Le futur avion de transport tactique européen devrait être équipé des mêmes moteurs que l’A400M Atlas

Le futur avion de transport tactique européen devrait être équipé des mêmes moteurs que l’A400M Atlas

https://www.opex360.com/2023/05/30/le-futur-avion-de-transport-tactique-europeen-devrait-etre-equipe-des-memes-moteurs-que-la400m-atlas/


 

Même s’ils seront modernisés et que certains d’entre-eux disposeront d’une capacité C3 ISTAR [Command, Control, Communication Intelligence, Surveillance, Target Acquisition and

Reconnaissance] pour les opérations spéciales, les 14 avions de transport C-130H de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] devront être remplacés d’ici 2040. Et cela vaut aussi pour les 27 Casa CN-235 pour lesquels la Direction générale de l’armement [DGA] a récemment lancé un programme de « rénovation » confié à Thales Avs France SAS et Sabena Technics.

D’où le projet européen FMTC [pour Future Mid-Size Tactical Cargo / Futur Cargo Median], retenu au titre de la Coopération structurée permanente [CSP]. Pour le moment, celui-ci fait l’objet d’un accompagnement par l’Agence européenne de Défense [AED], l’objectif étant d’abord de définir des « exigences communes » entre les pays participants [dont la France, l’Allemagne et la Suède].

Cela étant, en matière de coopération européenne dans le domaine de l’aviation militaire de transport, l’A400M « Atlas » a, en quelque sorte, essuyé les plâtres, avec de nombreux retards et des surcoûts importants.

Et, en 2016, Tom Enders, alors Pdg d’Airbus, avait confessé avoir commis deux « énormes erreurs », en se laissant « convaincre par les chefs de gouvernements européens de confier le développement des moteurs à un consortium peu expérimenté tout en endossant la responsabilité pour ce turbopropulseur d’un nouveau genre ».

Effectivement, confiée à Europrop International, un consortium regroupant MTU Aero Engines, Safran Aircraft Engines, Rolls-Royce et Industria de Turbo Propulsores, la mise au point du TP400-D6 devant équiper l’A400M fut compliquée… en particulier à cause de problèmes récurrents au niveau du FADEC [Full Automatic Digital Engine Control], c’est à dire le système informatique chargé du contrôle des turbopropulseurs.

Aussi, s’agissant du FMTC, il n’est pas question de reproduire les mêmes erreurs. Relevée par « Mars Attaque » dans le rapport publié par le député Jean-Michel Jacques, le rapporteur du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, une idée décrite par le général Frédéric Parisot, le numéro deux de l’AAE, consisterait à doter ce futur avion des mêmes turbopropulseurs que l’A400M.

« Pour assurer le renouvellement de l’aviation de transport tactique, l’armée de l’Air et de l’Espace compte s’appuyer sur le programme européen du futur cargo médian [FMTC]. Ce programme permettrait de remplacer les C-130H et les Casa, qui seront retirés du service lors de la prochaine décennie », a d’abord rappelé M. Jacques dans son rapport.

« Cet avion pourrait être une sorte d’ ‘A200M’, doté des mêmes moteurs que l’A400M, ainsi que l’a indiqué à votre rapporteur le major général de l’armée de l’Air et de l’Espace », a-t-il ensuite écrit.

Cette solution présente plusieurs avantages évidents : d’abord, elle ne coûterait rien en matière de recherche et de développement et ne présenterait par conséquent aucun risque de retards et autres surcoûts associés. Ensuite, elle permettrait des économies d’échelle. Enfin, le maintien en condition opérationnelle [MCO] et l’approvisionnement en pièces détachées s’en trouveraient facilités.

Par ailleurs, M. Jacques a aussi précisé qu’une version de cet « A200M » pourrait être « conçue » pour répondre aux besoins spécifiques des forces spéciales. Ce qui suggère qu’une telle variante serait nativement dotée d’une capacité C3 ISTAR.

Photo : Ronnie Macdonald — Flickr: Airbus A400M 04, CC BY 2.0

Après la guerre en Ukraine, l’OTAN et l’Union européenne devront se réinventer

Après la guerre en Ukraine, l’OTAN et l’Union européenne devront se réinventer

Quel que sera le résultat territorial de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la fin de cette guerre provoquera inéluctablement une remise en question du périmètre de l’OTAN et du projet de construction européenne. Le GAR (2S) Jean-Philippe Wirth nous invite en conséquence à anticiper ce tournant plutôt que se voiler inconsidérément la réalité dérangeante à laquelle nous serons soudainement confrontés.

***

Point n’est besoin d’être un grand analyste pour prévoir que, sauf cas improbable où la Russie parviendrait à reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire reconnu à l’Ukraine par la communauté internationale, la guerre actuelle s’achèvera tôt ou tard sur l’une des trois situations suivantes :

  • S1 : L’Ukraine aura recouvré la pleine souveraineté de son territoire, Crimée incluse. Cette situation correspond à une victoire pleine et entière de ses capacités de résistance à l’invasion, puis de reconquête des régions envahies par la Russie, qui aura dès lors totalement perdu cette guerre.
  • S2 : La Russie sera parvenue à conserver le bénéfice de l’annexion de la seule Crimée. Le bilan de son « opération militaire spéciale » sera alors limité à la préservation de la situation issue de celle de 2014, moyennant un retour fortement perdant à l’est, qui l’aura ramenée sur la frontière orientale de l’Ukraine.
  • S3 : L’annexion des territoires que la Russie sera parvenue à occuper, deviendra pérenne. Après un arrêt des hostilités sur une ligne de démarcation stabilisée, l’Ukraine aura alors perdu la Crimée, le Donbass et son débouché sur la mer d’Azov, voire peut-être la région d’Odessa et son accès à la mer Noire.

Quelle que soit la situation qui prévaudra, celle-ci emportera des conséquences majeures sur la défense du continent européen et donc sur l’évolution du périmètre de l’OTAN d’une part, et sur la redéfinition du projet de construction européenne d’autre part.

L’évolution du périmètre de l’OTAN

Dans les trois cas, l’Ukraine qui n’aura dû sa survie qu’au courage de son peuple et au soutien actif du camp occidental, éprouvera le besoin impérieux de garantir sa sécurité pour refonder son avenir.

Pour l’Occident il sera très difficile de lui en offrir l’assurance sans l’arrimer solidement et solidairement au camp qu’elle a délibérément choisi de rejoindre. Ses pays voisins d’Europe centrale y trouveront aussi un véritable intérêt stratégique pour étayer leur propre sécurité.

Quel que puisse être le degré d’hostilité persistante de la Russie, quelle autre formule qu’une adhésion à l’OTAN, ou un partenariat fortement engageant avec l’Alliance Atlantique, pourra dès lors fournir à l’Ukraine en pleine reconstruction, la protection efficace dont elle aura besoin pour contrer la menace lourde et durable qui pèsera sur tout son flanc oriental et méridional ?

De surcroît, l’engagement prépondérant des États-Unis pour soutenir son combat contre la Russie, conduira naturellement l’Ukraine à pérenniser avec ceux-ci la relation d’assistance, de reconnaissance et de dépendance qui sera issue de l’éprouvant conflit qu’elle aura enduré.

Dans la première situation (S1), la Russie vaincue ne sera guère plus en état de s’opposer à une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN qu’elle ne l’aura fait pour la Finlande, qui est aussi sa voisine.

Dans la deuxième situation (S2), il pourrait en être de même, la Crimée devenant au sud une enclave russe consolidée dont l’isolement pourrait se comparer à celui de Kaliningrad au nord.

Dans la troisième situation (S3), la partition durable du territoire ukrainien requerra de mettre en place une « défense de l’avant » au plus près du nouveau rideau de fer destiné à prévenir toute reprise des hostilités.

L’évolution de droit ou de fait du périmètre de l’OTAN venant à englober l’Ukraine, aura pour effet géographique de cerner la Biélorussie au nord, à l’ouest et au sud. Cette position de saillant exposé sur trois façades à l’influence occidentale, ne pourra conséquemment que fragiliser davantage la situation intérieure de ce pays qui nourrit des aspirations démocratiques étouffées par son régime politique pro-russe.

Dans tous les cas, force est d’admettre que le niveau d’organisation et de puissance militaires requis pour assurer la défense permanente de l’Ukraine, garantir l’inviolabilité de sa frontière avec la Russie, et préserver une paix armée durable à l’est du continent européen, dépassera pour longtemps celui dont disposera réellement l’Union européenne.

Outre l’exigence d’avoir des frontières stabilisées qui sera assortie à l’intégration de l’Ukraine en son sein, et quelle que soit l’ambition stratégique que l’UE puisse nourrir dans le domaine pourtant vital de la défense des nations qui la constituent, il est patent qu’après la guerre, elle ne pourra pas offrir à l’Ukraine une assurance-vie suffisante. Seule l’OTAN sera en mesure de le faire dans le calendrier contraignant que les risques de résurgences conflictuelles imposeront de prendre en compte.

La redéfinition du projet de construction européenne

Pour pouvoir se réaliser concrètement, tout projet a besoin d’être cadré par une définition qui doit servir de référence à sa construction en décrivant son contenu et en fixant ses limites, ce qui n’a pourtant jamais été précisé clairement depuis l’enclenchement du processus de développement de l’Union européenne.

En actant la bascule de l’Ukraine à l’Ouest, la fin de la guerre tracera une limite orientale objective et durablement indépassable à l’espace géographique du projet de construction européenne, alors même que celui-ci ne se projetait pas forcément aussi loin vers l’Est avant l’éclatement du conflit.

En l’occurrence, l’histoire va imposer ses contraintes à la géographie d’un projet qui avait bien failli s’étendre inconsidérément jusqu’à la Turquie par manque d’une vision suffisamment élaborée de l’état final qu’il visait. Il est en tous cas patent que l’élargissement continuel de l’UE vers l’Est se trouvera borné par le nouveau « rideau de fer » et qu’il ne pourra pas se poursuivre jusqu’à l’Oural à un horizon prévisible.

