LPM 2024-30 : La Marine nationale devrait disposer de quatre nouveaux navires légers de projection de forces

LPM 2024-30 : La Marine nationale devrait disposer de quatre nouveaux navires légers de projection de forces

https://www.opex360.com/2023/05/27/lpm-2024-30-la-marine-nationale-devrait-disposer-de-quatre-nouveaux-navires-legers-de-projection-de-forces/


Certes, ces navires ont depuis été remplacés par quatre Bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer [BSAOM], dotés de nouvelles fonctionnalités [remorquage, grue de levage, etc]. Mais ceux-ci permettent pas d’effectuer les mêmes missions que les BATRAL, lesquels avaient la capacité de transporter jusqu’à 12 véhicules et 130 hommes, ce qui était fort utile en cas, par exemple, de catastrophe naturelle pour acheminer de l’aide humanitaire.

Un rapport du Sénat, publié en 2022, s’en était justement inquiété. Le retrait des BATRAL « constitue une rupture de capacité qui ne dit pas son nom, la disparition d’une capacité amphibie basique et immédiatement disponible intra-théâtre outre-mer posant de nombreux problèmes logistiques. Le rétablissement de ces capacités amphibies est aujourd’hui primordial », avaient soutenu ses auteurs.

Seulement, le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 n’évoque pas ce sujet… Du moins était-ce encore le cas jusqu’au 26 mai. En effet, lors de son examen en séance par les députés, quatre amendements [n°1516, n°1704, n°1705 et n°1706] visant à lancer un programme de navire amphibie léger ont été soutenus respectivement par Jean-Louis Thiériot [LR], Yannick Chenevard [Renaissance], Jean-Charles Larsonneur [Horizon] et Fabien Lainé [Modem].

Il s’agit de « doter notre marine, dans ses fonctions outre-mer, de bâtiments de transport léger susceptibles […] d’intervenir en débarquement sur des plages dépourvues d’infrastructures portuaires importantes. Cette capacité n’existe plus. Nous proposons le lancement d’un programme qui nous permettrait de disposer à terme d’un Batral par aire d’outre-mer : un aux Antilles, un dans l’océan Indien – qui pourra intervenir à Mayotte […] – et deux dans le Pacifique, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie », a expliqué M. Thiériot.

Et de souligner que de tels navires auront une « fonction militaire dissuasive » en permettant le débarquement d’une compagnie de combat, ce qui pourrait être utile si un « problème survenait demain aux îles Éparses, sur les îlots Matthew et Hunter ou dans d’autres territoires qui pourraient être contestés », et ils seront aussi « en mesure de remplir des missions civilo-militaires, puisqu’ils [seront]parfaitement adaptés à des crises naturelles ou climatiques ».

Cela étant, lors d’une audition à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de LPM 2024-30, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier, avait évoqué une réflexion « assez approfondie » avec le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA] au sujet d’un successeur au BATRAL.

« Les bâtiments susceptibles de faire de l’amphibie léger, c’est-à-dire d’apporter sur une île des capacités légères, du soutien et de l’assistance, ont un coût de l’ordre de 15 à 20 millions. La notion de signalement stratégique par prépositionnement dans les outre-mer est importante et elle passe par le fait de montrer régulièrement des unités militaires dans ces zones parfois très isolées », avait en effet expliqué l’amiral Vandier, précisant que la question restait encore « ouverte ».

Quoi qu’il en soit, lors des débats, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, s’est dit favorable à l’adoption de ces amendements. Et la réflexion sur ce sujet est déjà assez avancée, à en juger par son propos.

« Ce programme est intéressant. Les BATRAL de demain ne seront pas les BATRAL d’hier, tant du point de vue du format que de celui du prix, puisqu’ils seront plus lourds », a en effet répondu M. Lecornu. Cependant, il a précisé qu’il s’agirait de mener des « études de faisabilité » car la « la décision de mise en production ou d’acquisition, le cas échéant, se prendra ultérieurement ».

Cependant, des solutions existent déjà… Comme le « navire de projection autonome » LCAT [photo], dévoilé en 2016 par le groupe CNIM, celui-ci l’ayant développé jsutement pour les opérations amphibies et humanitaires, ainsi que pour les missions relevant de l’action de l’État en mer. Le rapport du Sénat avait suggéré de s’inspirer de la force maritime d’autodéfense japonaise, laquelle utilise des hydroglisseurs de type LCAC.

Photo : CNIM

Une poussée parlementaire en faveur du char de combat

Une poussée parlementaire en faveur du char de combat

– Forces opérations Blog – publié le

Rehausse de la cible et des capacités du Leclerc, remplacement anticipé, abandon du développement d’un char en franco-allemand (MGCS), etc. : une vingtaine d’amendements au projet de loi de programmation militaire 2024-2030 ont été déposés avec pour enjeu commun de « muscler » le parc de chars de l’armée de Terre.

Quel avenir pour le parc de chars français ? Les combats en Ukraine et le réarmement généralisé constaté en Europe ont rebattu certaines cartes, à tel point que de nombreux parlementaires militent pour modifier un projet de LPM qui, dans ce segment, mise sur la continuité des efforts engagés. En l’état, la rénovation du Leclerc sera poursuivie mais étalée jusqu’en 2035, choix assumé par le chef d’état-major de l’Armée de Terre, le général Pierre Schill, pour garantir le renforcement de capacités longtemps délaissées. De même, MGCS restera la voie poursuivie pour « préparer l’avenir du combat terrestre », insiste le rapport annexé. 

Ce statu-quo ne convainc pas, tant dans les rangs de l’opposition que parmi certains députés de la majorité. Sur les 1741 amendements déposés à ce jour, au moins 24 traitent du sujet. Pour la LFI-NUPES et le Rassemblement national, la France doit dès à présent se désolidariser de l’Allemagne. Dans plusieurs amendements, chacun exhorte à s’écarter du partenaire en mettant un terme au programme MGCS, « ce programme voué à l’échec » selon le groupe LFI-NUPES.

Tant pour les deux « extrêmes » que pour quelques élus républicains et socialistes, il conviendrait désormais de privilégier d’autres pistes pour trouver un successeur au Leclerc, jusqu’à proposer une voie souveraine plus longue et plus coûteuse. Pour certains, le meilleur candidat se résume à quatre mots : Enhanced Main Battle Tank (EMBT). Présenté l’an dernier sous la forme d’un démonstrateur par KNDS (Nexter + KMW), ce char « de génération intermédiaire » serait le plan B à envisager pour un remplacement progressif du Leclerc.

Ce scénario est d’ores et déjà bien pris en compte par l’industriel français concerné, le groupe Nexter. « D’une manière ou d’une autre, une solution intermédiaire devra être trouvée pour succéder au char Leclerc, solution qui s’impose petit à petit du fait du contexte ukrainien et de l’arrivée de chars avec de nouvelles capacités », expliquait son PDG, Nicolas Chamussy, le 3 mai en audition parlementaire.

Séduisante, l’option EMBT suppose néanmoins de se pencher sérieusement sur les questions de coûts, de calendrier, d’industrialisation et, surtout, de finalité opérationnelle. Un char de nouvelle génération, oui, mais pour faire quoi ? Et, bien qu’à une échelle moindre, un tel choix amènera de toute façon à devoir compiler avec l’Allemagne, ce partenaire « loin d’être fiable » selon l’alliance LFI-NUPES. Autant de questions qui semblent aujourd’hui échapper à beaucoup, mais sur lesquelles députés socialistes, républicains et d’extrême droite demandent au gouvernement de se prononcer, pour les premiers, « dans un délai de 24 mois ». « Un rapport permettrait de déterminer la nécessité d’un tel investissement et, si tel était le cas, les solutions pertinentes », notent des députés RN.

Faute de solution de remplacement, le groupe LFI-NUPES exhorte à rehausser la cible de Leclerc XLR à horizon 2030, qui passerait de 160 à 180 exemplaires livrés sur les 200 attendus. « En attendant l’arrivée d’un hypothétique char européen, la France dispose de ses chars Leclerc, qu’il convient de rénover », commente-t-elle. 

Le député RN Laurent Jacobelli entreprend quant à lui de sanctuariser une capacité pour l’instant non prise en compte dans l’opération de rénovation du Leclerc. L’amendement déposé vise ici « à garantir l’inclusion d’un module de protection active sur au moins une partie de nos chars Leclerc, sans fixer de cible contraignante ». Un effort supplémentaire annoncé auparavant par le CEMAT et sur lequel la Direction générale l’armement et les industriels progressent dans le cadre du PTD Prometeus.

Si le retard de MGCS est « quelque peu préoccupant » pour le ministre des Armées Sébastien Lecornu, le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, confirmait cette volonté commune consistant « à poursuivre la feuille de route de notre char de combat ». « Nous sommes en train d’accélérer à ce sujet, en étant conscients des différents points de passage, afin de conserver notre capacité opérationnelle en matière de char de combat », déclarait-il le 2 mai. 

Loi de programmation militaire : la « grande illusion » des 413 milliards d’euros (2/2)

Loi de programmation militaire : la « grande illusion » des 413 milliards d’euros (2/2)

Le groupe Vauban livre une analyse très critique du projet de loi de programmation militaire en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Un projet qui propose pourtant une enveloppe budgétaire de 400 milliards d’euros en faveur des armées. Dans ce second volet, le groupe Vauban décortique la mécanique financière de ce projet de loi, qui va impacter, selon lui, tout aussi bien les capacités des armées que celles des industriels. Par le groupe Vauban*.

Les armées resteront échantillonnaires avec un mélange déséquilibré de matériels de nouvelle génération et de vieilles plateformes à la revalorisation lente ou réduite, sans atteindre l'épaisseur nécessaire, le tout avec des réductions temporaires de capacités et des obsolescences de plus en plus marquées dans des domaines critiques.
Les armées resteront échantillonnaires avec un mélange déséquilibré de matériels de nouvelle génération et de vieilles plateformes à la revalorisation lente ou réduite, sans atteindre l’épaisseur nécessaire, le tout avec des réductions temporaires de capacités et des obsolescences de plus en plus marquées dans des domaines critiques. (Crédits : Reuters)

 

Une analyse minutieuse démontre que non seulement le chiffre est démesurément gonflé mais qu’en plus il n’intègre pas une série de risques, qui, pris isolément, ne sont pas scandaleux en soi (on ne saurait tout prévoir) mais pris ensemble, rendent insincère cette LPM. De 413 à 75,9 milliards d’euros. Désormais appelé « l’homme qui vaut 400 milliards d’euros » – titre flagorneur de l’article d’Henri Gibier du 4 avril dans les Echos -, M. Lecornu n’est en réalité, et au final, que « l’homme qui vaut 75,9 milliards d’euros ».

