Pierre Servent: “Il faut reconstruire notre défense et renforcer celle de l’Europe!”

Pierre Servent: “Il faut reconstruire notre défense et renforcer celle de l’Europe!”

Publié le 23/05/2023 – par  Jean-Christophe Martineau – Notre temps

armée française

Alors que l’Assemblée nationale débat de la loi de Programmation militaire le spécialiste des questions militaires, colonel de réserve, fait le point sur les priorités de l’armée française dans un contexte géopolitique instable.

PIerre Servent
© Eric Durand / Notre Temps

La nouvelle loi de programmation militaire prévoit 413 milliards€ de crédits d’ici à 2030. Est-ce à la hauteur des défis à relever?

Pierre Servent. C’est tout à fait considérable! Et cela vient après la précédente loi de programmation qui a été respectée (ndlr: 295 milliards€ pour 2019-2025). Une première depuis des années! Des moyens nouveaux vont être fournis: les drones, l’artillerie, le cyber, le spatial, les armes hypersoniques, le renouvellement du nucléaire, le renforcement des forces spéciales et du renseignement. Cela va dans le bon sens et cela correspond certainement au maximum de ce que l’Etat peut faire actuellement. Mais les programmes d’équipement de certaines branches vont encore une fois être étalés dans le temps: les chars lourds, les véhicules blindés de combat d’infanterie, les avions de combat, les bateaux de surface de 1er rang (ndlr: frégates), et les effectifs. Donc, il y a des avancées significatives, mais face à ce qu’impliquerait la guerre de haute intensité, nous continuons d’être un peu “bonzaï”…

Bonzaï? Qu’entendez-vous par là?

Il y a eu une baisse continue du budget de la Défense depuis des décennies, basée sur une analyse selon laquelle la guerre de haute intensité avait disparu en Europe et que la France était sanctuarisée grâce à l’arme nucléaire. Résultat: nous avons certes une armée “complète”, totalement équipée: depuis les “rangers” (ndlr: les chaussures militaires) jusqu’au satellite. Nous avons tout… en petit format. C’est une armée “bonzaï”. Mais nous avons aussi des soldats professionnels engagés sur le terrain dans le cadre des Opex (ndlr: Opérations extérieures). Notre armée est donc solide et expérimentée, ça c’est positif. L’aspect négatif, c’est que tout est court et notamment les munitions. Quand vous savez que les Ukrainiens ont consommé en 14 mois 1 million d’obus et de missiles! Je pense qu’à ce rythme-là nous arriverions au bout du stock en 15 jours… Le retour de la guerre de haute intensité sur le continent créé une onde de déstabilisation. Il faut reconstruire notre défense, renforcer celle de l’Europe, en lien avec l’Otan et les Américains. Ce sont des défis majeurs.

Le ministère de l’Armée planche sur un renforcement de la réserve opérationnelle dont les effectifs, 40 000 aujourd’hui, doublerait en 2030. Est-ce un moyen de renforcer les liens entre l’Armée et la Nation?

C’est une très bonne chose! Chez les réservistes, il y a aussi bien un garagiste, qu’un instit, un prof d’université, etc… et c’est formidable! Ces hommes et ces femmes sont des diffuseurs de l’esprit de défense dans la société. Mais une réserve opérationnelle qui double, c’est un changement complet d’organisation, de gestion, de financement! Moi, je suis un réserviste heureux, parce que j’ai servi dans les forces spéciales, mais trop souvent mes camarades réservistes m’ont fait part de leurs difficultés. Combien de fois l’armée d’active, pour boucler ses fins de mois “tapait” dans le budget de la réserve… Réserviste en France, c’est un sacerdoce. Être réserviste aux Etats-Unis ou en Angleterre, c’est complètement intégré dans la société. Cela demande une révolution complète des esprits et de l’organisation. J’espère pour mes jeunes camarades que cela va réussir.

L’armée de terre voudrait proposer un service militaire de six mois

L’armée de terre voudrait proposer un service militaire de six mois

L’état-major travaille à un projet de bataillons de volontaires du territoire national

 

Défilé du 14 juillet 23/05/2023 Merchet

Le défilé militaire du 14 juillet 2022, à Paris
– Sipa Press

 

L’armée de terre réfléchit à un nouveau service militaire d’une durée de six mois, mais uniquement sur une base volontaire. Son chef d’état-major, le général Pierre Schill, qui l’a récemment évoqué devant les députés de la commission de la défense, a confirmé à l’Opinion « travailler à augmenter notre offre d’engagement ». Ce nouveau service s’inscrirait dans la continuité du Service national universel (SNU), que celui-ci soit ou non généralisé à l’ensemble d’une classe d’âge. Pour l’instant, l’exécutif a renoncé à rendre le SNU obligatoire.

10  000 jeunes. L’armée de terre estime que 10 000 jeunes pourraient être concernés chaque année. Ils formeraient des « bataillons de volontaires du territoire national » (BVTN), implantés à proximité de grandes villes, comme Nantes, Rouen ou Dijon. C’est-à-dire dans des « déserts militaires », où l’armée de terre n’est plus présente depuis la fermeture de nombreuses garnisons. La loi de programmation militaire, en cours d’examen à l’Assemblée nationale, pourrait permettre de créer deux premières emprises.

Ce projet s’inscrit dans un cadre plus global d’un « changement de paradigme » en matière de réserves et des préparations militairesun dossier sur lequel le ministre des Armées Sébastien Lecornu s’investit beaucoup. Au terme de leur service de six mois, ces jeunes volontaires pourraient rester militaires à temps partiel, c’est-à-dire réservistes, au sein d’unités constituées et non en renfort individuel dans les forces professionnelles. Il n’existe actuellement qu’un seul régiment de réservistes, le 24e RI, bataillon d’Ile-de-France. A l’horizon 2035, l’objectif est d’« atteindre le ratio d’un réserviste opérationnel pour deux militaires d’active ».

 

LPM 2024-2030 : Audition du général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, Directeur de la DRM (Assemblée nationale, 13 avril 2023)

LPM 2024-2030 : Audition du général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, Directeur de la DRM (Assemblée nationale, 13 avril 2023)


 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous recevons M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire (DRM) depuis avril 2022.

Avec cette audition, nous achevons le cycle consacré aux services du premier cercle dépendant du ministère des armées.

Général, nous sommes ravis de vous accueillir. Saint-cyrien, vous êtes passé par l’École d’application de l’arme blindée cavalerie de Saumur. Vous avez effectué la première partie de votre carrière parmi les parachutistes, servant notamment en Bosnie, au Rwanda, au Tchad, en République centrafricaine ainsi qu’en Afghanistan. Vos derniers postes vous ont amené à commander la 11e brigade parachutiste à Toulouse, puis la mission de l’Union européenne en RCA.

À la tête de la DRM, vous avez de nombreux défis à relever : le recrutement et la fidélisation du personnel, comme souvent dans l’armée ; la coordination de la fonction interarmées du renseignement et les échanges avec les autres services de renseignement ; la réorganisation interne de la direction et l’amélioration de l’exploitation des données du renseignement militaire. Dans la mesure où les capteurs sont de plus en plus précis et nombreux, vous avez une avalanche de données à traiter pour trouver l’information pertinente.

Lors de ses vœux aux armées, le Président de la République a annoncé un doublement des crédits consacrés à la DRM. Vous reviendrez sans doute sur la manière dont vous envisagez d’utiliser ces crédits.

Sur l’ensemble de ces sujets et tous ceux que vous souhaiteriez aborder, nous serions ravis d’avoir votre analyse.

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire. Voilà un an, jour pour jour, que j’ai pris mes fonctions. La DRM agit à la fois pour le chef d’état-major des armées, au niveau stratégique, et au profit des forces en opération, au niveau tactique. Cette dualité est une singularité de la DRM par rapport aux autres services de renseignement. Elle joue un rôle de coordination de la fonction renseignement entre toutes les unités de renseignement des armées.

Nous produisons du renseignement d’intérêt militaire, c’est-à-dire une compréhension des capacités militaires des compétiteurs et groupes armés susceptibles de nuire à nos intérêts ou à nos forces. Ma mission est de réduire le niveau d’incertitude.

J’agis simultanément dans trois espaces-temps différents : le temps long, qui est celui de l’anticipation, de six à vingt-quatre mois – au-delà, c’est de la prospective, pas du renseignement ; le temps moyen, qui est celui de la décision, au cours duquel le chef d’état-major des armées pose les options stratégiques en conseil de défense ; le temps court, qui est celui de l’action, à savoir l’appui aux forces armées en opération.

Parmi les défis auxquels est confronté le renseignement militaire, il y a tout d’abord le fait que le renseignement est un domaine infini, tandis que, par principe, les moyens dont nous disposons sont finis. Ce défi est propre à tous les services de renseignement. Il s’agit donc avant tout de prioriser, c’est-à-dire de renoncer.

