Le secteur spatial européen pris dans une tenaille stratégique Politique étrangère, vol. 88, n° 3, automne 2023
Le secteur spatial européen traverse une période difficile, marquée par la perte temporaire de ses capacités autonomes d’accès à l’espace, par la forte concurrence américaine et par la transformation du marché des satellites.
L’Union européenne est aussi en retard dans le domaine numérique et la valorisation des données spatiales lui échappe largement. Dans ce contexte tendu, où les États-Unis et la Chine investissent massivement, un réveil européen est nécessaire – au risque d’un abandon de souveraineté.
par Paul Wohrer– IFRI – publié le 13 septembre 2023
Billet du lundi 11 septembre 2023 rédigé par Caroline Galactéros Présidente de Geopragma.
L’été s’achève sur la confirmation d’un fiasco militaire ukrainien que même les parrains anglo-saxons de Kiev commencent à admettre via leur presse de commande. Malheureusement, l’émergence de la lucidité n’entraine pas forcément celle de la sagesse.
En France pourtant, nul n’a cure de ces alertes… Nul n’en profite pour prendre la main et siffler les arrêts de jeu au nom de l’humanité et de la sécurité du Vieux continent. Nous vivons plus que jamais dans une bulle hors sol de réalité alternative et de pensée magique, et la propagande médiatique outrancière qui s’est abattue sur la population française depuis fin février 2022 pour lui laver le cerveau et lui faire croire qu’elle plonge dans la crise pour soutenir rien moins que Le Bien contre Le Mal ne faiblit pas.
Nos journalistes mainstream poursuivent sans scrupule aucun leur « Storytelling » de conte de fées qui est en train de se transformer en film d’horreur et menace de dévoiler l’ampleur de leur cynisme. Il est vrai qu’ils ne sont que des porte-voix, responsables mais de second rang. Ils ne font plus d’information, ils expriment des opinions du haut de leur ignorance et de leur arrogance sidérantes. Les rares qui voudraient encore se souvenir qu’il faut aller de chaque côté du front pour espérer comprendre quelque chose sont de toute façon coincés. S’ils veulent réaliser un reportage côté russe, ils perdent leur visa pour l’Ukraine. Ça a le mérite d’être clair et le choix de la rédaction est vite fait. La vérité n’a pas bonne presse et elle est de plus en plus mal portée. En fait elle n’a plus d’importance. Un peu comme l’état général du pays, celui de son économie, de sa dette, de son industrie, de sa sécurité générale, de sa médecine ou de son école. Quant à l’Europe, elle n’a plus le choix non plus. Au prétexte de cette « unprovoked war of agression » de la Russie contre l’Ukraine qui prétendument la menacerait elle-aussi aussi d’invasion, l’Union européenne, les yeux bandés, les mains dans le dos et une joie malsaine au cœur, a sauté à pieds joints dans un piège mortel pour elle, tout en croyant le tendre au Yeti russe ! Le piège ultime de l’asservissement sous prétexte moral, qui va faire d’elle à jamais un appendice américain en décomposition progressive, promis à tous les dépècements industriels et technologiques et à l’appauvrissement général. Un appendice reconnaissant en plus, qui paye sans sourciller son gaz américain 3 ou 4 fois plus cher que le russe, sans faire le moindre lien avec la guerre en Europe qu’elle nourrit de ses armes et vociférations anti russes primitives… tout en poursuivant à bas bruit ses achats de GNL russe. De petits arrangements avec la morale dont on voit une fois de plus combien elle reste profondément étrangère à la marche véritable des relations internationales.
Nombreux sont ceux, au sein des « élites » qui administrent ce pays, qui peuvent s’accoutumer à l’insignifiance nationale ou même collective. Pas moi. Mais en ce cas, pourquoi poursuivre le mensonge de l’incantation sur la souveraineté européenne ? Cette permanente invocation devient tragi-comique. Ce n’est pas un amas d’États ayant renoncé à leur singularité, leur prospérité et leur souveraineté (cf l’Allemagne face aux attaques sur NS 1 et 2) qui peut constituer une masse géopolitique et même économique crédible. D’ailleurs les chiffres sont là. L’Union européenne connait désormais une inflation double de celle des Etats-Unis. En 2008, la zone euro et les USA avaient un PIB équivalent à prix courants (14 200/14 800 milliards de dollars). En 2023, on est à 15 000 milliards versus 26 900 milliards, soit un écart de 80% (A. Leparmentier dans Le Monde du 5 septembre dernier). L’appauvrissement inexorable des Européens, et notamment de la zone euro, n’est plus une prophétie mais une réalité en marche dont les effets vont se faire sentir de plus en plus cruellement pour nos concitoyens. La situation est si grave qu’il vaut mieux faire dériver l’attention populaire vers un combat épique que l’on va gagner naturellement du haut de notre « moralité » collective face à la sauvagerie et l’arriération russes…. Nous vivons donc dans un film de Walt Disney qui s’apparente d’ailleurs de plus en plus à un village Potemkine. Ironie de l’histoire… Il y a juste un tout petit problème. Les films de Walt Disney sont des films pour enfants. Dans la vraie vie, les bons et les méchants changent de rôle selon les circonstances et le point de vue des acteurs comme des observateurs rigoureux. Sans même parler de la profondeur du champ. Et là, l’Europe, c’est un peu Bambi sur la glace sur le point de perdre sa maman. To be continued…
Pour revenir au drame ukrainien, sans entrer dans de trop longs développements, on peut retenir à ce stade quelques éléments d’analyse et enseignements peu contestables sauf pour ceux qui font profession d’idéologues.
La Russie est en position de force militaire. Elle n’a plus intérêt à s’arrêter militairement et pourrait bien repasser à l’offensive. Pour reprendre la région de Kharkhov ? Si l’on peut penser que Vladimir Poutine préfèrerait probablement encore, essentiellement pour des raisons de politique intérieure (les présidentielles de mars prochain et les aléas d’une mobilisation nouvelle si elle devenait nécessaire), trouver la voie d’une reprise de pourparlers avec les USA qui restent pour lui le donneur d’ordre véritable de Kiev, il lui est devenu impossible d’accorder la moindre confiance aux dires américains sans risquer sa crédibilité politique interne et même internationale. Sa seule option est donc de renforcer sa main militairement pour le jour où Washington comprendra enfin qu’il faut transiger. Il lui faut donc poursuivre les objectifs initiaux de « l’opération militaire spéciale » : démilitarisation, neutralisation et « dénazification » de l’Ukraine, pour que celle-ci ne puisse plus constituer la moindre menace pour la sécurité de la Russie. Moscou doit profiter de son avantage actuel pour avancer, tout en préservant ses forces humaines au maximum et en augmentant encore le rythme de sa production d’armements afin de maintenir sa capacité d’attrition de l’ennemi dans le temps. Car la guerre n’est pas finie. Washington ne veut pas la paix et Moscou ne peut plus se la permettre dans les circonstances actuelles. Le sabordage des accords obtenus en mars 2022 après les pourparlers d’Istanbul doit aujourd’hui paraitre au président Zelenski bien regrettable. Il n’obtiendra plus jamais ce qui lui avait été alors offert par Moscou. Tout a changé depuis 18 mois dans le rapport de force, et même ces objectifs russes initiaux semblent désormais s’inscrire dans une ambition plus large consistant à donner une leçon décisive à Washington et à l’OTAN et à rendre manifeste la victoire militaire, économique, mais aussi géopolitique et militaire de la Russie sur l’Alliance atlantique comme sur son ancien Peer competitor américain. Le problème est que plus on attend, plus l’accord ressemblera à une capitulation totale de Kiev. Les Etats-Unis commencent d’ailleurs, depuis le milieu de l’été et l’évidence de l’échec de la contre-offensive, à en rejeter la responsabilité sur Kiev et – le cynisme étant sans limites- à lui transférer aussi, sous couvert de respect de la « souveraineté » ukrainienne, celle d’entamer des négociations. Ponce Pilate est de la partie, comme d’habitude. Les « alliés » américains sont faits pour servir puis être lâchés quand cela commence à sentir le roussi.
Dans ce contexte, l’accord finalement donné par la Maison Blanche d’une livraison d’ATACMS voire indirectement de l’envoi de F16, répond à la nécessité, à l’orée d’une campagne électorale qui s’annonce très difficile avec un Donald Trump combatif et ultrapopulaire en embuscade, de donner à Kiev de nouveaux mais peut-être ultimes « cadeaux » (après avoir dit qu’ils ne changeraient pas la donne militaire) et de poursuivre l’affichage d’un soutien militaire tout en le tarissant de fait. Le soutien des Américains au conflit est en chute libre, les arsenaux ont des trous, et le rythme des livraisons d’armes comme d’argent doit faiblir. D’autant que même les plus forcenés des néo-cons ont probablement compris que leur pari était perdu. La Russie n’est pas tombée, elle est même bien plus ferme sur ses assises propres comme sur la projection de son influence mondiale qu’au début du conflit. Elle tiendra la distance. Les limites du Regime change sont atteintes. Certains espèrent sans doute encore qu’en faisant durer la pression militaire et économique sur Moscou, l’étoile du chef du Kremlin finira par pâlir. Là c’est la méthode Coué qui est hors limites…. Pour Washington, le mieux serait en fait de pouvoir geler le conflit pour repartir à l’assaut plus tard. Pour Moscou, cela ne présente aucun intérêt. Un gel des positions ne fera que maintenir en tension le système russe et divertir des ressources nécessaires à l’affermissement de l’économie nationale et des positions de la Russie face à l’allié chinois notamment.
