des couleurs. À la demande de la grande majorité des jeunes et des tuteurs, nous le faisions dès le troisième jour à la descente des couleurs. C’est dans ces moments que nous voyons que les débats entre certains adultes sont déconnectés de la réalité terrain et des désirs de notre jeunesse.
Nous avons pu profiter pleinement de la journée du 18 juin pour faire vivre les rituels républicains en dehors du centre et ainsi permettre à nos jeunes volontaires de participer à la commémoration dans trois communes différentes. C’était un moment fort en présence du sous-préfet, d’élus du peuple, de représentants de différentes associations, de citoyens, … Une chance pour certains qui participaient pour la première fois à ce type de cérémonie. Un moment enrichissant intergénérationnel à l’issue duquel beaucoup d’échanges ont eu lieu.
Ceci donne du sens à différentes interventions dont la journée défense mémoire dite JDM qui permet à nos jeunes de découvrir l’organisation d’une cérémonie officielle, et de valider en même temps leur JDC (Journée Défense Citoyenneté). Cette journée rend les volontaires acteurs lors de ce séjour grâce aux rencontres avec des officiels.
Cette journée est aussi riche que celle dite de la sécurité intérieure qui leur permet de comprendre, et de voir, sur un accident de la route, l’intervention conjuguée des pompiers et des gendarmes .Les institutions et la jeunesse se rapprochent ainsi. C’est tout simplement de la proximité !
Nous avons vécu une soirée bivouac. Elle a permis à une partie de nos jeunes de vivre cette expérience pour la première fois : préparer un barbecue, monter et démonter une toile de tente, dormir en dehors d’un logement en dur. Ces moments forts sont aussi importants pour la cohésion des compagnies et la connaissance de soi en tant qu’individu.
Des jeunes volontaires en visite sur un chantier de Naval group, devant la coque tout juste mise à flot du Jacques Chevalier, le premier des quatre futurs navires de ravitaillement de la marine nationale. Photo de l’auteur.
Ils sont acteurs de leur séjour par le biais de certains débats ou réunions tels que les conseils de maisonnée quotidiens, ceux des compagnies et du centre.
Que retenir du SNU ?
La rigueur, la discipline, le respect et tant d’autres choses exigées des jeunes et de l’encadrement permettent d’assimiler plus facilement la notion des droits et devoirs, de faire vivre et de vivre pleinement les valeurs républicaines.
Le SNU permet de renforcer la cohésion nationale grâce à la rencontre de jeunes venus des cinq départements de la région des Pays-de-la-Loire, et grâce à différentes journées de rencontre avec des administrations et institutions. Il permet aussi de découvrir la culture de l’engagement, de permettre un accompagnement de certains jeunes en insertion sociale et professionnelle grâce à la rencontre avec la mission locale et au forum des métiers.
Le plus beau cadeau à l’issue de ce séjour est le retour positif des jeunes et de leurs parents qui nous remercient de notre investissement et de l’expérience unique vécue par leur enfant.
Et demain, quel SNU ?
Pour participer actuellement au séjour, la nationalité française est une exigence. Ce point particulier est un petit regret personnel. Le SNU devrait être un véritable outil d’intégration. Les jeunes d’origine étrangère qui suivent la scolarité en France devraient avoir la possibilité de vivre cette quinzaine, qui permet d’appréhender certains principes républicains et certaines valeurs de notre société. Ne serait-pas l’une des meilleures méthodes pour intégrer les jeunes arrivant sur notre territoire national ? J’espère donc que ce critère disparaîtra rapidement.
Le SNU de demain devra aussi intégrer la notion d’État-nation dans l’instruction. Elle se situe en amont de celle de l’engagement. S’engager c’est bien, mais comprendre l’environnement c’est mieux.
Une expérience est mise en œuvre cette année par une association d’éducation populaire afin de fournir un centre « clés en main » au ministère de tutelle, l’Éducation nationale. Une partie des jeunes volontaires s’attendaient à vivre ce séjour différemment. Ils auraient aimé avoir un « côté plus militaire ». Ceci est impossible, mais ayant une appétence pour la discipline, la rigueur et l’exemplarité, je réfléchissais à une autre proposition : monter un centre avec une prédominance en management de la doctrine militaire.
Je pense que les dernières prises de paroles vont dans ce sens. En ayant plusieurs pédagogies de fonctionnement avec une finalité identique, ne serait-ce pas une preuve d’adaptation de notre société à la jeunesse actuelle ?