  • Un « hiatus de 13,3 milliards d’euros » et des ressources extra-budgétaires optimistes

Le ministre intègre d’emblée 13 milliards d’euros de ressources extra-budgétaires sur lesquelles il estime que la moitié (5,9 milliards d’euros) est documentée et reconnue comme telle par le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP). Les ressources extra-budgétaires du ministère des Armées (immobilier, soulte venant d’un industriel, actes médicaux du SSA, etc) sont considérées comme « très optimistes » par les initiés. Quoiqu’il en soit, il manque de toute façon plus de 7 milliards d’euros à l’appel ; or, selon le HCFP, l’empilement des lois de programmation (militaire, intérieur, recherche, etc) imposera une réduction généralisée des autres dépenses de l’État : « l’effet conjugué de ce projet de loi de programmation militaire, de la loi de programmation de la recherche et de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur va contraindre fortement les autres dépenses du budget de l’État. Les crédits couverts par ces trois textes vont augmenter plus rapidement que le total de la dépense de l’État, ce qui impose une baisse en volume des autres dépenses pour atteindre les objectifs fixés dans le projet de loi de programmation des finances publiques » : comment espérer un effort supplémentaire de 7 milliards de la part des autres ministères et que faire si les autres dépenses de l’État augmentent de manière exponentielle sous le coup de nouvelles priorités ou de nouvelles crises sociales ou sanitaires ? [1]

Comme le dit pudiquement M. Moscovici, « il y a un hiatus de 13,3 milliards d’euros ». De 413,3 milliards d’euros, on descend déjà à 400 milliards ou à 405,9 milliards d’euros si l’on fait grâce au ministre de son optimisme sur les ressources extra-budgétaires de son ministère. Nulle surprise donc si certains amendements de l’opposition visent à remplacer les ressources extra-budgétaires par des crédits budgétaires si celles-là n’étaient pas au rendez-vous…

La descente aux enfers budgétaires n’est cependant pas terminée.

  • 300 milliards d’euros de programmes déjà engagés

Le socle des programmes et des dépenses de fonctionnement incompressibles se situe autour de 300 milliards d’euros, ce qui fait que l’effort de Défense ne porte en réalité pas sur 400 milliards d’euros mais uniquement sur 100 milliards d’euros de ressources nouvelles (ou 105,9 milliards € si l’on considère « sincères » les 5,9 milliards d’euros de ressources extra-budgétaires du ministère). Faire du neuf avec du vieux est une vieille astuce politicienne de recyclage, mais le débat eût gagné en honnêteté intellectuelle si ces données avaient été portées au public.

  • 30 milliards d’euros d’inflation, vraiment ?

Redescendue à 100 ou 105,9 milliards d’euros, la marge de manœuvre du ministère se réduit encore avec l’inflation : le ministre estime qu’elle assèchera la LPM de 30 milliards d’euros. Ce chiffre n’est nulle part documenté, comme l’a fait remarquer benoîtement M. Cambon : « De même, le rapport annexé n’apporte aucune précision quant aux effets de l’inflation, qui pourraient être de l’ordre de 30 milliards d’euros. »[2]. Loin de l’expliquer, le ministre s’est attaché à minimiser cet impact par le report de charges, la solidarité interministérielle sur le carburant, etc. Le problème est que le niveau même de l’inflation a été fixé de manière optimiste : 3% en 2024 et 1,75% à partir de 2026, soit un niveau trop optimiste par rapport aux données et projections actuelles. M. Moscovici le dira avec d’autres termes : « (…) la prévision d’inflation du Gouvernement pour 2023 est désormais légèrement optimiste. Selon le consensus des économistes du Haut Conseil, l’inflation pour 2023 devrait atteindre en effet 4,9 %, contre 4,2 % anticipés par le Gouvernement. Par ailleurs, dans son avis relatif au projet de loi de programmation des finances publiques, le Haut Conseil relevait des incertitudes à partir de 2026. Plusieurs dirigeants d’organisations internationales ont également alerté sur une résistance de l’inflation, qui doit nous faire réfléchir. Il est donc possible[3] que les prévisions à partir desquelles a été construite la loi de programmation militaire aient été sous-évaluées».

  • De 413,3 à 75,9 milliards d’euros seulement

Au bilan, avec le « hiatus de 13,3 milliards d’euros », le socle des programmes déjà engagés, l’optimisme sur l’inflation, la marge réelle du ministre n’est pas de 413,3, de 405,9 ou de 400 milliards d’euros, mais seulement de 75,9 milliards d’euros :

Annonce :                                                                             413,3 milliards d’euros
Projet de loi :                                                                        400 milliards d’euros
Ressources extra-budgétaires :                                          13,3 milliards d’euros
« Ressources extra-budgétaires documentées » :             5,9 milliards d’euros
Ressources non documentées :                                           7,4 milliards d’euros
Socle des programmes & dépenses incompressibles : 300 milliards d’euros
Effet de l’inflation :                                                               30 milliards d’euros

Solde net de la marge de manœuvre :                              75,9 milliards d’euros

Des paris et des impasses

Si la montagne de l’optimisme ministériel de 413,3 milliards d’euros a, au final, accouché d’une modeste souris de 75,9 milliards d’euros de marges réelles nouvelles, la LPM fait pire : elle minimise nombre de charges futures. En effet :

  • Si elle les couvre, c’est insuffisant. Ainsi en va-t-il des OPEX avec ce montant très bas de 750 millions d’euros. De deux choses l’une : ou le ministre est convaincu que la France doit affronter la haute intensité, et alors il doit provisionner des crédits pour la préparation opérationnelle de haute intensité à un niveau équivalent à Barkhane, ou alors il ne l’est pas et il minimise les provisions nécessaires. La contradiction entre la présentation d’un contexte dramatisé et la réalité des provisions d’OPEX surprend. Ainsi en va-t-il également des données macro-économiques majeures (hors inflation), comme le cours du Brent ou l’évolution $/€, post-2026 ; ainsi en va-t-il des prix de l’énergie que le ministère voit baisser après 2026… Plus grave : le taux de couverture des risques sur les « programmes à effet majeur » a été ramené de 6,4% à 3,8%…
  • Si elle ne les couvre pas, c’est inquiétant : les risques non couverts sur les programmes à effet majeur frôlent un niveau énorme (que l’on tait ici par confidentialité) comme d’ailleurs les besoins de financements de l’OTAN non programmés mais auxquels la France devra faire face comme membre. Même le soutien à l’Ukraine dont le ministre se rengorge d’avoir réussi à l’exclure de la LPM, nécessitera cependant un abondement chaque année du montant des contributions afin d’éviter un effet d’éviction sur la LPM et l’effet déjà constaté dans les pays de l’OTAN : le soutien à l’Ukraine désarme les contributeurs qui mettront des années à compenser ces cessions urgentes et désordonnées. Ce conflit étant sans fin appréciable, la spirale de la surenchère est enclenchée sans cran d’arrêt.

Le pari risqué des coopérations et des exportations. Dans la liste des paris financiers « audacieux » de cette LPM, il faut inclure les risques liés aux coopérations européennes et aux exportations. Notre groupe a souvent dénoncé, faits et chiffres à l’appui, la gabegie financière (et opérationnelle) des programmes en coopération européenne, à l’exception de quelques domaines dont la missilerie. Panacées pour l’énorme majorité des acteurs de la défense, ces coopérations sont pourtant un cauchemar financier. La LPM 2024-2030 fait le pari que les coopérations européennes ou internationales sur des programmes majeurs (que l’on ne détaillera pas ici par confidentialité) seront bel et bien réalisées. Or, le montant des risques liés à la non-réalisation de ces coopérations est extrêmement conséquent et donc potentiellement déstabilisateur pour la planification financière de ces programmes et, in fine, pour les capacités des armées. Deux capacités sont particulièrement déstabilisantes : l’Eurodrone, qui vire actuellement à la catastrophe industrielle (mais qui est accélérée !) et le MGCS, qui est encore dans les limbes, pris dans une guerre germano-germanique largement prévisible dès lors que Rheinmetall s’arrogeait le tiers du programme tout en construisant un programme concurrent (le KF-51 Panther) !

De même, le ministre s’avance énormément sur l’exportation, en listant deux produits compliqués à commercialiser sur le marché mondial : l’A400M (qui n’a que quelques clients export : Malaisie, Kazakhstan et Indonésie, à chaque fois pour un nombre d’unités très faible) et la frégate FDI (le prospect cité, bien connu des initiés, est un très gros pari compte tenu de la relation bilatérale en dents de scie et de la concurrence européenne très forte sur ce segment déjà occupé par un concurrent européen). Décaler l’acquisition de 15 A400M et faire pression sur Airbus pour qu’il trouve des clients de substitution, décaler deux FDI en espérant les vendre à un client capricieux, ce n’est pas une transformation, mais bel et bien une escroquerie, c’est-à-dire dans notre définition, une mauvaise affaire qui trahit une bonne foi.

Au bilan, les paris sont tels que les hypothèses en tout genre sont toutes de très sérieuses hypothèques : si M. Moscovici n’a pas voulu parler d’insincérité à propos de la LPM, ce gros mot est, lui, bel et bien chuchoté dans d’autres enceintes.

Le modèle d’armée de 2030…en 2035

Pompeusement baptisée loi de transformation et comparée même à l’effort gaullien de constitution de la force de frappe, cette LPM repose sur un paradoxe excellemment mis en exergue par Olivier Marleix le 5 avril dernier : « Le grand paradoxe de cette LPM est l’annonce d’un investissement record, mais de reports de livraison ou de baisses de cibles d’acquisition par rapport à la LPM 2019, malgré le retour de la guerre en Europe. Alors que la précédente LPM affichait une cible de 185 Rafale en 2020, vous fixez l’objectif à 137. De même, alors que 5 FDI étaient prévues, la LPM n’en propose plus que 3 ; et la cible de 50 avions de transport A400M a été réduite à 35. En découle le sentiment que cette LPM souffre d’arbitrages négatifs pour 2024 et 2025 – liés à l’état de nos finances publiques – alors qu’il aurait fallu concentrer les moyens pour répondre à la menace ».

Mais à part cette actualisation, le ministre assume la non-comparaison des rapports annexes des deux LPM (19-25 et 24-30) : « car j’ai souhaité que l’on raisonne, non plus en termes de commandes ou d’ambition, mais de parcs, c’est-à-dire de matériel livré. Au regard de l’effort que nous allons demander à la Nation et aux contribuables, j’estime en effet qu’il faut être précis » ; le sénateur Cédric Perrin (Sénat, 3 mai) a, heureusement, remis les pendules à l’heure par une très sèche remarque : « Quant à votre affirmation que la LPM proposée porterait sur des livraisons là où la LPM actuelle ne porterait que sur des commandes, c’est faux. C’est regrettable. On aurait par exemple aimé avoir un point de passage à 2025 pour pouvoir juger de l’avancement des programmes par rapport aux cibles figurant dans la LPM actuelle. Dans la précédente loi de programmation militaire figuraient les ambitions de livraison, mais aussi les parcs d’équipements à différentes dates ; il ne reste plus que ces derniers, tandis que les matériels diffèrent et qu’il y a parfois des regroupements, comme pour le Serval »…

Outre son imprécision, ce rapport annexé oublie nombre de programmes ; le sénateur Cédric Perrin les a listés : « le VBAE, qui doit succéder au VBL, ou encore à l’engin du génie de combat. Je pense aussi au remplacement des poids lourds de l’armée de terre. La précédente LPM mentionnait un successeur pour les véhicules 4-6 tonnes, qui a ici disparu. Or la question de la logistique est fondamentale. Quant au Tigre Mark 3, il n’est pas mentionné non plus. Il est fait état de 67 hélicoptères, mais combien seront rénovés ? Quels seront les caractéristiques de ce Tigre Mk3 ou Mk2+ ? Nous aurions besoin de précisions à ce sujet, de même que sur l’armement de ce nouveau Tigre. ».