Rationnellement, si l’on recherchait la fin de cette impasse, la seule possibilité d’inciter Moscou à stopper son avance serait que Washington prenne la mesure du danger, se saisisse résolument de la déconfiture présente des Ukrainiens sur le terrain pour cesser tous crédits et fournitures d’armements, invoquant la sauvegarde de ce qu’il reste de territoire et de forces vives à l’Ukraine pour donner à Moscou l’assurance formelle que le pays ne sera jamais membre de l’OTAN. Washington pourrait dire qu’il a fait tout son possible pour aider l’Ukraine, en vain, et que pour des raisons humanitaires, l’arrêt des combats est désormais indispensable. Ce qui est vrai. Approche froide mais in fine préservatrice de dizaines de milliers de vies ukrainiennes. Les idéologues malades qui éructent de haine et de rage devant la supériorité militaire russe ne le reconnaitront jamais : C’est de fait la Russie qui tient le sort de l’Ukraine entre ses mains et donc est à même de lui fournir, si elle y trouve son intérêt, des garanties de sécurité, non l’OTAN qui ne lui offre que l’assurance d’une destruction accélérée. Encore une fois, seule sa neutralité et son statut d’État tampon peuvent protéger l’Ukraine. Son alignement, quel qu’il soit, la condamne à servir de terrain d’affrontement. Sécurité=neutralité. Mais ça c’est la raison, l’humanité, l’intelligence de situation, toutes choses quasi introuvables de l’autre côté de l’Atlantique excepté chez certains du Pentagone et chez les géopoliticiens réalistes américains qui connaissent leur histoire et leur géographie et ont depuis longtemps ont prévenu du désastre si l’on persistait à faire avancer l’OTAN vers les frontières russes ! Bref, on ne peut que rêver secrètement d’un tel scénario. Pour l’heure, on continue à Washington à espérer faire souffrir l’économie et le pouvoir russes dans la perspective des présidentielles de mars… tout en entretenant des contacts entre chefs des services extérieurs de renseignement, ce dont personne ne se plaindra, tout au contraire. L’anathème, l’insulte, l’escalade… mais pas trop. La stupidité du « raisonnement » occidental initial, perverti par un biais idéologique massif a produit un désastre à onde de choc géopolitique majeure en défaveur de l’Occident. Le mantra des cercles Washingtoniens était le suivant : la Russie est un État illégitime, une dictature sans assise populaire, une nation disparate, économiquement et militairement faible ; Vladimir Poutine veut prendre toute l’Ukraine sans en avoir les moyens ; Il va forcément s’épuiser et peut donc être provoqué dans un conflit par proxy, préparé depuis 2014 et qui est un affrontement structurellement inégal, de ceux que préfère l’Amérique. Cette lourde erreur de jugement nourrie d’arrogance et d’ignorance a conduit les Occidentaux, maîtres comme vassaux, dans une fuite en avant qu’ils ne maitrisent désormais plus que du bout des doigts. Et qui nous met tous en danger.
Moscou ne voulait ni ne veut d’une guerre directe avec l’OTAN, mais ne peut perdre cet affrontement qui est bel et bien vital en termes sécuritaires comme pour la préservation de la cohésion en tant que Nation d’une Russie immense, dépeuplée, multiconfessionnelle et multiethnique. Que l’Occident croie ou non cette analyse est finalement sans importance. Ce qui compte est la perception du pouvoir et du peuple russes et la façon dont celle-ci détermine leurs décisions. Or, cette « menace existentielle » n’est pas une abstraction ni un subterfuge. C’est une perception profonde qui structure la pensée et l’action du pouvoir russe et nourrit la popularité d’un président vu comme responsable et protecteur de son pays. Cette ligne rouge n’est pas négociable et ne sera pas négociée. Cela fait 15 ans que la Russie l’explique et prévient. Le danger vient de ce que l’on continue à nier cette réalité pour pousser au maximum le président russe, sans vouloir comprendre que sa marge de manœuvre est limitée. La lenteur des opérations, qu’il a voulue essentiellement pour préserver le peuple ukrainien frère et pour éviter de devoir mobiliser plus de forces, est désormais ouvertement contestée par certains dans son entourage qui considèrent qu’il faut aller plus vite, exploiter l’avantage actuel, et ne plus donner de temps aux Etats-Unis pour préparer les étapes futures d’un harcèlement sécuritaire du pays. Si la modération du tempo des opérations venait à être considérée comme une faiblesse politique du président, on peut craindre que celui-ci ne soit conduit à changer de vitesse. Est-ce là le génial calcul occidental ? L’escalade jusqu’à l’acculement, l’échec de la dissuasion nucléaire (que l’on appelle désormais chantage) et le passage à l’acte pour réveiller Washington dont les maitres ne savent plus ce qu’est la guerre, la vraie ? Peut-on imaginer les USA prêts à laisser se produire une frappe nucléaire russe d’ultime avertissement sur le sol ukrainien ou européen ? Ne comprennent-ils pas que le bluff n’est pas une pratique russe ? Jusqu’au dernier Ukrainien donc. L’Amérique après tout ne perd quasiment pas d’hommes et la guerre rapporte beaucoup. Mais à quel prix symbolique ? la destruction complète de l’Ukraine et de son armée ? L’étranglement de l’Europe qui pourrait finir par ouvrir les yeux sur le rôle et le sort que lui assigne son prétendu « protecteur » américain ? La déconfiture totale de sa crédibilité internationale ? le déclenchement d’une haine inexpiable d’une grande partie du monde qui fait ses comptes et désormais a le choix…
Il est très probable que la guerre va se poursuivre, au moins durant l’automne et l’hiver. Si l’option retenue à Londres et Washington est de « faire saigner la Russie » au maximum, pourquoi ne pas poursuivre ce soutien en demi-teinte aux Ukrainiens en 2024 ? Pourtant, notre calcul est faux, archi faux. Chaque jour qui passe est plus meurtrier pour les malheureux Ukrainiens jetés dans cette tourmente sanglante, mais aussi pour le crédit de l’Occident et celui de l’Amérique. Il y a longtemps que le reste du monde a compris que l’Europe n’était pas un acteur autonome mais un sous-traitant zélé des desiderata washingtoniens.
La désolation, la mort, l’épuisement moral sont partout en Ukraine. Et c’est compréhensible. Quel que soit l’héroïsme de l’immense majorité des soldats et officiers ukrainiens (je mets ici hors-jeu les bataillons nationalistes intégraux de sinistre allégeance que nous soutenons avec une légèreté incompréhensible, faisant mine d’ignorer la faute morale lourde et le contresens historique impardonnable que cette absolution active constitue, oublis que nous paierons sans doute cher dans le temps), l’équation militaire est sans appel. Les forces humaines, les équipements et armements russes sont sans commune mesure avec ceux des Ukrainiens. Le ratio des pertes en hommes, mais aussi en équipements, double tabou qui commence lui aussi à sauter épisodiquement dans les médias, est terrifiant. L’armée ukrainienne est en train de consommer ses dernières réserves stratégiques dans des batailles dérisoires. On ne peut pas gagner une guerre d’attrition quand on n’a pas de réserves humaines pour remplacer celles détruites et moins encore les forces pour exploiter une éventuelle percée et renverser même localement le rapport de force. Idem pour les munitions. Cet affrontement est au demeurant d’une nature nouvelle. L’intégration redoutable des systèmes satellitaires et aériens russes, sans même parler de l’emploi massif de drones, permet de détecter très en amont TOUT ce qui bouge sur le territoire ukrainien et d’annihiler chars, véhicules blindés et hommes de façon quasi imparable.
L’Ukraine, dont le pouvoir massivement téleguidé et stipendié, a fait le pari (comme l’avait avoué dès 2019 le conseiller Arestovitch de Zelinsky) de se battre pour le compte de l’Amérique contre la Russie en échange d’une intégration à l’OTAN, a tout perdu. C’est un pays en cours de dépècement, dont un tiers de la population s’est exilé et ne reviendra pas, dont les actifs sont aux mains de fonds américains, dont la corruption désormais élevée au rang de mal national nécessaire en temps de guerre, reste endémique (au-delà de quelques « exemples » cosmétiques faits par Zelenski, cf. son ministre de la défense somptueusement placardisé à Londres). Les miasmes de tout cet énorme mensonge empestent. Cette guerre était ingagnable. Pourtant, les parrains américain et britannique de Kiev, qui l’ont tant souhaitée et ont armé et entrainé les forces ukrainiennes dans cet objectif ultime depuis au moins 2015, se sont mépris, par hubris et méconnaissance des objectifs russes initiaux, et ont tout fait pour que les forces ukrainiennes se jettent en pure perte dans cet affrontement inégal, convaincues que l’entrée dans l’OTAN était possible et les protègerait de leur ennemi. Ces marionnettistes anglosaxons n’ont probablement jamais voulu la victoire militaire de l’Ukraine sur la Russie, qu’ils savaient impossible, encore moins une quelconque paix, juste que ce malheureux pays use leur ennemi juré, quitte à en mourir elle- même. Un jeu de dupes sinistre à la main de Londres et Washington ? Un sommet de cynisme de la part du président Zelenski et de sa clique ? Un calcul d’argent et de bénéfices personnels au mépris du sort tragique infligé à leur peuple ? Une pure folie en tout cas. Quelle logique ultime à un tel massacre ? Nourrir les politiciens de Washington et le Complexe militaro-industriel américain ne suffit pas à répondre. C’est un peu comme si Washington avait joué et perdu à la roulette (non russe), mais avait relancé et encore relancé le jeu, augmentant la mise pour, à un moment donné, chercher tranquillement une sortie, abandonnant son pion ukrainien sur le tapis en lui transférant la responsabilité de l’échec et celui d’une négociation inéluctable ne pouvant être que léonine.
Comment arrêter ce bain de sang et la détérioration grandissante de la sécurité européenne ? Il faudrait en fait que Vladimir Poutine ait le triomphe modeste, et permette à Washington de sauver la face et de se tirer rapidement de ce guêpier. Ce n’est pas impossible. Odessa pourrait être un point d’application important de cette manœuvre salutaire. Si le port et sa région venaient à être sous la menace directe et décisive des forces russes, alors la quête d’un statut neutre pour cette ville (sans laquelle l’Ukraine n’aurait plus d’accès à la mer) pourrait être un élément du marchandage général auquel il va bien falloir parvenir. On sait combien sont irréalistes et extravagantes les prétentions ukrainiennes à la reconquête des oblasts perdus et évidemment de la Crimée. Il fallait y penser avant. Avant le coup d’État de 2014.
L’année 2024 sera donc celle de tous les dangers. L’agenda électoral (non exhaustif) est lourd :
Élections présidentielles et législatives à Taiwan en janvier
Présidentielles le 31 mars en Ukraine et législatives prévues en octobre (probablement annulées)
Présidentielle à l’automne 2024 en Moldavie
Présidentielle russe 17 mars-7 avril
Élections américaines : présidentielle, 50% renouvellement du Sénat et 50% du Congres le 5 novembre en 2024
Le focus médiatique sur le conflit en Ukraine est beaucoup trop systématiquement envisagé en lui-même, sans relier les prises de positions et décisions des acteurs à l’aune de ces échéances. Or, nous avons là un florilège d’occasions rêvées pour des provocations, ingérences, et déstabilisations en tous genres.
Il faut pourtant faire la paix, sortir de la rage et de la haine, reprendre langue et rapidement recréer les bases d’une sécurité européenne viable. Jusqu’au sommet de Bucarest de 2008, quand l’OTAN « invita » l’Ukraine et la Géorgie à la rejoindre, cette sécurité existait encore, malgré les premières vagues d’élargissement, malgré le bouclier anti-missiles américain, malgré même la première « Révolution orange » fomentée en Ukraine déjà. La Russie, alors toujours convalescente après la descente aux enfers de la décennie 90, était encore trop faible économiquement et militairement pour avoir son mot à dire, être écoutée, moins encore crainte ou respectée. Tout a changé désormais, pour Moscou, pour Pékin, pour ce « contre monde » qui jour après jour se consolide autour des BRICS, mais aussi de l’Organisation de Shangaï et de l’Union Économique eurasiatique. L’intégration de ces ensembles se précise et semble puiser sa force d’attraction et sa crédibilité même dans les abus américains (extraterritorialité, chantage, politique de regime change…) devenus insupportables à un nombre grandissant de pays.