Cet article a été publié dans la revue « engagement » de l’ASAF
(*) Laurent Morissaud, fort d’une déjà longue expérience professionnelle dans l’entreprenariat, est directeur de centre du SNU. Il ne manque pas de rappeler combien il doit aux logiques de la promotion sociale. Sur le plan militaire, il est un pur produit du service militaire pendant lequel il a occupé les fonctions de chef de peloton. Il est actuellement réserviste opérationnel au sein du Détachement militaire d’appui à la sûreté portuaire. Il a décidé de participer à l’aventure du Service national universel depuis 2019 ; il a notamment dirigé le centre du SNU à La Turballe en Loire-Atlantique en juin 2022.
ESPRITSURCOUF et l’ASAF coopèrent en procédant de manière épisodique à des publications mutuelles de certains de leurs articles respectifs. L’idée étant de favoriser, ainsi, des possibilités plus étendues de lire des analyses consacrées à des questions géopolitiques, de Défense et de sécurité.
Aussi, pour découvrir l’ASAF, si vous ne la connaissez pas encore, nous vous suggérons : d’aller sur le site de l’ASAF. https://www.asafrance.fr/.
L’ASAF (Association de Soutien à l’Armée Française), association loi de 1901 a été créée en 1983. Elle regroupe tous les citoyens qui estiment que l’armée doit demeurer au « cœur de la Nation », c’est-à-dire une priorité pour l’État et une préoccupation pour les Français. Indépendante de tout pouvoir, sans aucun caractère politique ou syndical, ne sollicitant aucune subvention de l’État, elle s’exprime en toute liberté, avec rigueur et sans polémique, dans le seul souci de l’intérêt supérieur du Pays. Son but est de sensibiliser et d’informer tous les Français sur les questions militaires et de Défense, de défendre l’honneur de l’armée et de ses soldats s’ils sont injustement mis en cause pour des actions ordonnées par les autorités politique françaises, et d’affirmer son soutien envers eux.
” La vérité du temps ” : Lettre ASAF du mois de septembre 2022
Le 19 octobre 1950, quelques jours après que, dans la bataille de la Route coloniale numéro 4 (RC4), en Indochine, les forces françaises présentes furent pratiquement anéanties et perdirent 5 000 hommes. Ce jour-là, monsieur Pierre Mendès France, depuis la tribune de l’Assemblée, sut trouver les mots justes pour ébranler la conscience des députés …
La vérité du temps
Il est extrêmement rare qu’au sein de l’hémicycle de notre Assemblée nationale, les députés présents, saisis par la force morale et la rigueur intellectuelle sans faille de l’orateur se trouvant à la tribune, abandonnent momentanément les consignes de leur parti pour redevenir un court instant des personnes et non plus des « raisons sociales ».
Ce fut le cas le 19 octobre 1950, quelques jours après que, dans la bataille de la Route coloniale numéro 4 (RC4), en Indochine, les forces françaises présentes furent pratiquement anéanties et perdirent 5 000 hommes. Ce jour-là, monsieur Pierre Mendès France, depuis la tribune de l’Assemblée, sut trouver les mots justes pour ébranler la conscience des députés qui se trouvaient en face de lui. Il leur expliqua, alors, que pour sortir de la crise indochinoise, il n’y avait qu’une alternative : soit multiplier par trois les moyens militaires engagés, hommes et matériels, et donc multiplier par trois le budget des armées, soit rechercher un accord politique avec l’adversaire. Les deux options ayant été refusées, c’est pourtant la seconde que la France, gouvernée par monsieur Mendès France lui-même, fut contrainte de mettre en œuvre trois ans et demi plus tard, à Genève, après sa défaite à Diên Biên Phu.
Parfois, en effet, il peut arriver que du haut des quelques marches qui conduisent à la place de l’orateur, celui-ci, faisant abstraction de l’habituelle componction qui s’attache à l’exercice, réussisse à fendre un instant l’ordinaire dialogue narcissique auquel les élus présents à l’Assemblée se livrent habituellement. On peut alors apercevoir d’un coup, brutalement, pour la durée d’une éclipse, l’égoïsme de chacun refoulé au profit de l’intérêt général, c’est-à-dire au profit de la vérité du temps.