Sur la forme, donc l’opposition elle-même constate le tour de passe-passe de fond qui se dessine : la LPM n’est pas une loi de transformation, mais de stagnation où l’ensemble des armées poursuivra ses missions sur des matériels déjà anciens et fera l’impasse sur certaines capacités qui auront disparues temporairement (sous le délicieux terme de « réductions temporaires de capacités » ou RTC). Les experts de tout bord ont soigneusement listé les stagnations à venir : les 940 amendements déposés par les députés en tracent d’ailleurs largement le contour, des frégates aux chars de combat en passant par les patrouilleurs, les capacités outre-mer de débarquement, les chasseurs de mines, les hélicoptères de manœuvre et de combat, les équipements de cohérence, etc : l’article de Vincent Lamigeon dans Challenges du 10 mai (« Rafale, chars Leclerc… Les idées des députés pour améliorer la LPM ») en donne une idée assez précise.

Loin de transformer les armées, cette LPM fait glisser leur modèle 2030 à 2035, soit cinq années potentiellement perdues si la barre n’est pas redressée en 2027.

Au bilan, l’ensemble des armées y perd : la fameuse « révision de cadencement » des commandes et des livraisons est un doux euphémisme pour cacher deux réalités : renoncement et éparpillement. Renoncement à des commandes, éparpillement des investissements avec, à chaque fois des conséquences opérationnelles : les fameuses RTC. La hausse même du budget relatif aux munitions complexes ne garantit nullement que les unités enfin dotées pourront en tirer régulièrement en entraînement comme cela devrait être déjà le cas et ce qui ne l’est toujours pas si l’on en croit les remontées en provenance des armées.

Si les chefs d’état-major n’ont pas d’autre choix que d’assumer publiquement des choix qui n’étaient pas toujours les leurs à l’origine (les armes le cèdent à la toge selon l’adage romain), il revient aux acteurs parlementaires et observateurs extérieurs de le faire à leur place.

La pression sur les industriels

La dramatisation du contexte et sa théâtralisation au plus haut sommet de l’État ont donné naissance au concept incongru d’économie de guerre. Outre le fait que la France ne se trouve nullement dans les conditions d’une guerre comme en 1914 ni même à en préparer une annoncée (1939), du fait de son éloignement des conflits et de sa force de frappe voire de ses alliés, la LPM ne permet nullement d’atteindre cet objectif.

Quelle visibilité des commandes ? En ne détaillant pas l’agrégat équipement par année, contrairement à la précédente, la LPM ne garantit pas la visibilité des commandes, indispensables aux industriels : le flou n’est jamais de bon augure. Cette visibilité des commandes est pourtant LA condition essentielle pour que les industriels soient aux rendez-vous opérationnels de manière compétitive, c’est-à-dire investissent dans les stocks, les outils de production. Si l’industrie embauche actuellement, c’est moins en raison de la LPM qu’en conséquence de ses brillantes exportations…

La visibilité est également simplification : si le gouvernement veut réellement faire avancer les problèmes industriels, il devrait commencer par simplifier : alléger les exigences de SST et d’environnement, simplifier les procédures, alléger les exigences documentaires, etc. L’énorme chantier est en réalité dans la bureaucratisation des processus d’acquisition, à tous les niveaux.

Que répond la LPM face à cette exigence industrielle ? Par une insincérité politique (les hausses majeures sont prévues au-delà de l’horizon politique de ceux qui la font voter) et financière (la somme des paris macro-économiques, l’insuffisance de couverture des risques, l’impasse sur les risques prévisibles) sans s’attaquer réellement aux problèmes, identifiées pourtant depuis longtemps par l’industrie.

La conclusion s’impose d’elle-même : rien dans la LPM ne permet la création d’une économie de guerre pour un industriel sensé. La hausse de chiffres d’affaires que les sociétés nationales seront censées connaître et que le ministre a longuement listées dans son audition du 3 mai au Sénat, est ainsi pour une large part totalement virtuelle au moment où les marchés export peuvent se retourner.

Quelle visibilité du MCO ? Point important pour l’industrie comme pour les armées, l’entretien programmé des matériels (EPM) n’est, comme l’a fait remarquer judicieusement la sénatrice Michelle Gréaume, pas annualisé : « nous nous inquiétons de l’imprécision des informations qui nous sont présentées : les chiffres de progression de l’entretien programmé du matériel (EPM) sont globaux, et l’augmentation de 14 milliards d’euros qui est proposée n’est assortie d’aucune annuité. Quel en sera le rythme de réalisation ? Avec quels objectifs et quelles priorités ? Le Parlement ne devrait-il pas en être informé et en débattre ? »…(3 mai).

Les renégociations de contrats. Estimant que la LPM offre une visibilité sur les commandes futures, le ministère fait l’hypothèse interne de gains importants sur la renégociation des contrats, soit en estimant de manière très basse les coûts des futurs programmes (sans appliquer les conséquences de l’inflation), soit en économisant sur divers postes (documentation, etc). C’est une illusion que de croire que l’État peut exiger sans rien donner et en omettant chez les industriels la pression sociale sur les salaires.

Les banques, grandes absentes du débat sur l’économique de guerre. Dans le débat sur l’économie de guerre, un acteur a été très absent : les banques. M. Gomart aura été l’un des seuls à le faire remarquer dans son audition du 8 mars au Sénat : « Ma deuxième critique porte sur la notion d’ « économie de guerre ». Elle ne correspond pas à la manière dont les choses sont ressenties à la fois par les industriels et par nos concitoyens. La LPM insiste sur la nécessité de « mettre sous tension la base industrielle et technologique de défense (BITD) » pour l’encourager à produire plus et moins cher. Cette mise sous tension est à certains égards très compréhensible mais elle n’a de sens que si elle s’accompagne d’une mise sous tension du secteur bancaire censé la financer. On ne peut pas penser l’un sans l’autre. ». C’est pourtant bien ce qui est prévu.

De fait, ce sont les industriels qui feront la banque, notamment dans le cas sensible (et pour cette raison non développée ici) du porte-avions… sans avoir pleinement la certitude d’un lancement du PANG en 2028… !

Le renversement de la charge de la preuve ou l’étalement des commandes en partie justifiée par les capacités de l’industrie ! Il a été dit en audition que l’écoulement des commandes était adapté aux capacités des industriels, qui n’auraient pas pu produire plus ou plus vite : l’argument est recevable pour certaines catégories de « composants situés sur le chemin critique » (audition du général Gaudillière, 13 avril), conséquence d’un laisser-aller politique de plusieurs décennies sur ces sujets, mais est infondé pour d’autres matériels que le ministère décale alors que ne se pose ni la question de la maturité technologique, ni le débat de production des sites industriels concernés (FDI, patrouilleurs, véhicules Scorpion, revalorisation des Leclerc, Rafale…).

Au bilan, le sénateur Cédric Perrin a pleinement raison de dire que « des renoncements se traduisent par des étalements de programmes dans le temps. L’économie de guerre semble être encore davantage un concept qu’une réalité. » (3 mai).

Conclusion

Au lieu de poursuivre l’actuelle LPM jusqu’à son terme, en la corrigeant des effets des indicateurs macro-économiques, et de proposer ensuite deux lois de finances de transition (2026 et 2027), ce qui eût à la fois l’expression d’une sagesse stratégique et d’une honnêteté politique, le pouvoir a préféré lancer les travaux d’une nouvelle LPM. C’était certes son choix, mais le résultat n’est nullement convaincant tant dans les domaines doctrinaux que pratiques. Si les militaires n’ont pas pu le dire, d’emblée les groupes parlementaires, de tout bord ou presque, les observateurs attentifs des débats de défense, en ont flairé les ambiguïtés, les impasses et les risques financiers, opérationnels et industriels. Paradoxe entre affichage budgétaire et renoncements majeurs, cette loi de programmation militaire en sortira de toute façon abîmée dans l’esprit de la plupart des acteurs et observateurs.

Sur le plan stratégique d’abord, cette LPM est LA LPM de la confusion : la liste à la Prévert qu’a fournie la RNS ne forme pas une doctrine opérationnelle ni même un concept d’emploi des forces ; la LPM accentue une stratégie à base de « patchs » : le renseignement, le cyber, l’espace, les fonds sous-marins, l’Indo-Pacifique, etc, sont des domaines à la mode mais pour quel effet et pour quelle vision globale ? Comment ces domaines de lutte s’articulent-ils entre eux et avec l’élément central du système de défense national qu’est la dissuasion ? Si la LPM avait voulu faire œuvre de transformation stratégique, elle aurait eu à cœur de s’attaquer à cette articulation décisive entre dissuasion et nouveaux domaines arsenalisés. Il est dangereux d’appliquer la stratégie du « en même temps » aux armées qui ont besoin d’une hiérarchisation claire des priorités et non d’un essaimage thématique confus au gré des modes conceptuelles.

Sur le plan opérationnel, cette LPM est LA LPM de la dispersion. Faute d’avoir fixé un cap clair sur le plan doctrinal, elle crée de nouvelles branches capacitaires qui vampirisent les autres sans leur permettre pour autant de se développer vraiment. D’où cet incroyable paradoxe d’une LPM ambitieuse sur le papier mais qui accumule les renoncements et les étalements.

Sur le plan politique, cette LPM est La LPM de l’illusion. Elle crée une ambition dont le pouvoir actuel s’enorgueillit mais dont l’exécution – d’ailleurs imprécise (comme l’atteste le rapport annexé) – sera à la charge de la future majorité de 2027. L’opposition n’est pas tombée dans le piège : ses amendements visant à placer les hausses budgétaires dès 2024 et jusqu’en 2027, démontrent que la ficelle politicienne était trop grosse pour passer inaperçue.

Sur le plan budgétaire, cette LPM est également LA LPM de l’insincérité, puisqu’elle repose sur des ressources extra-budgétaires et des prévisions bien trop optimistes non seulement au vu du contexte macro-économique mais également de la situation de dérive incontrôlée des finances publiques (11,6% de dette publique avec des taux d’intérêt en hausse). Elle multiplie les paris (sur les OPEX, les renégociations de contrats, les programmes en coopération et l’exportation). La combinaison de cet optimisme immodéré et de ces risques non couverts ou insuffisamment couverts est telle que la LPM est frappée d’insincérité.