Tout comme il était manifestement impensable de fermer la porte de l’Union européenne à l’Ukraine au début de la guerre, il sera impossible de revenir à la fin de la guerre sur la quasi-promesse d’admission dans l’UE qu’elle a obtenue à cette occasion tragique. Le calendrier du processus de son adhésion conditionnera fortement celui de sa reconstruction, tout autant que l’importance de l’aide économique prodiguée.

Déjà fragilisé par les nombreuses évolutions qu’il a connues depuis la période de l’UE à 12 pays membres, l’équilibre de fond du projet actuel de celle-ci se trouve donc dès à présent remis en question par ce fait nouveau majeur qui est le retour d’une véritable guerre sur le continent européen. À sa façon brutale et indéniable, cet évènement en accentue et en révèle des lacunes et des faiblesses qui le fragilisent.

Sans plus attendre qu’elles se développent, les conséquences que ce phénomène non anticipé emporte, apparaissent déjà suffisamment lourdes pour nécessiter que soit entreprise une révision substantielle du projet de construction de l’UE, ne serait-ce que pour répondre aux quelques considérations suivantes dont l’énumération ne se veut pas exhaustive.

Dès lors que l’Ukraine la rejoindra, l’Union européenne ne pourra pas faire plus longtemps l’économie de régler le sort des Balkans qui ― outre leur corruption endémique et leur histoire perturbée ― restent toujours une zone dangereusement instable et insuffisamment sécurisée au milieu du continent, après plusieurs générations d’affrontements ethniques non foncièrement résolus.

Là comme ailleurs, sans doute faudra-t-il remettre en cause sans tabou le concept d’État

multiethnique dont la promotion sous l’influence anglo-saxonne ne produit pas de résultats pacificateurs véritablement probants. En témoignent ― sur le continent européen comme sur d’autres ― de trop nombreux séparatismes qui s’avèrent irréductibles dans les faits du temps long.

Le déplacement prononcé vers l’Est du centre de gravité de l’UE ainsi à nouveau élargie dans des proportions considérables, ne restera pas sans impact sur le maintien de sa cohésion interne, tant la rupture d’équilibre entre le monde latin, le monde slave, et le monde germanique profitera tout naturellement à ce dernier.

De facto le rôle de l’Allemagne deviendra fortement prépondérant, bien qu’elle ne détienne pas toutes les facultés pour l’exercer, tant aux yeux de ses partenaires européens qu’à ceux d’une frange importante de sa propre population. Dès lors, c’est la gouvernance de l’UE qui s’en trouvera inéluctablement altérée.

Dans la configuration que l’intégration de l’Ukraine à l’UE conduit à envisager, le développement cohérent d’une communauté qui rassemblera plus d’une trentaine de pays européens ne pourra plus se concevoir ni se conduire sur le mode dont l’Union s’est dotée historiquement, et dont ses élargissements successifs ont déjà accusé les inadéquations pénalisantes, voire paralysantes.

À la nouvelle échelle à considérer, le risque d’une dilution naturelle du projet européen dans une formule de convention minimaliste qui le viderait d’une partie de sa substance, devra être soigneusement mis en regard de celui d’une implosion résultant des profondes dissensions internes liées aux irrédentismes nationaux et à l’absence d’une véritable culture commune.

Dès lors, sans faire abstraction d’acquis majeurs comme ceux de la zone euro, ne peut pas être exclue l’éventualité d’une articulation ― voire d’une partition ― géographique ou économique de cette UE élargie, en sous-ensembles plus cohérents regroupant un nombre limité de pays liés par une ambition commune.

En définitive c’est sans doute la pression mondiale sur l’Europe et le sentiment d’appartenance à la même civilisation qui pourront atténuer progressivement les différences foncières logées dans l’âme des peuples implantés de longue date sur le continent européen. Pour la construction européenne, que vient télescoper le fait nouveau de la guerre en Ukraine, la chance de survivre à celle-ci passe donc sans doute par une remise en cause lucide de la définition de son projet.

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).

De nouveau des AMX-10 RC pour l’Ukraine et de la formation à Canjuers

De nouveau des AMX-10 RC pour l’Ukraine et de la formation à Canjuers

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 15 mai 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Emmanuel Macron et son homologue ukrainien se sont rencontrés dimanche soir à Paris. Les présidents de l’Ukraine et de la République française ont publié une déclaration dont voici un extrait:

Le soutien militaire que fournit la France depuis le début de la guerre pour permettre à l’Ukraine de se défendre se poursuit et de nouvelles livraisons sont en préparation pour tenir compte en permanence des besoins les plus urgents et les plus immédiats de l’Ukraine dans le renforcement de ses capacités de défense. La France vise à fournir des capacités complètes dans tous les domaines. Dans les semaines à venir, la France formera et équipera plusieurs bataillons avec des dizaines de véhicules blindés et de chars légers, dont des AMX-10RC.

Effectivement, une seconde livraison à l’Ukraine d’AMX-10 RC doit intervenir sous peu (photo ci-dessus 37e brigade d’infanterie de marine ukrainienne qui en est équipé). 

La formation des équipages est annoncée de nouveau à Canjuers, le mois prochain. Ces soldats font partie des 2 000 militaires ukrainiens que dont la France a annoncé la formation sur son territoire. 

Blindés et équipages devraient aussi rejoindre la 37e brigade formée en février dernier et qui fait partie du corps d’infanterie de marine ukrainien. 

Voici l’intégralité de la déclaration de dimanche:
“Les présidents de l’Ukraine et de la France ont réaffirmé leur condamnation sans équivoque de la guerre d’agression que mène actuellement la Russie contre l’Ukraine.

L’Ukraine a fait preuve d’une remarquable détermination dans l’exercice de son droit intrinsèque à la légitime défense contre cette attaque injustifiée ne faisant suite à aucune provocation. La Russie doit retirer l’ensemble de ses forces militaires du territoire de l’Ukraine, dans ses frontières internationalement reconnues, immédiatement, totalement et sans conditions. La France et l’Ukraine appellent expressément la Russie à se retirer de la centrale nucléaire de Zaporijjia, dont la saisie et la militarisation irresponsables par les forces armées russes constituent une grave menace. La France maintient son attachement inébranlable à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues. Elle rend hommage à la détermination et au courage du peuple et des forces armées ukrainiens et elle prend acte de leur contribution significative à la sécurité du continent européen et d’autres pays. Elle continuera d’apporter un soutien politique, financier, humanitaire et militaire à l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire, individuellement et par la coopération internationale avec l’Union européenne, l’OTAN, les Nations unies et d’autres organisations. En défendant la sécurité du continent européen, la France, l’Ukraine et d’autres partenaires préservent également l’ordre international fondé sur des règles de droit.

Le soutien militaire que fournit la France depuis le début de la guerre pour permettre à l’Ukraine de se défendre se poursuit et de nouvelles livraisons sont en préparation pour tenir compte en permanence des besoins les plus urgents et les plus immédiats de l’Ukraine dans le renforcement de ses capacités de défense. La France vise à fournir des capacités complètes dans tous les domaines. Dans les semaines à venir, la France formera et équipera plusieurs bataillons avec des dizaines de véhicules blindés et de chars légers, dont des AMX-10RC.
En outre, la France concentre ses efforts sur le soutien des capacités de défense aérienne de l’Ukraine afin de défendre sa population contre les frappes russes. En plus de sa contribution nationale, la France participe activement aux mesures de l’Union européenne et de l’OTAN en matière d’assistance militaire à l’Ukraine et de formation des soldats ukrainiens. Au-delà de l’assistance militaire, la France a fourni à l’Ukraine une assistance civile, comprenant notamment une aide financière, humanitaire et d’urgence. En particulier, la France a envoyé en Ukraine deux laboratoires ADN mobiles pour renforcer la capacité de l’Ukraine à poursuivre les auteurs de crimes de guerre. Cette aide continuera de monter en puissance. La France soutient l’initiative ukrainienne pour une paix juste et durable reposant sur la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Le Plan de paix ukrainien prévoit une série d’objectifs importants, dont un grand nombre sur lesquels la République française travaille déjà. La France exprime son soutien au Plan de paix ukrainien et se déclare prête à coopérer avec l’Ukraine pour assurer une participation internationale aussi large que possible à un Sommet mondial pour la paix qui sera organisé dans les mois qui viennent sur la base du Plan de paix ukrainien et d’éventuelles autres propositions de bonne foi. L’Ukraine et la France sont déterminées à lutter contre l’impunité et elles soulignent leur ferme volonté de traduire en justice les auteurs de crimes de guerre et d’autres atrocités commis dans le cadre de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine.

La France participe aux efforts internationaux déployés actuellement, en coopération avec l’Ukraine, pour faire en sorte que les responsables rendent des comptes en créant un mécanisme approprié de poursuites pour le crime d’agression. Un large soutien international est crucial à cet égard afin de fournir une légitimité internationale maximum tout en garantissant que les responsables politiques seront poursuivis. Par conséquent, la France, tout en participant au groupe restreint sur la responsabilité des auteurs de crimes d’agression contre l’Ukraine, encourage d’autres pays à les rejoindre et à susciter un soutien international pour la création d’un tribunal ad hoc. La France se félicite de l’accord sur un nouveau Centre international chargé de poursuivre le crime d’agression contre l’Ukraine à La Haye et appelle de ses vœux son lancement dès que possible.

L’Ukraine et la France réaffirment leur soutien aux enquêtes du Procureur de la Cour pénale internationale qui constituent une étape vers la possibilité de demander des comptes et elles ont pris note des mandats d’arrêt délivrés par la Cour. La France a apporté un soutien supplémentaire à la Cour pénale internationale pour améliorer ses capacités dans le cadre de la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine. L’Ukraine et la France s’accordent sur la nécessité d’accroître nos pressions collectives sur la Russie par de nouvelles sanctions afin d’affaiblir la capacité de ce pays à poursuivre sa guerre d’agression illégale. En outre, elles conviennent de la nécessité d’intensifier les efforts pour garantir une mise en œuvre efficace des sanctions et empêcher et prévenir le contournement de ces sanctions dans et par des pays tiers.