Le deuxième défi consiste à trouver l’équilibre entre les données recueillies et les données exploitées. Or on observe un écart croissant entre les deux.

Le troisième défi réside dans l’illusion de la transparence, qui consiste à croire que tout existe en sources ouvertes et que tout renseignement est susceptible d’être déclassifié.

Plus globalement, on constate un élargissement du champ d’action du renseignement d’intérêt militaire, dans tous les milieux – terre, air, mer, espace et cyberespace – et la nécessité impérieuse de s’adapter au contexte stratégique. C’est ce qu’a fait la DRM il y a deux ans, soit bien avant le 24 février 2022, pour identifier la montée en puissance du dispositif russe autour de l’Ukraine.

Ma priorité, en matière de recherche – non seulement pour la DRM mais aussi pour l’ensemble de la fonction interarmées du renseignement que je coordonne –, est de contribuer à la capacité d’action de la force de dissuasion en fournissant des renseignements sur les forces nucléaires adverses.

S’agissant de la zone européenne, la guerre en Ukraine est la priorité. À cet égard, on constate une guerre d’usure s’inscrivant dans la durée. Cela nécessite de mesurer de façon aussi précise que possible les capacités de régénération de chacun des belligérants et l’évolution du rapport de forces entre les deux. Cette crise a des effets dominos dans d’autres parties du monde, peut-être moins visibles mais tout aussi réels – je pense à la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui a retrouvé de la vigueur.

L’Afrique, pour autant, n’est pas sortie du spectre de notre intérêt. Plusieurs compétiteurs y font preuve d’un entrisme croissant, notamment la Russie et la Chine, chacune de façon différente. La menace terroriste n’a pas disparu ; elle continue même à s’étendre vers le golfe de Guinée. La fragilité de certains États africains est une réalité. Cette situation est liée notamment aux trafics qui s’entremêlent – trafics de migrants, de drogue et d’armes – ainsi qu’à des fragilités intrinsèques.

Dans la zone du Moyen-Orient, la menace terroriste est contenue, mais la vigilance est nécessaire sur le moyen terme. La situation fait l’objet d’une recomposition très rapide. La versatilité est telle que cette recomposition est probablement le prélude d’autres recompositions. L’Iran et la Syrie, en particulier, redeviennent des partenaires fréquentables pour de nombreux pays de la région.

En Asie, nous suivons la montée en puissance des capacités militaires chinoises et ses conséquences sur nos intérêts, notamment dans l’océan Indien.

De façon plus marginale, nous contribuons de façon indirecte à la sûreté du territoire national : si je n’ai pas compétence pour renseigner ou organiser des manœuvres de recherche de renseignement sur le territoire national, j’y contribue en partageant avec les autres services le renseignement que je détiens et qui pourrait être utile sur le territoire national.

Les menaces s’ajoutent les unes aux autres, car peu disparaissent. Elles nécessitent que nous travaillions sur le temps long pour être en mesure d’apporter des réponses sur le temps court. La nécessité absolue pour nous est de capitaliser sur le renseignement recueilli, de façon à être efficaces.

Pour mener toutes ces actions, je bénéficie d’un écosystème un peu particulier par rapport aux autres services du premier cercle. Mes ressources sont imbriquées dans les programmes budgétaires 178, 146 et 212. Je dispose d’un petit budget opérationnel de programme (BOP), qui constitue le budget de la DRM et correspond à 5 % environ de ce qui me permet de produire du renseignement. Je fonctionne donc grâce aux armées qui acquièrent pour moi des capteurs, les mettent en œuvre selon les orientations que je donne et me fournissent des ressources humaines. Cette imbrication présente à la fois des avantages et des inconvénients, mais pour rien au monde je ne voudrais m’en affranchir, car elle est cohérente avec la mission d’appui aux opérations qui constitue le cœur de mon métier.

Le projet de LPM 2024-2030 contient des mesures fortes en matière de renseignement, avec une augmentation de 60 % des crédits alloués à cette activité et un doublement du budget de la DRM sur la période. La dynamique nous est donc favorable. Qui plus est, elle s’inscrit dans un calendrier pluri-LPM, puisque la loi en vigueur avait déjà amorcé un effort en matière de renseignement.

Indépendamment du patch renseignement, qui bénéficie d’une augmentation substantielle de ses ressources, à hauteur de 5 milliards d’euros, je profite de l’augmentation d’autres entités et périmètres budgétaires, notamment celle du patch espace, dont je suis l’un des principaux clients.

Pour l’édification de la LPM, ma priorité est de garantir la cohérence du dispositif de renseignement – c’est ce que j’ai demandé à mes troupes dans les travaux préparatoires.

Cohérence, tout d’abord, entre les différents types de renseignement, quelle que soit leur origine – image, électromagnétique, humaine ou cyber. C’est bien l’accumulation des différents types de renseignement et leur confrontation qui me permettent de produire des appréciations de situation avec un niveau d’incertitude limité. Si je n’ai que des images ou que du renseignement d’origine humaine, j’estime que l’information est peu robuste et l’analyse est peu fiable.

Cohérence, également, entre les niveaux stratégique et tactique. Il doit exister une cohérence entre les capteurs de niveau stratégique que j’utilise en propre et les capteurs tactiques, bien souvent délégués ux unités de renseignement des différentes armées. C’est un gage d’efficacité.

Cohérence, enfin, entre les capteurs à proprement parler et les outils permettant de les exploiter. Cette cohérence doit être pensée dès l’origine pour éviter un gaspillage d’argent public.

En complément de cet impératif de cohérence, un deuxième impératif, pour la LPM, est de réussir la transformation numérique. Cela passe par l’exploitation des données de masse, à travers le programme d’architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multisources par l’intelligence artificielle (Artemis.IA). Ce programme est structurant à la fois pour la DRM et pour la fonction interarmées du renseignement. Il s’agit de capitaliser toutes les données que nous recueillons, de les faire interagir et de les partager – c’est une forme de centralisation des données puis de décentralisation des accès à l’ensemble des unités de la fonction interarmées du renseignement. Ce virage est essentiel : à défaut de l’opérer, nous en resterions au deuxième millénaire et nous ne pourrions pas optimiser l’usage des capteurs que l’on nous confie.

Le troisième défi concerne les ressources humaines – j’y reviendrai.

Le quatrième consiste à pérenniser l’organisation que j’ai mise en place le 1er septembre dernier à travers le plan de transformation de la DRM. Cette nouvelle organisation est en quelque sorte une révolution copernicienne, rapprochant la recherche de l’exploitation, sous la forme d’entités géographiques ou thématiques. Elle mettra deux à trois ans avant de produire ses pleins effets, mais j’en perçois déjà les premiers balbutiements au bout de six mois.

Tous les capteurs qu’il est prévu de renouveler au cours de la LPM verront les données collectées partagées avec l’ensemble des services de renseignement du premier cercle, qu’il s’agisse de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), principaux services avec lesquels je collabore au quotidien.

Le doublement du budget de la DRM nous permettra, de disposer d’une forme d’agilité. il nous permet, par exemple, de codévelopper avec des start-up des outils innovants selon un rythme plus rapide que celui des grands programmes d’armement s’inscrivant dans la perspective pluriannuelle des LPM. Nous l’avons déjà fait durant la LPM en cours. L’enjeu est de conserver cette capacité pour rester dans la dynamique des évolutions technologiques.

Ensuite, le budget doit nous conférer une forme d’agilité permettant d’acheter des services. L’enjeu est de trouver un équilibre entre les outils patrimoniaux, achetés en propre, propriété de l’État, et l’achat de services. Je suis intimement persuadé que la complémentarité existant entre ces deux types de capacités permet à la fois de préserver une autonomie stratégique et de bénéficier d’une grande diversité de services, de redondance, de capacités, disponible pour tous.

Enfin, le budget nous permettra de développer les partenariats en matière de renseignement, notamment en Afrique, pour aider certains États à combattre le terrorisme. Cela passe par l’acquisition de capacités à leur profit, le développement de formations ou encore l’échange d’officiers de liaison.

Sur le plan des capacités à proprement parler, la LPM permettra le renouvellement de composantes spatiales, en matière d’imagerie et de systèmes électromagnétiques, le renouvellement de capteurs tactiques, que ce soit dans le domaine électromagnétique – le programme d’avions de renseignement à charge utile de nouvelle génération (Archange), par exemple, pour l’armée de l’air –, dans celui des drones – dans tous les milieux : terre, air et mer – ou celui des systèmes de biométrie dont nous avons besoin pour nos bases de données. Ces dispositifs relèvent principalement des armées et du patch renseignement.

Enfin, l’effort principal – car vraiment structurant – est celui qui portera sur les outils d’exploitation, à travers la convergence de nos systèmes d’information et l’outil Artemis.