Sur le plan capacitaire, cette LPM est LA LPM de la stagnation : les armées feront du neuf avec du vieux, en traversant la décennie à venir sans le sursaut d’un réarmement énergique et d’un rééquilibrage de formats intégralement garantis mais avec de vrais déserts capacitaires. Les armées resteront échantillonnaires avec un mélange déséquilibré de matériels de nouvelle génération et de vieilles plateformes à la revalorisation lente ou réduite, sans atteindre l’épaisseur nécessaire, le tout avec des réductions temporaires de capacités et des obsolescences de plus en plus marquées dans des domaines critiques. Comme l’a si bien dit M. Marleix, « le grand paradoxe de cette LPM est l’annonce d’un investissement record, mais de reports de livraison ou de baisses de cibles d’acquisition par rapport à la LPM 2019, malgré le retour de la guerre en Europe ». Pire : la LPM aura réussi le tour de force de disperser les capacités épuisées des armées dans de nombreux domaines nouveaux largement confus.

Sur le plan industriel, enfin, cette LPM est LA LPM du miroir aux alouettes : elle enterre elle-même sa créature, l’économie de guerre, puisque la visibilité financière ne sera pas au rendez-vous compte tenu du calendrier de ses marches budgétaires.

Au bilan, si la LPM a transformé quelque chose, c’est bien l’or des intentions et des ambitions en plomb budgétaire et politique.

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[1] M. Moscovici donne un chiffre précieux : « dans la mesure où environ 20 % des dépenses de l’État sont désormais couvertes par les lois de programmation sectorielles, qui autorisent des augmentations importantes de moyens, les dépenses restantes, qui représentent 80 % des dépenses de l’État, nécessitent faire l’objet d’une maîtrise encore plus stricte pour permettre le respect de la trajectoire visée par le projet de LPFP. ». C’est nous qui soulignons.

[2] Remarques introductives de M. Cambon, Sénat, 3 mai 2023.

[3] Ce « il est donc possible » devrait être en soi une source d’inquiétude, non ?

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[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

“Les silences du projet de LPM” : L’œil de l’ASAF du mois de mai 2023

Les silences du projet de LPM” : L’œil de l’ASAF du mois de mai 2023

 

Le projet de Loi de Programmation Militaire 2024-2030 a été rendu public le 5 avril 2023. Ce projet qui a vocation à être discuté et approuvé par le parlement avant le 14 juillet présente de nombreuses innovations par rapport à la loi précédente (LPM 2019-2025), tout en conservant une structure similaire.

"Les silences du projet de LPM" : L’œil de l’ASAF du mois de mai 2023

“Les silences du projet de LPM”

 

Le projet de Loi de Programmation Militaire 2024-2030 a été rendu public le 5 avril 2023. Ce projet qui a vocation à être discuté et approuvé par le parlement avant le 14 juillet présente de nombreuses innovations par rapport à la loi précédente (LPM 2019-2025), tout en conservant une structure similaire.

Le volume financier de la loi, 413,3 Md €, est très supérieur à celui figurant dans la loi précédente (295 Md €). Cependant, seuls 400 Md € figureront dans les budgets, les 13,3 Md € restant provenant de diverses ressources extrabudgétaires (cessions, redevances…) dont la certitude est loin d’être assurée. Par ailleurs, il s’agit, comme dans la loi précédente, d’euros courants, sans qu’il soit prévu d’actualisation en fonction de l’inflation (à l’exception d’une clause de sauvegarde qui ne concerne que les hausses de prix durables des carburants opérationnels). Or, nous sommes entrés depuis 2021 dans une période inflationniste, qui fausse les comparaisons et conduit à dépenser une partie du budget à couvrir des hausses inéluctables des prix et des salaires. Cela a conduit le Ministère des Armées à augmenter considérablement le reste à payer en fin d’année. La Cour des Comptes, dans son rapport public de mai 2022 sur l’exécution de la LPM 2019-2025, s’en inquiète et l’évalue à un montant inégalé de près de 100 Md € en fin 2025. Il est certain que la hausse réelle du budget en euros constants, sera bien inférieure à l’écart apparent, et qu’une part non précisée des crédits sera consacrée à rétablir la situation financière des armées, d’autant que le gouvernement veut diminuer les déficits publics à l’horizon 2027.

Enfin, les hausses les plus importantes auront lieu après 2027. La hausse annuelle en euros courants est fixée à 3 Md € de 2024 à 2027, et à 4,3 Md € en 2028, 2029 et 2030, avec une clause de réexamen en fin 2027. En effet, il est stipulé que la loi de programmation fera l’objet d’une actualisation avant la fin de l’année 2027. Or, ce projet de LPM contient sur certains points des innovations importantes, qu’il faut financer. Le rapport annexé à la LPM 2024- 2030, bien que nettement moins détaillé que celui annexé à la loi précédente, permet d’en estimer certains.

D’après la communication officielle du Ministre des Armés, la LPM permettra de :

• Maintenir la crédibilité de notre dissuasion ;
• Renforcer la résilience sur le territoire national, notamment les Outre-mer, et l’affirmation de notre souveraineté ;
• Anticiper la haute intensité et un engagement majeur en veillant à renforcer notre réactivité et notre capacité à soutenir un effort dans la durée ;
• Défendre les espaces communs, nouveaux lieux de conflictualité ;
• Repenser et diversifier les partenariats stratégiques pour renforcer nos capacités d’influence, de prévention et d’intervention au-delà de nos frontières.

Dans les faits, cela conduit à lancer de nouvelles actions (renseignement, cyber, forces spéciales, espace…) ou à sérieusement palier des insuffisances actuelles (sol-air, entraînement, munitions, MCO…) qui nécessitent une réorientation partielle des budgets, ce qui n’est possible, suivant une recette éprouvée, que par des étalements de programme.

Les effectifs d’active restent pratiquement inchangés, et le nombre de matériels majeurs aussi, mais leur renouvellement est ralenti. Le rapport annexé à la LPM 2024-2030, bien que nettement moins détaillé que celui annexé à la loi précédente, permet d’en estimer certains tout en laissant dans l’ombre beaucoup de sujets.

Par exemple, pour l’aviation de combat : le « tout Rafale » n’est pas pour 2030, mais pour 2035, ce qui signifie que des Mirage 2000 devront continuer à voler jusqu’à cette date.
L’armée de l’Air et de l’Espace disposera de 35 avions de transport A400-M en 2030. Pour les 15 autres appareils prévus initialement, rien n’est indiqué.
La Marine semble à première vue moins touchée, puisque le nombre des bâtiments de combat est maintenu, avec des livraisons de nouveaux bâtiments et que le lancement des travaux du futur porte-avions est confirmé, ce qui n’exclut aucunement des retards dans les calendriers, s’il est nécessaire d’étaler les paiements.
L’armée de Terre aura des livraisons décalées de blindés modernes Jaguar, Serval et Griffon, ce qui conduira probablement à maintenir en service au delà de 2030 les VAB et les AMX-10RC qui sont encore en état de marche. Beaucoup d’incertitudes pèsent également sur le remplacement des hélicoptères les plus anciens, pour lequel le rapport annexé ne donne aucun détail.

Enfin, le rôle des volontaires de la réserve opérationnelle (105 000 personnels prévus en 2035 avec des limites d’âges portées à 70 ans, voire 72 ans pour certaines spécialités) reste peu clair.

En résumé, les silences du projet de LPM ne permettent pas de se faire une idée précise de ce que seront nos armées dans les 10 ans qui viennent, d’autant que les ressources budgétaires devront être confirmées chaque année par le budget annuel des armées.


GA Louis-Alain ROCHE

AdministrateurASAF
www.asafrance.fr

https://www.asafrance.fr/item/les-silences-du-projet-de-lpm.html

Loi de programmation militaire : la grande escroquerie (1/2)

Loi de programmation militaire : la grande escroquerie (1/2)

Le groupe Vauban livre une analyse très critique sur le projet de loi de programmation militaire en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Un projet qui propose une enveloppe budgétaire de 400 milliards d’euros en faveur des armées. Dans un premier volet, le groupe Vauban décortique la dramatisation précédant la présentation du projet de la LPM, sa mise en scène politique et ses erreurs doctrinales.

La constitution d'une force de frappe s'est traduite par une véritable économie de moyens, n'en déplaise à ceux qui dénoncent le coût de la dissuasion.
La constitution d’une force de frappe s’est traduite par une véritable économie de moyens, n’en déplaise à ceux qui dénoncent le coût de la dissuasion. (Crédits : Reuters)

 

L’académicien Alfred Capus disait que « l’escroquerie était une bonne affaire qui a rencontré une mauvaise foi » : après beaucoup d’entretiens et de lectures de documents, d’auditions et de rapports, notre groupe n’hésite pas dire que la loi de programmation militaire (LPM) est « une mauvaise affaire qui a trahi une bonne foi ».

La théâtralisation d’une dramatisation inutile

Dans un mouvement de précipitation brownien, le pouvoir a décidé dès sa formation de mettre sur le métier une nouvelle loi de programmation militaire et de la faire précéder d’une revue nationale stratégique. L’urgence qui a motivé cet empressement, s’appelle l’Ukraine. La méthode qui justifie ce réarmement précipité, s’appelle dramatisation. Ce sont deux erreurs fondamentales.

Sur le fond, rien ne justifiait l’urgence politique : tout incitait au contraire à la patience stratégique afin d’étudier ce conflit, le premier de ce type depuis 1945 sur le sol européen. Tirer des leçons d’un conflit sans fin apparente est une illusion : le directeur de l’IFRI l’a dit clairement devant les sénateurs le 8 mars dernier : « Au fond, tout se passe comme si cette guerre d’Ukraine devait se finir rapidement, ce qui ne sera pas le cas ». Son collègue de la FRS, Bruno Tertrais, le même jour et devant le même public, le dira autrement : « J’en viens aux conséquences de la guerre en Ukraine. Évoquer ces conséquences impliquerait que nous sommes déjà dans l’après. Or, nous ne savons pas quand sera cet après, ni même s’il y en aura un. Le scénario d’une Russie en guerre permanente, pour très longtemps, nous interdirait de nous projeter après la fin de la guerre en Ukraine. Dans le meilleur des cas, la Russie serait affaiblie militairement mais elle serait encore revanchiste et constituerait toujours un problème stratégique pour l’Europe ».

A cet égard, la revue nationale stratégique, censée éclairer les choix, est apparue pour ce qu’elle est : un catalogue poussif et non un décalogue impératif. Pour nombre d’observateurs [1] passablement usés par ce type d’exercices, le ratio entre stratégie et applications concrètes n’est pas le bon : n’est pas le général de Gaulle qui veut. Par un seul discours, le 3 novembre 1959, le fondateur de la Vème République aura plus marqué de son empreinte indélébile le système de défense français que ces 52 pages hâtivement rédigées et sans ligne d’action. C’était déjà mal parti.

