Cet officier britannique sert en ce moment dans l’armée française, dans le cadre d’une coopération de défense unique. A l’occasion de la visite cette semaine du roi Charles III, il en explique les avantages concrets.
Depuis l’été 2021, le général de brigade Jon Cresswell est général adjoint « opérations » à l’état-major de la 1ère division de l’armée de Terre française, basé à Besançon ; dans le cadre des échanges d’officiers renforcés depuis le traité d’Amiens, en 2016, un général français est en même temps général adjoint de la 1ère division britannique, à York. Après sa formation initiale à l’Académie royale militaire de Sandhurst, Jon Cresswell a surtout servi dans l’artillerie de marine, en Afghanistan, dans les Balkans ou en Norvège, mais aussi dans les blindés en Irak, puis au Sahel dans le cadre de la Force multinationale mixte déployée contre Boko Haram.
C’est en France que ce francophone a suivi sa formation supérieure, à l’École de guerre puis au Collège des hautes études militaires (CHEM), en parallèle de la 72e session de l’IHEDN dont il a été auditeur dans la majeure « politique de défense ». Ce passionné d’histoire, titulaire d’un master dans cette discipline, est aussi président de la Société historique de l’artillerie royale.
– QU’EST-CE QUI VOUS A MOTIVÉ POUR PRENDRE CE COMMANDEMENT ADJOINT DE DIVISION DANS LE PAYS PARTENAIRE ?
Même si j’ai suivi toute ma formation militaire supérieure en France et ai été engagé dans des opérations en Afrique francophone, je n’avais en fait jamais servi en France même. C’est donc tout naturellement que j’ai souhaité faire cet échange au sein des forces armées françaises. En soi, ce poste offrait aussi une excellente opportunité pour exercer au niveau divisionnaire. J’avais auparavant servi au niveau d’une brigade et dans le champ des politiques de défense, mais jamais au niveau d’une division ou d’un corps d’armée. Après mon parcours spécialisé dans le ciblage (effets, renseignement, feux), ce poste de commandant adjoint opérations inclut la responsabilité de la bataille profonde de division, un domaine dans lequel je souhaitais développer mes compétences. Et pour le soldat que je suis, il y a aussi un réel plaisir à me trouver au niveau tactique.
– QUELLES SONT LES DIFFÉRENCES CULTURELLES ENTRE L’ARMÉE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET CELLE DE LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE BRITANNIQUE ?
Je trouve fascinant de comparer les deux systèmes démocratiques, parce qu’à mon sens, la constitution de votre Ve République est monarchique, avec son exécutif fort mandaté de manière claire par une élection à deux tours. Le Royaume-Uni, lui, est une démocratie parlementaire dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle. Dans les deux cas, les armées acceptent leur subordination au pouvoir civil démocratiquement élu, bien que pour la française ce soit au nom de la France, alors que pour la britannique c’est au nom du souverain. On peut considérer que ce dernier système permet efficacement aux armées de montrer leur caractère apolitique.
Plus largement, la question culturelle me fascine parce que nos deux armées sont le résultat de l’histoire de leur nation respective, la France étant un pouvoir à la fois terrestre et maritime, alors que la Grande-Bretagne était avant tout un pouvoir maritime. Par ailleurs, les caractéristiques sociales des deux nations ont aussi modelé leurs relations avec leurs armées respectives. Enfin, il est intéressant de noter les différences entre nos deux formations au haut commandement : au Higher Command and Staff Course (HCSC), les Britanniques préparent leurs officiers supérieurs à commander en opérations, alors qu’au Centre des hautes études militaires (CHEM), la France forme ses futurs généraux à être des acteurs politico-stratégiques au service du gouvernement.
– QUELS SONT SELON VOUS LES AVANTAGES D’UNE TELLE COOPÉRATION D’UN POINT DE VUE OPÉRATIONNEL ?