Dans le domaine des ressources humaines également, la LPM devrait permettre de poursuivre la croissance de la DRM, sur le plan quantitatif comme sur le plan qualitatif, à travers l’acquisition de nouvelles compétences, rendues nécessaires par les développements technologiques et qui n’existent pas forcément au sein des armées :je pense, par exemple, au métier de data scientist, liés au développement de l’outil Artemis, la gestion du besoin d’en connaître ou dans le domaine numérique qui nécessitent d’utiliser des compétences qui n’existent pas dans les armées, notamment dans. Là encore, il faudra faire preuve d’agilité dans le recrutement de ce type de profils. Dans le même temps, j’ai pour ambition de développer les parcours de carrières croisés, entre services du premier cercle, d’une part, mais aussi entre la DRM et la fonction interarmées du renseignement, d’autre part. Je pars en effet d’un principe simple : être performant dans les métiers du renseignement suppose un investissement en matière de formation beaucoup plus important aujourd’hui qu’il y a quelques années, du fait de la complexité de l’environnement technique dans lequel nous évoluons.

J’ai l’ambition de maintenir les proportions actuelles entre le personnel militaire et le personnel civil – lequel représente environ 30 % des effectifs. Je compte, par ailleurs, confier à cette catégorie de personnel plus de responsabilités, comme j’ai commencé à le faire depuis l’été dernier.

Il est impératif également de travailler sur l’attractivité et la fidélisation du personnel de la DRM. Nous devons, enfin, augmenter le nombre de réservistes : l’ambition est de le doubler, comme dans l’ensemble du ministère, à l’horizon de 2030.

En conclusion, la DRM, avec la fonction interarmées du renseignement, est chargée d’apporter du renseignement militaire tant au CEMA qu’aux forces en opération. Les menaces s’additionnent les unes aux autres, avec chaque jour plus de missions à remplir. Cela nécessite un effort, qui est inscrit dans la LPM.

Je perçois trois lignes directrices : maintenir le cap de la transformation organisationnelle que j’ai engagée le 1er septembre dernier, qui s’accompagne d’une transformation culturelle ; mener à bien la transformation numérique, qui va commencer à se concrétiser dans les semaines à venir ; s’adapter aux évolutions stratégiques permanentes, comme la DRM a pu le faire par le passé.

M. le président Thomas Gassilloud. Le budget de la DRM est proche de 55 millions d’euros. Le doublement dont il est question concerne-t-il directement la DRM, ou bien inclut-il un cofinancement des autres capteurs, notamment des patchs espace et cyber ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le budget de la DRM doublera effectivement à l’horizon de la fin de la LPM. Cela permettra de financer l’agilité dans plusieurs volets, comme je l’expliquais. En complément, nous bénéficierons de l’effort consenti dans d’autres segments par chacune des armées pour renouveler les capteurs, notamment dans des domaines particuliers comme l’espace et le numérique, avec le remplacement du Multinational Space-based Imaging System for Surveillance (MUSIS) par l’infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite (IRIS), et le développement du programme de capacité électromagnétique spatiale (Céleste).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet Artemis est très intéressant. Il permettra peut-être d’optimiser le renseignement capté sur le terrain par les différents corps d’armée. Il est toujours difficile de savoir si une information est véridique et consolidée. L’écart par rapport à la vérité vous paraît-il très grand, au point de relativiser l’information passant par Artemis, ou bien le système tape-t-il dans le mille presque à chaque fois ?

Il me semble que vous avez dit : « tout renseignement est susceptible d’être déclassifié ». Ai-je bien entendu ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. La livraison d’Artemis commencera le mois prochain. Ensuite, le système montera en puissance jusqu’en 2030. C’est une opération d’armement à part entière, codéveloppée avec des industriels depuis plusieurs années. Les premiers appareils ont été livrés la semaine dernière à Creil. Initialement porté par la DRM, le projet l’est désormais par la DGA, ce qui est une très bonne chose, car le système est d’une complexité qui nous dépasse. C’est un outil de capitalisation de données dont le premier cas d’usage est le renseignement, et qui sera utilisé à d’autres fins, par d’autres entités du ministère, telles que le service de santé des armées ou la maintenance aéronautique, dans d’autres configurations mais sur le même principe : créer des lacs de données, c’est-à-dire les centraliser pour les confronter les unes aux autres, avec des outils d’intelligence artificielle, puis en décentraliser l’utilisation à travers des outils de déport.

À l’horizon de 2030, nous bénéficierons de l’ensemble des fonctionnalités d’Artemis, aussi bien sur le porte-avions en Méditerranée orientale qu’au PC des forces françaises au Sahel, à N’Djamena.

Le principe est de collecter l’ensemble des données existantes – qu’il s’agisse de celles qui sont hébergées ou collectées par la DGSE, boulevard Mortier, au profit de tous les services du premier cercle, de celles qui sont collectées par les satellites, dont je suis le principal client, de celles qui sont collectées en sources ouvertes sur internet et de celles qui sont collectées par des sources humaines dans le monde entier, etc… – et de les faire interagir dans le temps et selon leur nature. Faire en sorte que ces données très hétérogènes puissent interagir nécessite, en amont, un travail normatif considérable, ainsi qu’une gestion du besoin d’en connaître, de façon à ce que les secrets les plus stratégiques relatifs à la dissuasion ne soient pas forcément accessibles aux spécialistes de la traque de terroristes.

Il s’agit d’un outil stratégique pour la DRM. Au début de la précédente LPM, un retard industriel a obligé mes prédécesseurs à basculer vers Artemis. Nous avons quelques semaines de retard par rapport au calendrier idéal, mais cela reste dans l’épaisseur du trait. La balle est dans le camp des industriels : du côté de la DRM, des armées et de la programmation, tout est bien structuré.

Je suis profondément attaché à la transparence. Mais la notion de secret est également essentielle. Elle n’a pas pour objet de faire chic : il s’agit de protéger nos accès, car c’est ce qu’il y a de plus précieux pour un service de renseignement. C’est non seulement ce qui nous a permis d’avoir du renseignement aujourd’hui, mais aussi ce qui nous permettra d’en avoir demain. Le secret a aussi pour but de protéger les forces engagées en opération, et plus globalement les intérêts de la nation.

Il peut être décidé de manière conjoncturelle, au niveau politique, de déclassifier des documents à des fins d’influence, dans le cadre de la stratégie nationale. Les Anglo-Saxons ont fait un grand usage de cette méthode depuis le début de la guerre en Ukraine – avec succès, parfois, mais la pratique a également montré certaines limites. C’était l’objet de mon message subliminal : faire un usage immodéré de la déclassification de documents peut avoir des effets pervers. Du reste, le recours régulier à cette pratique en amont du 24 février 2022 n’a pas empêché Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine. Par ailleurs, quand on habitue l’opinion publique, les partenaires ou les adversaires à déclassifier systématiquement, le jour où on ne le fait pas, on inverse en quelque sorte la charge de la preuve. Déclassifier crée des fragilités. Il est possible de le faire de temps en temps, mais cela doit rester une décision politique exceptionnelle.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Dans le cadre de la révision de la LPM, en juillet 2022, les services de renseignement rattachés aux armées avaient formulé des demandes auprès du Président de la République à propos des algorithmes, des données et des cookies. L’article 21 du projet de loi alloue globalement 5 milliards d’euros d’investissements dans le renseignement militaire et élargit le champ du renseignement dans plusieurs domaines. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne la surveillance algorithmique et la détection de cyberattaques. Comment le renseignement militaire continuera-t-il d’intensifier la détection des menaces cyber avec les crédits alloués et le périmètre qui a été défini ? Des discussions sont-elles en cours pour élargir la surveillance dans ce domaine – ce qui, je l’espère, arrivera dans un avenir proche ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le recours aux algorithmes est un champ nouveau. Il est complexe. La pratique reste donc expérimentale, même si elle commence à produire des effets. Cela permet, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, d’avoir une approche prédictive. Ce champ n’est pas encore pleinement utilisé par le renseignement militaire. L’appropriation de l’outil nécessite du temps et une technicité que la DRM n’a pas encore aujourd’hui, mais qu’elle a pour ambition d’acquérir demain. Cette mesure ne figure pas dans la LPM, mais il est envisagé de la faire figurer dans les textes ultérieurs.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Vous dites « demain » : quelle est l’échéance ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le projet est étudié par les services de renseignement et des discussions sont en cours avec la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).

Mme Anne Genetet (RE). La LPM prévoit une augmentation globale des effectifs. Qu’est-ce qui vous a été promis en la matière ? Que souhaiteriez-vous obtenir ?

Le départ d’agents civils ou militaires vers des structures dépendant d’intérêts étrangers, en France ou ailleurs, fait l’objet de l’article 20. Cet outil législatif vous suffit-il ou faut-il le compléter ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Je ne suis pas entré dans le détail en ce qui concerne les effectifs. La DRM rassemble 1 900 personnes, en augmentation depuis l’entrée en vigueur de la LPM actuelle, et il est prévu que la hausse se poursuive, à raison de 300 personnes environ. Dans le même temps, un doublement des effectifs de la réserve est prévu. Je dispose de 250 réservistes environ. L’objectif est de monter à 500 à l’horizon de la fin de la LPM.