L’Ukraine et la France continueront de travailler ensemble et avec d’autres pays pour élaborer des mécanismes d’indemnisation des pertes, blessures et dommages causés par l’agression russe. À cet effet, le registre international des dommages qui sera présenté lors du sommet de Reykjavik du Conseil de l’Europe les 16 et 17 mai 2023 constitue une étape importante. Nous continuerons d’examiner les options appropriées pour financer le mécanisme d’indemnisation, notamment une base juridique solide pour l’utilisation des actifs russes immobilisés et gelés au profit de la reconstruction de l’Ukraine et à titre de réparation. L’Ukraine et la France restent déterminées à aider les pays qui souffrent des conséquences de la guerre russe, notamment pour réduire les effets de la crise alimentaire. À cet égard, la France souligne l’importance des efforts systématiques de l’Ukraine pour continuer l’initiative céréalière de la mer Noire et lancer le programme humanitaire « Grain from Ukraine » qui vise à améliorer la sécurité alimentaire mondiale.

L’Ukraine apprécie vivement le soutien de la France au programme humanitaire « Grain from Ukraine » et elle encourage le renforcement du soutien concerné. L’Ukraine se félicite du fait que la France a organisé la conférence internationale du 13 décembre qui a permis la création du mécanisme de Paris afin de mieux coordonner l’aide d’urgence. La France est déterminée, avec les organisations internationales et ses partenaires, à participer au relèvement et à la reconstruction de l’Ukraine après la guerre. Dès à présent, il est important de jeter les bases d’un engagement ambitieux à long terme qui ouvrira des perspectives concrètes et permettra au peuple ukrainien de reconstruire son pays. Il est essentiel d’impliquer tous les partenaires concernés, y compris les entreprises privées et au plan international, afin de garantir l’appui financier, les investissements et les connaissances nécessaires pour permettre à l’Ukraine de bâtir un avenir prospère. L’avenir de l’Ukraine et de son peuple est au sein de la famille européenne.

L’Union européenne a déjà reconnu la perspective européenne de l’Ukraine et lui a accordé le statut de pays candidat. La France soutient fermement l’Ukraine dans ses efforts de réformes et dans sa volonté de remplir les conditions nécessaires d’ici la fin 2023. Elle attend avec intérêt le rapport de la Commission européenne pour commencer les négociations d’adhésion. L’Ukraine et la France appellent l’Union européene à continuer de soutenir le pays dans tous les domaines. En ce qui concerne le soutien militaire, elles se réjouissent des accords trouvés récemment pour livrer davantage de munitions et de missiles à l’Ukraine, notamment grâce à l’élargissement de la base industrielle européenne.

En outre, l’Ukraine a un rôle clé à jouer au sein de la nouvelle Communauté politique européenne et œuvrera au succès du sommet de Chisinau, avec la France et la Moldavie.

Dans le cadre de l’OTAN, la France continue de mettre l’accent sur le soutien immédiat à l’Ukraine. Elle maintient son ferme soutien au renforcement de la capacité de l’Ukraine à se défendre et rappelle que l’Ukraine a le droit de choisir ses propres arrangements en matière de sécurité. La France soutient pleinement la Commission OTAN-Ukraine, qui permettra d’accroître et d’élargir la coopération en cours afin d’aider l’Ukraine à poursuivre son chemin vers la famille euro-atlantique, conformément à la Déclaration de Bucarest. L’Ukraine et la France se réjouissent à la perspective d’aborder ces questions au sommet de l’OTAN qui se tiendra à Vilnius en juillet 2023.”

 

Combien couterait aux contribuables français un alignement des capacités haute intensité de l’Armée de Terre sur la Pologne ?

Combien couterait aux contribuables français un alignement des capacités haute intensité de l’Armée de Terre sur la Pologne ?

Combien couterait aux contribuables français un alignement des capacités haute intensité de l’Armée de Terre sur la Pologne ?


Depuis quelques mois, en lien à la guerre en Ukraine et à la montée généralisée du risque d’engagement majeur en Europe et ailleurs, la question des capacités des armées à faire face à un conflit dit de « haute intensité » est devenue un thème récurrent tant dans l’hémicycle du parlement que dans la communication gouvernementale, les médias et les réseaux sociaux. Très souvent, la Pologne, qui a annoncé un effort colossale pour moderniser et étendre ses capacités terrestres dans ce domaine dans les années à venir, est citée en référence, faisant de Varsovie l’exemple à suivre. La Loi de Programmation Militaire 2024-2030 en cours de finalisation semble ne pas avoir suivi cette voie, en conservant un format de la Force Opérationnel Terrestre, le bras armé de l’Armée de Terre, sensiblement identique à ce qu’il est aujourd’hui, et en ne procédant qu’à une augmentation sectorielle de certaines capacités, comme dans le domaine du Renseignement, de la défense anti-aérienne ou encore des frappes dans la profondeur et des drones. Pour autant, en 2030, selon ce schéma, l’Armée de terre conservera une force opérationnelle limitée en terme de haute intensité, avec seulement 200 chars lourds modernisés Leclerc, 650 véhicules de combat d’infanterie VBCI sur roues relativement légers et faiblement armés, moins de 120 tubes de 155 mm et une poignée de Lance roquettes unitaires, potentiellement remplacés par des HIMARS américains.

De fait, en 2030, l’Armée de terre sera effectivement plus performante, notamment avec la poursuite du programme SCORPION et la livraison des VBMR Griffon et Serval pour remplacer les VAB, et des EBRC Jaguar pour le remplacement des AMX-10RC et des ERC-90 Sagaie, et disposera de réserves considérablement accrues en terme de munitions, mais aussi de personnels avec la montée en puissance de la Garde nationale. Toutefois, pour ce qui est de la haute intensité, elle sera très loin des 6 divisions lourdes polonaises alignant 1250 chars de combat modernes M1A2 Abrams SEPv3 et K2PL Black Panther, 1400 véhicules de combat d’infanterie Borsuk, 700 canons automoteurs K9 Thunder et 500 lance-roquettes mobiles K239 et HIMARS. Si dans de nombreux domaines, comme en matière de forces aériennes, navales et évidemment en terme de dissuasion, Varsovie devra s’appuyer sur ses alliés, elle disposera incontestablement de la plus importante force terrestre conventionnelle en Europe, sensiblement supérieure à la somme des forces terrestres françaises, allemandes, britanniques, italiennes et espagnoles réunies, soit les 5 économies les plus fortes du vieux continent.

Les premiers chars K-2 Black Panther ont été livrés par la Corée du Sud à la Pologne a la fin de l’année 2022

Si l’on ne peut que se féliciter de voir un allier s’équiper aussi efficacement dans ce domaine, force est de constater que dans de nombreux domaines, les positions et postures polonaises sont loin d’être alignées avec celles des européens de l’Ouest. En outre, Varsovie entend, de toute évidence, prendre une position politique centrale en Europe de l’Est précisément pour contrer l’influence des puissances d’Europe occidentale au sein de l’UE, en s’appuyant sur l’aura que lui conférera cet outil militaire face à la menace russe. Pour équilibrer les rapports de force politiques, que ce soit face aux menaces militaires russes ou autre (Turquie..), ou au sein de l’Union Européenne et de l’OTAN, il serait naturellement bienvenue, pour la France, de doter son Armée de Terre d’une puissance comparable, comme de nombreux anciens officiers supérieurs et généraux ne cessent de le répéter sur les réseaux sociaux et dans les médias. Toutefois, au delà du besoin lui-même, il convient d’évaluer les couts et les contraintes qu’engendrerait une telle transformation, de sorte à en déterminer la soutenabilité budgétaire mais également sociale. Et comme nous le verrons, l’effort budgétaire d’une telle ambition serait loin d’être hors de portée, puisqu’il serait sous la barre des 0,25% du PIB français aujourd’hui.

L’objectif de cet article n’étant pas de disserter sur l’organigramme optimisé de l’Armée de Terre pour répondre à ces menaces, nous prendrons comme base de travail un format souvent évoqué par les spécialistes du sujet, avec une FOT portée à 90.000 hommes (contre 77.000 aujourd’hui) pour armer 2 divisions lourdes dédiées à la haute intensité, et 1 division de projection de puissance et d’appui rassemblant les multiplicateurs de force et troupes spécialisées que sont les Troupes de Marine, les Troupes de montagne, les forces parachutistes, la composante d’aéromobilité (ALAT) et la Légion Etrangère. En terme de matériels, nous considérerons l’acquisition de 1000 chars de combat modernes, épaulés de 1000 véhicules de combat d’infanterie lourds chenillés, de 500 systèmes d’artillerie automoteurs de 155 et 105 mm, de 300 lance-roquettes à longue portée, ainsi que de 200 EBRC jaguar supplémentaires, 120 systèmes de défense anti-aérienne autotractés SHORAD et 500 véhicules blindés spécialisés (Génie, récupérateurs de blindés, Ravitaillement des systèmes d’artillerie etc..). Les autres programmes en cours, notamment dans le cadre du programme SCORPION, sont considérés inchangés, tout comme le format de l’Aviation légère de l’Armée de terre, qui serait toutefois bien avisée de se pencher sur la possible re-acquisition des Tigre et NH90 TTH australiens pour densifier son format. L’enveloppe budgétaire pour acquérir ces équipements s’établie autour de 50 Md€, en tenant compte des couts de conception et de fabrication.