Seule l’Europe n’a rien compris aux conditions de sa propre sécurité. Cela me reste incompréhensible. La vanité et la bêtise des élites européennes ne peuvent seules expliquer une telle déroute de la pensée stratégique comme d’ailleurs de la pratique diplomatique. Comment sortir notre continent de cette nasse qui le dissout ? L’Europe, mais aussi notre pays, qui garde des atouts considérables et pourrait jouer aujourd’hui encore, s’il osait seulement recouvrer ses esprits et sortir de l’alignement, un rôle constructif dans la recherche d’un compromis viable dans ce conflit ouvert et restaurer son influence internationale en miettes ? La sécurité européenne est une et indivisible. Elle n’existera pas sans la prise en compte des préoccupations sécuritaires de la Russie, ne nous en déplaise. Ce n’est pas une menace pour Washington, mais bien une plaie béante et purulente pour nous. La haine, fille de l’ignorance, est mauvaise conseillère. Nous devons en finir avec cette approche cynique des relations internationales et préférer à la morale contingente l’inspiration d’une éthique immanente qui permette de renouer un dialogue salutaire.
«Le respect de la souveraineté signifie ne pas autoriser les actions anticonstitutionnelles et les coups d’État, la destitution du pouvoir légitime ». Cette allégation de Vladimir Poutine ne manque pas de sel à la lumière des derniers développements au Sahel. Après les coups d’état au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et en République centrafricaine, c’est au tour du Niger de s’éloigner de la France et de l’Occident… et de se rapprocher de la Russie.
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Rares étaient les experts ayant envisagé l’hypothèse d’un renversement par une junte militaire (le 27 juillet) du président nigérien Mohamed Mazoum, élu en mars 2021. Le pays paraissait stable, à l’abri des spasmes traversant l’Afrique de l’Ouest. Et pourtant !
Deux questions méritent d’être posées. Pourquoi le Niger aujourd’hui ? Et, par effet domino, pourquoi d’autres demain ?
Niger : l’étrange surprise;
Lors du conseil de défense du 29 juillet, Emmanuel Macron aurait reproché à Bernard Émié de n’avoir rien vu du putsch du général Abdourahmane Tchiani, au Niger. Il aurait ainsi apostrophé le DGSE (Directeur Général de la Sécurité Extérieure) : « Le Niger, après le Mali, cela fait beaucoup ». Ce reproche pourrait être retourné contre le chef de l’État tant sa politique africaine repose sur une conjugaison d’erreurs d’appréciation et de certitudes infondées (lire son discours devant les ambassadeurs du 18 août 2023). Il ne semble pas avoir pris la mesure du sentiment anti-France qui se développe sur le continent, se renforce à la faveur de la guerre russo-ukrainienne. Ne nous étonnons pas de voir la RCA, le Mali, le Burkina Faso et d’autres se tourner vers Moscou. Nos discours sur la démocratie et ses valeurs …. agacent.
Le Niger n’échappe pas à ce tsunami qui balaie notre présence en Afrique. La population nous reproche notre présence militaire, l’association du pays à notre lutte contre le djihadisme, notre acceptation des dérives démocratiques du président déchu. Nous négligeons l’exercice de la prévision, si risqué et si aléatoire soit-il dans le monde aussi incertain et complexe d’aujourd’hui. Envisageons-nous encore que la seule réponse sécuritaire puisse résoudre des problèmes aux causes plurifactorielles dépassant la seule problématique de la lutte contre le terrorisme ?
Réalisons-nous que le temps joue en faveur des putschistes nigériens ? Réalisons-nous que l’option d’une intervention militaire de la CEDEAO ne fait pas consensus en Afrique ? Réalisons-nous que la junte joue la division entre Paris et Washington ? Elle n’a signifié aucun « avis d’expulsion » aux 1 100 soldats américains présents sur place. Toutes ces questions sont-elles posées alors que l’avenir semble problématique pour notre pays au Sahel, voire au-delà ?
Après l’attaque par la foule de l’ambassade française à Niamey, tous les ressortissants français et européens qui le souhaitaient ont été évacués par avions A 400M français et belges. Photo d’archives.
L’effet domino :
Le moins que l’on puisse dire est que notre politique étrangère souffre d’un défaut d’approche globale spatio-temporelle des grandes problématiques internationales du moment. La récente réforme du corps diplomatique n’est pas faite pour pallier ce lourd handicap. Aujourd’hui, plusieurs questions incontournables se posent au sujet de l’Afrique. Avons-nous pris conscience que l’Afrique change ? A-t-on lancé une vaste réflexion sans tabou sur notre politique africaine pour anticiper et nous préparer à l’impensable ? Quid si tous les États du Sahel (Sénégal dont le président réduit l’opposition au silence, Côte d’Ivoire, Tchad …) rejoignaient, par effet domino, le groupe des contempteurs de la France dans un avenir rapproché à la suite de coups d’État militaires ? À son tour, après 50 ans de dictature, le Gabon connaît un renversement du régime d’Ali Bongo le 30 août 2023.
Quid de la présence de nos bases en Afrique alors que les Américains y sont de plus en plus présents ? Quid de la pérennité de nos intérêts économiques menacés par d’autres ? Quid de l’analyse du sentiment croissant de rejet de la France par une jeunesse désemparée ? Quid de la stratégie française future au Niger et sur le continent ? Cette liste de questions n’est pas exhaustive.
Il y a fort à parier que la dimension prospective de notre politique étrangère est limitée. Pourtant, l’adage rappelle que gouverner, c’est prévoir. Or, dans les allées du pouvoir, on privilégie la communication et la tactique. On en mesure les résultats concrets. Où sont donc les passeurs d’idées, les fonctionnaires clairvoyants, les conseillers courageux qui osent écrire le contraire de ce que l’on attend d’eux en haut lieu alors que le coup d’État au Niger, sans oublier celui du Gabon, n’annonce rien de bon pour notre présence en Afrique ?
La pensée stratégique en crise;
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » (Antonio Gramsci). Nous sommes les témoins de l’évolution d’un monde d’où émergent de nouveaux acteurs, de nouvelles règles du jeu. Ce tournant nous aveugle sur la complexité du temps. Souhaitons-nous en tirer les conséquences qui s’imposent, la remise à plat de notre politique étrangère ?
Ce qui vaut pour l’ensemble de la planète (nos échecs en Afghanistan, en Syrie…dans la guerre contre le terrorisme), vaut également pour l’Afrique (notre échec en Libye). Nous pensons au Sahel après le coup d’état au Niger, voire au Gabon plus au Sud. Faute d’un changement complet de logiciel, nous courons le risque d’aller de mauvaise surprise en mauvaise surprise pour les autres pays de la zone qui entretiennent – mais pour combien de temps encore ? – de « bonnes » relations avec la France. Un sursaut salutaire s’impose de toute urgence.
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en Sciences Politiques.
Peut-on rapprocher les émeutes de Kirkouk à l’insurrection qui a eu lieu à Deir al-Zor, en Syrie, où les tribus arabes de la vallée de l’Euphrate ont pris les armes pour chasser les Forces Démocratiques Syriennes, dominées par les Kurdes ? L’analyse de Fabrice Balanche.
Un combattant des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les États-Unis se tient à côté d’un véhicule blindé, dans la ville d’al-Sabha dans la campagne orientale de Deir el-Zour, en Syrie, lundi 4 septembre 2023. Les affrontements de la semaine entre les milices rivales soutenues par les États-Unis dans l’est de la Syrie, où des centaines de soldats américains sont déployés, mettent en évidence les failles dangereuses d’une coalition qui a gardé le contrôle sur le groupe État islamique vaincu pendant des années.
Samedi 2 septembre 2023, de violentes émeutes ont éclaté à Kirkouk, en Irak, causant la mort de quatre personnes, toutes Kurdes. La restitution d’un bâtiment de la ville au Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) était le prétexte à ces manifestations au caractère ethnique affirmé, puisque les Arabes et les Turkmènes ont affronté les Kurdes. Cet épisode témoigne des tensions communautaires qui existent en Irak et qui sont bien sûr instrumentalisées par le gouvernement irakien et surtout son mentor iranien. Peut-on rapprocher ce conflit de l’insurrection qui a eu lieu à Deir al-Zor, en Syrie, où les tribus arabes de la vallée de l’Euphrate ont pris les armes pour chasser les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dominées par les Kurdes ?
La place de Kirkouk
Kirkouk est une cité multiethnique qui fait partie des territoires disputés entre le Gouvernement Régional Kurde (GRK) et l’Irak. L’administration et les combattants kurdes de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) et du PDK en ont été chassés par les milices chiites pro-iraniennes (Hashd al-Shaadbi) en octobre 2017, qui désormais contrôlent la ville, en s’appuyant notamment sur la minorité turkmène chiite et certains clans arabes sunnites qui, forts de leur nouveau pouvoir, tentent de s’approprier les terres et les biens des Kurdes, poussant ces derniers à quitter la région. À Deir al-Zor, la population est exclusivement Arabe sunnite, mais divisée en diverses tribus rivales. Certaines soutiennent l’Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) et sont très investies dans les FDS, tandis que les autres demeurent hostiles et conservent de solides sympathies pour Daech.
Nous nous trouvons en apparence dans deux contextes différents, alors qu’ils s’avèrent très semblables, car ils sont le produit d’une atmosphère anti-kurde en Irak tout comme en Syrie. À Deir al-Zor, les tribus arabes ne supportent pas d’appartenir à une entité dirigée par des Kurdes. Ils les chargent de tous les maux de la région, de s’emparer de « leur pétrole » et de les maintenir dans le dénuement, comme j’ai pu le constater de visu au cours d’un récent séjour dans cette région. En Irak, j’ai pu recueillir le même type de témoignages à l’encontre des Kurdes, qui sont accusés, entre autre, d’accaparer le budget irakien, de voler les hydrocarbures et d’empêcher la reconstruction de Mossoul. Le recours à Israël pour détourner la colère populaire des responsables ne semble plus faire recette, les Kurdes sont devenus les nouveaux boucs émissaires. L’insolente réussite économique du KRG, la sécurité qui y règne et la qualité des services publics renforcent cette animosité.
Le sentiment anti-kurde est exploité par les dirigeants arabes à Damas et à Bagdad, qui cherchent à faire disparaître les deux entités kurdes. Rappelons que le GRK et l’AANES sont apparus à la faveur de l’effondrement de ces États centraux, lors de l’invasion américaine en Irak et pendant la guerre civile syrienne. L’affaiblissement des Occidentaux au Moyen-Orient, le renforcement des régimes syrien et irakien, soutenus tous deux par l’Iran, remet en question l’existence même du GRK et de l’AANES. À cela, il faut ajouter la stratégie néo-ottomane de la Turquie, qui ne menace pas pour l’instant le KRG, mais clairement l’AANES. C’est dans ce contexte géopolitique que nous devons analyser les récents évènements de Kirkouk et de Deir al-Zor.