Les forces armées françaises sont engagées, sans discontinuer, depuis la fin de la guerre d’Algérie, dans ce que l’on nomme des OPEX (opérations extérieures). Au cours de ces cinquante dernières années, à la date du 25 juillet 2022, 779 militaires ont été tués au combat et, de l’aveu récent d’un chef d’état-major des Armées, on compte entre 250 et 300 blessés par an, dont certains très gravement atteints et nécessitant de lourdes amputations. Pourtant, depuis quand, s’agissant de l’engagement de nos soldats, n’a-t-on pas connu à l’Assemblée un tel moment ?
À notre connaissance, les dernières personnalités qui ont réussi à provoquer un frémissement de tout l’hémicycle, à générer un mouvement de houle silencieux recouvrant des visages surpris ou tendus, furent madame Simone Veil lors de son discours précédant le vote de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, le 17 janvier 1975, et monsieur Robert Badinter lors de sa présentation du projet de loi sur l’abolition de la peine de mort, le 9 octobre 1981.
Quand, au sujet de nos soldats qui font la guerre tous les jours, y aura-t-il un homme ou une femme qui, par le seul magnétisme de son verbe, saura nous faire revivre un tel moment d’exception ? Certes, l’exercice n’est pas facile et l’orateur, homme ou femme, doit se sentir bien seul à la tribune dans un tel moment. Armé de sa seule conviction, il doit être animé d’une foi profonde dans laquelle puiser et capable de se renforcer à la source et au fur et à mesure des mots prononcés.
Au cours de ces trente derniers mois, on a souvent assisté à des hommages, rendus par une Assemblée debout, aux personnels soignants de toutes catégories pendant les phases aiguës de la crise sanitaire de la Covid ou, plus récemment, aux sapeurs-pompiers engagés pour lutter contre des feux de forêt ayant atteint des intensités jamais égalées dans plusieurs régions de France. De même, pour chacun de nos soldats tués au combat, une minute de silence est respectée dans l’hémicycle.
Mais ce dont nos soldats ont besoin, ce ne sont pas des hommages, en particulier lorsqu’ils sont morts. Ce sont des voix capables de convaincre le président de la République et le gouvernement de fournir à nos armées les moyens nécessaires à un réarmement massif pour soit « gagner la guerre avant la guerre », soit avoir la capacité d’être engagées dans des combats de haute intensité et dans la durée (général d’armée Burkhard).
Ce que nos soldats et ceux qui les soutiennent attendent, c’est, à la tribune de l’Assemblée, un Danton : « Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la Patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! » ou un Clemenceau : « Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique extérieure, je fais toujours la guerre. Je fais toujours la guerre ».
À l’aube de son second mandat, le président de la République, chef des Armées, conscient de la dégradation inquiétante de la situation internationale liée à la guerre en Ukraine, s’est engagé à réévaluer sensiblement les annuités qui restent à courir de la loi de programmation militaire 2019-2025. Nous y serons très attentifs, car il s’agit là d’un nouveau rendez-vous avec la vérité du temps.
Lorsqu’en Afghanistan, à la fin de l’hiver 2000-2001, pour des raisons plus identitaires que religieuses, les talibans détruisirent à l’explosif les Bouddhas de Bâmiyân, le monde entier exprima son indignation devant ce « crime contre la culture » perpétré par des barbares.
Pourtant, en juin 2020, à Bristol, en Grande-Bretagne, on déboulonna des statues et, à Oxford, on menaça de le faire, cédant ainsi à une déferlante iconoclaste déclenchée par la mort de Georg Floyd, à Minneapolis, aux États-Unis. En effet, c’était à un mouvement mondial antiraciste auquel nous assistions et qui, symboliquement, réclamait la destruction de toutes les statues honorant des personnalités qui ont, de près ou de loin, pratiqué ou favorisé la traite négrière et l’esclavage.
Mais d’une part, ceux qui manifestèrent à Oxford n’avaient en aucune manière été victimes de ce qui fut longtemps et dans beaucoup d’endroits un système juridique et social au service de l’économie et d’autre part, s’agissant particulièrement de la Grande-Bretagne qui le pratiqua et l’utilisa abondamment pour étendre sa puissance, un système sans lequel Oxford n’existerait sûrement pas.