Au-delà des chiffres, ce sont des compétences qui m’intéressent. Avoir des compétences précises tout en s’inscrivant dans les volumes nécessaires pour optimiser l’usage des nouveaux outils dont nous disposerons relève d’une dentelle assez fine.

En ce qui concerne la possibilité pour les militaires de se reconvertir, les dispositions prévues répondent aux attentes des services.

M. Vincent Bru (Dem). La France s’est retirée du Mali, mais elle reste présente en Afrique. Sa présence dans l’est de l’Europe – en particulier dans les États baltes et en Roumanie – a connu une évolution notable. Par ailleurs, elle poursuit ses missions au Levant. Comment comptez-vous réorganiser la DRM au regard de la redéfinition des zones d’opération et de l’augmentation des effectifs ?

Le cyber et le spatial font partie des nouveaux dangers mentionnés dans la LPM. Comment entendez-vous appréhender ces nouveaux espaces de conflictualité ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les menaces et les zones de crise s’ajoutent les unes aux autres. L’évolution des priorités oblige à certains renoncements. Comme je vous l’expliquais, le domaine du renseignement est infini, alors que les moyens, par nature, sont finis. Ma mission principale est de prioriser.

J’ai profondément réorganisé la DRM le 1er septembre dernier. En réalité, j’ai créé sept petites DRM et rapproché, dans chacune d’entre elles, la recherche et l’exploitation, selon une logique géographique ou thématique. J’ai donné à chaque chef de plateau une totale autonomie, sous ma responsabilité et mon contrôle bienveillant, pour la gestion de son plan de recherche et l’animation d’une certaine forme de subsidiarité par rapport aux unités de la fonction interarmées du renseignement. Le plateau chargé de l’Ukraine travaille avec les unités de la marine nationale qui s’occupent de la surveillance de la situation maritime en mer Noire, avec l’unité de l’armée de l’air dédiée au suivi de situation  dans la zone, etc. Chaque petite DRM est également responsable de la production et de la diffusion du renseignement, ainsi que d’une politique partenariale décentralisée à son niveau, tout en sachant que la tour de contrôle est située au niveau de mon état-major.

Cette nouvelle organisation permet de gagner en agilité dans la production du renseignement, d’avoir un cycle du renseignement beaucoup plus rapide entre la recherche et l’exploitation, une capacité d’approfondissement accrue, et chacun des plateaux est en liaison avec toutes les unités de la fonction interarmées du renseignement – c’est-à-dire de l’armée de terre, de la marine, de l’armée de l’air, du commandement de l’espace, du comcyber et du commandement des opérations spéciales. Au quotidien, chacun de ces plateaux interagit et organise une certaine forme de subsidiarité dans la recherche de renseignement entre le niveau stratégique – à savoir la DRM – et le niveau tactique.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Mes propos ne visent en aucun cas à juger le travail des agents de la DRM, qui prennent des risques, et je salue votre action précieuse. Toutefois, en ce qui concerne l’Ukraine, vos services n’ont pas totalement appréhendé la virulence et l’imminence de l’attaque russe. Que s’est-il passé ? Comment éviter que cela ne se reproduise – même si les pistes de réorganisation que vous avez évoquées sont déjà des réponses pertinentes ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Je comptais aborder le sujet de ma propre initiative, mais finalement je l’ai enlevé de mon propos liminaire. Je vous remercie donc de me poser la question.

Il convient de distinguer trois choses : le renseignement que l’on produit, ce qui en est fait et ce que l’on en dit. En ce qui concerne la guerre en Ukraine – j’en parle d’autant plus librement que je n’étais pas en fonction –, plus d’un an avant le 24 février 2022, la DRM avait suivi la montée en puissance du dispositif russe sur le pourtour de l’Ukraine. Elle avait vu les capacités augmenter et les potentialités que celles-ci offraient, ainsi que le coût qu’aurait cette guerre pour les armées russes si elle était déclenchée. Quatorze mois plus tard, force est de constater que les faits ont plutôt donné raison aux analyses de la DRM.

M. le président Thomas Gassilloud. Qu’est-ce qui relève de la DGSE et qu’est-ce qui relève de la DRM, notamment en ce qui concerne l’analyse de l’intentionnalité politique des forces russes ? Si nous comprenons bien, la DRM est chargée d’évaluer objectivement les moyens déployés, mais est-il aussi de votre responsabilité de déterminer si telle ou telle partie a l’intention politique d’avancer, ou bien bascule-t-on alors du côté de la DGSE ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. L’intentionnalité politique ne relève pas de la mission de la DRM. L’analyse des rapports de force, des capacités des belligérants, de leur profondeur stratégique dans le domaine militaire, des capacités de leur base industrielle et technologique de défense, de la régénération des capacités : tel est le cœur du métier de la DRM.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES).  Nous avons compris, en auditionnant vos collègues des autres services, que les arbitrages définitifs n’avaient pas encore été rendus. Je vous invite donc à nous préciser vos attentes.

En ce qui concerne la mutualisation avec les autres services, quelle serait, selon vous, la formule optimale ? La ventilation par patch n’est pas très lisible pour nous. Comment espérez-vous récolter, dans les différents patchs, la part qui vous revient ?

S’agissant de l’achat de services, quel est selon vous le bon mix ? La DGA a notifié à Preligens un contrat de sept ans d’un montant de 240 millions. Quand on met ce chiffre en rapport avec les 55 millions de votre budget courant, on ne peut que s’interroger sur le poids de ces entreprises et leur force par rapport aux services souverains. Quelles garanties de sécurité avez-vous vis-à-vis de ces grands prestataires qui s’imposent progressivement ?

Le dimensionnement du programme Archange est-il pertinent ? Quant au calendrier, on a l’impression qu’il a été décalé : alors que certains appareils étaient attendus pour 2025, le tableau figurant dans le rapport annexé en mentionne trois à l’horizon de 2030. Restera-t-on dans l’expectative jusqu’à cette date ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les besoins de la DRM sont satisfaits par de nombreuses entités : elle est beaucoup moins homogène que ne le sont les autres services de renseignement. Cela constitue à la fois une faiblesse et une force. Le fait que mon service et les différentes armées soient profondément imbriqués et que nous soyons tributaires d’elles est en parfaite cohérence avec la mission que nous exerçons au quotidien, puisque nous fournissons un appui en renseignement aux armées en opération.

Ce dont j’ai besoin, ce sont des militaires, recrutés et formés par les différentes armées ; de personnel civil, recruté par la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) ; enfin, de capteurs tactiques portés par le projet global de chacune des armées. Ces capteurs de renseignement sont absolument nécessaires pour garantir la cohérence globale de ma mission. En complément, il existe des capteurs de niveau stratégique, qui sont plus visibles, plus volumineux et plus onéreux. Ceux-là aussi sont, pour l’essentiel, également portés par d’autres entités que le DRM, en dépit du fait que j’en sois le client principal. Le patch renseignement héberge le budget de la DRM et non l’intégralité du budget servant à la DRM pour produire du renseignement. C’est du budget de la DRM que nous parlons ; il permettra d’avoir l’agilité dont je parlais, s’agissant du développement technologique, de l’achat de services et de l’appui aux partenaires.

Preligens est une start-up avec laquelle nous avons développé, pendant quelques années, un outil qui nous permet, grâce à l’intelligence artificielle, d’exploiter beaucoup plus rapidement des images satellites. Le concept est très simple : il s’agit de détecter des anomalies ou changements par rapport à l’image initiale. Au lieu de charger un analyste d’interpréter inutilement des milliers d’images, il est averti quand une image semble être différente des précédentes. C’est un outil qui nous permet de traiter un volume de données énorme.

Vous vous référiez à un contrat de 240 millions d’euros. En fait, c’est un plafond de contractualisation sur une durée de sept ans avec cette start-up. Rien ne dit que le contrat avec Preligens atteindra cette somme.

Je suis persuadé que, si nous voulons rester compétitifs par rapport à nos adversaires, nous devons être agiles sur le plan technologique et essayer de codévelopper avec des start-up des outils permettant de progresser. Nos ennemis, eux, ne prennent pas de pincettes quand il s’agit de faire preuve de créativité et de se doter d’outils leur permettant de mettre en œuvre leurs mauvaises intentions.

Archange est une capacité de renseignement d’origine électromagnétique aéroportée qui succédera aux avions Transal C160 Gabriel, dont le retrait a été décidé en 2022. Une mesure de réduction de cette perte temporaire de capacité a été prise par l’armée de l’air : le contrat Solar permettra ainsi, pendant la période 2024-2028, de bénéficier d’une capacité de renseignement d’origine électromagnétique aéroportée, dans l’attente de l’arrivée des Archange. S’agissant de ce programme, trois vecteurs sont prévus à l’horizon de 2030, avec une première livraison en 2028.