Sur la forme, le président a pris le parti politique, comme au temps du Covid, de dramatiser la situation (discours d’Eurosatory le 18 juin 2022, puis de Mont-de-Marsan le 20 janvier 2023). Pourtant, dès le mois de mars 2022, la Russie avait manqué ses objectifs stratégiques, trop ambitieux déjà (tenir un pays comme l’Ukraine avec 150.000 hommes était un pari insensé), et a dû se replier sur les fronts secondaires qu’elle a déjà dû céder en partie, ce qui menace désormais la Crimée et met son territoire à la portée de frappes ou d’attentats dans une guerre hybride. C’était mobiliser sans urgence.

Sur le fond comme sur la forme, cette précipitation a des conséquences : ainsi les coquilles sur le nombre de systèmes de drones, erreur de forme certes mais révélatrice de cet empressement à boucler une LPM au plus vite ; ainsi, plus dommageable à l’analyse de fond, la comparaison des tableaux capacitaires entre les deux LPM n’est-il plus possible. C’est une bien curieuse manière d’éclairer le débat parlementaire et public que de ramener toute explication détaillée à la séance ou par le biais de notes envoyées aux parlementaires ; ainsi, on y reviendra, un rapport annexé six fois moins épais que le précédent !

Non, rien ne justifiait l’urgence ni la dramatisation du contexte. La France, puissance dotée, pouvait sans risque et avec profit prendre le temps de la réflexion : sa LPM 2019-2025 pouvait courir jusqu’en…2025 sans difficulté, ce qui aurait laissé le temps aux services de renseignement, aux armées, aux industriels, aux think-tanks et accessoirement à l’économie française laminée par le Covid puis par le choc énergétique et de l’inflation, de bâtir un cadre stratégique et financier cohérent et à la hauteur de la seule boussole qui soit : l’ambition que la France souhaite avoir en propre pour défendre sa souveraineté et ses intérêts mondiaux.

La LPM actuelle pouvait sans difficulté se suffire à elle-même jusqu’à son terme, à la condition de protéger les marches de 3 milliards d’euros par an, prévues dans l’actuelle LPM, des effets déstabilisateurs de l’inflation, du cours du Brent et éventuellement d’une évolution défavorable de la parité dollar/euro. Le pouvoir n’y a pas consenti et a pris le parti de présenter au Parlement et aux Français des marches budgétaires devenues négatives par l’inflation : par une très prévisible transmutation, l’or budgétaire se transforme en plomb pour le pouvoir d’achat des armées.

Après tant de dramatisations et de théâtralisations, le pouvoir a donc fait « beaucoup de bruit pour rien » : la LPM 2024-30, que l’on ne considère ici que jusqu’en 2027 par honnêteté intellectuelle (voir infra), loin d’être une loi de transformation, ne fait que poursuivre, en moins bien, la réparation des armées. L’escroquerie de ce spectacle accouche au final d’une déception terrible dans les milieux militaires et industriels, et d’une interrogation, non moins cruelle pour le pouvoir, chez les alliés de la France sur la sincérité politique de cette LPM [2].

Engranger le bénéfice politique sans en assumer les charges

La deuxième escroquerie est politicienne. Après avoir dramatisé le contexte international et l’avoir théâtralisé, le pouvoir laisse de manière irresponsable à la prochaine majorité le soin de monter l’escalier des fameuses marches budgétaires avec le boulet au pied de l’envolée spectaculaire de la dette publique (11,6% du PIB !). Les Ponce-pilate du gouvernement s’arrogent ainsi le monopole de la conscience sans assumer la responsabilité financière, et donc politique, de leurs actes.

Or, on le sait depuis Max Weber, l’éthique de conscience n’est qu’une escroquerie intellectuelle : seule l’éthique de responsabilité est morale car elle confronte un idéal politique au réel. Lors de son audition du 5 avril, à l’Assemblée Nationale, le ministre des Armées s’en est sorti par une pirouette politicienne qui ne le grandit pas : au lieu de douter des intentions d’une candidate, passée et future, à la présidentielle, qui prenait l’engagement public d’une LPM coïncidant à son mandat, il ferait mieux de convaincre les futurs candidats à la présidentielle de Renaissance et d’Horizons du bien-fondé d’un effort de réarmement car le moins que l’on puisse en dire est qu’ils n’en sont pas convaincus du tout ! Ceux qui en doutent peuvent relire certains passages du livre écrit à quatre mains par MM. Philippe et Boyer (Impressions & lignes claires, pages 225 et 226, notamment sur les questions relatives au porte-avions), qui laissent plus de place aux doutes qu’aux certitudes sur des points pourtant essentiels du système de défense national.

Il aurait dû surtout convaincre Elisabeth Borne de consentir à des marches supérieures jusqu’en 2027, mais l’attitude du ministre et de son cabinet a largement contribué à bloquer Matignon sur ce sujet avec le résultat que l’on connaît.

Que l’effort de défense soit une œuvre de longue haleine qui dépasse dans leur durée les mandats ridiculement courts des présidents, est une chose entendue, mais que l’effort principal financier soit placé au-delà de sa propre responsabilité politique, c’est signer un chèque sans provision sur un avenir politique incertain, y compris au sein de l’actuelle majorité. En termes bancaire comme en politique, cette méthode a un nom : escroquerie. On note d’ailleurs que lors de ses auditions, Pierre Moscovici a pris le soin de s’en tenir à la date de 2027 et non de 2030 : « le projet de loi de programmation des finances publiques couvre la période 2023-2027 alors que le projet de loi de programmation militaire s’étend de 2024 à 2030. L‘examen de la compatibilité de ces deux trajectoires doit donc uniquement porter sur la période 2024-2027». Nulle surprise que les groupes d’opposition aient déposé des amendements visant à rétablir la sincérité financière de la LPM : « les députés LR appellent ainsi à une montée en puissance plus rapide, avec une augmentation de 4,3 milliards par an dès 2025, jusqu’à 2027. Le groupe LFI a déposé un amendement similaire, qui prévoit des marches annuelles de 4,3 milliards d’euros dès 2024 jusqu’à 2026, avant de retomber à 3 milliards de 2027 à 2030 » [3].

L’escroquerie est également manifeste sur le plan politique : pour forcer l’adhésion parlementaire de tous les partis d’opposition – singulièrement ceux de droite dont le vote lui est nécessaire -, le président comme son gouvernement ont recours régulièrement au terme de « souveraineté » : or, tant dans la RNS que dans la LPM, la stratégie du « en même temps » vient casser ces élans nationaux, à coups de zèle otanien et européen.

Le groupe Vauban a déjà eu l’occasion de dénoncer en juillet 2020 la confusion du débat stratégique [4] : « le discours prononcé à l’École de guerre le 3 novembre 1959 donnait à la France les trois orientations cardinales qui demeurent encore : la souveraineté intégrale, la force de frappe indépendante et le modèle d’armée autonome au seul service des intérêts de la France. Ce triptyque gaullien, toujours officiellement honoré, souffre cependant d’une confusion savamment entretenue par la doctrine du “en même temps” qui, appliquée à la défense et, pour paraphraser le général de Gaulle, devient “un cadre mal bâti où s’égare la nation et se disqualifie l’État” (discours de Bruneval, 30 mars 1947). (…) Or, le discours ambiant relativise cette souveraineté en la galvaudant. C’est ainsi qu’ont été évoquées “en même temps” que la souveraineté nationale, “une armée européenne”, “une souveraineté européenne”, une “co-souveraineté” sur notre domaine ultra-marin, et enfin, confusion des confusions, “une mutualisation de notre dissuasion”. Ces concepts-là sont aussi irresponsables qu’anticonstitutionnels. (…) De l’adage médiéval qui affirmait que le “roi de France est empereur en son royaume” au discours du 3 novembre 1959, il y avait là une verticalité historique de cette souveraineté nationale qui lui conférait une légitimité naturelle mais que la doctrine, volontairement confuse, du “en même temps” veut briser au profit d’une conception vague, moderniste et utopiste sans racines historiques et sans avenir. L’indépendance nationale est ainsi devenue, au fil de la dérive sémantique, “autonomie stratégique française”, elle-même devenue “autonomie stratégique européenne“.

Le ministre aurait peut-être convaincu certaines oppositions s’il avait réfuté les fumées doctrinales de l’autonomie stratégique européenne dont personne ne veut, à commencer par nos alliés européens proches mais c’eût été renier les fondements mêmes de la stratégie présidentielle depuis 2017.

L’inarticulation de la haute intensité et de l’hybridité avec la dissuasion

Lors des « débats » de la LPM, il a été peu souligné combien les thèmes de la « haute intensité » et de « l’hybridité » sont inarticulés avec la doctrine de dissuasion. Si la dissuasion n’est plus contestée comme elle a pu l’être il y a peu par d’anciens hauts responsables politiques et si pouvoir a enfin cessé de déstabiliser le jumeau du nucléaire militaire, le nucléaire civil, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas articulé la dissuasion avec ces deux thèmes à la mode.

Une haute intensité en contradiction avec la dissuasion. La constitution d’une force de frappe s’est traduite par une véritable économie de moyens, n’en déplaise à ceux qui dénoncent le coût de la dissuasion. Par construction, les forces conventionnelles qui en constituaient la capacité complémentaire pour assurer la cohérence stratégique et la liberté politique, n’ont jamais en effet « été conçues ni déployées pour survivre à un conflit majeur prolongé : tel n’est pas leur fonction stratégique » [5]. Ce concept, théorisé par le général Beaufre et qui demeure la clé de voûte du système de défense français, contredit la notion de haute intensité théorisée, vulgarisée et imposée dans le débat stratégique français par les mêmes responsables politiques et militaires [6].

De quoi « la haute intensité » est-elle en effet le nom ? Parle-t-on de la haute intensité des technologies (voir et frapper plus vite, plus loin et plus précisément) afin de conserver une certaine forme de supériorité sur le terrain (de plus en plus contestée par l’irruption des Chinois, Turcs, Iraniens dans des zones étendues) ? Parle-t-on de la haute intensité d’un conflit ou d’une opération, c’est-à-dire de sa violence, de sa rapidité et de sa durée ?

Si ces deux sujets résument la formule choc de « la haute intensité », alors rien de nouveau sous le soleil stratégique. Le premier débat relève de l’effort normal, permanent et responsable d’armement des forces par rapport aux évolutions technologiques dans une logique à la fois de souveraineté et de supériorité, ce qui suppose une dynamique politique de recherches et de développement, de démonstrateurs et de commandes garanties dans la durée pour conforter une base industrielle et surtout la maintenir avec des capitaux français.