Le « débat », si l’on peut parler ainsi, car bien qu’étant citoyens de pays démocratiques, les iconoclastes en cause ne le pratiquent guère, est immédiatement arrivé en France, au cours de ce même mois de juin 2020, où il a pris pour cible la statue de Jean-Baptiste Colbert, instigateur du Code noir, cadre juridique de l’esclavage dans les colonies françaises, rédigé sous Louis XIV et publié deux ans après la mort de son auteur. Cette statue est d’autant plus symbolique qu’elle est située devant le fronton de l’Assemblée nationale, le « temple » de la République. Le cas de Colbert est particulièrement intéressant. En effet, entièrement dévoué à son roi, symbole de la monarchie absolue, il s’est vu transformé en mythe du grand serviteur de l’État par la IIIe République, elle-même grand artisan de la construction de l’empire colonial français. Le personnage transcende donc la Monarchie et la République pour se confondre avec l’Histoire de la France.
La Révolution française s’était déjà attaquée aux statues. Elle a défiguré nombre de nos monuments en décapitant nos rois de pierre, en particulier dans nos églises et sur les façades de nos cathédrales. Pour autant, a-t-elle fait disparaître ceux-ci de notre Histoire dont ils occupèrent plus de mille années ? Les visiteurs ne se pressent-ils pas toujours à Versailles, Fontainebleau, Chambord ou Chenonceau ?
Mais, pour revenir au seul sujet de l’esclavage, quels sont les pays qui, à un moment ou à un autre de leur histoire ne l’ont pas pratiqué ? Pratiquement tous les pays européens y ont eu recours, les États-Unis évidemment, mais aussi nombre de peuplades (plutôt que de pays) arabes, africaines ou asiatiques. Les campagnes et razzias des pirates et corsaires barbaresques se sont étendues le long des côtes européennes de la mer Méditerranée pendant des siècles (sacs d’Ostie et de la Basilique Saint-Pierre de Rome en 846, de Trogir en 1123, d’Otrante en 1480) et dans l’océan Atlantique (raids sur l’Islande en 1627), mais aussi au large avec la piraterie contre tous les navires chrétiens. À chaque fois, une moisson d’esclaves européens était saisie et ramenée chez eux par ces pirates.
Le débat tournait-t-il vraiment autour d’une juste vision de notre Histoire quand fut détruite, le 22 mai 2020 soit avant l’épisode de Bristol, à Fort-de-France (Martinique), la statue de Victor Schoelcher, promoteur de l’abolition de l’esclavage en 1848 ? Ou bien n’était-ce pas plutôt une vision « racialisée » de cette Histoire préférant mettre en avant des militants nationalistes plutôt qu’un député blanc ?
À Paris, toujours en 2020, la statue de Voltaire qui trônait depuis 60 ans square Honoré-Champion, à deux pas de l’Académie française, a été recouverte de peinture rouge, tout comme celles de Gallieni et de Cuvier, personnages accusés comme Colbert d’être en lien avec l’ère coloniale. La dernière fois que la statue de Voltaire a été vue remonte au 17 août 2020. Elle aurait été retirée par la mairie de Paris pour être nettoyée. Cela fait bientôt deux ans et madame Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française, s’en inquiète fort justement.
À Rouen, en septembre 2021, le maire de la ville proposa de ne pas remettre en place la statue de Napoléon après sa rénovation et de la remplacer par une autre figure « emblématique », comme celle de Gisèle Halimi, fervente défenseuse des droits des femmes mais aussi défenderesse et « porteuse de valise » du FLN algérien. Après un vote des habitants de la ville favorable à son maintien, la statue a été remise en place. Ouf !
Et puis voilà qu’en avril de cette année 2022, en Loire-Atlantique, à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, au sud de Nantes, la statue du général de Lamoricière, « vainqueur d’Abd el-Kader », fut, elle aussi, menacée de déboulonnage. Le bronze avait été inauguré en 1909 dans le centre de Constantine, en Algérie, sur le lieu même d’un assaut du général de Lamoricière. En 1962, à la fin de la guerre d’Algérie, la statue avait été rapatriée à Marseille, avant d’être revendiquée par le maire de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu et d’être à nouveau inaugurée dans cette ville en 1969.
Faire la part entre l’indispensable travail de mémoire permettant la nécessaire transmission du passé quel qu’il fut et le refus de célébrer les personnages dont la pensée ou le comportement ne sont plus jugés, aujourd’hui, honorables, ne peut résulter que d’un sérieux débat mêlant citoyens, élus, enseignants et historiens et non pas de coups de force à vocation médiatique plus que mémorielle.