L’Armée de Terre semble se diriger vers l’acquisition sur étagère de systèmes HMARS américains pour remplacer ses LRU et densifier ses capacités de frappe dans la profondeur

Au delà de ces couts initiaux, il convient d’évaluer les couts récurrents. En premier lieu, le parc matériel couterait 2 Md€ par an pour la maintenance et les pièces détachées, soit 4% du prix d’acquisition par an. Il conviendrait aussi d’augmenter les effectifs professionnels de l’armée de terre de 15.000 hommes et femmes, soit un cout annuel de 1,5 Md€, auxquels il faudrait ajouter 0,5 Md€ pour les quelques 45.000 réservistes supplémentaires qui devront être recrutés pour consolider les forces. Au total, donc, sur une période de 15 ans, la montée en puissance ici envisagée couterait donc 3,2 Md€ par an pour l’acquisition de matériels, alors que l’extension des effectifs couterait en moyenne 2 Md€ par an. L’installation des nouvelles unités, quant à elles, est estimée à 300 m€ pour 3 nouvelles unités par an. Sur les 15 premières années, donc, ce programme couterait aux finances publiques 5,5 Md€, soit 0,22% du PIB 2023. Au delà des 15 années d’acquisition, les couts récurrents s’établiraient à 4 Md€ pour les effectifs et la maintenance, auxquels il conviendra d’ajouter 2,5 Md€ pour le financement des modernisation de parc, soit un total de 6,5 Md€ par an (exprimés en Euro 2023) et 0,26% du PIB 2023. Sur la seule prochaine LPM à venir, il serait donc nécessaire d’augmenter la dotation de 30 Md€ sur 7 ans pour financer la mesure. On notera que pour atteindre un résultat sensiblement équivalent, Varsovie va consacrer plus de 1% de son PIB sur une période équivalente.

Pour autant, et comme à chaque fois qu’il est question d’investissements de défense il convient également de considérer les recettes fiscales et sociales supplémentaires pour l’Etat consécutives à l’investissement. En effet, ce n’est pas tant l’investissement lui-même qui importe dans ce type de planification, mais son impact sur les déficits publics et par conséquent sur la dette souveraine française. En l’occurrence, les investissements industriels génèrent un retour budgétaire supérieur à 50%. En effet, tous les équipements et prestations de service industrielles sont soumis à la TVA immédiatement récupérée par l’État, alors que les industries de défense sont très faiblement exposées à l’importation. De fait, les investissent de l’état se dissipent dans l’économie essentiellement en salaires qui, rappelons le, sont soumis à un taux de prélèvement supérieur à 42%. Dès lors, considérer un retour budgétaire à 50% est une valeur par défaut, prenant en considération la somme des recettes directes et indirectes, sociales et fiscales pour l’état. Pour les investissements salariaux, un retour de 30% sera considéré, la encore par défaut. Appliqués à ce modèle, l’impact effectif du programme sur les équilibres budgétaires serait rapporté à 3,15 Md€ en moyenne sur la phase de montée en puissance, soit 0,125% du PIB, et à 3,4 Md€ au delà, soit 0,136% du PIB exprimé en euro constant 2023. A titre de comparaison, un tel montant est relativement proche de ce que dépenses les français chaque année en abonnements sur les plateforme de streaming.

Il serait bien évidemment possible d’optimiser le modèle pour en réduire l’impact budgétaire, par exemple en appliquant les mesures préconisées dans l’article « Comment l’évolution de la doctrine de possession des équipements peut permettre d’étendre le format des armées ?« , ou en approfondissant les effets potentiels de l’effort industriel notamment en terme d’exportations, ce qui tendrait à en réduire le cout budgétaire effectif, et donc d’en accroitre la soutenabilité. Quoiqu’il en soit, deux questions demeureraient. En premier lieu, il conviendrait d’établir que cet investissement serait le plus à-même de répondre aux besoins de la France et de ses armées aujourd’hui et demain. En effet, avec une Pologne aussi forte militairement, et le renforcement sensible des forces terrestres en Europe de l’Est et du nord, il est évident que la menace militaire russe sur l’OTAN et son flanc oriental sera contenue pour de nombreuses années. Dit autrement, quitte à devoir investir 100 Md€ supplémentaires sur 15 ans, ne serait-il pas plus efficace de renforcer la composante chasse de l’Armée de l’Air, ou la composante sous-marine de la Marine Nationale, sachant que l’une comme l’autre offriraient des caractéristiques de retour budgétaire et donc d’impact budgétaire similaires ?

En second lieu, il convient de prendre en considération l’ensemble des contraintes qui s’appliqueront à la montée en puissance des armées. En l’occurrence, l’une des plus importantes, peut-être au delà des contraintes budgétaires elles-mêmes, n’est autre que la contrainte de recrutement, sachant que même si la situation s’est sensiblement améliorée ces dernières années du fait des évolutions de la condition militaire dans la LPM 2019-2025, il est loin d’être acquis que l’Armée de terre puisse effectivement recruter 15.000 militaires professionnels supplémentaires ainsi que 45.000 garde nationaux, au-delà des trajectoires déjà établies dans la LPM 2024-2030. Certes, la constitution de nouvelles unités de haute intensité équipées de matériels modernes ajoutera à l’attractivité des armées, mais il n’en demeure pas moins vrai que cette hypothèse de croissance aura sans le moindre doute fait sourciller les officiers s’étant confrontés aux difficultés RH de l’Armée de Terre ces dernières années.

L’extension des effectifs demeure un sujet difficile pour les Armées françaises

Quoiqu’il en soit, il est désormais établi qu’il est loin d’être inconcevable de doter l’Armée de terre d’une capacité d’engagement comparable à celle en constitution en Pologne en matière de Haute Intensité, tout en conservant les capacités exclusives de ses unités en matière de projection et d’appui. D’un point de vue budgétaire, cet effort serait relativement limité en terme d’impact sur les déficits, et pourrait même être sensiblement optimisé vis-à-vis du modèle ici abordé. Une chose est certaine, cependant, un tel effort ferait de la France le pivot central de toute la défense européenne, et donnerait une légitimité incontestable à Paris pour soutenir l’autonomie stratégique européenne, puisqu’avec un tel modèle, le soutien militaire des États-Unis dans le domaine conventionnel face, par exemple, à la Russie, serait tout simplement superfétatoire. Eu égard à la sensibilité de l’exécutif français aujourd’hui, c’est probablement cet argument, conjointement aux couts réels de la mesure détaillés dans cet article, qu’il conviendrait de mettre en avant dans les médias et au parlement pour espérer obtenir une altération positive de la trajectoire.

Les « actions hostiles » visant l’industrie de l’armement se multiplient, selon la Direction de la sécurité de la Défense

Les « actions hostiles » visant l’industrie de l’armement se multiplient, selon la Direction de la sécurité de la Défense

 


Alors qu’il est désormais question « d’économie de guerre », les projets européen de taxonomie, qui visent à classer les entreprises selon leur impact sur l’environnement et des critères sociaux, pourraient contrarier davantage l’accès des industriels de l’armement au crédit. Crédit que, par ailleurs, de plus en plus d’établissements financiers rechignent à leur accorder, en raison de règles de conformité réglementaire [compliance] très strictes… et, parfois, de pressions de la part de certaines ONG.

« La taxonomie est une réalité de plus en plus pressante. Le léger assouplissement lié au choc de l’invasion russe n’a pas empêché un retour à la tendance : on continue à pointer du doigt l’industrie de défense comme non durable. Cela touche le financement mais aussi, plus largement, l’ensemble des acteurs susceptibles de participer à l’industrie de défense », a ainsi récemment expliqué Emmanuel Levacher, le Pdg d’Arquus, lors d’une autidion au Sénat.

Visiblement, cette situation est loin de déplaire à tout le monde. « Derrière la taxonomie se cachent des représentants d’intérêt, essentiellement à Bruxelles, qui nous nuisent directement, et qui sont financés par des puissances, supposément amies ou non. […] Nous sommes, là aussi, victimes de notre naïveté », a en effet affirmé le sénateur Pascal Allizard, lors de l’examen en commission d’un rapport sur le soutien de la politique de la défense.

Ces « représentants d’intérêt », le député Christophe Passard les a évoqués dans un rapport sur le financement de l’économie de guerre. « Compte tenu du lobbying intense dont les institutions européennes font l’objet, l’image et les intérêts de la défense doivent être mieux défendus à Bruxelles », a-t-il écrit.

Cela étant, et outre les difficultés potentielles de financement, la Base industrielle et technologique de défense [BITD] française fait face à d’autres « actions hostiles », comme l’a souligné le général Philippe Susnjara, le patron de la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense [DRSD – service de contre-espionnage et de contre-ingérence, ndlr], lors de son audition à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30.

Pour les années à venir, la DRSD a identifié quatre axes d’effort, dont l’adaptation, en matière de contre-ingérence, aux nouvelles conflictualités liées notamment à la Chine et à Russie, la montée en puissance du « cyber », la prévention du terrorisme et de la radicalisation et la protection des entreprises de la BITD, lesquelles font face à une « forte progression des actions hostiles ».

« Les tentatives de prédation et de déstabilisation de la base industrielle et technologique de Défense se sont multipliées. Elles prennent la forme d’ingérences légales, au travers des normes et de la réglementation, ou extralégales, avec, par exemple, des attaques contre la réputation d’une entreprise concourrant à un marché, des captations d’informations, l’affaiblissement d’un concurrent etc », a expliqué le général Susnjara.

« L’augmentation du budget de la défense et la mise en avant des matériels occidentaux aiguisent certains appétits. Dans ce domaine, la Chine représente la menace principale : elle agit dans de nombreux secteurs, pas uniquement celui de la défense, et se montre particulièrement intrusive dans la recherche », a-t-il poursuivi. En clair, il s’agit ni plus ni moins que d’espionnage industriel…

« Nous devons nous montrer vigilants sur les normes et les réglementations, notamment anglo-saxonnes, car la Chine et d’autres pays souhaitent se doter de moyens importants en la matière », a ajouté le général Susnjara, en soulignant la coopération étroite de la DRSD avec Tracfin et la Direction générale de la sécurité intérieure [qui a repris la mission de contre-espionnage de l’ex-Direction de la surveillance du territoire].

