L’IRA : un test pour la défense des intérêts économiques de l’UE

L’IRA : un test pour la défense des intérêts économiques de l’UE

par François-Joseph Schichan* – Revue Conflits – publié le 9 février 2023

https://www.revueconflits.com/reponse-europeenne-a-lira-un-test-pour-la-defense-des-interets-economiques-et-industrielles-de-lunion-europeenne/


Avec l’IRA (Inflation reduction Act), les Etats-Unis subventionnent massivement une partie de leur économie, faussant ainsi la libre concurrence avec l’industrie européenne. La réponse des pays de l’UE à cet acte de guerre économique est un test pour l’industrie européenne.

En août 2022, le président américain signait l’un des plus importants programmes de subventions publiques en faveur des industries vertes mené par le gouvernement des États-Unis. L’Inflation Reduction Act (IRA) autorise 391 milliards de dollars de dépenses en faveur des secteurs de l’énergie et du développement durable. Le texte prévoit 270 milliards de dollars d’avantages fiscaux, en particulier pour la production de véhicules électriques. Au-delà de ces subventions massives, l’objectif du texte est de privilégier les productions sur le sol américain en leur donnant un avantage considérable sur la concurrence importée.

Un acte économique hostile

Cette loi a été perçue comme un acte économique hostile par l’Union européenne et ses États membres. De fait, le gouvernement américain ne se cache pas de sa volonté d’améliorer l’attractivité des États-Unis pour les industries vertes, y compris au détriment des Européens qui sont pourtant de proches alliés. Le gouvernement américain organise d’ailleurs des campagnes d’information sur l’IRA et les avantages résultant d’une installation aux États-Unis.

L’IRA a été qualifié de menace existentielle pour des pans entiers de l’industrie européenne déjà confrontée à des prix de l’énergie bien plus importants qu’aux États-Unis. Par ailleurs, la Chine elle aussi subventionne massivement son industrie dans le secteur du développement durable. C’est donc la place des États membres de l’UE dans la compétition mondiale dans les secteurs de l’énergie et du développement durable qui est en jeu. Le Président Macron a exprimé les préoccupations de l’Union européenne lors de sa visite d’État à Washington en décembre 2022.

D’autres responsables européens, à commencer par le Commissaire français Thierry Breton, ont protesté contre l’attitude de Washington. Mais les tentatives de faire évoluer la position américaine ont largement échoué et n’ont guère d’espoir d’aboutir. Depuis les élections de mi-mandat de novembre 2022, l’équation politique à Washington s’est compliquée pour Joe Biden, qui même s’il en avait l’intention ne pourrait que très difficilement amender le texte de l’IRA. Les membres du Congrès américain restent largement sourds aux protestations européennes. Pour certains d’entre eux, l’Union européenne devrait au contraire être satisfaite du texte puisqu’il s’agit d’une des initiatives les plus ambitieuses en matière de lutte contre le changement climatique prises par un gouvernement américain.

Washington reste sourd à l’Europe

L’Union européenne n’a obtenu de Washington que la constitution d’un groupe de travail bilatéral pour examiner ses difficultés avec le texte et les moyens d’y remédier. Elle doit rendre ses conclusions dans les prochaines semaines et il est peu probable qu’elle permette des avancées sur les principales préoccupations européennes, y compris du fait des contraintes politiques à Washington. Impuissante à faire modifier le texte de loi, l’Union européenne demande que les subventions du gouvernement américain soient à tout le moins distribuées en toute transparence, afin qu’elle puisse savoir à quoi s’en tenir et tenter de rééquilibrer la situation pour son industrie.

Ceci posé, l’administration Biden a également exprimé clairement que l’Union européenne était dans son droit de mettre en place des mesures similaires en faveur de sa propre industrie. Une invitation à agir qui n’en est pas réellement une puisqu’elle méconnaît les débats internes à l’Union européenne sur les sujets liés à l’intervention de l’État dans l’économie et aux subventions publiques.