Mais ce débat ne doit pas devenir l’alibi d’une racialisation à l’américaine. Il existe peut-être dans certains de nos paysages urbains, quelques statues d’acteurs de notre passé colonial voire esclavagiste. On pourrait en dresser l’inventaire et, localement, si et seulement si la question se pose et après une complète et précise explication donnée au public sur leur origine, décider par des voies démocratiques (référendum local, décision du conseil municipal en séance publique ?) de leur élimination ou de leur conservation. En réalité, la clé de cette question réside dans la phrase citée dans le film documentaire de Chris Marker et Alain Resnais sur l’esclavage[1] : « Rien ne nous empêcherait d’être ensemble les héritiers de deux passés, si cette égalité se retrouvait dans le présent. »
Lors des manifestations du 1er mai 2022 à Paris, une femme de 38 ans s’est acharnée sur un pompier qui, une lance à incendie à la main, s’efforçait d’éteindre divers matériaux entassés sur la chaussée puis enflammés par des manifestants. Cette « manifestante » voulait absolument empêcher le pompier de venir à bout des flammes qui menaçaient les véhicules et magasins environnants.
Lors des manifestations du 1er mai 2022 à Paris, une femme de 38 ans s’est acharnée sur un pompier qui, une lance à incendie à la main, s’efforçait d’éteindre divers matériaux entassés sur la chaussée puis enflammés par des manifestants. Cette « manifestante » voulait absolument empêcher le pompier de venir à bout des flammes qui menaçaient les véhicules et magasins environnants.
Interpelée, elle a été poursuivie pour « violences sur personne chargée d’une mission de service public, outrage, rébellion, participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations lors d’une manifestation et entrave à l’arrivée des secours destinés à combattre un sinistre dangereux pour les personnes ». Elle devait être jugée en comparution immédiate le 4 mai, mais son avocat a obtenu un délai pour mieux préparer sa défense et le procès a été reporté au 1er juin.
Les juges qui ont accepté cette demande ont fait preuve d’une inexplicable mansuétude car de nombreuses vidéos retraçant la scène ont circulé ne laissant aucune place au doute. On y voit la « suspecte », casque orange sur la tête et sac à dos rouge, tenter d’arracher la lance à incendie du pompier. Après plusieurs essais infructueux, elle lui assène deux coups sur le casque avant d’être maîtrisée. Le pompier a porté plainte.
Le 1er juin, le verdict a été rendu en l’absence de l’intéressée : 10 mois de prison ferme et une année d’interdiction de manifester. Il faut reconnaître que, par comparaison avec bien d’autres condamnations pour divers délits, cette sentence est assez sévère. Mais rien n’est encore définitif car l’avocat de la condamnée a fait appel.
Cette nouvelle agression vis-à-vis des pompiers de Paris qui, rappelons-le, sont des militaires et dont la mission est de protéger les personnes et les biens, est incompréhensible. En outre, on voyait sur le visage et dans les attitudes de cette femme une furie, une sauvagerie qui ne peuvent susciter que du dégoût. Honte à elle !
Mais ce triste épisode n’est qu’un exemple d’un fait sociétal inquiétant. Les violences à l’encontre des membres des services de secours à la personne, médecins et pompiers, se multiplient et aucune région n’est épargnée.
Applaudis lors des défilés du 14 juillet, les pompiers sont de plus en plus souvent pris pour cibles lors de leurs interventions : insultes, crachats, jets de pierre. Durant les dix dernières années, les actes de violences verbales et physiques à leur encontre, sur les lieux de leurs interventions, ont triplé.
Pour les pompiers comme pour les médecins, ces violences ne sont plus réservées aux quartiers sensibles : les actes malveillants se déroulent désormais partout. Les soldats du feu se font agresser chez « monsieur et madame Tout-le-monde », que ce soit dans les grandes villes ou à la campagne. De surcroît, on est passé des insultes ou quolibets aux agressions physiques sur les intervenants ou sur leur matériel et même aux menaces de mort. En outre, très souvent, ce sont les personnes auxquelles il est porté secours qui sont elles-mêmes les agresseurs et, parfois, l’appel au secours n’est qu’un stratagème pour attirer les pompiers afin de les attaquer.