La question pétrolière
L’importance stratégique des deux zones, en raison de la présence de pétrole, mérite également d’être soulignée. Kirkouk représente 15% de la production irakienne et Deir al-Zor concentre 70% des réserves de pétrole syrien. Les ressources de Kirkouk permettaient au GRK de ne plus dépendre du budget alloué par Bagdad en vertu de constitution de 2005. C’est pour cette raison que les milices chiites pro-iraniennes se sont au plus vite emparées de la région après le référendum sur l’indépendance du Kurdistan en 2017. Les hydrocarbures de Deir al-Zor constituent une carte maîtresse entre les mains de l’AANES pour négocier avec Damas et surtout assurer son alimentation énergétique. Privé de cette ressource, l’autonomie de facto du Nord-Est syrien serait largement remise en cause.
Damas et Téhéran possèdent un intérêt évident à soutenir la révolte des tribus arabe pour réintégrer ce territoire et son pétrole dans une Syrie exsangue. Cependant, ils n’ont pas forcément les moyens de cette ambition et surtout les tribus révoltées n’ont pas envie de revenir sous le contrôle de Bachar al-Assad. Elles imaginent naïvement plutôt pouvoir créer un petit royaume arabe et profiter ainsi de la manne des hydrocarbures, mais pour cela il leur faudrait une protection extérieure. Or, les États-Unis ne souhaitent pas investir dans une telle chimère ; quant à la Turquie elle est beaucoup trop éloignée pour s’intéresser à Deir al-Zor.
Le scénario de Kirkouk en 2017 pourrait donc se réitérer à Deir al-Zor : une invasion menée par des milices chiites irakiennes. L’Iran renforcerait de cette façon son allié syrien et pousserait les troupes américaines au départ, élargissant de la sorte son corridor stratégique entre Téhéran et Beyrouth. Or, pour achever la construction de ce fameux « croissant chiite » débuté avec la chute de Saddam Hussein en 2003, il doit se débarrasser des territoires autonomes kurdes pro-occidentaux.
En Irak, le GRK est sous la pression du gouvernement pro-iranien de Bagdad qui le prive de ressources financières en retenant sa part du budget et en bloquant ses exportations pétrolières via la Turquie. Difficile de ne pas voir dans l’affaire de Kirkouk les prémices d’une intervention pro-iranienne contre le KRG, si ce dernier ne cède pas aux exigences iraniennes de désarmer les groupes d’opposants kurdes iraniens présents sur son territoire et de laisser l’armée irakienne contrôler sa frontière. L’ultimatum de Téhéran expire le 19 septembre. En Syrie, l’Iran dispose de moins de leviers, mais elle compte sur le danger turc pour ramener l’AANES dans le giron de Damas. Si les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) restent capables d’arrêter une attaque de milices arabes pro-turques dotées d’armes légères, ils ne pourront pas repousser une offensive coordonnée avec l’aviation et l’artillerie turque comme en octobre 2019.
Les empires perse et ottoman menacent les autonomies kurdes d’interventions militaires qui leur seraient fatales, mais difficiles à mettre en œuvre en raison de l’opposition des États-Unis pour l’instant. En attendant qu’un nouveau président américain décide de retirer ses troupes de la région. Les deux empires s’efforcent de les déstabiliser l’un en Syrie et l’autre en Irak par divers moyens : le blocus économique, la rétention d’eau, des bombardements réguliers, le soutien à des groupes rebelles, des déclarations belliqueuses, etc. qui entretiennent un climat d’insécurité nocif pour l’économie. L’objectif est de faire fuir les forces vives, de susciter des divisions politiques et des révoltes pour ensuite pouvoir facilement donner l’estocade.
Ces dernières semaines, les médias ont rapporté des informations préoccupantes concernant la coopération industrielle franco-allemande dans le domaine de la défense. En effet, les programmes MGCS (char de nouvelle génération) et SCAF (avion de combat futur) sont grandement sous tension, autour du partage industriel, du calendrier et des enjeux industriels et opérationnels.
Bien que le programme SCAF ait l’assurance d’atteindre les phases 1B et 2, avec l’étude et la conception d’un démonstrateur, son avenir au-delà reste incertain en raison des éventuelles conséquences de l’annulation du programme MGCS.
Dans ce contexte, il est important de prendre en compte les conséquences potentielles d’un échec successif des programmes MGCS et SCAF, ainsi que d’évaluer les alternatives pour remplacer les chars et avions de combat français dans les décennies à venir.
1. Les menaces sur les programmes MGCS et SCAF
En dehors des quelques mois d’euphorie politique ayant suivi l’annonce, en 2017, par Emmanuel Macron et Angela Merkel, d’une vaste initiative industrielle et politique franco-allemande autour du concept encore flou d’Europe de la Défense, les programmes lancés alors conjointement rencontrèrent rapidement d’importants écueils.
C’est ainsi qu’en cinq ans de temps seulement, les programmes CIFS (artillerie à lingue portée), Tigre III (hélicoptère de combat) et MAWS (Patrouille maritime), furent enterrés faute de décision de la part de Berlin.
Le programme Tigre III a été abandonné par Berlin
Début 2022, seuls 2 programmes subsistaient Le programme MGCS pour le remplacement des chars Leclerc et Leopard 2 en 2035, et SCAF, le système de combat aérien du futur pour prendre le relais des Rafale et Typhoon en 2040. S’ils subsistaient, ils n’en rencontraient pas moins d’importantes difficultés.
Ainsi, à l’hiver 2022, les tensions entre Dassault Aviation et Airbus DS obligèrent les ministres des Armées des trois pays membres de programme, Allemagne, Espagne et France, à forcer la main de leurs industriels pour sortir de l’ornière et lancer la phase 1B, pour l’étude du démonstrateur technologique.
1.1 MGCS : Le char de Schrödinger
Si SCAF semblait, début 2023, sur une trajectoire plus sécurisée, ce n’était pas le cas de MGCS. En effet, sous l’action conjuguée de l’augmentation de la demande en matière de chars de combat, de la guerre en Ukraine, et de l’arrivée de Rheinmetall au sein du programme en 2019, le programme était depuis plusieurs mois en état de stase. Les quelques évolutions et avancées le concernant suffisaient à peine à le maintenir en vie, et à ne pas suivre le destin de CIFS ou MAWS.
En cause, des visions de plus en plus divergentes entre les besoins des deux armées, la France privilégiant la mobilité, l’Allemagne la protection et la puissance de feu. Les agendas industriels et opérationnels devenaient, eux aussi, plus complexes à fusionner.
Le programme MGCS doit concevoir un système de combat terrestre, bien davantage qu’un simple char
L’Allemagne, la Bundeswehr et ses industriels, ne sont pas exposés aux mêmes contraintes. Avec le KF-51 de Rheinmetall et le Leopard 2A8, ceux-ci disposent non seulement de solutions intérimaires performantes, mais également de produits demandés sur le marché.
En conséquence de quoi, au-delà des divergences déjà profondes concernant la nature même du système à concevoir, Paris et Berlin ne sont, aujourd’hui, d’accord sur rien autour de ce programme, surtout pas son calendrier ni son périmètre industriel et technologique.
De fait, depuis quelques mois, l’instar du chat de Schrödinger, le programme MGCS est simultanément mort, du fait de l’explosion évidente des divergences entre les deux protagonistes, et vivant, si l’on en croit les déclarations des ministres de tutelle, Sébastien Lecornu et Boris Pistorius.
Et tout porte à penser que la rencontre prévue entre les deux hommes, d’ici à la fin du mois septembre, aura pour but d’ouvrir la boite, et de regarder, objectivement, si le char a bu le poison, ou pas.
1.2 Un dangereux effet domino
De l’avis même de sources proches du projet, aujourd’hui, les chances que le programme MGCS tourne court dans les semaines ou mois à venir, sont de l’ordre d’une chance sur deux, et l’avenir de celui-ci est désormais en grande partie entre les mains de Boris Pistorius, de KMW et de Rheinmetall.
Or, les programmes MGCS et SCAF ont été artificiellement liés, lors de leur conception, au travers du partage industriel. De fait, la chute de l’un pourrait venir gravement menacer l’avenir de l’autre, dans un dangereux effet de domino.
Les programmes MGCS et SCAF sont artificiellement liés depuis leur conception
À ce titre, selon ces mêmes sources, il s’agirait désormais de la plus importante menace sur le déroulement du programme SCAF, même si tout porte à croire que les phases 1B et 2, visant respectivement à concevoir puis fabriquer le démonstrateur technologique du NGF et de certains de ses systèmes, iront à leurs termes.
Reste que si MGCS et SCAF venaient à péricliter, chacun des pays devrait alors trouver des solutions alternatives et palliatives, pour répondre aux impératifs opérationnels et technologiques jusqu’ici censés être couverts par les deux programmes.
2. Coût du développement de MGCS et SCAF
La question se pose donc, pour la France, de savoir si celle-ci sera en mesure de développer seule, ou différemment accompagnée, ces deux programmes indispensables aux armées françaises entre 2035 et 2040.
La Base industrielle et technologique défense, ou BITD, française, dispose de l’ensemble des compétences nécessaires pour développer, par elle-même, un programme comme MGCS ou SCAF. En effet, dans le domaine des blindés, elle peut s’appuyer sur Nexter, concepteur du Leclerc, et sur un écosystème complet pour concevoir un nouveau char de combat, et son système de systèmes à venir.
La BITD française a les compétences pour developper MGCS par elle-même
Il en va de même autour d’un éventuel SCAF franco-français. Emportée par Dassault Aviation, Safran, Thales, MBDA et l’ensemble de la Team Rafale, la BITD aéronautique française est aujourd’hui l’une des cinq pouvant effectivement développer en toute autonomie un avion de combat de 6ᵉ génération dans le monde.
Ce d’autant qu’une partie des développements requis pour SCAF sera préalablement développée dans le cadre du très ambitieux programme Rafale F5, annoncé par Sébastien Lecornu à l’occasion des débats parlementaires concernant la Loi de Programmation Militaire française 2024-2030.
2.1 Estimations financières
Si le développement technologique et industriel de ces deux programmes ne représente pas un obstacle pour l’industrie de défense française, leur financement, en revanche, sera incontestablement difficile à mettre en œuvre, tout au moins en visant les mêmes ambitions.
C’est d’ailleurs l’une des principales justifications avancées par l’exécutif français pour soutenir l’intérêt d’un codéveloppement franco-allemand de ces deux programmes, plutôt qu’une solution purement nationale, comme ce fut le cas pour le Leclerc et le Rafale.
En effet, concevoir seule, puis construire les quelques centaines de chars de combat, véhicules de combat blindés et lance-missiles de nouvelle génération de MGCS, ainsi que les 250 avions de chasse, et autant de drones de combat, du programme SCAF, couterait cher, et même très cher au budget des armées.
Le EMBT peut représenter une solution d’attente, mais pas une alternative à MGCS
Sur la base des projections existantes concernant ces deux programmes, ceux-ci couteraient à la France entre 3,5 et 4,5 Md€ (en euro 2023) par an, et ce pendant plus de 20 ans.