Il a souvent été dit que le Royaume-Uni et la France ont des vues et intérêts similaires au niveau mondial, ainsi que des responsabilités sécuritaires en Europe. Comme l’a remarqué votre Président dernièrement pendant la visite de notre Premier ministre, nos deux nations sont « dotées » en matière de dissuasion nucléaire. Il y a donc d’utiles synergies à exploiter, sous l’égide de différentes initiatives comme celle de Lancaster House en 2010, qui n’est sans doute pas la dernière. Notre relation bilatérale fonctionne ainsi depuis l’Entente cordiale de 1904, d’ailleurs des officiers britanniques ont commencé à étudier à l’École de guerre peu après, et des rencontres annuelles d’états-majors ont été initiées.
Cependant, pour en revenir à la question culturelle, nous demeurons très différents, et donc travailler ensemble implique une interopérabilité technique, conceptuelle et humaine. Les fonctions comme la mienne permettent d’améliorer cette dernière, tout en soutenant les deux premières. Une relation bilatérale nécessite un travail constant pour atteindre la confiance, assurer la compréhension, et aussi pour trouver des domaines de coopération future.
– EN QUOI CETTE EXPÉRIENCE VOUS SERA-T-ELLE UTILE POUR LA SUITE DE VOTRE CARRIÈRE ?
Elle l’est déjà, puisque mon travail avec la 1ère division à Besançon m’a permis d’améliorer ma formation tactique, particulièrement en termes de bataille profonde, ainsi qu’au niveau opérationnel plus large. Elle m’apporte aussi une réelle profondeur en combat défensif, avec la France évidemment, mais aussi avec les partenaires américains, belges, hollandais et allemands, comme le veut ma fonction. Plus important encore, je pense que des expériences comme celle-ci ouvrent nos horizons intellectuels, en nous permettant de voir les choses sous un angle différent. Et ça, c’est précieux dans n’importe quel domaine professionnel.
Peu après son accession à l’Élysée en 2017, le président Emmanuel Macron entreprit de donner corps à un des objectifs clés de son action internationale et européenne, en s’accordant avec la Chancelière allemande Angela Merkel pour faire du couple franco-allemand le pivot de l’émergence d’une Europe de la Défense.
Pour y parvenir, les deux chefs d’État annoncèrent une ambitieuse coopération industrielle au travers du lancement de 5 grands programmes industriels de défense franco-allemands : l’avion de combat de nouvelle génération SCAF pour remplacer à horizon 2040 les Rafale français et Typhoon allemands, le char de combat de nouvelle génération MGCS pour remplacer en 2035 les Leclerc et Leopard 2; le programme CIFS d’artillerie à longue portée pour le remplacement des Caesar et Pzh2000 ainsi que des LRU de l’Armée de Terre et de la Bundeswehr, l’avion de patrouille MAWS pour le remplacement des Atlantique 2 et des Orion P-3C ainsi que le programme Tigre III et son missile antichar à longue portée, pour moderniser la flotte d’hélicoptères de combat Tigre et remplacer les missiles Hellfire et Spike actuellement employés.
Lancés alors que les tensions entre Angela Merkel et Donald Trump étaient à leur paroxysme, ces programmes s’étiolèrent rapidement lorsque Berlin et Washington adoucirent leurs positions, et encore davantage après l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche.
L’annonce de l’acquisition de P8A Poseidon de Patrouille Maritime pour remplacer les P-3C Orion de la Luftwaffe, a sonné le glas du programme MAWS, même si Berlin s’en défend
C’est ainsi que successivement, l’hélicoptère Tigre III et son missile, le système d’artillerie CIFS et l’avion de patrouille maritime MAWS furent, si pas strictement abandonnés, Berlin n’ayant jamais arbitrés ouvertement à leurs sujets, en tout cas mis aux oubliettes jusqu’à ce que Paris entreprennent de développer ces capacités d’une autre manière, face à la pression opérationnelle et aux échéances qui se dessinaient.
Après avoir frôlé l’explosion en vol autour des tensions opposant Dassault et Airbus DS au sujet du pilotage du premier pilier du programme SCAF, la conception de l’avion de combat NGF lui-même, celui-ci finit par être sorti de l’ornière, il y a peu, pour lancer la phase de conception du prototype, à grand renfort d’une intervention ferme et déterminée des ministres de tutelles français, allemand et espagnol, mais non sans accuser un retard significatif ayant amené la France à lancer un programme Rafale F5 beaucoup plus ambitieux et donc capable d’assurer l’intérim tant dans le domaine opérationnel que commercial.