Le second débat relève d’une adéquation entre analyse géopolitique et ambition politique. Si l’analyse géopolitique proposée par la RNS (articles 53 à 59) paraît saine, il y manque l’ambition politique sur des théâtres d’opérations et scenarii types, qui empêche de passer au format (on intervient pourquoi, jusqu’à quand et, éventuellement, avec qui ?) sur les théâtres définis (fronts de l’Est, du Sud et du Pacifique). En bref, l’étape opérationnelle, plus capacitaire, manque toujours à l’appel pour définir les conséquences pratiques des 4 « S » : souveraineté, sécurité, stabilité et soutenabilité.

Si l’on parle d’un engagement majeur conventionnel auquel la France doit se préparer, le débat entre alors en contradiction frontale avec la dissuasion puisque c’est tout le modèle d’armée qu’il faut rebâtir en le taillant à la manière polonaise : soit, en clair, faire comme si la dissuasion n’existait plus ou n’agissait plus.

C’est d’ailleurs ce pour quoi militent certains responsables militaires, principalement dans l’armée de Terre, armée non dotée depuis les années 90 et privée désormais d’OPEX majeures justifiant budget et équipement en forte hausse. Un intéressant article, publié dans Méta-défense, le 7 mai chiffrait le coût pour l’armée de Terre d’un alignement sur l’effort de réarmement terrestre polonais actuel : « Sur la seule prochaine LPM à venir, il serait donc nécessaire d’augmenter la dotation de 30 milliards d’euros sur sept ans pour financer la mesure ». L’article ne mentionne nulle part l’articulation de cette super-armée française avec la dissuasion existante dont l’existence semble totalement occultée (ce que démontre l’absence du mot dans l’article) ; pire, il dévoie l’objectif même du système de défense français – une armée au service des intérêts de défense de la France – en justifiant cet effort irrationnel par un rôle illusoire de pivot « central de toute la défense européenne, et [qui] donnerait une légitimité incontestable à Paris pour soutenir l’autonomie stratégique européenne, puisqu’avec un tel modèle, le soutien militaire des Etats-Unis dans le domaine conventionnel face, par exemple, à la Russie, serait tout simplement superfétatoire »…

Que la Pologne emprunte le chemin d’un réarmement massif conventionnel, se comprend : le souvenir toujours douloureux de sa propre histoire, sa proximité géographique avec le conflit, et l’absence de force de frappe nucléaire, ne lui laissent tout simplement pas d’autre choix pour sa défense. Mais la France n’est pas la Pologne. Quant à penser que cet effort national et européen puisse remplacer la puissance militaire américaine en Europe ou décider les Etats-Unis à mettre un terme à leur imperium diplomatique et militaire à travers l’OTAN, c’est une illusion d’une naïveté confondante.

Si notre groupe ne méconnaît pas l’effort immense de rattrapage dans des domaines criants – formats des unités, des équipements et des stocks de munitions et de pièces, réalisme et régularité de l’entraînement, Maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements et état des infrastructures technico-opérationnelles -, thèmes largement traités déjà en 2020 dans notre trilogie [7], il estime qu’à partir du moment où la dissuasion est modernisée de manière incrémentale au niveau nécessaire, rien ne justifie que les forces conventionnelles soient portées au niveau que certains voudraient les voir atteindre dans une OTANISATION toujours plus profonde.

En ce sens, il est heureux que le président ait stoppé net ces élans de constitution de divisions lourdes à l’allemande ou à la polonaise, stationnées l’arme au pied aux frontières de la Russie. Le modèle d’armée 2030 dessine une défense de stricte suffisance par rapport aux objectifs stratégiques français : encore faut-il s’y tenir avec constance et honnêteté. Ce n’est pas le cas puisque ce modèle, nous le verrons, glisse allègrement sur 2035.

L’impasse doctrinale des nouveaux domaines de lutte. Le fameux dilemme « qualité contre quantité » est un faux débat masquant le vrai débat stratégique futur : l’articulation de la dissuasion avec les nouveaux domaines de lutte.

Ce sujet n’est pas nouveau : le général Poirier dans sa crise des fondements (1994) en parlait déjà ; plus récemment, l’amiral Lozier, ancien chef de la division Forces Nucléaires de l’Etat Major des Armées (2012-2014) et inspecteur des armements nucléaires (2014-2015), en posait les termes de manière claire et concise dans sa remarquable analyse de la dissuasion intégrée américaine (IFRI, 11 avril 2023) : « c’est bien la nature des nouveaux domaines de lutte, en particulier dans l’espace et le cyber, potentiellement aggravés par le recours à l’intelligence artificielle, et la compréhension des notions classiques de signalement stratégique, d’escalade et de désescalade, qui restent à préciser. Ce problème n’est pas spécifique aux Américains et à la dissuasion intégrée. Il se pose également en France, où la notion d’épaulement de la dissuasion nucléaire par les forces conventionnelles doit être élaboré plus précisément [8] ».

Force est de constater que la RNS et la LPM n’ont apporté à ce vrai débat qu’une solution facile de saupoudrage de moyens sans fil doctrinal repensé. Or, le conflit ukrainien en créait l’occasion : les Ukrainiens, avec l’appui opérationnel anglo-saxon, ne cessent en effet de tester, par une guerre hybride, le seuil de déclenchement des forces nucléaires russes.

Comme nous y invite l’amiral Lozier, il faut donc travailler à ce fameux « épaulement de la dissuasion par les forces conventionnelles », car les nouveaux domaines de lutte testeront non seulement le seuil de déclenchement du nucléaire français mais également les capacités des armées à le reculer… ou à le permettre. Ce chantier reste ouvert : c’est une escroquerie doctrinale que de faire croire qu’il a été résolu par un essaimage de moyens ou qu’il se limite à la seule capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opération plus ou moins durci.

Confuse hybridité.  Comme sa consœur, la haute intensité, l’hybridité est tout aussi mal définie : quels sont les domaines de lutte identifiés ? Comment articuler ces domaines entre eux et avec quels outils militaires ? La Revue Nationale Stratégique n’a pas apporté, tous les analystes l’ont dit (voir les auditions de MM. Gomart et Tertrais devant le Sénat le 8 mars dernier), une réponse claire : elle s’est contentée d’une photo à l’instant T sans conclusions opératives, ce que reconnaît d’ailleurs in petto le rédacteur de la RNS.

La LPM consacre pourtant des moyens lourds à ce sujet émergent mais sans que l’on sache à ce stade, si cela relève de l’incantation politique ou de l’application d’une stratégie ordonnée autour de moyens financés à hauteur des ambitions. Le risque stratégique existe ainsi que ce thème ne contribue encore davantage « à créer de nouvelles branches qui seront tout aussi faméliques et qui vampiriseront d’autant les autres branches » (Léo Péria-Peigné, IFRI, Le Monde, 5 avril 2023). Ces moyens lourds se font en effet au détriment de capacités opérationnelles existantes et déjà insuffisantes : ainsi, chaque régiment d’infanterie perdra-t-il une compagnie de combat pour que les effectifs ainsi libérés fassent de l’influence ou de la guerre hybride…domaines couverts en théorie (en pratique) par le renseignement et ses moyens spéciaux ou clandestins.

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[1] Voir audition de M. Thomas Gomart, directeur de l’IFRI devant le sénat, le 8 mars 2023 : « Il est frappant de constater le décalage entre les sommes considérables en jeu et l’effort analytique pour les concevoir et les justifier ».

[2] Entretiens des auteurs de cette tribune avec quelques ambassadeurs et militaires étrangers.

[3] Vincent Lamigeon, Challenges, 10 mai.

[4] https://www.latribune.fr/opinions/la-france-et-son-epee-1-3-851724.html.

[5] Revue de défense nationale, « La pensée stratégique du général Beaufre Une lecture américaine d’aujourd’hui », Michael Shurkin, 12 novembre 2020, page 5.

[6] Lire ainsi l’article de Meta-Defense du 7 mai 2023 : « combien coûterait aux contribuables français l’alignement des capacités de haute intensité de l’armée de terre sur la Pologne ».

[7] Tribunes des 6, 9 et 13 juillet 2020.

[8] C’est nous qui soulignons.

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[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

Défense : la France prévoit de commander 130 blindés pour remplacer ceux envoyés en Ukraine

Défense : la France prévoit de commander 130 blindés pour remplacer ceux envoyés en Ukraine


Un véhicule blindé Jaguar de l'armée française à Paris lors du défilé du 14 Juillet en 2022.

Un véhicule blindé Jaguar de l’armée française à Paris lors du défilé du 14 Juillet en 2022. LUDOVIC MARIN

Le ministère des Armées a annoncé ce vendredi le remplacement progressif des chars légers AMX-10 livrés à Kiev.

Le ministère français des Armées prévoit de commander 130 blindés supplémentaires – 38 Jaguar et 92 Griffon – pour remplacer les chars légers AMX-10 et véhicules de l’avant blindé (VAB) cédés à l’Ukraine. Dans un amendement au projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 déposé avant l’examen du texte en séance à l’Assemblée nationale, le gouvernement prévoit d’ici 2030 d’avoir en parc 238 Jaguar, des engins blindés de reconnaissance et de combat dotés d’un canon de 40 mm, contre 200 prévus dans une première mouture du texte.

De même, il table dorénavant sur un total de 1437 blindés Griffon en 2030, contre 1345 prévus initialement. Fin 2023, il est prévu que l’armée ait 60 Jaguar et 575 Griffon. «Pour ne pas peser sur le format des armées, le gouvernement financera hors ressources budgétaires de la LPM le recomplétement de matériels plus anciens cédés à l’Ukraine», précise le gouvernement dans l’exposé de cet amendement.

Préserver le format des armées

La France a donné depuis janvier plusieurs dizaines -elle se refuse à en préciser le nombre exact- de blindés AMX-10, des engins de reconnaissance équipé d’un canon, et de VAB de transport de troupes. Le remplacement de ces blindés anciens, qui commençaient à être progressivement retirés du service, ne se fait pas sur la base d’un ratio d’un pour un, a-t-on affirmé dans l’entourage du ministre des Armées Sébastien Lecornu.

Il s’agit d’un «remplacement par des capacités équivalentes pour préserver le format des armées afin de répondre aux contrats opérationnels», selon cette source. «Le rythme de livraison de ces blindés supplémentaires se fera avec le souci de limiter les pics de charge des industriels concernés et en cohérence avec la livraison des équipements annexes (telles que les infrastructures)», précise le gouvernement dans l’exposé expliquant son amendement.

Le projet de loi de programmation militaire prévoit 413,3 milliards d’euros de ressources pour les armées entre 2024 et 2030. Pour porter l’effort dans certains domaines clés, le gouvernement a prévu d’étaler la livraison de nombreux matériels. Le parc final de 300 Jaguar et de 1.818 Griffon est dorénavant prévu en 2035, contre 2030 prévus par la précédente LPM.