Ces « actions hostiles » ne visent pas seulement les grands groupes… Mais aussi – et sans doute surtout – leurs sous-traitants et fournisseurs, qui, connus pour posséder des savoir-faire particuliers, peuvent constituer un maillon faible. « À cet égard, notre objectif est de se doter d’un outil utilisant la cartographie en 3D et la technologie des jumeaux virtuels pour disposer d’une meilleure vision de l’ensemble des installations et d’une connaissance en temps réel et à jour de nos niveaux de protection », a précisé le général Susnjara.

S’agissant de la contre-ingérence informationnelle, la DRSD s’attache à déterminer dans « quelle mesure certains acteurs peuvent attaquer la réputation d’une entreprise et divulguer de fausses informations, par exemple pour l’empêcher d’obtenir un marché », a continué son directeur.

« Une petite cellule suit ces dossiers, notre objectif étant, dans l’année qui vient, de nous brancher sur ceux, dans la sphère institutionnelle ou industrielle, qui mènent déjà des actions très intéressantes. Les grands groupes font déjà de la veille informationnelle, mais pas forcément dans leur chaîne logistique. Comme pour le cyber, il peut y avoir des attaques contre les petites entreprises, qui sont des maillons de cette chaîne, pour contourner la protection que déploient les grandes sociétés », poursuivi le général Susnjara.

Enfin, les entreprises de la BITD seraient également susceptibles de faire l’objet d’actes hostiles en lien avec le contexte politique et sociétal français.

« Nous suivons l’ensemble de la radicalisation, qui se développe malheureusement dans la société actuelle », a dit le DRSD. « Nous suivons la présence de l’ultradroite au sein des armées, mais il n’y a pas de sujet particulier. Nous prenons les mesures d’entrave, en lien avec le commandement, lorsqu’elles sont nécessaires. Et nous agissons de la même façon avec l’islam radical », a-t-il expliqué.

Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes avec l’ultragauche. Avec celle-ci, a développé le général Susnjara, « nous avons plutôt affaire à des gens qui pourraient viser la BITD ou les institutions de l’extérieur : là, nous travaillons de manière coordonnée avec les autres acteurs du renseignement ».

L’Occident danse sur un volcan… et monte le son

L’Occident danse sur un volcan… et monte le son

par Caroline Galactéros, Présidente de Géopragma – publié le é mai 2023

https://geopragma.fr/loccident-danse-sur-un-volcan-et-monte-le-son/


La France va mal : l’inflation dérape, les taux de crédit s’envolent, l’immobilier est à l’arrêt, et, comme pour nous mettre le nez dans notre incurie, notre note financière vient d’être de nouveau dégradée à AA- par une grande agence américaine. Ce déclassement n’est pas anecdotique. Il traduit la réalité de la dégradation de nos comptes publics, accroit encore notre dépendance aux États-Unis et la menace d’un défaut sur notre dette abyssale, et creuse notre déficit de crédibilité donc d’utilité internationale. Ce coup de semonce ne peut en effet que paralyser plus encore notre capacité résiduelle à faire bouger les lignes en portant un discours de raison et d’intelligence face au désastre de l’attitude occidentale dans le conflit en Ukraine…On me dira que c’est un faux problème car il faudrait encore en avoir le courage.

Aux Etats-Unis, la folie de l’auto-enfermement des néoconservateurs américains dans une escalade militaire permanente face à Moscou précipite la destruction totale de l’État et du territoire ukrainiens et fait grandir le risque d’un dérapage, menaçant concrètement toute l’Europe. Pourtant, la haine ouverte de la Russie, le rêve éveillé succès que constituerait son anéantissement et son démembrement s’expriment ouvertement. Les médias occidentaux, confits dans l’ignorance et l’arrogance, devenus les pathétiques chambres d’écho d’une propagande délirante, n’ont plus aucune crédibilité. On est revenu aux pires heures du Maccarthysme ou pire, du fascisme de la pensée, de la calomnie et de la délation. Ce bouquet d’indignité empeste mais il nous est en permanence jeté à la figure, certes de façon de plus en plus ridicule et désespérée. Car le rideau et les masques sont en train de tomber face au réel récalcitrant. Pourtant, la rage et désormais la panique américaines cherchent encore à perpétuer le fantasme d’une « victoire » à venir, dont on ne s’est évidemment jamais donné la peine de définir les contours. Que peut bien vouloir dire « gagner » la guerre en Ukraine ? No Clue. Aucune vision en ce domaine. Quant à gagner la paix, on n’en veut pas. Quelle horreur ! Comment faire la paix avec Vladimir Poutine ?!!! cela parait impossible à des hémiplégiques volontaires englués dans leur rhétorique de bac à sable qui ne pensent qu’à humilier un « ennemi systémique » et en sont à faire des danses de la pluie (ou plutôt contre la pluie et la boue qui font s’embourber leurs chars de la dernière chance) pour conjurer l’inévitable. C’est donc la fuite en avant dans la haine inexpiable du Russe…jusqu’au dernier ukrainien. Le vertige est si grand face au gouffre que l’on ne sait plus qu’appuyer sur l’accélérateur de la déroute militaire et stratégique et sombrer dans une démence haineuse et sans issue. Cette haine se diffuse et infuse partout en Europe, surtout chez nos « élites » vassalisées et / ou stipendiées, elles aussi emportées dans ce piège tragique qu’elles font mine d’ignorer. Pourtant, le fiasco militaire est sans équivoque depuis déjà des mois. Même les « Mainstream media » commencent, sur ordre ou via d’opportunes fuites, à laisser filtrer l’implacable vérité : sur la réalité militaire du terrain, sur les désertions en chaine des malheureux jeunes ukrainiens ramassés dans les rues et jetés de force dans « le hachoir à viande russe », sur les pertes véritables, sur l’incapacité structurelle des forces de l’OTAN à fournir l’Ukraine en quantité en rythme et en qualité pour pouvoir prétendre tenir le choc et moins encore, pour renverser le rapport de force face à la Russie. Certes, au Pentagone comme dans les États-majors européens, on sait bien depuis des mois déjà que la messe est dite et le pari perdu. Il n’y a plus que les Polonais et les Baltes pour pousser à la roue. Mais l’on ne veut pas se réveiller, et l’on continue à inonder l’Ukraine d’armes (en grande partie détournées) et de monceaux d’argent pour assurer la « grande contre-offensive » – d’été …ou d’automne – aux allures de baroud d’honneur, dont l’échec anticipé servira à démontrer que « le camp du Bien » a fait tout ce qu’il a pu, mais que l’Ukraine n’a pas su vaincre la Russie (comme si elle le pouvait !) et qu’il faut « pour sauver l’Ukraine et son peuple » (amplement sacrifié pendant 2 ans) enfin se résoudre à négocier avec Moscou. Sans doute pas avec un président Zelenski carbonisé par son jusqu’au-boutisme et de plus en plus menacé par son entourage d’ultra-droite aux relents ouvertement fascistes. Notre déréliction morale est totale mais là encore, on le nie. Nous soutenons à bout de bras depuis 2014, avec un cynisme décomplexé une clique aux antipodes des valeurs dont nous nous gargarisons pour fomenter et mener cette « proxy war » de trop.

Malheureusement, ce sont encore les « Neocons » de la Maison Blanche, de la CIA du NSC et du Département d’État qui font la loi à Washington. Et ils n’admettent pas que La Russie a gagné et ne s’effondrera ni militairement ni économiquement. Tout au contraire. Ses armes hypersoniques sont pour l’heure sans égales, elle a su anticiper et déjouer le piège des sanctions, son économie a tenu, son peuple soutient toujours assez massivement la réponse militaire à la menace militaire de l’OTAN à ses frontières. Surtout, elle fait désormais cause commune avec la Chine. Certes c’est une alliance en apparence du moins déséquilibrée. Mais une alliance vitale, ne nous en déplaise. Une convergence tactique et stratégique d’intérêts. Le Président Xi se frotte les mains, s’érige en pôle de stabilité financière et politique de substitution et se propose même comme faiseur de paix (rapprochement Iran-Arabie saoudite, plan en 12 points, etc…). Il rassemble ses nouvelles ouailles, troupeau disparate d’égarés en mal de protection qui n’en peuvent plus du Maitre américain et de ses pratiques de cowboy. Un rassemblement massif. Pas moins de 19 pays se pressent désormais à la porte des BRICS+, véritable « contre G7 ». Un processus d’intégration gigantesque s’ébauche à partir de ce noyau accueillant et à géométrie variable, autour de la Communauté des États indépendants (CSI), de l’Union économique eurasiatique (EAEU), de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), de l’OPEP+ et par extension, du Conseil de coopération du Golfe (GCC). Tout cela au profit de la BRI (Belt and Road initiative) chinoise, de la fortification impérative de son Corridor économique d’Asie du centre et de l’Ouest, mais aussi du Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC) qui reliera la Russie et l’Iran à l’Inde. Les instruments financiers de cette intégration gigantesque que sont la BAII (banque asiatique pour les investissements et infrastructures) et la Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange sont déjà très actifs…

C’est tragique mais clair et net : Nous sommes nos propres fossoyeurs. Ce sont notre anti-russisme pathologique et notre bellicisme en Ukraine pour provoquer Moscou en espérant l’embourber et la séparer de l’Europe à jamais qui ont accéléré la grande Bascule du monde, l’émergence d’une structure multilatérale englobante et rassurante capable de mettre à bas l’hégémonie du dollar, et qui menacent l’Europe d’une crise économique financière plus grave encore que celle de 2008.