Quant au programme MGCS, il est aujourd’hui à l’arrêt, notamment après que Berlin y a imposé en 2019 l’intégration de Rheinmetall, venant déstabiliser en profondeur le partage industriel équilibré initial entre le français Nexter et l’Allemand KMW, pour l’occasion rassemblés dans la coentreprise KNDS.
En outre, celui-ci fait désormais face à la reprise de la demande mondiale en matière de chars lourds suite à la guerre en Ukraine, entrainant une reconfiguration profonde du marché et donc d’importants glissements de calendriers potentiellement très bénéfiques pour l’industrie allemande, mais catastrophiques pour l’industrie et les armées françaises.
Le bouleversement du marché des chars lourds suite à la guerre en Ukraine, a remis le Leopard 2 dans sa nouvelle version A8 sur le devant de la scène, entrainant un report du programme MGCS
A ce tableau déjà largement entamé au sujet de l’éventuelle construction de l’Europe de la défense sur la base du couple franco-allemand, le nouveau chancelier Olaf Scholz a annoncé, fin aout 2022, le lancement de l’initiative European Sky Shield, visant à mutualiser et organiser les moyens de détection et d’engagement des pays européens dans le domaine de la lutte anti-aérienne et anti-missile.
Si 14 pays européens ont rejoint l’initiative à son lancement, la France n’y participe pas, sans que l’on sache vraiment s’il s’agit d’un refus de Paris ou d’une initiative allemande ayant volontairement exclu la France et surtout ses solutions industrielles dans ce domaine.
De fait, force est de constater que les objectifs visés en 2017, ne sont plus d’actualités, alors que nul n’est en mesure de prédire si MGCS et même SCAF arriveront bien à leur terme. Mais les difficultés rencontrés par Paris ces dernières années avec l’Allemagne, ne sont pas spécifiques à ce pays, tant s’en faut.
En effet, traditionnellement, la France considère ses voisins directs (Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Belgique), comme des partenaires potentiels dans ce domaine, et a multiplié les initiatives ces dernières décennies à ce sujet, sans qu’elles aient connu de meilleures destinées que les programmes franco-allemands.
Le drone de combat Taranis de BAe avait été développé, comme le Neuron, dans l’optique du programme FCAS franco-britannique, annulé par Londres en 2017
Ainsi, il convient de se rappeler le retrait unilatéral de Londres des programmes PA2 visant à concevoir un modèle de porte-avions commun, puis FCAS qui devait concevoir un drone de combat, ou encore des destroyers anti-missiles communs à la France, l’Italie et la Grande-Bretagne.
Par ailleurs, des initiatives lancées lors des accords de Lancaster House, il ne subsiste que le programme de guerre des mines navales et le missile antinavire léger ANL/Sea Viper proches de leur entrée en service, alors que le programme de missiles de croisière FMC/FMAN, après de nombreux stop&go, semble désormais sur une trajectoire solide pour une entrée en service en 2028.
La situation n’est guère meilleure concernant la coopération avec l’Italie, avec qui la France a efficacement conçu le système anti-aérien SAMP/T Mamba et le missile Aster, ainsi que le destroyer anti-aérien Horizon après le retrait des Britanniques, mais qui s’est heurtée à de profondes divergences au sujet du programme de frégate FREMM dont les modèles français et italiens ne partagent que 15% des composants, et encore davantage autour de l’initiative ayant visé à rapprocher Fincantieri et Naval Group, pour au final ne donner naissance qu’à Naviris, bien loin de « l’Airbus Naval » initialement envisagé.
Les coopérations avec l’Espagne ont été moins nombreuses et moins ambitieuses, ceci expliquant qu’elles se sont souvent mieux passées, en dehors de celle ayant visé un rapprochement entre DCNS (devenu depuis Naval Group) et Navantia dans le domaine des sous-marins pour concevoir le Scorpène, qui se termina devant les tribunaux sur des accusations de pillage industriel de DCNS contre son partenaire espagnol, et le retrait de Madrid du programme Scorpène pour developper son propre modèle, le S-80.