M. le président Thomas Gassilloud. Le programme Archange est développé sur la base de Falcon, n’est-ce pas ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Exactement.

M. le président Thomas Gassilloud. Ces avions emmagasineront-ils des données pour qu’elles soient traitées au retour, ou bien les enverront-ils en temps réel par l’intermédiaire d’un satellite de communication ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les deux. Il y aura un équipage à l’arrière du Falcon, ce qui permettra de réorienter en boucle courte les capteurs embarqués, tout en en retransmettant une partie des données vers des stations au sol.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Merci de nous rappeler votre action essentielle aux côtés des forces armées en opération.

La DRM était particulièrement impliquée dans le renseignement opérationnel en soutien à Barkhane et à la force Sabre, au Sahel. Dans quelle mesure la réarticulation du dispositif et le désengagement progressif marquent-ils une rupture dans les missions de votre direction ? Au regard du budget des opérations extérieures (Opex), comment la LPM prend-elle en compte ce changement majeur et rapide ? La coordination avec la DGSE sera-t-elle revue pour les théâtres où les armées sont encore présentes ?

En ce qui concerne l’anticipation et la prospective, on a reproché à la DRM de ne pas avoir cru à l’invasion russe. Dans quelle mesure ce reproche imprègne-t-il la rénovation de votre direction ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. La guerre en Ukraine et l’évolution du dispositif en Afrique ont nécessité une réorganisation profonde de la DRM. Il a fallu opérer une bascule de priorités. Toutefois, il est impératif de préserver une capacité de renseigner sur la menace terrorisme, car celle-ci n’a pas disparu. Nous sommes encore présents dans plusieurs pays d’Afrique ; nous aidons nos partenaires africains à faire face à l’extension de la menace terroriste, notamment vers le golfe de Guinée. Cet appui à différents pays nécessite que nous maintenions une compétence dans ce domaine.

La réorganisation se traduit par des changements rapides, engagés il y a plus de deux ans en ce qui concerne la question russo-ukrainienne. L’atteinte de la pleine efficacité de la nouvelle organisation est progressive ; elle ne saurait être parfaite en peu de temps. L’acquisition de certaines spécificités et compétences demande du temps – je pense aux linguistes, par exemple : j’ai besoin de beaucoup plus de linguistes russophones que mes prédécesseurs, il y a cinq ans, et c’est aussi vrai pour les sinisants. Nous en avions quelques-uns, naturellement, mais jamais assez. Nous faisons appel à des outils d’intelligence artificielle, mais ils ne sont pas assez précis. Nous montons donc en puissance dans ce domaine également. Il y a donc à la fois une adaptation de l’organisation de la DRM depuis le 1er septembre 2022 et la préservation de compétences spécifiques, par exemple la connaissance des doctrines russes, ou tout simplement celle de la guerre de haute intensité. Mes prédécesseurs ont été visionnaires en ne renonçant pas complètement à celles-ci.

La coordination avec la DGSE se poursuit d’autant plus facilement que cette direction s’est réorganisée à peu près en même temps que nous – à compter du 1er novembre en ce qui la concerne ; Bernard Émié a dû vous en parler hier. Même si cette nouvelle organisation n’est pas similaire à celle de la DRM, une sorte de continuité existe pour certaines missions, notamment s’agissant des domaines géographiques. Un dialogue très naturel, presque quotidien s’est établi entre les centres de mission de la DGSE et les plateaux de la DRM, ce qui permet d’assurer une bonne complémentarité.

Pour ma part, je fais une différence entre l’anticipation et la prospective. J’estime que l’anticipation concerne une période de six à vingt-quatre mois et qu’au-delà on passe dans le domaine de la prospective. Selon moi, la prospective n’est pas nourrie par du renseignement : elle s’appuie sur des études géographiques, historiques, sociologiques ou démographiques. Le renseignement a une durée de validité courte : au-delà de deux ans, un renseignement collecté a peu de chance d’être réellement utile. Je confie à chaque plateau la mission d’agir sur les trois temps du renseignement : court, moyen et long – cela concerne donc aussi l’anticipation.

Concernant l’Ukraine, la DRM avait suivi la montée en puissance du dispositif russe à travers l’exercice Zapad, qui s’est déroulé en 2021, puis en 2022, l’évolution du dispositif dans la profondeur russe, avant le franchissement de la frontière le 24 février 2022. Elle avait analysé le coût qu’aurait cette intervention pour l’outil de défense russe, au regard des capacités détenues par les Ukrainiens. Bien évidemment, c’est l’analyse du rapport de forces entre les belligérants qui fait la pertinence du propos. C’est ce à quoi je m’efforce au quotidien.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en arrivons aux questions des autres députés.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Ma question porte sur le recours au renseignement d’origine sources ouvertes (Osint) dans le cadre du renseignement militaire. Ce type de renseignement est largement utilisé pour contrecarrer la diffusion de fake news et la désinformation. Elle est aussi d’un grand secours sur le plan tactique, voire stratégique, pour glaner des informations à caractère militaire. L’une des forces de l’Osint est qu’il s’appuie sur la société civile, créant d’efficaces réseaux transnationaux. Sa faiblesse tient à la fiabilité des informations et au risque de désinformation, voire de manipulation.

Comment traitez-vous spécifiquement les données recueillies par ce moyen ? Pensez-vous qu’un cadre législatif soit utile en la matière ? Pourrions-nous faire appel aux réserves opérationnelles pour faire remonter les informations recueillies de cette façon, voire pour les traiter ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. L’Osint est une partie du champ informationnel ; nous ne pouvons donc le négliger. Au quotidien, nous utilisons  l’Osint : chaque plateau compte plusieurs « osinteurs », chargés de travailler sur des sources ouvertes de façon à recueillir des informations. Elles sont ensuite retraitées et complétées par les productions des capteurs– de l’imagerie, de l’électromagnétique, de l’humain ou du renseignement d’origine cyber– pour accroître leur niveau de fiabilité. Une information en sources ouvertes est fiable à 50 % ou 60 %, en fonction de la connaissance que vous avez du fil twitter ou du blog. Or mon métier est de fournir une information fiable à 95 % ou 96 %. Augmenter le niveau de certitude, consolider la source ouverte nécessite une approche « multi-int ».

L’Osint joue pour nous le rôle de lanceur d’alerte ; à ce titre, il est très utile. À partir de là, nous approfondissons le renseignement. En dehors de la source ouverte disponible pour tous, il y a des outils de recherche dans l’internet profond, non accessible par un moteur de recherche comme Google. Ces outils nous permettent de puiser dans 90 % des informations existant sur internet, contre 10 % pour le grand public. Le risque face à un tel volume d’informations est évident : c’est celui de se noyer.

L’Osint est une source d’information que nous intégrerons dans l’outil global Artemis. Nous confronterons ces informations à d’autres, issues de capteurs de renseignement.

Nous contribuons également à lutter contre les opérations d’influence Nous travaillons en coordination étroite avec les structures dédiées qui existent au sein des armées, de façon à leur permettre de bâtir des narratifs ou des contre-narratifs et de déjouer certaines opérations d’influence de nos compétiteurs. Cette question est pleinement intégrée dans l’espace de conflictualité dans lequel nous agissons.

Le cadre législatif pour agir dans le domaine de l’Osint existe et il est suffisant.

Nous recourons aux réservistes, parmi d’autres personnes. Certains de mes « ostineurs » sont réservistes, d’autres d’active. Ils sont parfaitement interchangeables, et j’ai besoin des deux.

M. Christophe Blanchet (Dem). Avec plusieurs collègues, nous avons assisté à l’opération Poker. C’était une expérience passionnante. Lorsque l’on passe à l’ordre terminal, tout retour en arrière est impossible. Continuez-vous cependant à diffuser de l’information au-delà ? Si oui, quelle est-elle ? Jusqu’à quel moment agissez-vous, et à partir de quand la DGSE prend-elle le relais ?

Il y a quelques mois, trois de nos interlocuteurs nous ont parlé de communautés d’internautes qui, à partir de l’image d’un simple aileron, étaient capables d’identifier un avion et d’indiquer où il se trouvait. L’organisation d’une réserve citoyenne, ou la désignation de référents citoyens pour animer de telles communautés, permettraient-elles de vous accompagner, de structurer le renseignement et de le diffuser ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Votre question relative à l’opération Poker est sensible… Je vous répondrai de façon volontairement imprécise. Nous recueillons du renseignement en permanence, bien évidemment.

La DRM s’en tient aux capacités militaires des adversaires, quand la DGSE s’intéresse aux décisions politiques. Chacune des deux maisons recueille en permanence des informations, comme il se doit, pour nourrir l’échelon décisionnel, c’est-à-dire les responsables politiques et le chef d’état-major des armées.