En France, naturellement, on fait comme si de rien n’était. On « s’étonne » de la dégradation de notre note financière, alors que tous les voyants sont au rouge de part et d’autre de l’Atlantique depuis déjà des mois, et que les premières secousses bancaires aux Etats-Unis comme en Allemagne et en Suisse ont été précipitamment étouffées. Peut-on éviter une crise majeure et systémique en la traitant par le mépris ? Cela parait douteux. Quoi qu’il en soit, la présidentielle de 2024 à Washington se profile mal pour le camp démocrate. Donald Trump pourrait bien de nouveau l’emporter en dépit du mur d’affaires et d’accusations dressé contre lui. Il a le cuir épais. Et puis, le fameux verdict de James Carville, conseiller de Bill Clinton, en 1992 s’impose de nouveau : « It’s the economy, stupid ! » Les Américains ne se préoccupent pas tant de l’Ukraine agressée « de manière non provoquée » ou de la victoire de la démocratie dans le monde que de leur porte-monnaie et de la fragilisation croissante de leur dollar dont la domination s’érode à vue d’œil. Dans sa curée anti-russe, Washington a en effet commis une faute cardinale en gelant de façon totalement arbitraire une fois encore, les 300 milliards de dollars d’avoirs russes au printemps 2022. Funeste décision. Bien des États ont ce jour-là compris que ce pouvait être demain leur tour. Cette démonstration de puissance a été la goutte de trop dans le vase déjà plein de rancœurs et de fureur devant les méthodes léonines de Washington en matière de sanctions et d’extraterritorialité juridique des « règles américaines ». Bien au-delà de la Russie de l’Iran ou de la malheureuse Syrie dont le calvaire n’en finit pas. Or, personne ne supporte plus ce « Rules based World Order ». Chacun a compris que seule l’Amérique édictait ces fameuses « règles » et les modifiait au gré de ses seuls intérêts. Les principes contenus dans l’imparfaite Charte des Nations unies sont bien plus protecteurs. Le dollar n’est plus ce qu’il fut longtemps, un gage de stabilité. Il incarne désormais l’incertitude, et la pure domination. Or les échanges internationaux ne peuvent se passer de sécurité et de stabilité. Le gel des avoirs russes a donné le signal d’une défiance en chaine de multiples pays qui ont compris qu’il leur fallait désormais se protéger des oukases washingtoniens et donc regarder du côté du nouveau pôle sino-russe. Pas pour s’aligner, pour doser et équilibrer leurs dépendances selon les sujets ou les secteurs. C’est l’ère du « poly-alignement » – c’est-à-dire la fin de l’alignement façon Guerre froide et le retour en grâce du non-alignement – dont la France devrait savoir se faire le chef de file. Les chiffres sont sans appel : la part du dollar dans les réserves globales est passée de 73% en 2001 à 55% en 2021 et…. 47% en 2022. L’accélération depuis 20 ans est considérable. Sans une correction urgente, qui suppose un changement de pied drastique des États-Unis dans leur comportement vis-à-vis du reste du monde, la chute devrait se poursuivre. 70% du commerce entre la Russie et la Chine se fait désormais en Yuan ou en roubles. La Russie et l’Inde commercent en roupies, le CIPS (système interbancaire chinois qui se pose en alternative au SWIFT) fonctionne à plein régime. Total et son homologue Chinois CNOOC viennent de signer un accord gazier…. en Yuan ! Pas par amour de la Chine. Parce que c’est une question de survie pour l’entreprise, que le pragmatisme convient aux affaires mieux que le dogmatisme, et que l’idéologie est en train de mettre à bas l’économie occidentale. Le monde est multipolaire et l’on ne peut plus faire semblant de l’ignorer. Le FMI reconnait que les cinq BRICS contribuent à eux seuls pour 32,1% de la croissance mondiale contre 29,9% pour les pays du G7. Et il y a encore 19 candidats…La coopération étroite entre Moscou et Ryad est aussi de mauvais augure pour l’Amérique. Elle permet à la Russie d’équilibrer sa coopération stratégique avec l’Iran, et renforce la main de Vladimir Poutine et celle de MBS dans leur fronde face à Washington en matière de prix du pétrole. Les BRICS ont de leurs cotés toutes les « commodities » et ressources naturelles du monde et défient désormais ouvertement la seule domination qui restait aux pays du G7, celle de la finance.

Derrière tous ces faits, il y a un « sous-texte », une réalité que nous devrions saisir avant que le boomerang ne frappe trop massivement nos économies européennes et que la Chine, au-delà de son effort pour échapper, grâce à la BRI, à la domination américaine des mers et des routes maritimes de transport vers l’Europe, n’en vienne à nourrir un rêve de puissance plus offensif. Cette réalité, c’est que la révolution actuelle dans la géopolitique mondiale correspond à un rééquilibrage nécessaire des rapports entre les États. Il y aura des heurts, des crises, des conflits dans les prochaines années, mais nous sommes en phase de restabilisation après le déclin de l’hégémon américain devenu insoutenable et qui ne correspondait plus à la réalité du champ de forces géopolitiques et géoéconomiques. Notre planète a besoin d’apaisement, de stabilité, de respect, de rétablissement d’une forme d’égalité formelle et en tout cas d’équité réelle entre ses membres, petits ou grands. On me dira que je suis angélique. Je pense que c’est la motivation première de pays et régions entières du globe qui veulent se développer et refusent ce jeu à somme nulle que l’Amérique a cru pouvoir imposer ad vitam aeternam. C’est valable pour les puissances du Moyen-Orient (Iran, Syrie, Libye) qui doivent sortir du marasme, pour l’Afrique – qui voit dans cette ouverture du jeu de vastes opportunités-, pour l’Amérique latine -qui est en train de reléguer aux oubliettes la doctrine Monroe. C’est enfin valable pour l’Asie elle-même, qui donne certains signes de crainte et de circonspection devant la nouvelle cible chinoise du bellicisme américain provoquée à grand renfort de déclarations martiales (Taiwan). Seule l’UE parait vivre dans une bulle. Qui ne la protège plus. Elle semble ne pas voir que tout a changé, qu’elle est située sur le continent eurasiatique qui est une terre d’opportunités vers laquelle il lui faut se projeter avec vigilance mais sans crainte. Son avenir n’est pas dans une coupure radicale avec la Russie ou un alignement sur Pékin. Il n’est pas d’avantage dans une vassalisation consentie envers Washington, qui après l’Ukraine, ambitionne déjà de jeter l’Otan (qui n’a vraiment plus rien d’une alliance régionale défensive) vers les eaux de la mer de Chine. A quoi bon ? Pour nourrir le complexe militaro-industriel américain ? Pour poursuivre la déstabilisation et la fragmentation du monde ? En quoi ces objectifs servent-ils nos intérêts nationaux, économiques et sécuritaires ? L’Europe doit comme je le dis depuis des années, sortir enfin de son enfance stratégique et apprendre à marcher la tête haute. Sans béquille ni laisse.

Les néoconservateurs américains ont mis non seulement l’Amérique mais l’Europe en grand danger. Il est plus que temps de mettre fin à cette folie et de hâter la conclusion d’un cessez-le-feu en Ukraine et d’une refondation durable de la sécurité en Europe. Le peuple ukrainien, la sécurité de l’Europe toute entière, l’économie occidentale et nos peuples le méritent. C’est de l’intérêt de tout le monde. Qu’attendons-nous ?

Evolution du rapport de force entre les puissances économiques sur le marché mondial du Lithium.

Evolution du rapport de force entre les puissances économiques sur le marché mondial du Lithium.

par Isac Babatoundé Fachina – Ecole de guerre économique – publié le 20 avril 2023

https://www.ege.fr/infoguerre/evolution-du-rapport-de-force-entre-les-puissances-economiques-sur-le-marche-mondial-du-lithium


Le monde est à un tournant et dans une course de fond vers une économie plus verte, juste et responsable pour sauver la planète et l’avenir des générations futures. En effet, face au réchauffement effréné de la planète, les dirigeants mondiaux à travers la COP21 de décembre 2015 en France ont conclu l’Accord de Paris sur le climat. Cet accord vise entre autres à réduire considérablement les émissions mondiales de gaz à effet de serre dans le but de limiter à 2 °C le réchauffement planétaire au cours du siècle présent, tout en poursuivant l’action menée pour le limiter encore davantage à 1,5 °C, d’où la nécessité de se tourner vers les énergies plus vertes à bas niveau de carbone.

Une ressource majeure

Cet accord a ainsi donné un grand coup d’accélérateur au développement des énergies renouvelables avec un cap vers la transition énergétique dans tous les secteurs dont le transport notamment les véhicules électriques.

C’est un ainsi que le Lithium se positionne aujourd’hui en un minerai extrêmement stratégique car il s’agit d’un métal utilisé pour les batteries du fait de sa grande énergie massique, sa durabilité dans le temps et sa faible autodécharge.

Le lithium devient ainsi un actif stratégique de guerre économique entre puissances avec la nécessité de la maitrise de la chaîne d’approvisionnement par l’extraction du minerai, la transformation et la production des batteries pour les constructeurs automobiles.

Le présent article[i] vise à examiner l’évolution des rapports de force entre les puissances notamment en Asie, en Amérique et en Europe sur ce marché de lithium qui devrait satisfaire les besoins du marché automobile.

Il sera ainsi abordé les réserves mondiales du lithium, les chaînes d’approvisionnement, le marché mondial du lithium et des batteries électriques avec le pays en tête de pont, les bouleversements géostratégiques avec la découverte de nouvelles réserves de lithium notamment au Maroc au niveau du mont Tropic, les affrontements économiques entre les puissances notamment la Chine, les Etats-Unis, l’Europe avec identification de la place de la France dans cette guerre économique pour le stockage de l’électricité.

Un besoin croissant

Selon le rapport du 09 avril 2019 de la Commission européenne sur la mise en œuvre du plan d’action stratégique sur les batteries, la production de cobalt, du graphite et du lithium sera en 2050 cinq fois plus importante que celle de 2018 pour répondre aux besoins en batteries électriques. La demande de lithium va exploser avec l’essor de la voiture électrique. Pour l’Agence internationale de l’énergie, les besoins vont être multipliés par 42 pour assurer la transition vers la neutralité carbone. En outre, la forte progression des ventes de voitures électriques (près de 4M d’unités en Chine, en 2022) a réveillé avec acuité le marché du lithium ces derniers mois avec un envolé vertigineux du prix moyen du carbonate de lithium dans le monde entre 2010 et 2021 comme l’indique le site Statista du 22 avril 2022.