Face à ce phénomène, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a lancé le 20 août 2021 un nouveau plan de prévention et de lutte contre les agressions de sapeurs-pompiers. Que dit ce plan ? Il demande aux préfets d’ « élaborer des procédures spécifiques pour l’intervention dans les zones sensibles, d’évaluer régulièrement la situation dans ces secteurs, d’engager systématiquement un appui de la Gendarmerie ou de la Police lorsque la protection physique des pompiers est en jeu, de prévoir les conditions dans lesquelles les pompiers peuvent rester en retrait, dans l’attente des forces de l’ordre, de faciliter les relations interservices, de collaborer de manière plus active avec le SAMU et de se rapprocher des polices municipales pour définir les actions pouvant être engagées afin d’assurer une meilleure coordination opérationnelle ».
La protection des sapeurs-pompiers passe aussi par la mise en place d’équipements individuels et collectifs. Le ministre en cite certains : la protection des vitres latérales des véhicules, les caméras-piétons et le gilet pare-lames pour le personnel. Pour les caméras, l’enregistrement est déclenché en cas de tensions par le pompier qui porte le dispositif. Il a valeur de preuve devant la Justice en cas d’agression.
Mais on compte sur les pompiers eux-mêmes pour mieux détecter et appréhender les situations pouvant se dégrader et acquérir les réflexes de sauvegarde en leur délivrant une formation spécifique. À partir d’un socle national commun aménagé en 2021, chaque service doit « dès maintenant intégrer ces axes dans le parcours de formation du sapeur-pompier, qu’ilsoit professionnel ou volontaire ». En un mot, « Aide-toi et le ciel t’aidera ».
Il apparaît cependant dans tout cela que l’on ne parle guère de sanctions pénales pour les agresseurs. Il est vrai que cela n’est pas du ressort du ministre de l’Intérieur mais du Parlement qui fait les lois. Aujourd’hui, toutes les agressions ne font pas l’objet d’une plainte. Il devrait donc y avoir obligation pour les responsables des sapeurs-pompiers, comme cela a été fait le 1er mai par le général commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, de déposer systématiquement plainte. La collaboration entre pompiers et autorité judiciaire devrait être fortement renforcée et, dès les plaintes déposées, des enquêteurs devraient auditionner les sapeurs-pompiers victimes, dans leur centre d’incendie ou de secours.
En vérité, la solution à ce problème réside dans le pouvoir des juges qui devraient appliquer le maximum des peines prévues par la loi dans tous les cas de « violences sur personne chargée d’une mission de service public ». En outre, si ces peines sont insuffisamment dissuasives, il revient au législateur de les rendre plus sévères. Dans le cas contraire, le phénomène ne fera qu’empirer et la Justice signifiera alors clairement à nos concitoyens les plus démunis, ceux qui n’ont plus pour ultimes sauvegardes que la Police, la Gendarmerie, les pompiers et les médecins, que la République les abandonne.
” À propos des soldats français en Algérie, un président ne devrait pas dire cela ! ” : Lettre ASAF du mois d’avril 2022
Dans sa longue quête mémorielle destinée à réaliser une impossible réconciliation entre la France et l’Algérie, le président de la République a ajouté une étape le mercredi 26 janvier 2022 à l’Elysée.
Dans sa longue quête mémorielle destinée à réaliser une impossible réconciliation entre la France et l’Algérie, le président de la République a ajouté une étape le mercredi 26 janvier 2022 à l’Elysée.
Rappelez-vous, ce véritable chemin de croix avait commencé en février 2017 à Alger, lorsque Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle, avait déclaré sur un média algérien que la colonisation avait été un « crime contre l’humanité », que la France « devait présenter ses excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avions commis ces gestes ».
Puis, le Président commanda à l’historien Benjamin Stora un rapport destiné à apaiser les mémoires rivales entre la France et l’Algérie autour de la guerre. Ce document, remis le 20 janvier 2021, proposait très modestement de dresser des « passerelles sur des sujets toujours sensibles » (disparus de la guerre, séquelles des essais nucléaires, partage des archives, coopération éditoriale, réhabilitation de figures historiques…). Mais, à sa lecture, il apparaît très nettement que la majorité des pas en avant attendus le sont de la France.