M. le président Thomas Gassilloud. Vous avez dit que le renseignement sur la dissuasion était votre première priorité. Cela concerne-t-il aussi bien la force de frappe de nos adversaires que leurs capacités d’interception ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Cela concerne leurs capacités offensives et défensives.

M. le président Thomas Gassilloud. La direction des applications militaires (DAM), au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a des capteurs dans le monde entier pour détecter d’éventuelles explosions nucléaires. Vous apportent-ils également des informations relatives aux essais nucléaires ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Nous travaillons avec eux, effectivement, de la même façon que nous travaillons avec la DGA et les armées.

En ce qui concerne les communautés d’internautes, c’est un sujet sur lequel nous réfléchissons. Il existe des capacités d’expertise que nous n’avons pas forcément en propre. Nous faisons déjà appel à des réservistes ayant une expertise dans des domaines très techniques que nous ne serions pas en mesure de détenir en propre dans la durée, à entretenir parfois même, les personnes auxquelles nous faisons appel n’ont pas de contrat de réserve. Il ne faut pas être prisonnier d’un formalisme excessif, dans un monde où l’on a parfois besoin de compétences extrêmement variées ou relevant de niches. Je vise plutôt à développer notre carnet d’adresses en complément de l’augmentation du volume des réservistes.

Le recours à des communautés d’internautes est envisagé, mais la chose n’est pas simple. Il y a des risques d’instrumentalisation, la fiabilité des internautes doit être évaluée. Nous n’avons donc pas encore franchi le pas, et il me paraît compliqué de le faire.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous espérons que le système d’information des réservistes opérationnels connectés (ROC) sera déployé et qu’il vous permettra, au-delà des réservistes servant dans votre direction, d’aller piocher dans les compétences qui s’y trouvent. Parmi les 40 000 réservistes des armées, je suis sûr que des dizaines parlent russe et pourraient être mobilisés ponctuellement pour exercer des missions de linguistes.

Merci beaucoup, général. Nous sommes désormais mieux renseignés sur la DRM. Nous serons mobilisés, dans le cadre de la LPM, pour que des moyens adaptés soient mis à votre disposition.

La Marine nationale va créer des « flottilles côtières » grâce au renforcement de sa réserve opérationnelle

La Marine nationale va créer des « flottilles côtières » grâce au renforcement de sa réserve opérationnelle

https://www.opex360.com/2023/05/07/la-marine-nationale-va-creer-des-flottilles-cotieres-grace-au-renforcement-de-sa-reserve-operationnelle/


 

« Affectés au sein des forces ou en état-major, ils contribuent à la protection des installations et des unités de la marine, à la surveillance du littoral et au contrôle naval du trafic commercial. Ils soutiennent donc pleinement la mission de protection et de défense maritime du territoire national », précise la Marine nationale.

Lors de son audition à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de LPM 2024-30, son chef d’état-major [CEMM], l’amiral Pierre Vandier, a assuré qu’elle serait « pleinement engagée dans l’augmentation des réserves souhaitée par le ministre [des Armées, Sébastien Lecornu], avec une structuration en trois axes : l’appui aux marins d’active, la création de flottilles côtières pour renforcer l’action littorale […] et le développement de compétences spécifiques dont la Marine ne dispose pas ou pas assez ».

Ce renforcement significatif de la réserve opérationnelle au sein de la Marine nationale visera surtout à « durcir la défense maritime du territoire ».

« Nous sommes en train de retendre notre dispositif global, qui repose notamment sur la chaîne sémaphorique. Les moyens des sémaphores seront renouvelés et certains d’entre eux seront équipés de drones. Nous allons renforcer nos liens avec les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage [Cross], afin de pouvoir corréler les faits qu’ils observent avec la situation militaire », a d’abord expliqué l’amiral Vandier.

Or, avec 19’000 km de côtes à surveiller, ce sera donc dans cette idée de « durcir la défense maritime » que, pour la plupart, les futurs réservistes de la Marine nationale seront affectés à des « flottilles côtières », avec l’objectif de « combler les angles morts » tout en favorisant les « interactions » avec les collectivités du littoral.

« Dans le cadre du doublement des réserves, nous allons constituer des flottilles côtières : il y en aura une par façade en métropole, avec des antennes outre-mer », a indiqué le CEMM. « L’objectif est de constituer des moyens de surveillance nautique qui seront armés par des réservistes, à la fois anciens et jeunes. Ces derniers navigueront sur des embarcations à coque semi-rigide et patrouilleront en lien avec les sémaphores dans des missions d’assistance publique et de renseignement », a-t-il ajouté.

Mettant l’accent sur leur « développement innovant », ces flottilles côtières, a expliqué l’amiral Vandier, seront progressivement créées « à partir de gens qui ont de l’expérience et en incorporant des jeunes » ayant « envie de naviguer et d’aller dans les territoires ». Et de préciser : « L’architecture retenue consiste à essaimer dans de petites escouades, sur le littoral »

Ces flottilles côtières suivront un « développement innovant », a précisé l’amiral Vandier. Ainsi, « l’idée générique est d’incorporer nos réservistes, de prendre des jeunes ayant envie de naviguer et d’aller dans les territoires », l’architecture « retenue » consistant « à essaimer dans de petites escouades, sur le littoral ».

Pour rappel, l’objectif inscrit dans le projet de LPM 2024-30 vise à atteindre le ratio d’un réserviste opérationnel pour deux militaires d’active à l’horizon 2035.

Qui va toucher les dividendes de la paix ? Entretien Charles Millon

Qui va toucher les dividendes de la paix ? Entretien Charles Millon

 

par Revue Conflits – publié le 2 mai 2023


Avec la fin de l’URSS, les pays occidentaux pensent pouvoir toucher « les dividendes de la paix ». Une idée fondée sur une idéologie trompeuse, celle de la fin de la guerre et de la fin de l’histoire. Face à cela, comment ont réagi les acteurs de l’époque, et notamment les ministres de la Défense ? Entretien avec Charles Millon pour comprendre les débats politiques de l’époque.

Charles Millon fut ministre de la Défense du président Jacques Chirac de 1995 à 1997. Une période charnière dans l’histoire militaire française puisqu’elle voit la suspension du service national. Les années 1990 sont aussi marquées par l’idée de toucher « les dividendes de la paix » après la fin de la guerre froide, ce qui devrait justifiait la réduction les budgets militaires. Pour Conflits, Charles Millon revient sur les politiques conduites à cette époque.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

Le 21 octobre 1997, le service militaire est suspendu et remplacé par la journée d’appel de préparation à la défense (JAPD). Quel était l’objectif initial de cette suspension et pourquoi la mise en place de la réserve ne s’est-elle pas passée comme prévu ?

Le service national a été suspendu à la suite d’une réflexion largement mûrie. Je faisais partie de ceux qui n’étaient pas – a priori – favorables à la remise en cause de la conscription, mais le président Chirac m’a demandé d’étudier le dossier et de regarder si le service militaire tel qu’il était remplissait toujours sa mission d’intégration et de lien entre l’armée et la nation. Il est apparu que le service national ne remplissait plus, et de très loin, ses objectifs. En effet, tous ceux qui ne maniaient pas bien la langue française et qui n’avaient pas une bonne capacité d’intégration dans le pays étaient exemptés du service militaire, tout comme ceux chez qui l’on débusquait quelques anomalies médicales ; ceux qui avaient « des relations » dans l’armée ou au sein de pouvoir parvenaient à avoir des affectations qui leur étaient favorables, enfin l’affectation rapprochée instaurée par Michel Debré donnait la possibilité aux appelés d’effectuer leur service à proximité de leur domicile ce qui ne permettait plus  le fameux brassage social tant attendu : au fond, d’égalitaire à son instauration, le service était devenu profondément inégalitaire dans ses dernières années. À ce constat, une autre évidence s’est imposée, celle de la nécessaire professionnalisation de notre armée en raison du changement de nature des menaces et de la montée en technicité des armes, exigeant des personnels de plus en plus spécialisés.

Le lien armée-nation avec une armée professionnelle peut être maintenu grâce à l’activation d’une réserve très importante comme cela existe dans un certain nombre de pays, notamment aux États-Unis C’est le choix qui que nous avions fait au moment de la suspension du service national, avec le plan armée 2000 dont l’objectif était de faire passer la réserve de 120 000 environ à 400 000 personnes et même plus. Je peux témoigner que lorsque lon a lancé l’idée d’une réserve renforcée, les organisations professionnelles patronales et syndicales ont été exceptionnelles : elles étaient toutes favorables à signer des accords afin de rendre compatible l’articulation entre la vie professionnelle et la vie de réserviste.

Malheureusement, jamais les crédits nécessaires n’auront été dégagés ni par le gouvernement Jospin, ni ceux qui suivirent. C’est regrettable, car aujourd’hui encore c’est l’armée de métier qui doit supporter des opérations qui pourraient être confiées à des réservistes, je pense à l’opération Sentinelle ou Vigipirate.