Cette tension de plus en plus forte entre l’offre et la demande sur le marché mondial du lithium est la conséquence directe des enjeux géostratégiques et politiques menés par les puissances (en Asie, Europe et Amérique) pour le contrôle des énergies bas carbone dans le cadre de la transition énergétique.

En effet, la Chine dans son plan décennal « Made in China 2025 », ambitionne de devenir à l’horizon 2049 (année du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine), la première puissance mondiale dans l’ensemble des technologies de demain (batteries, véhicules électriques, intelligence artificielle, etc.).

Quant à l’Europe, les batteries seront l’un des grands vecteurs de la transition énergétique, compte tenu du rôle important qu’elles jouent dans la stabilisation du réseau électrique et dans le déploiement de la mobilité propre. L’Europe envisage ainsi à l’horizon 2035 une convergence totale vers les véhicules électriques avec une production massive des batteries à base du lithium-ion.

Les Etats-Unis, quant à eux, visent à l’horizon 2030 un parc automobile de 50% de véhicules électriques afin de mettre l’Amérique en position de mener l’avenir de la voiture électrique, de dépasser la Chine et de faire face à la crise climatique, a annoncé la Maison Blanche en août 2021.

Derrière toutes ces annonces et projections des différentes puissantes économiques, se joue une guerre économique sans pitié pour le contrôle des minerais stratégiques dont le lithium. Par ailleurs, cet affrontement de positionnement sur le marché des énergies vertes à base de lithium se fait atrocement entre les constructeurs automobiles dont l’américain Tesla et le chinois Byd sans oublier des pertes records des actions de Tesla à la bourse. 

Bienvenue dans cette saga de lutte à plusieurs milliards de dollars entre puissances pour le contrôle du marché mondial du lithium. Ainsi, pour mettre un coup de projecteur sur cette guerre économique avec les différentes polémiques autour du lithium, il sera abordé :

  • Le marché mondial du lithium qui traitera les réserves mondiales du lithium, les chaines d’approvisionnement et l’évolution du marché.
  • Le rapport de force de la Chine sur le marché du lithium afin de mieux cerner les stratégies de la Chine sur les 20 dernières années.
  • Les stratégies américaines et les futurs bouleversements géostratégiques sur le marché du lithium.
  • La place de l’Europe dans ce carré de l’énergie du futur par le lithium.
  • La position de la France dans l’Europe pour cette conquête de l’énergie du futur.

Marché mondial du lithium

Ce marché est structuré autour des réserves mondiales, les chaines d’approvisionnement, la raffinerie du minerai et la production des batteries à lithium notamment pour les constructeurs automobiles. Selon les études, la batterie rechargeable représente 40% du coût de production d’un véhicule électrique (VE). Aujourd’hui dans le monde plus de 4 millions de véhicules électriques sont en circulation. Ils devraient être entre 50 et 200 millions en 2028 et atteindre les 900 millions en 2040, d’où le caractère stratégique du lithium pour l’industrie des batteries rechargeables

Suivant le rapport 2018 de la BRGM sur les ressources métropolitaines de la France, le lithium est un élément métallique très léger, deux fois moins dense que l’eau, et qui possède une très forte électronégativité. Ses utilisations sont très variées, dominées depuis 2015 par le secteur des batteries rechargeables. Les enjeux du marché de lithium en 2018 portent sur des perspectives de croissance extrêmement fortes. Le principal moteur est la consommation de lithium à destination des batteries rechargeables de types lithium-ion pour le développement très rapide de l’électromobilité et du stockage d’énergie. Cette part de marché ne cesse de croître et l’impact est majeur sur la demande de lithium et donc sur les prix. La croissance moyenne de la demande de lithium devrait se situer autour de 18% par an et la part du secteur des batteries devrait être comprise entre 60% et 86% du total vers 2025.

Au niveau des réserves mondiales de lithium, les données à fin 2020 publiées en février 2021 par le site Statista font état de 18 millions tonnes de lithium détenus par cinq (05) pays à savoir : Le Chili, l’Australie, l’Argentine, la Chine et les Etats-Unis. La première réserve mondiale appartient au Chili avec 9,2 millions de tonnes, soit plus de 50% de la part des 05 pays cités. L’Australie et l’Argentine détiennent respectivement 4,7 millions et 1,9 millions de tonnes contre 1,5 million de tonnes pour la Chine et 0,75 million pour les Etats-Unis. D’autres études indiquent que le triangle de lithium en ABC (Argentine, Bolivie et Chili) abrite entre 60 à 70% des réserves mondiales. L’avenir du lithium se joue ainsi au centre de l’Amérique du Sud et ces gisements constituent entre les grandes puissances industrielles un jeu géopolitique indispensable pour conserver l’accès à la ressource.

Au niveau européen, en termes de gisement, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Ukraine et le Portugal sont les plus représentés et également les plus actifs au niveau de la prospection lithinifère.    

Sur les chaînes d’approvisionnement et le raffinage, la Chine contrôle 65% de la production mondiale de lithium raffiné avec ses deux géants du secteur, Jiangxi Ganfeng et Tianqi Lithium qui se sont hissés aux premières et troisièmes places du marché. Par ailleurs, 80% des métaux nécessaires à la fabrication des batteries des véhicules électriques sont transformés en Chine, ce qui donne un avantage concurrentiel énorme à l’économie de l’Empire du milieu qui possède la moitié du parc mondial de véhicules électriques et exporte une grande partie de sa production à l’étranger, essentiellement en Europe.

Cette position dominante de la Chine sur ce marché de l’énergie du futur n’est pas du tout du goût de l’Occident notamment les Etats-Unis et l’Union Européenne, d’où les rivalités géostratégiques en cours entre ces puissances économiques et chacune annonce comme indiqué plus haut ces ambitions pour ce potentiel marché de transition énergétique.

Rapport de force de la Chine sur le marché mondial du lithium

Depuis une vingtaine d’années, la Chine a pris conscience des enjeux que constituent les terres rares et les minerais stratégiques. Sa montée en puissance dans ce secteur est tardivement perçue comme une menace par les économies occidentales alors que la Chine avait usé de toutes les manœuvres économiques et géostratégiques y compris le dumping pour parvenir à ses fins. La Chine a ainsi organisé la sortie du marché de Molycorp (entreprise américaine, seul producteur et transformateur d’éléments de terres rares d’Amérique du Nord) par un dumping sur les prix, puis racheté (via Shenghe) une partie des droits sur la production de la mine. Aussi en 1994, Rhône-Poulenc, un des deux leaders mondiaux de la transformation des terres rares dans les années 1980, fut contraint de confier à la Chine le raffinage des terres rares.

En moins de vingt ans, la Chine a racheté des mines de métaux stratégiques partout sur la planète et développé des industries de pointe pour exporter des produits à haute valeur technologique. Il est ainsi observé une politique d’investissements colossaux dans des mines partout sur la planète où entre 2005 et 2021, ses investissements directs à l’étranger (IDE) dans le secteur minier ont atteint 125 milliards de dollars, soit presque l’équivalent de la valeur actualisée du plan Marshall des Etats-Unis à l’Europe après la seconde guerre mondiale.

Ainsi, sur le marché du lithium, les entreprises chinoises Ganfeng et Tianqi sont les leaders mondiaux qui cumulent à eux deux environ 60% de la production mondiale du lithium. Les entreprises chinoises, toute catégorie confondue, ont sécurisé des millions de tonnes d’approvisionnement en lithium sur plusieurs années grâce au rachat ou à la prise d’intérêts dans des projets phares. Aussi, la Chine a dans un premier temps accueilli de nombreuses entreprises étrangères puis, dans un second, absorbé les technologies de ces dernières pour démultiplier sa production nationale en évinçant progressivement la concurrence internationale grâce à son dumping économico-environnemental. En outre, cette position dominante s’inscrit également dans les coûts environnementaux que la Chine a accepté d’assumer. En effet, avec des normes environnementales moins contraignantes que celles des pays occidentaux, la Chine a assumé le coût écologique, ce qui lui a permis de s’assurer une position incontournable dans le raffinage du lithium pour satisfaire les besoins colossaux de l’industrie des véhicules électriques.

En somme, le rapport de force de la Chine envers l’Occident dans ce secteur découle de sa capacité à maitriser les sources d’approvisionnement en matières premières tout en maitrisant toutes les chaines de valeur dont le raffinage au détriment des normes et de l’impact environnemental.   

Les stratégies américaines et les futurs bouleversements géostratégiques du marché mondial de lithium

Parmi les grandes lignes de l’Administration Biden en matière de souveraineté et de compétition technologique figure la transition vers l’énergie verte. Cette transition sera pour les EU dans les prochaines années une source majeure de croissance économique et de création d’emplois. À plus long-terme, elle viendra également assurer l’indépendance et la sécurité énergétique des États-Unis. Ainsi, le 05 août 2021, le Président Biden signe à la Maison Blanche le décret déclarant l’objectif que la moitié des véhicules vendus aux Etats-Unis d’ici 2030 seront électriques.

Pour ce faire, le Département de l’Énergie des États-Unis a ouvert des financements de plusieurs milliards de dollars afin de mettre en place des chaînes d’approvisionnement nationales des batteries au lithium, cruciales pour faire basculer le pays dans l’énergie propre. L’objectif du gouvernement américain est de faire en sorte que plus de la moitié des véhicules vendus sur son territoire soient électriques et assurer au pays une indépendance en luttant contre la domination chinoise dans le secteur. Cette mesure prise par le Président Biden s’inscrit également dans le cadre d’une campagne plus large visant à éloigner le pays de l’énergie russe.

A cet effet, Albemarle, leader de l’industrie du lithium et des dérivés du lithium aux Etats-Unis, envisage de multiplier par cinq sa capacité de production globale de lithium pour atteindre 500.000 tonnes par an d’ici 2030.