Les FREMM italiennes et françaises ne partagent que 15% de leurs composants
Dans les faits, seule la Belgique, pourtant vertement critiquée, en particulier par la France, pour son choix du F-35 plutôt que d’un appareil européen, s’est montrée un partenaire solide dans le domaine de la défense ces dernières années, avec le programme CaMo pour doter les armées de terre des deux pays des mêmes matériels et doctrines pour une grande interopérabilité, et le programme McM de guerre des mines confié à Naval Group et au belge ECA, du fait des pressions de la partie belge sur la partie néerlandaise du programme.
On le voit, tout indique que la doctrine visant à considérer ses voisins directs comme les partenaires privilégiés de la France pour le développement de programmes industriels de défense, est loin d’être efficace, bien au contraire.
Non seulement a-t-elle un taux de réussite particulièrement faible, ce quel que soit le pays, mais elle engendre, le plus souvent, des délais et des surcouts venant handicaper l’effort de défense français, et parfois l’effort industriel lui-même.
A l’opposée de ce spectre, se trouvent les clients de l’industrie de défense française, ceux-là mêmes qui permettent à la France de conserver une industrie de défense globale et efficace, et qui contribuent de manière très sensible au financement de l’effort de défense national.
Il s’agit de pays comme la Grèce et la Belgique en Europe, l’Égypte, le Qatar et les Émirats Arabes Unis au Moyen-Orient, de l’Inde et probablement de l’Indonésie en Asie, ainsi que le Brésil et, dans une moindre mesure, l’Argentine, en Amérique du Sud.
Paradoxalement, les plus importants clients de l’industrie de défense française ne sont pas les partenaires privilégiés de Paris pour les programmes industriels de défense en coopération
Pour Paris, même si ces pays contribuent considérablement à l’effort de défense national français, et si leur arbitrage en faveur d’équipements français, contribuent à créer un rapprochement géopolitique avec eux, ils ne sont, le plus souvent, considérés que comme des clients, certes stratégiques, mais avec lesquels il n’est pas, pour l’heure, question d’entreprendre des programmes communs destinés potentiellement à équiper les armées françaises, comme c’est le cas avec l’Allemagne, du Royaume-Uni ou de l’Italie.
Or, tous ces pays, aujourd’hui, souhaitent développer leur industrie de défense et leurs capacités technologiques, et sont prêts à produire d’importants efforts pour y parvenir.
En outre, étant plus en demande dans ce domaine que les pays européens, et donc moins concurrents de l’industrie de défense française, la coopération bilatérale ou multilatérale serait simplifiée, permettant des montages industriels efficaces tant pour eux que pour préserver et accroitre les compétences industrielles et technologiques françaises.
Enfin, nombre de ces pays disposent d’importantes capacités d’investissements, potentiellement supérieures à celles de nombreux pays européens, et d’une organisation de gouvernement à la fois plus permanente et plus centralisée que les démocraties européennes, particulièrement volatiles et donc soumises à de certains revirements selon les résultats des échéances électorales.
Le programme de char lourd indien représente une opportunité pour la France de co-développer un char de génération intermédiaire basé sur la tourelle EMBT de Nexter
Nous avons, à plusieurs reprises, évoqué dans des analyses publiées sur ce site, de telles coopérations potentielles, qu’il s’agisse de concevoir un char de combat de génération intermédiaire avec l’Inde, d’un Rafale de guerre électronique avec les Émirats Arabes Unis, ou d’un successeur au Mirage 2000 avec la Grèce et l’Égypte.
Par ailleurs, le profil des besoins de ces pays a beaucoup plus de chances de correspondre à celui de nombreux autres pays dans le monde, plutôt que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, ce qui donnerait un avantage concurrentiel certain à ces matériels sur la scène internationale.
Notons également que des pays comme l’Inde, la Grèce, l’Égypte ou l’Indonésie, ont des personnels parfaitement qualifiés et susceptibles de s’intégrer sans difficultés dans les processus des industriels français, comme l’a montré la construction des sous-marins de la classe Kalvari en Inde.