En 1991, nous avions gagné contre lURSS et lEurope allait enfin pouvoir tirer parti des « dividendes de la paix ». Cest-à-dire, selon les promesses de l’époque, diminuer les dépenses militaires pour allouer ces économies à la réduction de la dette et des impôts. Trente ans plus tard, qu’en est-il de cette idée ?

Les années 1990 ont été marquées par la fin de la guerre froide ainsi que par la montée de l’illusion pacifiste. Cette pensée pacifiste a permis à Laurent Fabius de parler de ces fameux « dividendes de la paix » dont devraient bénéficier les pays occidentaux, et qui ont justifié la chute dramatique des budgets de la défense qui rappelons ont baissé de 25% en 30 ans. La récente montée des périls dans le monde a stoppé net cette tendance et nous assistons au contraire à une hausse des budgets militaires dans tous les pays développés.

Sur cette question, certains Européens ont profité de l’OTAN pour se mettre sous le parapluie américain afin de diminuer leurs budgets militaires. Cette option a-t-elle été un sujet en France ?

L’OTAN a d’abord été l’affaire de Jacques Chirac puis celle de Nicolas Sarkozy. Quand le Président Chirac a envisagé de revenir dans le commandement intégré, la France devait en obtenir le commandement sud qui est basé à Naples. Il s’agissait alors d’organiser l’Alliance atlantique sur deux piliers et de répartir les responsabilités entre les pays européens et les États-Unis. Ce projet a échoué non pas parce que les États-Unis ont refusé, mais bien parce que certains pays européens ont préféré voir ce commandement de Naples, assuré par les USA. J’en ai été le témoin direct ayant mené les discussions sur ce sujet à l’époque. L’Espagne ou l’Italie par exemple ne faisaient pas confiance à un autre pays européen pour assumer ce commandement Sud.

C’est là où l’on constate que « L’Europe de la défense » est un concept complètement utopique. Il semble plus réaliste de parler « d’Europe de la puissance » comme le faisait le Général de Gaulle et Jacques Chirac. L’Europe ne nécessite pas une intégration complète, mais une Europe qui sait se coordonner.

On voit aujourd’hui que l’armée essaie d’anticiper les futures guerres d’ici dix ou quinze ans. Est-ce que c’était une idée dans les années 1990 de préparer des guerres qui pourraient avoir lieu en l’an 2000 ? 

Lorsque j’étais ministre de la Défense dans les années 1995, la France s’est préoccupée d’une véritable coordination notamment avec la Grande-Bretagne et l’Italie dans le domaine de l’armement. Nous avions déjà pleinement conscience de cette nécessité tant au niveau de la stratégie qu’au niveau de l’armement.

C’était absolument indispensable. Les discussions avec les Anglais ont abouti à l’accord de Saint-Malo et à des projets de constructions communes, notamment des vedettes avec les Italiens. À l’époque, lItalie avait conscience quil fallait surveiller les côtes et la Grande-Bretagne avait conscience quil fallait coordonner les missions des porte-avions : deux éléments devenus essentiels aujourd’hui.

Malgré cette idée des « dividendes de la paix », la guerre se développe au même moment en Irak ou plus largement dans les Balkans. Pourquoi continuer de croire à la paix alors que la guerre est une réalité ?

Cette expression est apparue dans les années 1990 et n’a été utilisée que pendant dix ans… Ensuite, les gouvernements ont profité pour « piocher » dans les budgets de la défense afin d’en faire une variable d’ajustement du point de vue budgétaire. En outre, ces approches opportunistes étaient confortées par une idéologie pacifiste qui se répandait dans certains pays européens, notamment en Allemagne. De nombreux hommes politiques de l’époque s’étaient persuadés qu’il n’y aurait plus de conflits dans l’espace européen.

L’un des atouts de l’économie française est d’investir l’achat de matériel dans le but de servir la défense et d’en faire des applications civiles. A-t-on réfléchi en termes d’industrie de la défense ?

Nombre de secteurs civils en France bénéficient de la recherche et de l’innovation incubées puis développées par l’industrie de la défense, indéniable fleuron de notre économie et de nos savoir-faire. J’en citerai seulement quelques-uns : les télécoms, le cyber, les matériaux composites, l’énergie… dont les avancées sont directement ou indirectement issues d’applications militaires. La bonne coordination entre le ministère de la Défense et l’Industrie d’armement permet à la France d’en profiter bien sûr pour elle-même, mais aussi pour maintenir son rayonnement à l’international.

On le voit par exemple avec le Rafale. En se dotant en premier d’avions Rafale, l’armée française lui a offert une vitrine à la hauteur de ses qualités et lui a permis d’être aujourd’hui l’un des avions militaires le plus vendu au monde.

Réserve opérationnelle de l’armée : de quoi parle-t-on ?

Réserve opérationnelle de l’armée : de quoi parle-t-on ?

Amenée à doubler de volume, la réserve de l’armée de terre compte aujourd’hui 25 000 volontaires. Les réservistes servent en moyenne 37,5 jours par an.

 

Par Théo Sauvignet – Le Point – publié le 

https://www.lepoint.fr/societe/reserve-operationnelle-de-l-armee-de-quoi-parle-t-on-24-04-2023-2517511_23.php#11


Il y a aujourd'hui 77 000 reservistes dans la garde nationale (armee, gendarmerie et police), dont 25 000 dans l'armee de terre.
Il y a aujourd’hui 77 000 réservistes dans la garde nationale (armée, gendarmerie et police), dont 25 000 dans l’armée de terre.© Le Point/Théo Sauvignet

La limite d’âge des réservistes dans les armées est relevée à 70 ans, annonce Sébastien Lecornu

La limite d’âge des réservistes dans les armées est relevée à 70 ans, annonce Sébastien Lecornu

«On pourra être réserviste dans les armées françaises jusqu’à 70 ans», annonce Sébastien Lecornu

Le ministre des Armées indique vouloir « rester dans le club des nations capables de se protéger » face à une « succession de menaces ».

La limite d’âge pour être réserviste dans les armées va être rehaussée à 70 ans, a annoncé mardi 4 avril sur RTL le ministre des Armées Sébastien Lecornu, qui doit présenter en Conseil des ministres la future loi de programmation militaire (LPM). « On va rehausser les limites d’âge : désormais, on pourra être réserviste dans les armées françaises jusqu’à 70 ans et jusqu’à 72 ans pour certaines fonctions de spécialiste », a-t-il déclaré.

La limite d’âge est actuellement comprise entre 62 et 65 ans selon les cas, ont précisé à l’AFP les services du ministre. Soucieux de renforcer la « force morale » de la nation, le président Emmanuel Macron a pour objectif de doubler le nombre de réservistes qui est actuellement de 40.000. Sébastien Lecornu a par ailleurs évoqué les objectifs de la future LPM, qui portera le budget défense à 69 milliards d’euros en 2030 contre 43,9 milliards cette année.

On a une succession de menaces qui s’additionnent entre elles.

Sébastien Lecornu, ministre des Armées

« Il y a plusieurs objectifs avec cette enveloppe budgétaire inédite : continuer à réparer ce qui a été abîmé, un certain nombre de baisses de budget ont affecté notre modèle d’armée (…) et on a une succession de menaces qui s’additionnent entre elles », a-t-il souligné, en mentionnant le terrorisme, la guerre en Ukraine, la militarisation de l’espace ou encore le cyber. Il s’agit de « rester dans le club des nations capables de se protéger », a-t-il insisté.

Entre 2024 et 2030, l’enveloppe consacrée aux armées s’élèvera à 413 milliards d’euros, dont 13 milliards de recettes extra-budgétaires. Le budget défense sera augmenté chaque année de 3 à 4 milliards d’euros. Interrogé sur l’aide militaire française à l’Ukraine, le ministre a affirmé que « les Ukrainiens nous attendent sur deux terrains : le segment terrestre, la capacité à les aider à mener les contre-offensives efficaces dans les semaines qui viendront, et la défense sol-air, pour protéger le champ de bataille et les grandes agglomérations ukrainiennes ».

70, 72 ans… On pourra encore être réserviste

70, 72 ans… On pourra encore être réserviste

 

par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 3 avril 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/04/04/70-72-ans-on-pourra-encore-etre-reserviste-23784.html


Comment faire pour recruter 40 000 nouveaux réservistes? 

Ce matin, sur RTL, le ministre des Armées Sébastien Lecornu, qui doit présenter en Conseil des ministres la future loi de programmation militaire (LPM), a apporté la réponse: “On va rehausser les limites d’âge: désormais, on pourra être réserviste dans les armées françaises jusqu’à 70 ans et jusqu’à 72 ans pour certaines fonctions de spécialiste”, a-t-il déclaré. Logique, non? 

La limite d’âge est actuellement comprise entre 62 et 65 ans selon les cas, ont précisé à l’AFP les services du ministre.

Soucieux de renforcer la “force morale” de la nation, le président Emmanuel Macron a pour objectif de doubler le nombre de réservistes qui est actuellement de 40 000. 