Déduction faite des engagements de financement dans le cadre des coopérations existantes, il s’agirait d’un surcout de 2 à 3 Md€ par an, particulièrement sensible lors de la phase de conception.
2.2 Impacts sur le budget de défense français
Ce surcout peut paraitre « accessible » à la France et son PIB de 3 000 Md€. Il représente toutefois une hausse de l’ordre de 20 Md€ sur la seule LPM 2024-2030, inflation comprise, mais aussi une hausse de près de 30 % du budget consacré par les Armées aux Programmes à Effet Majeur, ou PEM, autour de 8 Md€ en 2023.
Il sera donc tout sauf aisé pour la France de financer seule un tel effort, tout de moins en préservant le périmètre technologique et les ambitions préalablement définies autour des deux programmes.
Il s’agit, à ce titre, d’une des craintes exprimées par les personnes qui aujourd’hui y travaillent côté français, redoutant que, dans une telle hypothèse, la France, ses armées et son industrie de défense, doivent descendre d’une division face aux nouveaux chars et avions américains, allemands, britanniques ou chinois.
Les Armées françaises doivent financer d’autres programmes gourmands en ressources, comme le porte-avions de nouvelle génération
Il est vrai que les opportunités françaises pour financer de tels programmes, sont peu nombreuses. La pression fiscale étant déjà à un très haut niveau, il n’est pas question de s’appuyer sur de nouvelles taxes pour générer des recettes supplémentaires.
De même, la dette publique française, qui atteint désormais les 3 000 Md€, interdit à Paris de se tourner vers de quelconques formes de financement classique, fut-il issu d’un emprunt national ou d’un livret d’état, sauf à radicalement changer les paradigmes actuels concernant le financement de l’effort de défense, ce qui n’est pas d’actualité.
La réattribution budgétaire, enfin, qu’elle soit interne au ministère des Armées ou externe à ce dernier, semble aussi à exclure, tant les budgets sont sous tension dans nombre de domaines, interdisant toute marge de manœuvre de ce type à Bercy.
On comprend, dans ce contexte, l’attachement de la France à la poursuite de ces deux programmes actuels. Il s’agit aussi d’un des principaux reproches faits par l’Allemagne à la France les concernant. Les Allemands estiment, non sans raison, n’être avant tout que les financiers de cette coopération aux yeux de la France et de son industrie de défense.
3. La France peut-elle se tourner vers de nouveaux partenaires ?
De fait, la solution la plus évidente pour Paris, face à un effondrement du partenariat industriel de défense franco-allemand, serait de se tourner vers d’autres partenaires. Bien que prometteuse, cette solution n’est pas dénuée de risques et de contraintes.
En effet, les contraintes qui aujourd’hui viennent menacer SCAF et MGCS, et avant eux de nombreux autres programmes français en coopération européenne, peuvent évidemment entraver d’éventuels nouveaux partenariats industriels de défense.
3.1 Atouts et contraintes du partenariat technologique international
Il est vrai que la France fait office de mouton noir en Europe, alors qu’elle a, derrière elle, une longue liste de programmes de défense avortés avec l’Allemagne, mais aussi la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne et d’autres.
3.1.1 Réduction des couts et extension de l’assiette industrielle
Cette coopération a bien sûr de nombreux atouts. D’une part, elle permet de partager les couts de recherche et de développement, même si une règle empirique veut que les couts de conception augmentent selon la racine carrée du nombre de partenaires.
Le partage industriel est l’un des sujets critiques dans la conception d’une coopération internationale industrielle de défense
Ainsi, à deux partenaires, les couts de conception augmenteront en moyenne de 40 %, et de presque 75 % à trois. Cependant, la participation de chaque État s’avère 30 % moins élevée à 2 partenaires, et plus de 40 % moins onéreuse si trois pays collaborent.
D’autre part, la collaboration internationale permet d’étendre l’assiette industrielle du programme, et ainsi d’atteindre certains seuils entrainants des baisses de couts par économie d’échelle. C’est le cas aussi bien pour la production initiale que concernant la maintenance et l’évolutivité des équipements produits.
Enfin, chaque partenaire apporte avec lui son propre réseau international et commercial, ce qui doit permettre, en toute logique, d’accroitre les chances de succès à l’exportation de l’équipement.
3.1.2 Divergence des besoins, partage industriel et véto commercial
Toutefois, la coopération internationale ne vient pas sans de sérieuses contraintes. Ce sont d’ailleurs celles-ci qui aujourd’hui menacent les deux programmes franco-allemands, et avant eux, les trois autres programmes déjà passés par pertes et profits.
Avant tout, il convient de s’assurer que l’ensemble des partenaires partagent les mêmes besoins, et ont les mêmes attentes en termes de performances, d’évolutivité et de calendrier, pour chacun des programmes.
Les calendriers français et allemands sur MGCS, divergent depuis l’apparition du Leopard 2A8 et du KF-51 Panther
Dans le cas de SCAF et MGCS, ce sont précisément ces divergences, masquées initialement par l’enthousiasme politique, qui ont creusé le précipice vers lesquels ils semblent se diriger.
Par ailleurs, la participation d’un état s’accompagne inexorablement d’un partage industriel, voire de clauses de transfert de technologies. Ce partage industriel, dans le cas de la France dont la BITD est globale, se fera systématiquement au détriment de compétences détenues par des entreprises nationales.
Dans ce domaine, la notion de ‘Best Athlete », avancée initialement par Paris face à Berlin, s’avère extraordinairement contre-productive. Non seulement ne permet-elle pas de faciliter les négociations autour du partage industriel, tout au mieux exacerbe-t-elle les frustrations, mais elle contribue à faire apparaitre les autres partenaires comme des acteurs secondaires, ajoutant à leur défiance.
Enfin, si un partenaire peut étendre les opportunités commerciales des équipements co-produits, il peut également venir entraver les chances de succès vers certains clients potentiels. Cela peut se faire par l’intermédiaire d’un droit de veto nationale difficile à contourner, soit tout simplement en raison de certaines tensions entre le client potentiel et l’un des partenaires.
3.2 Vers quels pays se tourner ?
De ce qui précède, il est possible de tracer un portrait robot du ou des partenaires idéaux de la France sur la scène internationale, pour l’accompagner dans le développement d’un système de combat aérien du Futur de type SCAF, ou d’un Système de combat blindé terrestre de nouvelle génération de type MGCS.
3.2.1 Portrait robot du partenaire international idéal pour la France
Bien évidemment, ce portrait diffère selon les programmes. Pour MGCS, d’abord, le ou les partenaires devront partager une conception proche de celle de la France concernant l’engagement blindé. Ainsi, le ou les blindés à concevoir et à produire devront être très mobiles, donc d’une masse inférieure à celle des blindés américains, allemands et britanniques actuels.
L’inde est un partenaire stratégique de la France et de son industrie de défense
Les six nouveaux membres de ce bloc revêtent une importance économique et géostratégique pour eux-mêmes et le reste du monde. Il est utile de passer en revue les caractéristiques de ces nouveaux arrivants et, par anticipation, des futurs admis.
Les BRICS ont réussi, malgré quelques péripéties, à organiser, les 22 – 24 août, son 15e sommet en Afrique du Sud. C’est l’un des événements majeurs depuis la fin de la 2e guerre mondiale dont nous verrons plus clairement avec le temps les répercussions de longs termes.
Ce sommet a été l’occasion d’un travail intensif entre les membres au plus haut niveau et a fourni la feuille de route menant à une nouvelle étape dans le développement des BRICS notamment en termes de partenariat pour un multilatéralisme inclusif, une croissance mutuellement accélérée et le développement durable, tout en favorisant un environnement de paix et de développement ainsi que le développement institutionnel des BRICS (Cf. la Déclaration de Johannesbourg II).
Les membres des BRICS se sont mis d’accord pour accueillir dans le groupe l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Argentine et les Émirats arabes unis. De plus, la porte reste grande ouverte : des dizaines de pays supplémentaires pourraient rejoindre le bloc plus tard.1 Cet élargissement constitue un grand pas en avant dans le développement des BRICS mais aussi dans la transformation du monde.
Il est important de constater quantitativement que les BRICS pèsent maintenant plus lourds dans le monde : 29% du PIB, 46% de la population, 43% de la production pétrolière et 25% de l’export des produits.2 Il est encore plus crucial de voir les raisons sous-jacentes pour lesquelles les nouveaux membres ont été choisis. Cette analyse nous aidera à sentirles grandes ruptures à venir.
Regardons la carte du monde ci-jointe pour saisir la signification profondes des choix. Elle nous montre de façon saisissante la nouvelle situation du monde. Les membres BRICS actuels sont en rouge, les six nouveaux en gris et les candidats en orange.
L’importance des six nouveaux membres
L’entrée de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Iranva amener à 43% la part des BRICS dans la production pétrolière mondiale. Résumer cette expansion en « BRICS + OPEC » est à peine une exagération. Cela va renforcer considérablement l’influence de ce bloc. C’est un euphémisme de dire qu’ils auront plus de voix au chapitre, ils vont en réalité déterminer les orientations de ce marché.
Il est prévisible également que les achats du pétrole peuvent s’exécuter dans une plus large mesure en devises nationales entre les membres des BRICS et sans être obligés de passer par les US dollars. Ainsi tout le système financier américain sera touché à la base via l’affaiblissement des pétrodollars.
L’Arabie Saoudite et les Emirats arabes Unis sont des centres financiers puissants et des hubs commerciaux au carrefour de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe.
Avec la présence des BRICS dans le Golfe Persique et sur les deux rives du détroit de Hormuz, le passage y seranettement plus sécurisé.
L’Egypteréduirait considérablement les inquiétudes liées àla sécurité du Canal de Suez, l’un des cauchemar des managers de supplychain dans le monde.
L’arrivée de l’Iran ajoute aussi une pièce déterminante pour former, avec, la Chine, la Russie et, un peu plus tard, les pays de l’Asie centrale dont certains sont déjà candidats, un ensemble stratégique dans le Heartland défini dans la théorie de Halford Mackinder3 et longuement examiné par Zbigniew Brzezinski dans son fameux ouvrage « Le Grand Echiquier ».4
La surveillance et les capacités d’intervention dans le Golfe d’Adenseront largement renforcées avec l’Ethiopie dont la capitale Addis-Abeba est depuis 2002 le siège de l’Union africaine, l’un des centres d’influence de la nouvelle Afrique.Sa proximité avec Djibouti et d’autres pays de la région est aussi un élément constitutif pour l’équilibre dans la corne d’Afrique de l’Est.
En tant que producteur majeur de l’lithium, l’Argentine a entre ses mains une carte majeure pour le développement de l’énergie verte dans le monde sans parler de ses atouts dans l’agriculture. Main dans la main avec le Brésil, cela fera tache tuile en Amérique du Sud.
Nous n’avons pas vu de pays asiatique dans la liste cette fois-ci, sauf l’Iran. Compte tenu que la Chine et l’Inde sont déjà membres clés, l’Asie peut attendre la prochaine fournée.