Ils ont également des couts de revient sensiblement inférieurs à ceux de leurs homologues européens, ce qui permettrait de disposer potentiellement d’un avantage concurrentiel sur le marché export loin d’être négligeable.
Enfin, si la coopération entamée avec l’Allemagne dans le cadre du programme SCAF ou MGCS, engendrera certaines pertes de compétences dans le domaine industriel et technologique pour les grands groupes de défense français, de telles coopérations permettraient, au contraire, de les étendre, et donc de renforcer la pérennité des industries françaises appartenant à la BITD.
La visite de Narendra Modi en France pour le 14 juillet pourrait donner lieu à la commande de 3 sous-marins Scorpène supplémentaires construits par l’industrie navale indienne
On le voit, au-delà d’un fantasme européen qui n’existe que dans la vision du président français, et qui est le plus souvent loin d’être partagé par nos partenaires européens, la doctrine de coopération industrielle de défense française, focalisée sur les voisins directs, n’est visiblement pas la plus efficace pour amener la France et son industrie de défense vers une position dominante alors que le marché se réorganise rapidement dans ce domaine depuis quelques années, sous l’effet des tensions mondiales.
A l’inverse, se tourner vers les clients traditionnels de l’industrie de défense française, ceux qui depuis des décennies, font précisément vivre cette industrie, et qui aujourd’hui sont clairement en demande de ce type de coopération, porterait de nombreuses opportunités tant dans le domaine opérationnel en permettant d’équiper les armées sans devoir assumer intégralement les couts de développement, que dans le domaine industriel et technologique en préservant et étendant les compétences des industriels, et du point de vue politique, en positionnant la France comme un partenaire clé pour tous ces pays appelés à jouer un rôle croissant sur la scène internationale.
Alors que la prochaine visite du premier ministre indien Narendra Modi en France à l’occasion du défilé du 14 juillet est porteuse de nombreuses attentes, dans le domaine aéronautique avec la probable commande de 26 Rafale M, ainsi que dans le domaine naval avec la possible commande de trois sous-marins Scorpene supplémentaires et une coopération franco-indienne dans le cadre du programme de sous-marins nucléaires d’attaque indiens, il est certainement temps pour la France de réviser sa doctrine de partenariats et de coopération industrielle de défense, pour se tourner vers ces pays qui, aujourd’hui, sont les plus prometteurs et probablement les moins contraignants.
Article du 6 juillet 2023 en version intégrale jusqu’au 6 aout 2023
Placé sous direction allemande, le programme MGCS [Main Ground Combat System / Système principal de combat terrestre] , qui vise à développer un « système de systèmes » reposant sur un nouveau char de combat, peine à avancer… alors que, au moment de son lancement, en 2017, il était question d’une entrée en service à l’horizon 2035.
D’ailleurs, de l’aveu même de Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, ce retard commence à devenir préoccupant… alors que, dans le même temps, le ministère allemand de la Défense envisage de passer une importante commande de chars Leopard 2A8.
Au début, le programme MGCS ne devait pas poser de problème particulier, notamment au niveau du partage des tâches [à 50-50], étant donné que la co-entreprise KNDS, formée par le français Nexter et l’allemand Krauss-Maffei Wegmann [KMW] avait été mise sur les rails pour le mener à bien. Seulement, l’arrivée dans le projet de Rheinmetall – qui mise par ailleurs sur son char KF-51 « Panther » – a bousculé les équilibres… D’où les difficultés à se mettre d’accord sur les questions industrielles et technologiques.
Cependant, le 2 mai, lors de son audition par les députés de la commission de la Défense, dans le cadre de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, s’est voulu rassurant, malgré les difficultés.
« Ce n’est pas parce qu’on dit que c’est compliqué ou que l’on est inquiet que ça va dans le mur. Nous avons la volonté, de toute manière, d’avoir un avenir à notre feuille de route de char de combat. C’est suivi au plus haut niveau de l’État. Et donc, là aussi, il y a des jalons […] qui nous permettront de développer des solutions alternatives si jamais on se rend compte que le programme MGCS ne se réalise pas comme prévu », a expliqué M. Chiva aux députés. À noter que cette démarche vaut aussi pour le Système de combat aérien du futur [SCAF].