Cet article de la LPM 2024-2030 qui inquiète l’industrie de défense

Cet article de la LPM 2024-2030 qui inquiète l’industrie de défense

– Forces opérations Blog – publié le

Auditionnés hier au Sénat, les présidents des grands groupements industriels de défense – les GICAT, GIFAS et GICAN – sont inquiets. En cause, non pas les étalements de cibles inscrits dans le projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030 mais les notions de stockage stratégique et de priorisation qu’il contient et auxquelles n’a pas été associée la filière concernée. 

C’est l’une des évolutions inscrites dans la prochaine LPM : la prise en compte du chantier « économie de guerre » dans plusieurs des 36 articles du document. Deux d’entre eux s’avèrent préoccupants pour la BITD, dont un article 24 instituant la constitution de stocks de matières premières pour anticiper des pics d’activité ainsi que la priorisation de la production au profit des armées françaises. Étudié depuis la crise sanitaire, ce mécanisme en vigueur depuis longtemps aux États-Unis « nous avait paru être une bonne idée », souligne Pierre Éric Pommelet, PDG de Naval Group et président du GICAN. Mais si le principe est globalement compris et partagé, « le diable est dans les détails », alerte Guillaume Faury, PDG d’Airbus et président du GIFAS. 

En l’état, cet article « est porteur de nombreuses incertitudes pour l’industrie ». Quelles sont les modalités de constitution des stocks ? Quels sont les produits concernés ? Quels sont les coûts, y compris ceux de la logistique ? Quel sera la durée d’immobilisation de ces stocks ? Comment compenser les conséquences indirectes de la réorientation d’une commande prévue pour un client export ? Quel sera l’impact réputationnel ? « Ce sont des questions auxquelles il faudra apporter des réponses », note le PDG d’Airbus. 

La prise de risque est en effet multiple pour les entreprises. Elle est tout d’abord financière car « au moment où nous parlons, aucune indemnisation n’est prévue pour compenser les coûts liés à la constitution et à l’immobilisation desdits stocks », rappelle le sénateur Yannick Vaugrenard (PS), rapporteur pour le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». Cet effort devra donc être entièrement supporté sur fonds propres.

Ces obligations pourraient par ailleurs « avoir un impact significatif » en matière de réputation auprès des clients étrangers. L’export ne doit pourtant pas être pris à la légère. Essentiel pour « compenser » un marché national trop restreint, ce marché représentait 40% des 9 Md€ de chiffre d’affaires générés en 2021 par les adhérents du GICAT. Et le ratio atteint 60 à 70% pour certains chantiers navals, relève Pierre Éric Pommelet. L’export potentiellement placé au second plan, ce sont des revenus ou des opportunités qui disparaissent et un modèle fondé sur les investissements internes qui se retrouve menacé. 

Autre point « un peu inquiétant », l’article 24 installe l’État comme client et régulateur de stocks dont l’utilisation n’est pas assurée. Selon le patron d’Airbus, « ces sujets de relations contractuelles toxiques sur des stockages de biens intermédiaires peuvent amener certaines entreprises dans d’autres domaines à sortir du business ». Il sera dès lors impératif de « fonder une relation contractuelle logique, saine, qui permet de stocker de façon appropriée et à des coûts raisonnables ». 

Les enjeux sont, enfin, opérationnels et industriels. Stocker nécessite de l’espace. « Concrètement, ces stocks, où les met-on ? », interroge Marc Darmon, directeur général adjoint du groupe Thales et président du GICAT. De même, stocker dans la durée requiert des conditions appropriées, notamment pour des matériaux pyrotechniques frappés de péremption. Là encore, les industriels devront mettre la main à la poche.

Si l’idée portée par l’article 24 est « une bonne chose », il est nécessaire que l’industrie soit associée aux conditions de mise en œuvre », estime le président du GIFAS. « Il est nécessaire que le groupe de travail État-industries, stocks et approvisionnements soit saisi, ce qui à ma connaissance n’a pas été le cas jusqu’à présent, et établisse en commun les voies pour arriver à un mécanisme répondant au besoin de l’État et de l’industrie », complète son homologue du GIFAS.

Ces interrogations n’ont pas échappé aux sénateurs Hélène Conway-Mouret (PS) et Cédric Perrin (LR), tous deux rapporteurs pour le programme 146 « Équipement des forces ». Le sénateur républicain s’est ainsi dit « très dubitatif sur l’article 24, sur ses conséquences et je pense pouvoir le juger assez inopérant pour l’instant ». Le texte sera étudié mi-juin en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Restent donc quelques semaines pour plancher sur les amendements qui permettraient de rendre le sujet plus lisible et d’installer le dialogue demandé par la partie industrielle.

Paris va rajouter un satellite-espion dans sa programmation militaire

Paris va rajouter un satellite-espion dans sa programmation militaire

Deux satellites-espions CSO français sont actuellement en orbite. Un troisième, qui devait être lancé fin 2022 par une fusée Soyouz, est désormais “prévu en 2024”Olivier Sattler – CNES

Le ministère des Armées compte déployer avant 2030 un satellite d’observation militaire de nouvelle génération, un ajout au projet de loi de programmation militaire 2024-2030.

Le ministère des Armées compte déployer avant 2030 un satellite d’observation militaire de nouvelle génération, un ajout au projet de loi de programmation militaire 2024-2030 que le gouvernement introduira par voie d’amendement, a annoncé mardi le ministre Sébastien Lecornu.

La semaine prochaine je vais pouvoir porter un amendement du gouvernement à la loi de programmation militaire qui va permettre d’inscrire un satellite supplémentaire, Iris, dès cette loi programmation militaire sans attendre 2030-2035″, a affirmé le ministre des Armées lors des questions au gouvernement à l’Assemblée.

“C’est une bonne nouvelle pour notre souveraineté et pour notre service de renseignement”, a-t-il estimé.

Le projet de loi de programmation militaire (LPM), prévoyant une enveloppe de 413 millions d’euros sur sept ans pour les armées, sera examiné par l’Assemblée nationale à partir de lundi.

Deux satellites entre 2030 et 2035

Deux satellites-espions CSO français sont actuellement en orbite. Un troisième, qui devait être lancé fin 2022 par une fusée Soyouz, est désormais “prévu en 2024”, a rappelé le ministre. CSO-3 devrait être finalement lancé à bord d’une Ariane 6, le lanceur russe opéré depuis la Guyane n’étant plus disponible depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le projet de LPM prévoyait jusqu’à présent que le programme Iris, qui prendra la suite de CSO, se traduise par la mise en orbite de deux satellites entre 2030 et 2035. Concernant les satellites militaires de communications sécurisées en orbite géostationnaire (à 36.000 kilomètres d’altitude), la loi de programmation militaire prévoit des “études pour la construction de la génération Syracuse 5”, a ajouté le ministre.

Un deuxième exemplaire de la génération Syracuse 4, le 4B, doit être lancé le 16 juin par la dernière fusée Ariane 5. La LPM acte en revanche l’abandon d’un troisième satellite, Syracuse 4C.

“Il y a des pistes de travail actuelles sur des constellations en orbite basse (à quelques centaines de kilomètres d’altitude, NDLR) ou des achats de services”, a affirmé Sébastien Lecornu, assurant qu'”on garde dans notre coeur de souveraineté sur les gros satellites en orbite haute notre propre savoir-faire”.

La LPM prévoit également le renouvellement des satellites de renseignement électromagnétique avec le programme Céleste, amené à succéder aux satellites Ceres.

Le futur drone aérien de la Marine a été testé en configuration opérationnelle pour la première fois

Le futur drone aérien de la Marine a été testé en configuration opérationnelle pour la première fois

https://www.opex360.com/2023/05/16/le-futur-drone-aerien-de-la-marine-a-ete-teste-en-configuration-operationnelle-pour-la-premiere-fois/


 

S’il a été confirmé à l’occasion du plan gouvernemental de soutien à la filière aéronautique dévoilé en juin 2020, avec la commande d’un second prototype, ce programme a récemment fait l’objet de rumeurs au sujet de son possible abandon par la Marine nationale.

En effet, par rapport au drone aérien Serval [le S-100 Camcopter de Schiebel, ndlr] des porte-hélicoptères amphibies [PHA], le SDAM est trois fois plus lourd, avec une capacité d’emport « seulement » deux fois plus élevée. Et il n’est pas prévu, du moins pour le moment, qu’il soit armé. D’où les doutes qui ont pu être exprimés à son endroit… D’autant plus qu’il a été affecté par des complications techniques.

« Le programme SDAM est suivi par la Direction générale de l’armement [DGA]. Les essais réalisés sur une plateforme ont permis d’en montrer tout l’intérêt mais, au moment de passer sur une frégate, le système a connu des difficultés techniques », avait en effet indiqué l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale, lors d’une audition parlementaire, en octobre 2022. « Ce programme sera examiné dans le cadre des travaux sur la Loi de programmation militaire en vue d’assurer une convergence coût-performance-délai », avait-il ajouté.

Visiblement, des assurances au sujet de cette convergence « coût-performance-délai » ont été données… Puisque le SDAM figure dans le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. Ainsi, huit systèmes devront avoir été livrés d’ici 2030. Et la Marine nationale en comptera « au moins quinze » à l’horizon 2035.

Quoi qu’il en soit, en janvier, la DGA a fait savoir qu’elle venait de valider les « capacités techniques en phase de survol maritime du démonstrateur de drone VSR-700, dans le cadre de l’étude de levée de risques ». Et d’ajouter : « Cette capacité technique représente une avancée majeure et une première mondiale pour un drone de cette catégorie ».

En outre, la DGA a également laissé entendre que la phase d’essais à bord d’une frégate de la Marine nationale serait lancée sans tarder. Mais c’était sans doute aller trop vite en besogne…

En effet, le 15 mai, Airbus Helicopters a dit avoir testé pour la première fois le VSR700 en « configuration opérationnelle ». Ainsi, cet appareil « a effectué 80 décollages et atterrissages entièrement autonomes depuis un navire civil […] au large des côtes bretonnes.

« Cette campagne d’essais en vol a été une étape importante pour le VSR700 car elle nous a permis de valider les excellentes performances du drone dans des conditions opérationnelles représentatives de ses futures missions », s’est félicité Nicolas Delmas, le responsable du programme SDAM chez Airbus Helicopters.

« Le prototype VSR700 a ouvert son enveloppe de vol dans des vents supérieurs à 40 nœuds, a accumulé huit heures d’essais en 14 vols et a réussi des atterrissages [appontage? ndlr] dans plusieurs états de mer différents », a-t-il ajouté.

Pour rappel, construit avec des matériaux composite, le VSR700 a une endurance de 8 heures avec deux charges utiles. Il peut voler à 5000 mètres d’altitude, à la vitesse de 185 km/h. L’un des défi à relever est de pouvoir le faire décoller et apponter de manière autonome sur une plateforme en mouvement, dans une mer de niveau 5 [mer forte, avec des hauteurs de 2,5 à 4 mètres]. Ce qui est possible avec le système DeckFinder.