Le 26 janvier, la cible visée était les rapatriés d’Algérie qui, depuis l’accession à la présidence de monsieur Macron, estimaient n’avoir reçu de lui aucun message de soutien ou de sympathie. Le palliatif à ces manquements passés a consisté à revenir sur la fusillade de la rue d’Isly à Alger, dans laquelle des dizaines de partisans de l’Algérie française furent tués par l’armée le 26 mars 1962. Le Président décrivit alors cet événement tragique en soulignant que « les soldats français, déployés à contre-emploi, mal commandés, ont tiré sur des Français ». « Ce massacre du 26 mars 1962 est impardonnable pour la République »ajouta monsieur Macron.
Il est vrai que pour faire bon poids et dans le cadre du « en même temps » qui lui est coutumier, le Président condamna aussi les massacres perpétués à Oran par des Algériens, le 5 juillet 1962, qui firent entre plusieurs centaines et deux mille victimes parmi lesquelles des femmes et des enfants.
Mais revenons à la rue d’Isly. Alors que le cessez-le-feu ouvrant la voie à l’indépendance de l’Algérie a été proclamé le 18 mars, plusieurs milliers de partisans de l’Algérie française sont appelés par l’OAS (Organisation armée secrète) à se diriger le 26 mars vers le quartier de Bab-el-Oued, refuge de membres de l’OAS, afin de forcer les barrages installés par l’armée française après plusieurs meurtres de jeunes du contingent par cette organisation. Ils sont invités à s’y rendre « sans armes » et « drapeau en tête », alors que la manifestation est interdite par le préfet.
À partir de là, différentes versions circuleront. Cependant, selon l’une d’elles, certes contestée notamment par des familles des victimes, ce sont des tirs visant les militaires depuis une fenêtre ou un toit, rue d’Isly, qui enclenchent en retour, de la part des tirailleurs gardant le barrage, la fusillade vers la foule paniquée.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas admissible que 60 ans plus tard, un président de la République, chef des Armées, porte dans un discours politique un tel jugement sur la façon dont les soldats étaient alors commandés. Est-il utile de rappeler que les soldats « mal commandés » d’alors, étaient, comme ceux d’aujourd’hui, sous les ordres du pouvoir politique ? Faire porter le chapeau aux militaires est une coutume dans notre République dès lors que cela permet d’épargner les responsables politiques. C’est le même procédé qui a été utilisé pour fustiger les « fusilleurs pour l’exemple » de la Grande Guerre.
Le préfet avait interdit la manifestation. Le préfet, c’est le représentant local de l’État et c’est donc l’État qui, en premier lieu, a failli en ayant été incapable de faire exécuter ses directives. Alors que les historiens eux-mêmes ne sont pas d’accord sur les circonstances du drame et sur le nombre de victimes, n’aurait-il pas été préférable, plutôt que d’asséner un jugement péremptoire, d’annoncer la création d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur toutes les zones d’ombre de cette sinistre journée ?
De même, sur le 5 juillet 1962 à Oran, le Président est passé un peu vite. Il aurait pu exiger de l’Algérie l’ouverture de ses archives sur cette tragédie, la reconnaissance par celle-ci de l’existence de charniers, près d’Oran, qui renferment des centaines de corps de victimes françaises de même que leur restitution en vue de leur identification. Il faut arrêter de donner des gages à l’Algérie en espérant un retour qui n’arrivera jamais.
Quant aux rapatriés d’Algérie, leurs responsables estiment que « M. Macron a reconnu le plus simple, l’aspect mémoriel, mais n’a pas franchi le pas de l’indemnisation », évoquant une revendication toujours présente chez certaines associations en dépit de compensations financières déjà versées mais critiquées comme « partielles ». Ainsi, l’utilisation de l’armée comme bouc émissaire afin de gagner les bonnes grâces des pieds-noirs apparaît vaine. La phraséologie macronienne débouche donc sur un double échec : ses relations avec les rapatriés ne se sont pas franchement réchauffées depuis le 26 janvier pas plus que celles avec les militaires.
« Le chemin tortueux de la repentance ne peut que s’enliser dans les sables mouvants[2]. »
“La résilience, c’est pour le jour d’après” : Lettre ASAF du mois de février 2022
Le 25 mars 2020, au titre de sa contribution à l’engagement interministériel contre la propagation de l’épidémie de la Covid-19 dont nous n’étions, hélas, qu’aux prémices, l’armée française menait une opération militaire sur le territoire national baptisée Résilience.