Cela étant, a poursuivi le DGA, il « n’y a pas d’inquiétude à avoir » pour l’instant, précisant que huit MTD [Main Technical Demonstrateurs] devraient être lancés », après avoir fait l’objet d’une récente discussion entre M. Lecornu et son homologue allemand, Boris Pistorius. Toutefois, le programme MGCS doit compter treize MTD… Et M Chiva n’a pas précisé ceux qui ont été évoqués par les deux ministres. En tout cas, a-t-il assuré, « nous sommes en train d’essayer d’accélérer » et « nous sommes très conscients des différents […] points de passage obligés afin de pouvoir conserver notre capacité opérationnelle en matière de char de combat ».
À noter que le MGCS n’est cité qu’une seule fois dans le projet de LPM 2024-30. Et pour dire qu’il « doit préparer l’avenir du combat terrestre ». Ce qui est vague… En outre, le texte confirme que l’armée de Terre pourra aligner 200 chars Leclerc portés au standard XLR… dont 160 en 2030, les quarante derniers devant lui être livrés au cours des cinq années suivantes. À moins qu’il en aille autrement…
En effet, le char de combat du futur n’est qu’un élément du programme MCGS, lequel vise à mettre au point d’autres capacités [robots terrestres, drones, combat collaboratif, munitions, etc]. Aussi, son développement pourrait être remis à une échéance plus lointaine… D’où l’éventualité d’une « solution intermédiaire » pour remplacer le Leclerc d’ici-là.
Cette hypothèse a été évoquée par Nicolas Chamussy, le Pdg de Nexter, à l’occasion d’une nouvelle audition à l’Assemblée nationale, ce 3 mai. « Le MGCS reste en ligne de mire pour la préparation de l’avenir d’un programme de char de combat en coopération avec l’Allemagne. […] Il faudra une solution intermédiaire, d’une manière ou d’une autre, pour succéder au char Leclerc. Solution qui s’impose petit à petit, du fait du contexte ukrainien et de l’arrivée de chars avec de nouvelles capacités », a-t-il dit.
Pour répondre à ce besoin de solution intermédiaire [déjà évoquée par M. Lecornu, selon lui], « on a proposéle concept d’E-MBT, un char qui capitalise sur les compétences et les acquis en Allemagne et en France du groupe KNDS », a précisé le Pdg de Nexter.
Cet E-MBT « fait clairement partie des solutions envisagées en réponse à la demande du ministre de trouver une solution intermédiaire, quoi qu’il arrive », a insisté M. Chamussy.
Probablement que l’on en saura davantage quand M. Lecornu sera auditionné par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées… où à l’occasion des débats sur le projet de LPM 2024-30.
Le rapport mis en annexe du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 confirme que les objectifs du programme SCORPION, qui vise notamment à remplacer les blindés de l’armée de Terre tout en mettant l’accent sur le combat collaboratif, seront atteints d’ici 2035, soit avec cinq ans de retard. Une décision que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a dit assumer, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, ce 5 avril.
« Ce serait une faute terrible à l’égard de nos armées de réduire l’entraînement et l’activité des forces. Et entre l’activité et lisser le pogramme SCORPION sur deux années de plus, mon choix est fait, même si, politiquement, c’est nettement plus facile de l’inverse », a en effet affirmé M. Lecornu.
Ce décalage du programme SCORPION devrait aussi permettre à l’armée de Terre de renforcer sa capacité de feux à longue portée, avec l’acquisition de 26 lance-roquettes multiples [LRM], soit 17 de plus qu’actuellement[il ne resterait plus que 9 Lance-roquettes unitaires sur 13 dans son inventaire, ce qui suggère que deux autres exemplaires ont été livrés à l’Ukraine…].
Toujours est-il que, en 2030, avec ce décalage, l’armée de Terre comptera 200 engins blindés de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar sur 300 et 1345 véhicules blindés multi-rôles [VBMR] Griffon sur 1818. La situation du blindé Serval est particulière puisque si l’on considère le programme « Véhicule léger tactique polyvalent protégé », 1060 exemplaires doivent être livrés, en plus des 978 prévus au titre de Scorpion.