Celui-ci permet « le lancement et la récupération autonomes de drones avec une précision de 10 à 20 cm dans conditions difficiles, indépendamment des systèmes de géolocalisation par satellite [GNSS/GPS] », souligne Airbus Helicopters.

Au cours de ses précédents essais, poursuit l’industriel, le VSR700 a ainsi « démontré sa capacité à opérer en milieu maritime » tandis que ses capteurs [radar de surveillance maritime, optronique, récepteur AIS] et son système de mission ont été éprouvés.

Désormais, la prochaine étape verra la mise en œuvre d’un VSR700 depuis une frégate multimissions [au cours de second semestre 2023, ndlr] et le vol inaugural du second prototype commandé en 2020.

Photo : Airbus Helicopters

Les cinq technologies militaires sur lesquelles l’armée française devrait miser

Les cinq technologies militaires sur lesquelles l’armée française devrait miser

https://www.slate.fr/story/246008/tribune-technologies-militaires-futur-armee-lutte-antidrones-hypersoniques-defense


 

[TRIBUNE] L’analyse des conflits en Ukraine et dans le Haut-Karabakh permet de mieux cerner ce que la défense devrait faire de son budget inédit.

En janvier dernier, Alex Karp, le PDG d’un éditeur de logiciels, expliquait devant l’audience de Davos que sa société est «responsable de la majorité des tirs ciblés en Ukraine». Alex Karp est le patron de Palantir Technologies, une entreprise de Big Data qui, au même titre que Starlink, Planet Labs, Maxar, SunCalc ou GIS Arta, est devenue incontournable dans les milieux de la défense depuis le début de «l’opération militaire spéciale» en Ukraine.

Basé à Denver dans le Colorado, Palantir intègre, agrège et traite des données non structurées telles que des images satellitaires et de radars à synthèse d’ouverture, des images thermiques, des feeds de réseaux sociaux, des vidéos, puis «superpose» l’information traitée à des cartes numériques du champ de bataille, avant de faire des recommandations de cibles qui sont remontées à l’opérateur. Dans un échange avec le journaliste David Ignatius, Alex Karp renchérit: «La puissance des logiciels militaires algorithmiques est maintenant si grande qu’on pourrait la comparer à la possession d’armes nucléaires tactiques face à un adversaire disposant seulement d’armes conventionnelles.»

Aucun doute, nous sommes entrés dans une ère nouvelle, ce que les Américains appellent «algorithmic warfare». Une ère qui place la technologie au cœur de l’écosystème de la guerre de haute intensité. Pour la France, puissance moyenne avec des ambitions globales, il s’agit au plus vite de rattraper le retard.

Le grand bond en avant de la loi de programmation militaire

Dans un contexte lourd d’accélération des dépenses militaires partout dans le monde, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 prévoit d’allouer 413 milliards d’euros à la «transformation des armées», dont 10 milliards à l’innovation de la défense, répartis entre quatre niveaux principaux.

D’abord, le spatial: création d’un centre de commandement C4 (computerized command, control, communications) des opérations spatiales développé dans le cadre du programme «Action et résilience spatiales» (ARES), la programmation des satellites patrouilleurs-guetteurs, de lasers en orbite et de la conduite d’opérations spatiales militaires. Ensuite, l’exploitation des technologies de robotique sous-marine jusqu’à 6.000 mètres (drones sous-marins, robots, lutte antimines marines). Puis, un gros coup d’accélérateur en matière de cyberdéfense, autant en cybersécurité qu’en action numérique, et enfin, investissement renforcé dans le champ informationnel.

Toutefois, les projets semblent encore très nombreux pour des moyens limités. Ainsi, dans le document de référence de l’Agence de l’innovation de défense, on trouve pas moins de quatorze «thèmes d’intérêt», allant de la sécurité de la donnée jusqu’à la capacité amphibie du futur, en passant par le renforcement de la chaîne de commandement des opérations interarmées (C2 IA) et de l’interopérabilité avec les alliés, tandis que, dans la LPM, les contours des budgets alloués aux «technologies de rupture»telles que l’hypervélocité ou le quantique restent flous.

Souci de confidentialité ou manque de définition des projets? Ou dilemme classique des armées, écartelées entre des ambitions multiples (dissuasion, modernisation des trois armées, espace et cyber, projection globale, etc.) et ses budgets structurellement insuffisants? Tirant les leçons des conflits en Ukraine et du Haut-Karabakh, nous allons examiner les cinq chantiers qui nous paraissent essentiels à l’horizon 2030.

L’hypervélocité

Les armes hypersoniques combinent les avantages des missiles balistiques (vitesse) et des missiles de croisière (précision). Il en existe deux types, les missiles de croisière hypersoniques, qui peuvent être lancés de sous-marins, de navires de guerre ou de tout autre vecteur, et les planeurs hypersoniques, qui doivent être libérés dans l’espace avant de rentrer dans l’atmosphère. Extrêmement rapides et manœuvrables, les armes hypervéloces adoptent aussi une trajectoire alambiquée qui les rend beaucoup plus difficiles à détecter et à intercepter, posant un problème majeur aux défenses antiaériennes.

Dans ce domaine, la Chine, avec les planeurs hypersoniques Dongfeng-17 et Xingkong 2, et la Russie avec le Kinjal, le Zircon, ou l’Avangard, lancé depuis l’espace à une vitesse époustouflante de Mach 27, disposent d’une avance notable sur les États-Unis et sur l’Europe. Afin de contrer la menace, les Américains ont développé une constellation de satellites de surveillance en orbite basse, avec des capteurs susceptibles de détecter une attaque, et leur armée vient de lancer la production de vingt-quatre missiles hypersoniques. La France n’est pas en reste avec son projet d’ASN4G, futur missile de la composante aéroportée de la dissuasion.

En résumé, avec leur vitesse extrême et leur manœuvrabilité, les armes hypervéloces peuvent atteindre des objectifs dans la profondeur adverse ou en mer (un commandant de porte-avions aurait au mieux quelques secondes pour réagir); elles remettent en question l’idée d’une frappe nucléaire préemptive de l’adversaire sur les lanceurs de missiles balistiques; et, surtout, devenues des «marqueurs» stratégiques, elles se situent aux premières loges de la guerre psychologique que se mènent États-Unis, Chine et Russie.

Les essaims de drones et la lutte antidrones

L’Ukraine et, avant ça, le Haut-Karabakh ont été le théâtre d’une utilisation massive de drones armés qui frappent par leur disparité dans l’usage, la taille et le système de guidage. En l’absence d’une solution de lutte antidrones (LAD) universelle, les options pour contrer la menace sont: le brouillage des télécommandes ou des signaux GNSS, détection de l’émetteur du télépilote, capteurs thermiques ou systèmes radars adaptés pour contrer les drones kamikazes tels que les Shahed 136.

Mais l’autre sujet qui intéresse toutes les armées modernes, ce sont les drones en essaim, aériens, marins ou même sous-marins, capables de se déplacer de façon coordonnée, voire autonome grâce à l’intelligence artificielle, afin de réaliser des missions de reconnaissance, de brouillage ou d’attaque, en saturant et en leurrant l’adversaire.

Dans le cadre de leurs tests, Northrop Grumman et Raytheon ont déjà réussi à manœuvrer entre 100 et 200 drones de façon simultanée vers une cible donnée. En France, il y a le projet Icare de LAD et Dronisos, de Naval Group, avec les kits Icarus Swarms, essaims de minidrones dédiés à des missions précises telles que brouillage. Là encore, la prochaine LPM sera l’occasion de rattraper le temps perdu.

Les armes à énergie dirigée

Il s’agit des armes non cinétiques, de type laser ou micro-ondes par exemple. Leur usage est surtout envisagé dans la défense sol-air ou surface-air, notamment dans le cadre de la lutte antidrones ou de la protection de zone. Plus explicitement, la LPM devrait financer des recherches sur les armes laser, permettre d’étudier la faisabilité d’armes à faisceaux de particules et de développer des canons électromagnétiques (projets Pegasus et Rafira).

Le principe consiste à créer un champ électromagnétique entre deux rails conducteurs, soumettant un projectile à une forte accélération pour le lancer à très grande vitesse sur une cible parfois distante de 200 kilomètres. Ces nouvelles armes pourraient équiper des navires de surface, dans le cadre de la lutte antiaérienne.

Le combat collaboratif

Inspiré du Network-centric warfare américain, le combat collaboratif est un vecteur essentiel de la modernisation de l’armée française. Numérisation et circulation des informations en temps réel sur le champ de bataille, synchronisation des armes, utilisation de l’intelligence artificielle… Le combat collaboratif est le futur de la guerre de haute intensité, comme le démontre le conflit ukrainien.

L’idée, c’est que la supériorité opérationnelle future passera par la capacité d’échanger des volumes massifs de données en temps réel, de les traiter à grande vitesse afin de parvenir à la bonne décision avant l’adversaire (identification de la cible et sélection de la pièce d’artillerie, par exemple), et tout cela dans un cadre interarmées, donc multimilieux/multichamps, c’est-à-dire terrestre, maritime, aérien, exo-atmosphérique, cyber, électromagnétique et informationnel.

Bien qu’en avance sur ce sujet central de la guerre moderne (cf. le rapport de l’institut Rand, «Learning from the French Army’s Experience with Networked Warfare»), notamment avec le système d’information du combat Scorpion expérimenté lors de l’opération Barkhane, la France reste en retard par rapport aux États-Unis, qui sont en train de mettre en place une constellation de satellites en orbite basse afin de permettre une communication instantanée avec les soldats au sol.

Les modèles prédictifs appliqués à la défense

La transformation du champ de bataille par le Big Data, l’interconnectivité et les supercalculateurs n’en est encore qu’à ses débuts. Il y a déjà l’utilisation massive du renseignement en sources ouvertes (OSINT); la prochaine frontière serait la capacité de prévoir les conflits.

Échaudés par l’insurrection du 6 janvier 2021, des centres de recherche américains tels que CoupCast, Armed conflict location & event data project (Acled) ou PeaceTech Lab travaillent sur des programmes de prévision de troubles et de menaces à la sécurité intérieure, notamment par l’utilisation du «gradient boosting» (méthode utilisée pour construire des modèles prédictifs) et les «neural networks» (utilisés pour le deep learning).

L’autre exemple, c’est GIDE, pour Global information dominance experiment –rien à voir avec André. Mis en place il y a deux ans par le département américain de la Défense, GIDE récupère les données de capteurs positionnés un peu partout dans le monde –satellites, radars, sources ouvertes, etc. Le tout, traité par des supercalculateurs et assisté par l’intelligence artificielle, génère des modèles censés prévoir les intentions de l’ennemi, de façon à annihiler tout effet de surprise et à préparer une riposte adaptée avant que l’adversaire n’ait frappé. À quand un Minority Report de la guerre?