Raillerie d’un camarade: “Ils rouleront en VAB, véhicules de l’avant blanchi”!

Une LPM « plancher » entre continuité, nouveaux efforts et décalages capacitaires

Une LPM « plancher » entre continuité, nouveaux efforts et décalages capacitaires

par – Forces opérations Blog – publié le

Le projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030 sera présenté demain en Conseil des ministres. Un projet « à 413 Mds€ » qui actera les évolutions capacitaires nécessaires au vu du contexte et de l’apparition de nouvelles menaces. Et si le document ne contient aucun renoncement, il entérine par contre certains décalages, notamment au détriment du programme SCORPION. 

Un socle plutôt qu’un plafond

Après une année de travaux, une dizaine de réunions de haut niveau à l’Élysée et deux grands discours présidentiels de cadrage, la 14e loi de programmation militaire française est prête à entamer le processus d’adoption parlementaire qui devrait l’amener à être proclamée d’ici au 14 juillet prochain. 

L’effort s’articulera autour de quatre axes : consolider le cœur de souveraineté, faire face à un conflit majeur, s’adapter aux nouveaux espaces de conflictualité et repenser et diversifier les partenariats stratégiques. Ceux-ci ont été déclinés en une vingtaine de « patchs », des « focus spécifiques dans différents domaines », précise l’entourage du ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Ce sont des pointes d’effort sur l’innovation, le spatial, les drones, la défense sol-air, le renseignement, ou encore le modèle RH et le renforcement des soutiens. 

Créditée d’une enveloppe de 413 Mds€, cette LPM « va constituer une augmentation du budget des armées sans précédent », souligne le cabinet ministériel. Les marches successives sont connues : + 3,1 Mds€ l’an prochain, puis des paliers à 3 Mds€ entre 2025 et 2027 et de 4,3 Mds€ à compter de 2028. En fin de LPM, les dépenses militaires françaises atteindront 69 Mds€, près du double de celles allouées en début d’exercice précédent. 

« Cette trajectoire budgétaire est véritablement conçue désormais comme une trajectoire plancher ». Hors de question de rogner les annuités, il s’agira plutôt de maintenir l’exemplarité de la LPM en voie d’achèvement. Voire, parfois, de faire mieux en cours d’exécution en fonction des aléas et besoins. Ce sera déjà le cas cette année, avec une marche à 3 Mds€ que le ministre proposera de rehausser d’1,5 Md€. L’encre n’est pas tout à fait sèche, mais ce premier bonus devrait servir à appuyer le durcissement des armées, notamment par de nouveaux achats de munitions

Plusieurs grands chapitres se précisent. L’innovation, par exemple, sera créditée d’environ 10 Mds€ sur la période. Une enveloppe de 100 Md€ sera fléchée vers les ressources humaines. Si les armées augmenteront légèrement leurs effectifs, c’est bien « la bataille des compétences et la fidélisation » qu’il faudra gagner. Celle de la réserve aussi, avec 40 000 réservistes à engager pour atteindre l’objectif de dédoublement du dispositif. Dernier exemple, une volonté de recomplétion des stocks de munitions créditée de 16 Mds€ sur la période. 

L’investissement financier, sur fonds d’inflation et de crise sociale, n’est pas mince. « Le ministère a parfaitement conscience de l’effort considérable que la nation fait » et entend veiller à ce que cette manne soit « la mieux employée possible ». Le ministre l’a plusieurs fois répété : les industriels devront participer à la dynamique globale pour « que tout cela soit au bon prix et dans des calendriers les plus raisonnables ».

L’artillerie renouvelée, SCORPION décalé

Si l’enveloppe capacitaire n’a pas été détaillés, ce volet majeur sera marqué par « le retour de menaces que l’on a cru un certain temps disparues et, à travers ces menaces, l’apparition de très nombreux sauts technologiques dans certains domaines. Ces sauts technologiques ont malheureusement un coût ».

Côté terrestre, la prévalence porte en grande partie sur le segment de décision. Les travaux relatifs au programme MGCS, potentiel successeur au char Leclerc, se poursuivront. Il s’agira ensuite de muscler et de moderniser « rapidement » l’artillerie grâce à la prochaine génération de canons CAESAR et au renouvellement des feux longue portée. Différents scénarios restent à l’étude pour remplacer des lance-roquettes unitaires (LRU) dont l’obsolescence interviendra en 2027. Aucun scénario n’est écarté, que ce soit l’achat de systèmes HIMARS américain ou la recherche d’une solution souveraine. « Nous faisons travailler nos industriels », explique le cabinet.

La prochaine LPM entérinera par ailleurs l’accélération de la feuille de route « lutte anti-drones », la consolidation du bouclier antiaérien, le développement de la « dronisation » et la poursuite du renouvellement des parcs d’hélicoptères. L’armée de Terre bénéficiera ainsi de 12 Serval LAD en complément des 12 VAB ARLAD déjà en service. S’y ajouteront 24 Serval Mistral pour reconstituer un embryon de défense sol-air terrestre d’accompagnement. En interarmées, le programme PARADE débouchera sur la fourniture de 15 systèmes, soit neuf de plus qu’en fin d’année 2023. Des 5 Mds€ consacrés au renseignement, une partie participera à accélérer le plan d’équipement de l’armée de Terre et à doter le système de drone tactique (SDT) Patroller d’une charge de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM). Toujours dans les airs, l’Aviation légère de l’armée de Terre disposera « de nouveaux Tigre, NH90 et HIL ».

« Même si on abandonne rien, on priorise certains sujets », relève cependant le cabinet ministériel. Pas de renoncements donc, mais « des révisions de cadencement ». Si les cibles restent « quasiment » à l’identique, certaines d’entre elles vont donc s’étaler dans le temps. Comme pressenti, le programme SCORPION de l’armée de Terre n’est pas épargné. Sur les 300 Jaguar attendus, une centaine ne seront pas livrés dans les délais fixés au lancement du programme. Idem pour quelques centaines de Griffon et de Serval dont la livraison est au mieux repoussée à la prochaine LPM. Pour réaliser la soudure, l’armée de Terre devra miser sur l’infovalorisation et l’entrée dans la bulle SCORPION de certains AMX-10RC et VAB Ultima. 

La crise s’invite dans les réflexions sur la réserve opérationnelle

La crise s’invite dans les réflexions sur la réserve opérationnelle

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Priorité parmi d’autres de la prochaine loi de programmation militaire, l’objectif de doublement de la réserve opérationnelle devra néanmoins compiler avec un contexte économique dégradé, explique le ministère des Armées en réponse à une question parlementaire. 

L’économie française plie mais ne rompt pas. Si la Banque de France table maintenant sur une croissance de 0,6% en 2023, la production industrielle s’est rétractée en début d’année. La volatilité financière et bancaire, ensuite, vient s’ajouter à des tensions socio-économiques dont l’impact reste difficile à déterminer. Quelques exemples d’indicateurs défavorables qui pourraient peser sur l’ambition ministérielle de disposer de « 100 000 réservistes pour une armée d’active de 200 000 hommes ». 

« Face à la dégradation de la situation économique à laquelle la France est confrontée depuis plusieurs mois, il convient de veiller à ce que l’effort de défense soit pleinement compatible avec l’activité des entreprises, notamment celles qui emploient des réservistes militaires », indique le ministère des Armées dans une réponse écrite à la députée PLR Karine Lebon.

En principe, entreprises et pouvoirs publics sont dans l’obligation de libérer leurs salariés-réservistes entre cinq et huit jours par an selon les cas. Voire, jusqu’à 30 jours si l’employeur l’autorise. « La réalité est toutefois plus nuancée », indiquait le ministère des Armées à l’automne dernier. Certaines entreprises renâclent à rendre disponibles les bras et cerveaux dont elles ont besoin pour maintenir leur activité. Parvenir à dédoubler le volume de réservistes sera donc un véritable défi au vu du contexte économique. Et l’équation est d’autant plus complexe pour une filière défense a qui il est désormais demandé de produire plus et plus vite. 

Un groupe de travail a été mis en place en novembre dernier « afin que tous les points de vue puissent être pris en compte et que le ministère des Armées dispose d’une vision exhaustive ». Six réunions se sont tenues jusqu’en février, auxquelles ont notamment participé « des parlementaires et des représentants du patronat et des organisations syndicales ». 

Plusieurs pistes ont été étudiées non seulement pour inciter et fidéliser le réserviste, mais aussi pour « récompenser » les employeurs facilitant l’accès à la réserve pour leurs salariés. Les conclusions et propositions qui en sont ressorties sont désormais « en cours d’analyse » en vue de « de déterminer celles qui seront retenues dans la future loi de programmation militaire ». Une LPM 2024-2030 qui sera soumise d’ici peu à l’aval gouvernemental puis présentée à la représentation nationale.

Crédits image : Garde nationale