Sous réserve que l’Indonésie rejoigne les BRICS, elle renforcera encore l’importance des BRICS en Asie, notamment en sécurisant davantage le passage de Malacca. Les richesses sous ses sols vaudraient son pesant d’or.
La présence du Vietnamapaiserait les tensions dans la Mer de Chine Méridionale et encouragerait la conclusion et la signature du « Code de conduite» dans cette mer qui voit passer la moitié des flux commerciaux mondiaux.
En guise de conclusion
Les avantages que les BRICS peuvent obtenir grâce à l’expansion sont multiples : il donnera plus d’accès aux ressources naturelles (pétrole, gaz, minéraux…), aux marchés, aux investissements. Le supplychain mondial serait également plus sécurisé. Les BRICS auraient plus d’influence dans la gestion des affaires du monde, en ayant plus de voix au chapitre et plus d’atouts sur la table de négociation. Va bientôt naître un système financier plus équilibré et prenant plus soins des pays dans le besoin. En un mot, avec les six nouveaux membres, les BRICS ont plus d’atouts pour progresser versson objectif de construire un monde multipolaire et plus juste.
Les BRICS gagnent de plus en plus en influence. Désormais, le G20 et les sessions importantes de l’ONU verront des réunions de préparation des BRICS en termes de pré-alignement interne entre les membres.
En même temps, le défi est de taille. L’intégration de cette ampleur n’est pas une simple opération d’addition arithmétique.Il faut s’attendre à des réactions chemiques complexes et, voire,parfois violentes.1+1 pourrait donner plus, il pourrait donnermoinségalement si c’est mal géré.
Les BRICS propose de faire évoluer le mondevers plus de justice et plus d’équilibre entre les pays et les peuples. Pendant qu’ils regroupent les synergies de ses membres en vue de son agenda, les coopérations avec d’autres pays restent indispensables. Nous vivons sur la même planète, notre destin est lié. Johannesburg sépare et relie deux époques : un monde unipolaire va passer le témoin à celuimultipolaire. Mais il ne cherche pas à séparer le monde en deux camps. Des confrontations inévitables sortiraient un mouvement vers une plus grande convergence, qui consoliderait les progrès de chaque étape de l’histoire humaine y compris celle qui a commencé en 1945.
L’ordre à l’armée de Terre du 20 juillet, signé par le général d’armée Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre, constitue le point de départ de la fameuse transformation de l’armée de Terre.
Cette transformation, pilotée par commandement du combat futur (CCF, ex-CDEC); se fonde sur la modernisation des équipements, la refonte de l’organisation (simplification) et l’adaptation du fonctionnement (avec un nouveau style de commandement axé sur une plus grande autonomie des échelons tactiques et la subsidiarité).
Cette transformation a une finalité opérationnelle. En termes de tempo, voici les étapes de l’ambition affichée:
C’est sur la période 2024-2027 que la réussite de l’effort entrepris va être impératif. Cette réussite passe, entre autres mais inévitablement, sur “la préservation de l’attractivité et l’amélioration de la fidélisation”. En clair, il faut recruter et garder les militaires dont la formation va s’avérer plus exigeante et plus coûteuse. Dans ce domaine, on attend la directive de préservation des effectifs à paraître sous timbre EMAT ;
Plus précisément, comme l’a annoncé le CEMA (c’est moi qui souligne), “les principaux mouvements du C2 devront débuter : • dès le plan annuel de mutation 2024 imposant de facto une description précise dans les travaux REO A+1 qui seront finalisés début octobre 2023 ; • sur la deuxième partie de LPM pour la manœuvre de stationnement associée dont le tempo impose de disposer d’expressions de besoins consolidées, en lien avec les organismes interarmées et ministériels, pour le comité exécutif ministériel infrastructure de décembre 2023.“
C’est donc sur le C2 (commandement et contrôle) que va porter l’effort initial, avec des mouvements liés à la transformation. L’armée de Terre assure que “la transformation modifiera marginalement le plan de stationnement de l’armée de Terre, sans abandon de garnisons, et en s’appuyant majoritairement sur les infrastructures existantes”.
Par exemple, dans l’ouest, les mouvements (créations et changements de subordination) suivants sont attendus: 1) le ComCyber de Cesson-Sévigné (35) changera de nom avant le 1er août 2024 pour devenir le CTNC (commandement Terre du numérique et du cyber) – sera créé, à Cesson-Sévigné et aussi le 1er août 2024, le BANC ( brigade d’appui numérique et cyber) – un bataillon cyber sera stationné à Cesson-Sévigné (date de création à préciser) – la 808e compagnie de transmissions sera créée en 2025 à Saint-Jacques de la Lande (35) pour être opérationnelle en 2028. Cette unité occupera les locaux de la 807e CT et ceux de la 785e CGE qui quittera la région rennaise pour Strasbourg au plus tôt à compter de 2027. Dans ce domaine, on attend la feuille de route “ambition Cyber” à paraître sous timbre EMAT ;
2) A Angers va s’installer l’état-major de la future brigade du génie dont la création est prévue le 1er août 2024 autour d’un noyau clef. Voir mon post du 25 juillet. Cette unité va intégrer le 132e RIC et le 19e RG de la 1re division, le 31e RG et le 2e RD de la 3e division, le 25e RGA et le 28e GG du COMRENS.
3) Le 5e RIAOM de Djibouti rejoindra la 9e BIMa en janvier 2024.
La « liberté de navigation » (FON : Freedom Of Navigation) est une revendication fondamentale américaine, utilisée pour justifier ses agissements hégémoniques en mer. L’article récemment publié par l’ambassade des États-Unis en Chine en résume son interprétation,1 qui est loin d’être celle reconnue par le droit international.Nous vivons sur une petite planète où 70% de la surface est couverte par l’eau. Comment s’y comporter est l’affaire de tous. Est révolue l’époque où un hégémon définit et impose, sous des prétextes de liberté et de justice, ses règles, privées et partisanes, à tous les autres pays.
Une patrouille sino-russe inhabituelle : « très provocatrice » ?
Le quotidien chinois The Global Times a rapporté fin juillet un exercice naval conjoint sino-russe dans la mer du Japon et dans les eaux de l’Alaska.2 Cette visite a provoqué des réactions violentes aux Etats-Unis. Il semble qu’ils commencent à sentir davantage le fait qu’ils ne sont pas seuls dans ces océans, que d’autres navires peuvent se déplacer et, de même, leur rendre visite.
La patrouille navale conjointe de la Chine et de la Russie annoncée avait atteint les eaux internationales près de l’Alaska. Onze navires chinois et russes se sont rapprochés des îles Aléoutiennes et sont depuis repartis sans entrer dans les eaux territoriales américaines, a rapporté dimanche le Wall Street Journal (WSJ), citant des responsables américains.
Cependant, le rapport du WSJ citait un porte-parole du Commandement Nord américain qui déclarait que le voyage « est une première historique » et « très provocateur ».
Les médias américains ont publié ces informations après que le ministère chinois de la Défense nationale a annoncé le 26 juillet que la Chine et la Russie lanceraient bientôt leur troisième patrouille navale conjointe, qui verrait les navires de guerre des deux parties naviguer dans les eaux du Pacifique occidental et nord à la suite de la mission conjointe Nord/Interaction-2023 après les exercices en mer du Japon.
Les médias américains, qui ont qualifié le voyage de « hautement provocateur », devraient se souvenir du fait que les États-Unis envoient constamment des navires et des avions de guerre aux portes de la Chine en vue de reconnaissances rapprochées militaires, et en se basant sur leur interprétation de la liberté de navigation.
Cette flottille russo-chinoise a appareillé de Vladivostok le 27 juillet. La marine russe y a engagé deux « destroyers » de type Oudaloï (les « Amiral Panteleïev » et « Amiral Tribouts »), deux corvettes de type Steregouchtchi (les « Gremiachtchi » et « Aldar Tsydenjapov ») ainsi qu’un pétrolier ravitailleur Petchenga. Quant à son homologue chinoise, elle a également mobilisé cinq navires, à savoir deux « destroyers » de Type 052D (les CNS « Guiyang » et CNS « Qiqihar »), deux frégates de Type 054A (les CNS « Zaozhuang » et CNS « Rizhao ») et le pétrolier CNS « Taihu ». Il n’est pas exclu que des sous-marins fassent partie de cette expédition.
La présence de ces navires russes et chinois au large de l’Alaska a conduit l’US Navy à mobiliser un avion de patrouille maritime P-8A Poseidon et, surtout, quatre « destroyers » de type « Arleigh Burke », à savoir l’USS John S. McCain, l’USS Benfold, l’USS Chung-Hoon et l’USS John Finn. Cela étant, d’après USNI News, deux de ces unités avaient déjà été chargées de surveiller la formation russo-chinoise lors de son passage en mer du Japon.3
Notons au passage que ces bâtiments possèdent une force de frappe plus que redoutable, par exemple les « destroyers » de type « Arleigh Burke » (Américain), 4 de type 052D (Chinois) ou de type Oudaloï (Russe). Leur rencontre n’est pas celle de simples hors-bords.
Les opérations de FON américaines : « légitimes » ?
Depuis plusieurs années, on observe fréquemment des opérations dites de liberté de navigation par des navires américains près de la côte chinoise.
Selon des statistiques disponibles, 39 opérations de liberté de navigation ont été menées en mer de Chine méridionale par la marine américaine entre 2015 et 2022.5
Toutes ces opérations ont été justifiées au nom de la liberté de navigation (FON : Freedom Of Navigation) qui n’est absolument pas celle définie par le droit international.
Notons encore les opérations de reconnaissance rapprochée par air, toujours de la part des US. Certaines ont eu lieu à une très courte distance de 50 km de la côte. On reste bouche bée devant le nombre effarant de 600 occurrences de ce type, pour la seule année de 2022.6
La liberté de navigation : la lecture américaine est loin d’être celle reconnue par le droit international7
Il existe une différence fondamentale entre la liberté de navigation revendiquée par les États-Unis et la liberté de navigation réelle en vertu du droit international. Selon l’article de l’ambassade américaine, la liberté de navigation est le droit de ses navires et aéronefs de naviguer et de survoler les soi-disant « eaux internationales » ainsi que le droit de passage inoffensif (innocent passage) dans les eaux territoriales des États côtiers « sans restriction illégale de la part des États riverains ». Selon le rapport du Département américain de la Défense, la liberté des mers signifie non seulement la liberté de passage des navires marchands, mais également l’utilisation de l’air et de la mer par les navires et avions militaires.
Bien que le concept de « liberté des mers » ait une histoire ancienne, les règles du droit international régissant la navigation ont considérablement changé avec le développement du droit international de la mer, notamment avec la conclusion de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Malgré les efforts déployés par les États-Unis pour s’unir à leurs alliés dans des négociations visant à maintenir la soi-disant liberté de navigation selon les méthodes traditionnelles, la Convention vise en fin de compte à maintenir un équilibre entre les intérêts des puissances maritimes et des États côtiers. Il n’y a jamais eu de droit de navigation illimité dans la Convention ou dans le droit international général.