Enfin, et selon le rapport annexé, 160 chars Leclerc seront portés au standard XLR en 2030, sur les 200 annoncés. Normalement, et si l’on s’en tient aux prévisions faites il y a près de six ans, son successeur, issu du programme franco-allemand MGCS [Main Ground Combat System ou Système principal de combat terrestre], devrait être mis en service en 2035.
Or, si le Système de combat aérien du futur [SCAF], également mené dans le cadre d’une coopération avec l’Allemagne [et aussi avec l’Espagne], a enfin pu passer à l’étape suivante après des mois de discussions entre Dassault Aviation et Airbus, ce n’est pas le cas du MGCS, qui n’a pas encore dépassé la phase d’étude d’achitecture dite « SADS Part 1 ».
Initialement, la conduite de ce projet, assurée par Berlin, n’aurait pas dû poser de problème dans la mesure où le français Nexter et l’allemand Krauss-Maffei Wegmann [KMW] s’était associés à cette fin en créant la co-entreprise KNDS. Mais l’arrivé d’un troisième acteur, en l’occurrence Rheinmetall, a bousculé les équilibres.
Si les relations entre KMW et Rheinmetall sont plutôt fraîches, le quotidien Les Échos a récemment expliqué que l’industrie d’outre-Rhin est convaincue « d’avoir toutes les compétences nécessaires » pour réaliser le MGCS seule. Et la « guerre en Ukraine a conforté le sentiment que le français Nexter serait finalement le loup entré dans la bergerie allemande pour s’arroger son savoir-faire », écrit-il dans son édition du 20 mars dernier.
Enfin, cela vaut plutôt pour Rheinmetall qui, avec son nouveau char KF-51 « Panther », tente de torpiller le programme franco-allemand.
Reste que, même si les études se pousuivent dans le cadre de la phase SADS Part 1, le MGCS est embourbé et que l’horloge tourne. Et, à Paris, on commence à s’en inquiéter, comme l’a confié M. Lecornu aux députés.
« Je vois le programme [MGCS] prendre du retard et ça m’inquiéte. Je le dis devant vous avec beaucoup d’humilité, a-t-il dit, en répondant au député [RN] Christian Girard, lequel venait d’affirmer que l’industrie allemande cherchait à tirer de cescoopérations un « maximum d’avantages commerciaux ». « Ce que vous avez dit sur le MGCS, je ne le réfute pas complétement », a ajouté le ministre.
La semaine passée, dans les pages des Échos, M. Lecornu a indiqué qu’il rencontrerait prochainement son homologue allemand, Boris Pistorius, puour tenter de débloquer ce dossier. « Nous aurons besoin temporellement de la capacité qui succédera au char Leclerc […] entre 2035 et 2040. Il y a des enjeux de convergence technologique : je souhaite que le besoin militaire soit la base du cahier des charges industrielles, et non l’inverse. KNDS, entreprise franco-allemande, doit jouer un rôle central dans l’avenir du char de combat», a-t-il ajouté.
Une semaine après l’Anzac Day, marqué par la commémoration du centenaire de la bataille de Villers-Bretonneux, au cours de laquelle 2.400 soldats australiens perdirent la vie, et l’inauguration, à Fouilloy [Somme] du centre Sir John Monash, dédié à l’engagement de l’Australie dans la Première Guerre Mondiale, le président Macron a entamé une visite officielle à Sydney afin de « rehausser le partenariat stratégique » entre Paris et Canberra.
Il s’agit ainsi de renforcer la coopération franco-austalienne dans les domaines de la défense et de la sécurité tout en abordant les questions économiques. Pour les deux pays, il est question d’apporter une « réponse commune » aux tensions propres à la région indo-pacifique, où la Chine ne cesse d’étendre son influence en accordant des aides relativement importantes aux îles du Pacifique.
Récemment, il avait été question de l’implantation d’une base militaire chinoise au Vanuatu. Bien que démentie par Pékin et Port-Vila, il n’en reste pas moins que l’Australie redoute « l’établissement de toute base militaire étrangère dans les pays du Pacifique », comme l’avait alors souligné Malcolm Turnbull, le Premier ministre australien.