Le 25 mars 2020, au titre de sa contribution à l’engagement interministériel contre la propagation de l’épidémie de la Covid-19 dont nous n’étions, hélas, qu’aux prémices, l’armée française menait une opération militaire sur le territoire national baptisée Résilience. Cela ne fit que conforter, dans l’esprit de nos concitoyens, l’assimilation de ce terme avec l’idée de résistance, de réaction face à l’adversité dans le moment présent. Or, il s’agit là d’une acception partiellement erronée de ce mot, car la résilience, c’est surtout la reprise d’un nouveau développement, d’une nouvelle marche en avant, après un traumatisme auquel, en effet, il a fallu préalablement résister.
La résilience, ce sera donc surtout pour le jour d’après, quand nous serons sortis de l’épidémie ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Dès le début de celle-ci, c’est-à-dire il y a maintenant près de deux ans, nous écrivions : « Après des morts nombreux et, tant au niveau des certitudes de chacun que des relations entre le citoyen et l’État, il faudra reconstruire et réapprendre à vivre. Peut-être aussi notre société devra-t-elle inventer une nouvelle culture ? Alors, il faut s’y préparer dès maintenant. »
Pour l’heure, rien n’a véritablement changé et nous n’en sommes pas encore là. Alors, espérons que demain, après l’épidémie dont on nous annonce chaque mois la fin pour le mois suivant, nous aurons pris conscience de nos excès souvent liés à notre individualisme pour aller vers, précisément, une résilience collective. Peut-être s’interrogera-t-on sur notre désir d’accumuler sans cesse des objets souvent venus d’ailleurs, sur nos habitudes alimentaires ayant conduit à une agriculture excessive avec des élevages industriels disproportionnés ? On y regardera peut-être à deux fois avant de sauter dans un avion pour aller passer une semaine de vacances en Thaïlande ou au Mexique. On se posera aussi certainement la question de savoir pourquoi, alors qu’en Occident les conditions matérielles de vie n’ont jamais été aussi favorables, il n’y a jamais eu autant de dépressions et de maladies psychiatriques diverses.
En France, le concept de résilience a été introduit dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale dès 2008 et repris dans celui de 2013, ce qui a conféré à ce mot de la visibilité voire une certaine notoriété. Dans ces documents, il est écrit qu’au niveau de la nation entière « la résilience se définit comme la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeure, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou tout le moins dans un mode socialement acceptable. Elle concerne non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile toute entière ».
L’accroissement de la résilience sociétale a été défini comme l’un des objectifs de la stratégie de sécurité nationale française. Dans une certaine mesure, les armées peuvent y participer. Leur apport est d’autant plus intéressant que les sociétés modernes semblent avoir développé une aversion à certains risques comme le montre le développement excessif du principe de précaution. Or, la résilience est fondée sur une modification des logiques de lutte contre les risques et les menaces ; il ne s’agit plus d’appliquer le principe du « risque zéro » en tentant d’anticiper tous les problèmes potentiels, mais bien de lui substituer une logique du risque accepté car estimé assimilable par le pays.
Face à la survenue d’événements de grande ampleur sur le territoire national, la participation des armées est souvent limitée à la mise à disposition de moyens, matériels et humains, au profit des gestionnaires de crise. Cette dimension est particulièrement importante pour trois raisons. La première réside dans le fait que les armées et services du ministère des Armées sont parfois les seuls (ou presque) à disposer de certains équipements et compétences spécifiques. Secondement, le statut général des militaires impose une sujétion en tout temps et en tout lieu des personnels, fort utile dans ces contextes particuliers. Enfin, et surtout, les soldats sont pour la plupart des individus habitués et préparés à agir en période de crise. Les différents plans adoptés dans notre pays prévoient ainsi la possibilité de réquisitionner personnels et matériels militaires.
Mais limiter la contribution des armées au renforcement de la résilience nationale à leur seule participation à la gestion de crises particulièrement aiguës a pour conséquence de se priver des autres ressources dont elles disposent et qui pourraient utilement être mises au profit de la société en de nombreuses autres circonstances. Cela existe d’ailleurs déjà à travers des unités militaires spécialisées comme la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, le bataillon de marins- pompiers de Marseille, les unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile ou encore les hôpitaux d’instruction des Armées. Il suffirait pour cela de consentir une augmentation des effectifs et du budget des armées permettant de couvrir ces dépenses nouvelles.