Confrontée à une fin de non-recevoir américaine sur une revue en profondeur des mesures prévues par l’IRA, l’Union européenne ne peut donc compter que sur elle-même. C’est le sens des propositions formulées par la Commission le 1er février. Mme Von der Leyen a proposé un assouplissement des règles relatives aux aides d’État afin de donner plus de latitudes aux États membres pour subventionner leurs industries dans les secteurs du développement durable et des énergies renouvelables, pour un laps de temps limité. Elle prévoit aussi des mesures de simplification des démarches administratives et une stratégie pour assurer la sécurité des chaînes d’approvisionnement pour les matières premières dont l’UE a besoin, notamment pour le déploiement des énergies renouvelables.

C’est cher, c’est l’État qui paye

Si elles vont dans le bon sens pour doter les États membres des moyens de se défendre face aux subventions américaines, ces mesures pâtissent d’une limite majeure : elles ne sont pas associées à de nouvelles dépenses budgétaires, laissant les États assurer individuellement le financement de ces aides. La Commission prévoit d’utiliser les fonds non consommés du plan de relance post-Covid et ceux mobilisés pour le soutien aux entreprises européennes confrontées aux conséquences des sanctions contre la Russie.

Un hypothétique « fond de souveraineté » financé par une nouvelle émission de dette commune et dédiée à financer certains secteurs de pointe doit être étudié par la Commission d’ici à l’été. Sans capacités nouvelles de financement, la réponse de l’UE ne sera pas à la hauteur des risques encourus par l’industrie européenne. Au final, ce sont les entreprises privées qui effectuent les décisions d’investissement, et ce que l’Union européenne a mis sur la table ne fait pas le poids face aux mesures prévues par l’IRA.

D’autant que les dynamiques politiques au sein de l’Union européenne pourraient diluer encore davantage les mesures envisagées par la Commission. Le clivage traditionnel entre les interventionnistes (France, Italie, Espagne) et les libéraux (Pays-Bas, Danemark, Suède notamment) bloque toute possibilité d’avancées majeures au niveau européen. Le Premier ministre néerlandais a récemment refusé toute possibilité d’une nouvelle émission de dette commune européenne pour financer la réponse européenne à l’IRA.

Quant à l’Allemagne, elle affiche une proximité avec la France comme en témoigne le déplacement conjoint de Bruno Le Maire et de son homologue allemand à Washington le 7 février. La France et l’Allemagne sont les deux principaux États à disposer des moyens pour financer par eux-mêmes des subventions publiques à leur industrie, notamment automobile. Mais les divisions internes à la coalition menée par Olaf Scholz risquent de compromettre là encore les ambitions au niveau européen.

L’IRA pose une question de fond pour l’Union européenne, qui est celle de sa capacité à agir en tant que puissance sur une question fondamentale pour l’avenir de son industrie dans le domaine du développement durable où elle a déjà investi beaucoup de capital politique et économique. Les divisions européennes sur la réponse à l’IRA reflètent les différences fondamentales et difficiles à résoudre des structures économiques et industrielles des États membres. L’approche américaine est, quant à elle, sans ambiguïtés : il s’agit d’abord et avant tout de défendre et promouvoir les intérêts économiques des États-Unis dans un contexte économique difficile et d’intensification de la compétition économique avec la Chine. Et à cette fin, ils sont prêts à accepter et même favoriser une accélération du déclin économique et industriel de l’Europe.

*Consultant, ancien conseiller politique de l’Ambassadeur de France au Royaume-Uni

Économie de guerre : de premiers engagements et une nouvelle réunion en octobre

Économie de guerre : de premiers engagements et une nouvelle réunion en octobre

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Produire plus d’armement, plus vite et moins cher. Voilà le triple enjeu fixé par le ministère des Armées et les industriels français au cours d’une première réunion de travail consacrée à l’économie de guerre. Parmi les premiers engagements pris, la simplification administrative et l’engagement d’une réflexion sur les stocks.