« La Chine devient plus volontariste et agressive dans la région comme en Australie. Notre pays n’a d’autre choix que d’adopter une ligne plus ferme pour faire respecter ses intérêts stratégiques » a expliqué, dans les colonnes du quotidien Le Monde, Peter Jennings le directeur exécutif de l’Institut australien de stratégie politique.
Au Vanuatu, la Chine aurait accordé des centaines de millions de dollars pour la construction d’un quai pouvant accueillir des navires de guerre et l’amélioration du principal aéroport du pays. Même chose pour l’archipel des Salomon, où Pékin envisage de construire des installations aéroportuaires sur l’île de Guadalcanal. « C’est un gros morceau d’infrastructure qui pourrait avoir un double usage », a relevé Jonathan Pryke, directeur du programme « Pacifique » au Lowy Institute.
Dans ce jeu, l’Australie a déboursé plus de 60 millions d’euros pour financer un câble de communication sous-marin entre Sydney et les îles Salomon pour empêcher le chinois Huawei de la construire. En un mot, il n’était pas question pour Canberra qu’un actif aussi stratégique puisse être contrôlé par Pékin.
Cet activité chinoise concerne aussi la France, via la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. D’où la volonté de Paris et de Canberra de « réhausser leur partenariat stratégique. »
La coopération militaire entre la France et l’Australie est désormais ancienne, avec des contacts réguliers entre leurs forces armées respectives, des opérations communes (acccord FRANZ), des exercices conjoints (Croix du Sud en Nouvelle-Calédoni, Pitch Black et Kakadu en Australie) et des contrats importants d’armements, comme celui portant sur la vente de 12 sous-marins Shortfin Barracuda à la Royal Australian Navy. D’ailleurs, dans le cadre de ce dernier, un accord relatif au « partage d’informations classifiées » a été signé en décembre 2016.
Ce 2 mai, le président Macron et le Premier ministre Turnbull ont donc signé plusieurs accords devant marquer cette volonté commine d’établir un « partenariat plus approfondi » dans le cadre d’un « nouvel axe indo-pacifique ».
« Nous avons un objectif commun: faire de nos deux pays les acteurs d’un partenariat nouveau dans la zone indo-pacifique », a ainsi souligné M. Macron lors d’une conférence de presse. « Nous nous tenons côte à côte, et nous nous unissons contre le terrorisme et contre ceux qui veulent saper la démocratie », a enchéri M. Tunbull, insistant sur le fait que la France et l’Australie partagent des valeurs comme « la démocratie » et la « liberté ».
« Nous avons la même préoccupation sur les risques et les menaces qui traversent la région indo-pacifique : les rivalités entre puissances, les tensions identitaires, les trafics de toutes sortes qui prospèrent sur le manque de développement lié en très grande partie au dérèglement climatique », a par ailleurs expliqué le président français.
« Notre priorité partagée c’est de construire cet axe indo-pacifique fort pour garantir à la fois nos intérêts économiques et de sécurité et pour promouvoir, dans une région clé pour les équilibres mondiaux, la paix et la stabilité », a ajouté M. Macron, avant d’assurer que « le dialogue trilatéral Australie-Inde-France a vocation a jouer un rôle central. »
Cependant, MM. Macron et Turnbull ont affirmé, sans désigner la Chine, qu’il s’agissait de « préserver un développement qui repose sur des règles » et « les équilibres de la région », et d’éviter une « hégémonie ».
Dans le domaine militaire, Paris et Canberra ont donc signé un « accord bilatéral relatif à la fourniture de soutien logistique mutuel entre les forces armées françaises et les forces de défense australiennes. » il est aussi question d’organiser, chaque année, un « symposium » intéressant l’industrie de l’armement franco-australienne dans le cadre d’une « d’une initiative plus large entre les deux nations. »
Une lettre d’intention concernant la cybersécurité a été signée. Là, il s’agira de renforcer la coopération entre l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et l’Australian Cyber Security Centre (ACSC) afin de mieux lutter contre les menaces visant les réseaux tant militaires que civils.