Le droit de navigation n’est pas illimité dans les eaux situées au-delà de la mer territoriale. Les États-Unis soutiennent que la liberté de navigation en haute mer s’applique au-delà de la mer territoriale et ont ainsi créé la notion d’« eaux internationales », qui semble exprimer un sens similaire à la notion d’« espace aérien international » en droit international. Cependant, contrairement au droit international concernant l’espace aérien, la Convention a classé l’océan en différentes zones maritimes, telles que les eaux intérieures, la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive, le plateau continental, la haute mer et la Zone, et les droits et obligations des États varient. Ce sur quoi les États-Unis insistent, est un droit de passage en transit sans entrave, sans le consentement ni aucune réaction de la part des États côtiers.
Le « Programme Liberté de Navigation » en est un parfait exemple : il se base sur une interprétation unilatérale américaine du droit international de la mer, et par cet acte unilatéral, il empêche la formation d’un droit international et impose ses revendications. Il promeut un ordre maritime fondé sur les règles donnant la priorité aux intérêts américains.
La notion de « revendication maritime excessive » est une définition unilatérale des États-Unis et n’a aucun effet décisif final.8 Cette décision n’est qu’une réponse négative unilatérale des États-Unis aux revendications de droits maritimes d’autres pays.
Les soi-disant revendications maritimes excessives identifiées par les États-Unis peuvent être grossièrement divisées en trois types. Le 1er cas relève de la CNUDM (La Convention des Nations unies sur le droit de la mer). Les stipulations sont très claires et peu controversées. Le second est que les stipulations de la Convention sont quelque peu vagues et, basées sur des positions différentes, il est difficile pour les pays de se mettre complètement d’accord. Troisièmement, la Convention ne contient aucune disposition pertinente et aucun droit coutumier international pertinent n’a été élaboré.
Il n’y a pas de discussion possible dans le 1er cas. Dans les 2e et 3e cas, les États-Unis ne peuvent ni ne doivent être l’arbitre final. Dans le contexte de questions relativement controversées, cela montre que les règles pertinentes sont encore en cours de mise en place et de formation et ne devraient pas être décidées par un pays spécifique.
L’ironie de la situation
Les incohérences sont apparentes. Il n’est pas difficile de voir l’ironie de la situation.9
La plus grande ironie est que, même si les États-Unis justifient leurs soi-disant actions en matière de « liberté de navigation » en se prévalant du droit international, ils n’ont jamais ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui établit l’ordre juridique et les règles des océans du monde.
Compte tenu que les États-Unis n’en font pas encore partie, ils n’ont aucun droit d’interpréter la Convention. Conformément aux articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités,10 la pratique ultérieure des parties doit être prise en compte lors de l’interprétation de la Convention. Autrement dit, la Convention évoluera probablement conformément à la pratique ultérieure des Parties. Mais, n’étant pas encore signataire de la Convention, la pratique des États-Unis ne signifie rien pour l’interprétation de la Convention.
The Heritage Foundation des États-Unis, qui exerce une influence considérable sur la formulation de la politique du gouvernement, a déclaré dans un article que « Depuis plus de 200 ans, les États-Unis ont réussi à préserver et à protéger leurs droits et libertés de navigation en s’appuyant sur les opérations navales, les protestations diplomatiques et le droit international coutumier ». Les États-Unis n’ont pas besoin de ratifier la Convention sur le droit de la mer pour rejoindre le traité multilatéral « profondément vicié », tant qu’ils maintiennent une marine forte (The U.S. can best protect its rights by maintaining a strong U.S. Navy, not by acceding to a deeply flawed multilateral treaty.) 11 Rien ne peut être plus clair : c’est une façon de déclarer que « je suis l’hégémon, je fais ce que je veux. Le droit international, c’est pour les autres. » Sans hypocrisie et en appelant un chat un chat, les US disent simplement leur conviction : la force brute suffit. Retenant ce point nous aide grandement à rester réveillés.
Aujourd’hui, plus de 100 000 navires de divers pays traversent la mer de Chine méridionale, chaque année, en toute sécurité et librement, sans aucun problème.12 Les navires de guerre et les avions américains « pénètrent » l’espace aérien et les eaux d’autres pays, menaçant la souveraineté et les intérêts de sécurité d’autres, devenant, contrairement à leur souhait, une source des problèmes.
Mare Clausum vs Mare Liberum13 : un bon équilibre est bénéfique pour tous
Les US devraient prendre conscience que nous vivons dans un monde multipolaire. Ils ne peuvent plus agir comme dans un no man’s land. Les autres puissances sont là pour le leur rappeler en utilisant, si nécessaire, le langage qu’ils comprennent. Voilà la signification des patrouilles conjointes sino-russes près de l’Alaska. Compte tenu de la tension actuelle entre les grandes puissances, ce type de dialogue risque de durer un moment. A l’avenir, ne soyons pas surpris de voir, un jour, ce type de formations près des Iles d’Hawai ou au large de San Diego sur la côte ouest des US. C’est peut-être le moment de citer la fameuse phrase de Confucius : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux que les autres te fassent à toi ».
Un équilibre juste entre une mer fermée (mare clausum) et une mer ouverte (mare liberum) est essentiel pour la paix et la prospérité de tous les pays. Il doit être établi dans le cadre du droit international reconnu par tous et non basé sur les règles décrétées par quelques-uns.
En l’occurrence et de nos jours, le produit de cet équilibre est la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer CNUDM (United Nations Law of the Sea Convention – UNCLOS).
Appliquons-la, scrupuleusement et de manière civilisée, en excluant le double standard apparent, ou déguisé, ou imposé. Ainsi, il y aura plus de paix dans le monde.
Liu Xuanzun & Guo Yuandan, US hype of China-Russia joint naval patrol near Alaska is overreaction, exposes double standards, Aug 07, 2023
Laurent Lagneau, L’US Navy déploie quatre navires pour surveiller une importante flottille russo-chinoise au large de l’Alaska, ZONE Militaire OPEX360.com, 7 août 2023
Cf. Military.com : Les destroyers DDG 51 Arleigh Burke sont des navires de guerre dotés de capacités offensives et défensives multi missions de surface anti-aérienne (AAW), anti-sous-marine (ASW) et anti-surface (ASUW). L’armement du destroyer a considérablement élargi le rôle du navire dans la guerre de frappe en utilisant le système de lancement vertical (VLS) MK-41. Service : Armement de l’USN : missile standard (SM-2MR) ; Missiles ASROC à lancement vertical ; Tomahawk ; 6x torpilles MK-46 ; Missile Sea Sparrow évolué Propulsion : 4 turbines à gaz General Electric LM 2500-30, deux arbres Vitesse : 30 nœuds Équipage : 276
Lei Xiaolu, The “Freedom of Navigation” Claimed by the United States is Not “Freedom of Navigation” under International Law, SCSPI, 2023-06-03
2023, 02/21, WWW.news.cn
Lei Xiaolu, The “Freedom of Navigation” Claimed by the United States is Not “Freedom of Navigation” under International Law, SCSPI, 2023-06-03
Qiuyi Wang, The USA “Freedom of Navigation Program” from the Perspective of International Law, East China University of Political Science and Law, Aug. 30, 2022
Qiuyi Wang, The USA “Freedom of Navigation Program” from the Perspective of International Law, East China University of Political Science and Law, Aug. 30 th , 2022
Steven Groves, Accession to the U.N. Convention on the Law of the Sea Is Unnecessary to Secure U.S. Navigational Rights and Freedoms, The Heritage Foundation, August 24, 2011: “For more than 200 years, the United States has successfully preserved and protected its navigational rights and freedoms by relying on naval operations, diplomatic protests, and customary international law. U.S. membership in the United Nations Convention on the Law of the Sea (UNCLOS) would not confer any maritime right or freedom that the U.S. does not already enjoy. The U.S. can best protect its rights by maintaining a strong U.S. Navy, not by acceding to a deeply flawed multilateral treaty.”
Qiuyi Wang, The USA “Freedom of Navigation Program” from the Perspective of International Law, East China University of Political Science and Law, Aug. 30 th , 2022
Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.
“La crise est utile en ce sens qu’elle conduit à accélérer la prise de décision. Mais quand on fait face à des mutations nombreuses et de long terme, se concentrer sur la résolution d’une crise de court terme peut se révéler contre-productif sur le long terme. La capacité d’anticipation si souvent mentionnée comme un des éléments fondamentaux en matière d’intelligence économique joue ainsi un rôle fondamental.” Contrôleur général au sein des ministères économiques et financiers, ancien Coordinateur ministériel à l’intelligence économique de Bercy, Jean-Louis Tertian vient de publier La souveraineté stratégique : une question de tempo (Editions du Palio, juin 2023). De fait, nous subissons l’influence pesante des normes et des procédures. Aussi, pour résoudre cette aporie, il faut régler la question du bon tempo à adopter.
Dans l’entretien qu’il a accordé à Bruno Racouchot, directeur de Comes Communication, Jean-Louis Tertian plaide pour une souplesse accrue face aux dif- férentes configurations. Il faut ainsi privilégier notre souveraineté stratégique, prendre du recul et “anticiper les mutations à venir en prenant en compte nos intérêts propres et les porter au niveau européen. Et sans tarder.”
La multiplication des coups d’Etat au Sahel et en Afrique de l’Ouest, qui fragilise encore un peu plus l’influence de la France sur le continent, signe un inquiétant recul démocratique. Explications avec Alain Antil, de l’IFRI.
Des militaires qui font irruption dans les locaux de la télévision d’Etat pour annoncer à l’antenne la fin du régime politique et la destitution du président : la scène s’est répétée sept fois ces trois dernières années dans les Etats africains francophones. Après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger il y a un mois, c’est le Gabonqui est devenu le théâtre, le 30 août, d’un nouveau coup d’Etat. Le continent africain semble renouer avec les régimes militaires des années de guerre froide, une période – que l’on pensait révolue – marquée par une instabilité politique endémique qui faisait apparaîtrele continent comme structurellement incapable de se démocratiser. Mais la dynamique des coups d’Etat actuels est complexe, et il serait réducteur de les mettre dans le même sac.
En août 2020 puis mai 2021, les colonels maliens ont surfé sur un mécontentement général contre le régimecorrompu d’Ibrahim Boubacar Keïta. Au Burkina Faso, les putschs de janvier et septembre 2022 puisent leurs racines dans des relations tendues entre militaires et pouvoir civil, sur fond de défis sécuritaires importants posés par des insurgés djihadistes qui contrôlent 40 % du territoire. Au Niger, le coup d’Etat contre Mohamed Bazoum ne fait pas suite à des manifestations dans les rues de Niamey, ni à des revers contre les groupes terroristes. La légitimité que le président nigérien tirait des élections de 2021 était loin d’être parfaite, mais elle n’était pas remise en cause. Quant au Gabon, c’est la réélection contestée de l’héritier de la dynastie Bongo – qui règne depuis 1967 – qui y a provoqué le putsch contre Ali Bongo. Une situation qui rappelle celle de la Guinée en 2021, où les militaires des forces spéciales ont déposé Alpha Condé qui avait révisé la Constitution pour effectuer un troisième mandat.