Le format, « assez inédit », entendait refléter l’importance du sujet. Autour de la table, le ministre des Armées, les chefs d’état-major, la Direction générale de l’armement (DGA), le Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN) et les principaux représentants de la base industrielle et technologique de défense française. Ensemble, ils ont initié un plan d’action pour être « capable de produire suffisamment, d’une part, et dans les temps, d’autre part, à des prix qui sont responsables dans les années qui viennent », a rappelé le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Une série de caps, pour majorité pressentis, ont été fixés de chaque côté. 

Pour les armées, le premier engagement sera celui de la simplification des expressions de besoin. « Ces vingt dernières années, parfois, nous ont conduit à quelques pentes dans lesquelles nous avons demandé à certains équipements de tout faire », relève le ministre des Armées. Il s’agira de parvenir à émettre des expressions de besoin « beaucoup plus rustiques, beaucoup plus simples, ce qui nous permettra, en fonction des besoins de massifier ».

Second axe d’effort : la simplification administrative. Si le ministre souligne « une volonté de bien faire », un programme d’armement repose parfois sur « des milliers de pages de documentation administrative ». Et si ces documents sont autant de gages de qualité de la part de l’industriel, la notion de risque « doit s’évaluer autrement » en temps de guerre. « Incontestablement, on doit savoir prendre quelques risques, y compris dans les procédures en les réduisant ». Le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, et son adjoint, le général Thierry Carlier, ont donc été mandatés pour être force de propositions.

Dans les rangs industriels, le principal engagement porte sur la gestion des stocks. La crise sanitaire, puis la guerre en Ukraine ont chacune contribué à fragiliser les chaînes d’approvisionnement. « On ne peut pas comprendre qu’un certain nombre de pièces soient produites à l’étranger, parfois même dans des pays qui sont potentiellement des concurrents ou des compétiteurs », explique un ministre qui souhaite « un agenda de relocalisation » pour écarter ces dépendances.

« Pendant des années, avoir du stock était un signal de mauvaise gestion », déclarait-il. Il faut désormais inverser le registre et garantir la constitution de réserves « suffisamment solides pour faire face ». Au risque d’une diminution des marges, ce pour quoi le ministre en appelle à « la dimension patriotique » de la souveraineté. La main d’œuvre qualifiée, enfin, doit être préservée en réfléchissant par exemple à l’intéressement et à la participation.

Traduits en objectifs, et « au regard de ce que nous connaissons de la guerre en Ukraine », l’effort doit permettre de réduire le temps de production d’un obus d’artillerie de 155 mm à trois mois au lieu de neuf mois. Même logique pour le canon CAESAR, livré au terme d’un processus parfois long de 30 mois. « Grâce aux efforts de Nexter, nous sommes arrivés à 24 mois. Je souhaite que l’on puisse tomber à 12 mois », indique le ministre des Armées. Exemples parmi d’autres, tant les munitions d’artillerie que le canon CAESAR figurent désormais dans une liste de 10 armements prioritaires, aux côtés de la défense sol-air, entre autres.

Le ministère des Armées en a conscience, « tout cela ne se fera pas du jour au lendemain ». D’autres questions se posent, à l’instar des investissements financiers à consentir. Sauf écueil parlementaire, le ministère des Armées bénéficiera d’une enveloppe supplémentaire de 3 Md€ en 2023. « Est-ce que cela suffit à réparer très vite tout ce qui a été abîmé pendant des années ? Non ». Pour Sébastien Lecornu, l’effort budgétaire doit « coller au risque ». Hors, depuis le 24 février, « le niveau de risque est d’une autre nature ». Les différents acteurs se réuniront à nouveau au mois d’octobre pour progresser dans ces réflexions, « dans un RETEX permanent de ce que nous voyons en Ukraine ».