Reste que le retour des treillis au coeur de la vie politique bénéficie d’un indéniable soutien populaire. Profitant de cet état de grâce, les putschistes de ces paysont opéré un rapprochement jusqu’à évoquer une « fédération ». Un axe qui serait capable de relever les défis économiques auxquels leurs propres élites corrompues et leurs partenaires occidentaux n’ont pas su répondre. De quoi, en tout cas, mettre en lumièreun rejet grandissant des valeurs démocratiques et libérales. La Russie de Vladimir Poutine, qui s’en réjouit, apparaît comme la bénéficiaire de l’affaiblissement des Occidentaux dans leur ancien pré carré…
Cette « épidémie de putschs », comme l’a qualifié Emmanuel Macron, va-t-elle s’étendre ? Au Cameroun et au Congo-Brazzaville, les dirigeants sont vieillissants. A Madagascar, la gouvernance laisse à désirer. Au Sénégal, la jeunesse bouillonne contre l’autoritarisme de Macky Sall. Entretien avec Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des Relations internationales (Ifri).
La position de la France en Afrique est-elle affaiblie ? Avec le Gabon, c’est un de ses piliers historiques qui vacille sous les coups de boutoir des militaires…
Alain Antil : Au Sahel, la relation entre certains pays francophones et la France connaît une crise aiguë. Les relations diplomatiques sont difficiles, les troupes françaises sont sommées de partir, les accords de défense avec l’ancienne métropole sont dénoncés. Mais le déclin de la présence française sur le continent africain est une tendance de fond. Le désengagement militaire n’a pas commencé avec le retrait du Mali et du Burkina Faso. Depuis les indépendances, les effectifs sont passés de 30 000 à un peu plus de 6 000 aujourd’hui.
Emmanuel Macron avait lui-même qualifié en février les bases militaires de « relique du passé ». Les crises politiques actuelles ne font qu’accélérer le processus. Cette présence militaire était contestée par les populations et une partie des élites. Peut-être est-ce l’occasion de bâtir une relation plus apaisée… Par ailleurs, la présence économique française s’est redéployée. Les intérêts français ne sont plus concentrés sur les pays francophones et encore moins les pays sahéliens.
« Il est temps de s’interroger sur la présence militaire française en Afrique » Ces récents putschs à répétition touchent principalement des Etats francophones. Est-ce une remise en cause de la politique française menée depuis la colonisation ?
Oui. Parmi les legs postcoloniaux qui expliquent ce rejet, la présence militaire française est la plus visible. La France est le seul ancien pays colonisateur à avoir maintenu pendant des décennies des bases militaires permanentes et mené une cinquantaine d’opérations. L’interventionnisme militaire, rendu possible par des accords signés peu après les indépendances, est une caractéristique majeure de la politique de la France qui suscite aujourd’hui la réprobation sur le continent. Malgré la baisse des effectifs, il ne s’est pas affaibli au XXI siècle, se manifestant au contraire par la plus ambitieuse des expéditions militaires, l’opération Barkhane [2014-2022].
Ces pays dénoncent aussi une forme de paternalisme dans la façon dont s’expriment les autorités françaises. Le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007, lorsqu’il a déclaré que « l’homme africain n'[était] pas assez entré dans l’Histoire », a été vécu comme une gifle. J’ai le sentiment que nos autorités ne se rendent pas compte du poids de tels propos vexatoires. Encore récemment, Emmanuel Macron a déclaré que le Mali, le Burkina Faso et le Niger « n’existeraient plus » sans les opérations militaires françaises. Sans s’en rendre compte, le président alimente le ressentiment.
Emmanuel Macron et l’Afrique : une politique du « en même temps » difficile à suivre Nombre de ces coups d’Etat ont bénéficié, du moins au début, d’un important soutien populaire…
Face à des régimes jugés corrompus et défaillants, qui n’offrent aucune perspective d’avenir en particulier aux jeunes, il y a une soif de nouvelles voies. Ce « dégagisme » passe parfois par des élections, parfois aussi par des coups d’Etat militaires. Les putschistes et les milieux qui les soutiennent, les néo-panafricanistes, les souverainistes, proposent une nouvelle offre politique, celle d’une « deuxième indépendance ». Ils promettent la rupture avec l’ancien colonisateur, considéré comme coresponsable avec les élites africaines dirigeantes des malheurs de ces pays.
Ils enfourchent le discours souverainiste anti-français et anti-occidental, car c’est leur seul capital politique. Les militaires n’apportent pas de solutions aux problèmes. Mais les opinions publiques leur savent gré de dénouer des crises qui pourraient, sans leur intervention, finir dans des bains de sang. Cela dit, il faut rester prudent sur le degré de soutien à ces coups d’Etat, car on ne dispose pas d’instituts de sondage pour mesurer leur popularité.
Souvent, ces putschistes ont été inefficaces dans leur mission de protection du territoire. Certains ont occupé des fonctions au coeur des pouvoirs rejetés. Or ils apparaissent comme les sauveurs de la nation…
L’armée fait figure d’unique alternance valable pour renouveler la classe politique vieillissante et corrompue. De plus, au Mali et au Burkina Faso, les putschistes ne font pas partie de la haute hiérarchie, qui est aussi détestée que les élites administratives. Ce sont de jeunes officiers qui ont l’expérience du terrain, ne traînent pas de casseroles connues et promettent d’être en phase avec une population jeune.
Alors que les partis politiques sont démonétisés, on voit s’élaborer un nouveau champ politique avec d’autres acteurs : militaires, influenceurs, mouvements citoyens, plateformes de soutien aux putschistes ou, plus classiquement, personnes qui revendiquent des formes de légitimité traditionnelles ou religieuses.
Les militaires qui prennent le pouvoir n’ont aucune compétence pour gouverner, aucune compétence diplomatique pour négocier. Quels sont les risques ?
On a du mal à se rendre compte de ce qui se passe dans l’appareil d’Etat, car ces terrains sont désormais difficiles d’accès pour les chercheurs et les journalistes. Mais on sait que depuis l’arrivée de la junte au Mali, la situation sécuritaire s’est dégradée. L’emprise de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) a doublé depuis le départ de l’armée française et l’arrivée des mercenaires de [la société russe] Wagner. Le Burkina Faso connaît lui aussi de grandes difficultés sécuritaires, et c’est également ce qui risque de se passer au Niger.
Au Mali, les civils paient de leur vie la présence de la milice Wagner Peuvent-ils apporter plus de démocratie à coups de putsch, dans une forme paradoxale de « printemps africain » ?
C’est parfois le cas. La démocratie est advenue au Mali en 1991 après des manifestations populaires réprimées dans le sang, qui ont fini par la chute de la dictature de Moussa Traoré après le coup d’Etat d’Amadou Toumani Touré. Celui-ci s’est retiré après une courte transition, avant de se présenter à la présidentielle en 2001. Au Niger, l’ancien président Mahamadou Issoufou a été élu après un coup d’Etat en 2010 et une transition menée par de jeunes officiers autour du commandant Salou Djibo…
Aujourd’hui, il est difficile de dire si ces putschs vont mener à une ouverture démocratique. En Guinée, les putschistes ont annoncé qu’ils ne resteraient pas au pouvoir. Au Mali, certains des colonels se voient un avenir politique, mais Bamako n’est pas engagé dans un processus de retour à des élections transparentes. Au Burkina Faso, la situation est si catastrophique sur le plan sécuritaire que parler de fin de la transition est illusoire. Au Niger, la junte a évoqué une transition de trois ans. Au Gabon, il est encore trop tôt pour se prononcer [le général Brice Oligui Nguema, nouvel homme fort du pays, a prêté serment lundi 4 septembre sans fixer la durée de la transition, réitérant la promesse de « remettre le pouvoir aux civils en organisant des élections libres, transparentes et crédibles »].
Ces coups d’Etat sont-ils le signe que la vague de démocratisation qui a balayé l’Afrique subsaharienne au début des années 1990 s’est brisée ?
De 1990 au milieu des années 2010, l’Afrique subsaharienne a connu globalement des progrès démocratiques, avec des trajectoires nationales très différentes. Au Sénégal, par exemple, on a eu une transition démocratique. Mais l’Afrique centrale est restée, comme au temps de la guerre froide, avec des gouvernements kleptocratiques et autoritaires. Depuis le milieu de la décennie 2010, on observe une régression,même dans des pays où il y a eu des progrès. Au Bénin, qui était avec le Sénégal à la pointe des processus de démocratisation, des opposants sont arrêtés. On est dans une phase globale de dégradation de la démocratie. Parallèlement, au sein des populations, en particulier dans la jeunesse, on trouve de moins en moins de forces sociales prêtes à tout sacrifier pour la démocratie. Cela s’explique par le sentiment que cette démocratie promue par les Occidentaux a échoué,qu’elle n’a pas apporté le développement.
Sénégal : les révoltés de Casamance Y a-t-il une tentation de l’autoritarisme ?
Ces pays ont une longue histoire de pouvoirs militaires, de partis uniques répressifs et violents. Pendant la guerre froide, les militants pro-démocratie vivaient dans la clandestinité. Puis, au début des années 1990, ces régimes se sont effondrés. Dans son discours du 20 juin 1990 à La Baule, lors d’un sommet France-Afrique, François Mitterrand ébauche l’idée de lier les aides économiquesau respect de critères démocratiques. Des forces sociales organisées et puissantes ont alors poussé pour une ouverture démocratique, pour créer des partis, des médias et des associations. On est aujourd’hui dans une phase inverse.
Une partie des populations africaines, déçues par la démocratie telle qu’elle a été mise en oeuvre, constatent que d’autres pays se sont développés grâce à des régimes autoritaires et sont tentés de les imiter. Ils veulent remplacer le « consensus de Washington » des années 1980 par le « consensus de Pékin » et explorer d’autres modèles vendus par la Russie, la Chine, les pays du Golfe ou la Turquie. Ces derniers ne sont pas aussi exigeants que les partenaires occidentaux en matière de progrès démocratique et de défense des droits de l’homme. Les régimes au pouvoir se montrent donc moins enclins à progresser sur ces questions. Mais cette analyse est à relativiser. Un régime fort ou répressif ne suffit pas pour développer un pays. Il faut aussi un Etat fonctionnel. La Chine ne s’est pas développée parce que c’était une dictature, mais parce qu’elle a un Etat puissant, interventionniste et efficace. Il en va de même au Rwanda. Pour de nombreux régimes autocratiques en Afrique, c’est loin d’être le cas.
BIO EXPRESS
Alain Antil est chercheur et le directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des Relations internationales (Ifri). Il enseigne à l’Institut d’Etudes politiques de Lille, à l’université Paris-I et a publié de nombreux articles sur le Sahel. Il est l’auteur d’une étude intitulée « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone » [PDF].