Par ailleurs, parmi les stratégies américaines dans le lithium figurent la reconquête des sources d’approvisionnement ou la découverte des réserves de lithium et autres métaux pour l’accroissement de leur capacité industrielle dans la production des batteries rechargeables.

Ainsi l’alliance AUKUS, en dehors des enjeux dans l’indo pacifique, pourrait être une stratégie pour les Etats-Unis de resserrer les liens avec l’Australie, un des pays détenant une importante réserve de lithium et où les investissements chinois dans le lithium ont atteint 27 milliards de dollars US sur la période 2005-2021.

En outre, les Etats-Unis se sont imposés au Maroc face aux Européens (Espagne et Allemagne surtout) sur la découverte du Mont Tropic. En effet, le Mont Topic regorge de cobalt et surtout de tellure qui est un minerai très rare utilisé dans la fabrication de certaines armes mais aussi de certaines batteries de voitures électriques. Le tellure du Mont Tropic, suivant les études britanniques, serait 50.000 fois plus important que tous les dépôts découverts jusqu’à ce jour et les réserves du cobalt quant à elles, sont équivalentes aux réserves du Congo.

Si toutes ces positions se confirment, les Etats-Unis pourraient faire changer significativement le rapport de force sur le marché les batteries rechargeables et par conséquent l’avenir mondiale de la transition énergétique.

Place de l’Europe dans ce carré de l’énergie du futur par le lithium.

Le lithium a été identifié comme critique par la Commission européenne. Le rapport 2019 de la Commission Européenne sur la vision 2050 de la neutralité carbone vise à créer une chaine de valeur stratégique des batteries en Europe avec un cap sur du 100% de véhicules électriques à l’horizon 2035. Pour la Commission le potentiel du marché européen des batteries rechargeables est énorme et pourrait s’élever à 250 milliards d’euros chaque année à partir de 2025 et un cadre législatif et de gouvernance a été adopté afin d’accélérer la transition vers une économie européenne à la fois durable, sûre et compétitive.

Actuellement la part européenne dans la fabrication mondiale de cellules de batteries est de 3% alors que celle de l’Asie est de 85% et si rien n’est fait pour soutenir la création d’un secteur viable de la fabrication de batteries, l’Europe risque de perdre irrémédiablement du terrain face à ses concurrents sur le marché mondial des batteries et de devenir tributaire des importations de cellules de batterie et de matières premières utilisées dans la chaîne d’approvisionnement.

Pour la conduite de cette vision à long terme, l’Union a créé en 2017 « l’Alliance Européenne des Batteries (AEB) » pour soutenir la mise à niveau de solutions innovantes et la capacité de fabrication en Europe. Aussi en mai 2018, la Commission a adopté le plan d’action intitulé L’Europe en mouvement ». Ce plan a permis de constituer une panoplie de mesures permettant de soutenir les efforts nationaux, régionaux et industriels visant à créer une chaîne de valeur des batteries en Europe et couvrant l’extraction, la fourniture et la transformation de matières premières, les matériaux pour batteries, la production de cellules, les systèmes de batterie ainsi que la réutilisation et le recyclage.

Toutes ces mesures démontrent ainsi le dynamisme européen sur le marché des batteries à lithium et des investissements considérables sont nécessaires à cet effet. Suivant les prévisions, de 20 à 30 usines géantes devront être construites en Europe rien que pour la production de cellules de batterie et leur écosystème devra être considérablement renforcé. Il est donc recommandé la mobilisation rapide d’investissements privés comme facteur clé de réussite de ces ambitions compte tenu de l’ampleur et du rythme des investissements nécessaires.

L’Europe n’est donc pas en marge de cette guerre économique entre puissances pour la course à la transition énergétique et cette pression sur l’Europe devient plus palpable avec la guerre militaire en cours entre la Russie et l’Ukraine. Conflit dans lequel la question de la dépendance énergétique de l’Union Européenne est au cœur des débats et des affrontements géostratégiques.

Nous partageons et renforçons ainsi les pistes de solutions et les débats d’idées en cours sur cette épineuse question de transition énergétique de l’UE notamment sur les batteries rechargeables. Ces pistes sont principalement : l’exploitation des ressources sur le sol européen, le recyclage, la constitution de stocks de certains métaux stratégiques et la diversification des sources d’approvisionnement.

Ainsi en dehors de l’exploitation « responsable » des ressources de lithium sur le sol européen, l’Europe pourrait se positionner significativement sur le segment du recyclage actuellement encore bien vierge en créant des champions européens de recyclage de batteries à lithium au regard des perspectives de plus de 900 millions de véhicules électriques dans le monde à l’horizon 2040.

La France se positionne-t-elle en futur leader européen du marché du lithium ?

L’Etat français, à travers le plan France 2030 du Président Macron, envisage produire 2 millions de véhicules électriques d’ici 2030 dans le cadre de sa stratégie industrielle qui vise à implanter sur le territoire national l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries, de matériaux de base au recyclage.  

Ainsi pour jouer un rôle de premier plan au sein de l’Union Européenne, la France a confié au Groupe Imerys l’exploitation du lithium de la région de Beauvoir dans le Département de l’Allier. Ce projet contribuera aux ambitions de la France et de l’Union européenne en matière de transition énergétique et il permettra également d’accroître la souveraineté industrielle de la France et de l’Europe à l’heure où les fabricants de batteries et les constructeurs automobiles sont fortement dépendants des importations de lithium de la Chine. Imerys vise une production de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an à partir de 2028 pour une durée d’au moins 25 ans, ce qui ferait de la France un fournisseur de premier plan du marché européen des batteries et lui conférerait un rôle clé dans l’industrie mondiale du lithium avec 700.000 de véhicules électriques à équiper par an.

En dehors de la région de Beauvoir, le rapport 2018 de la BRGM indique d’autres réserves de lithium pour la France avec une estimation globale de l’ordre de 443.200 tonnes de lithium dont 375.000 pour le site de Beauvoir.

Au regard de ces prévisions de réserves et pour pouvoir se positionner durablement sur le marché européen et mondial des batteries rechargeables, la France devra investir dans une chaine de valeur verticale en diversifiant ces sources d’approvisionnement en matières premières notamment hors de son territoire à l’instar de la stratégie chinoise et qu’envisage aussi les Etats-Unis. Par ailleurs, les recommandations à l’endroit de l’UE devront être prises en comptes par l’Etat français surtout le segment du recyclage.

Isac Babatoundé Fachina

auditeur de la 41è promotion de la MSIE de l’EGE

Sources complémentaires

https://www.agrobiosciences.org/territoires/article/les-enjeux-du-lithium-une-situation-electrique#.Y7iI8HbMLIU

https://atalayar.com/fr/blog/lithium-une-autre-guerre-entre-les-etats-unis-et-la-chine

https://www.francetvinfo.fr/economie/industrie/etats-unis-le-projet-dun-gisement-de-lithium-fait-polemique_5437876.html

https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/terre-lithium-france-impact-ecologique-nouvel-or-blanc-101509/

https://www.imerys.com/fr/media-room/communiques-de-presse/imerys-ambitionne-de-devenir-un-acteur-majeur-du-lithium-en-europe

https://m.zonebourse.com/actualite-bourse/Albemarle-prevoit-une-importante-usine-de-traitement-du-lithium-aux-Etats-Unis–40838067/

https://www.jeuneafrique.com/1225179/economie/rachid-yazami-le-maroc-est-au-coeur-de-la-guerre-pour-les-minerais-rares/

https://medias24.com/2021/10/03/tresors-caches-du-mont-tropic-mythe-ou-realite/

https://legrandcontinent.eu/fr/2022/08/26/la-californie-va-interdire-la-vente-de-vehicules-thermiques-dici-2035/

https://legrandcontinent.eu/fr/2022/05/05/un-etat-pour-la-planification-ecologique/

https://www.lesechos.fr/2015/06/lamericain-molycorp-victime-de-la-bulle-des-terres-rares-250506

https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:72b1e42b-5ab2-11e9-9151-01aa75ed71a1.0003.02/DOC_1&format=PDF

https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/tesla-il-y-a-de-lelectricite-dans-lair-1898008#xtor=CS3-3092

https://www.nationalgeographic.fr/environnement/bolivie-lextraction-du-lithium-menace-le-plus-grand-desert-de-sel-du-monde

https://planeteamazone.org/actualites/etats-unis-un-plan-pour-booster-la-production-de-batteries-alors-quune-mine-de-lithium-menace-les-peuples-amerindiens/

 

Note

[i] Cet article vient également en contribution des précédents articles du site infoguerre.fr de l’EGE qui n’ont pas encore abordé les enjeux géostratégiques et le rapport de force inter-puissances pour le contrôle de ce minerai dans l’énergie du futur et la transition énergétique.

https://www.ege.fr/infoguerre/les-manoeuvres-informationnelles-autour-du-lithium-en-france

https://www.ege.fr/infoguerre/les-polemiques-autour-du-projet-de-la-plus-grande-mine-de-lithium-deurope-mina-do-barroso-au-nord-du-portugal

https://www.ege.fr/infoguerre/2009/11/lithium-bolivie-strategie-energie

https://www.ege.fr/infoguerre/une-reponse-relative-lultra-dependance-europeenne-la-chine-en-matiere-de-batteries

Frères musulmans : infiltration en France. Entretien avec Florence Bergeaud-Blackler

Frères musulmans : infiltration en France. Entretien avec Florence Bergeaud-Blackler

par Florence Bergeaud-Blackler – Revue Conflits – publié le 20 avril 2023

https://www.revueconflits.com/freres-musulmans-infiltration-en-france-entretien-avec-florence-bergeaud-blackler/


L’idéal porté par les Frères musulmans est celui d’une théocratie. Alors que le sujet s’installe au sein de l’opinion publique, il devient crucial d’en connaître le fonctionnement et les objectifs. L’enquête conduite par Florence Bergeaud-Blackler permet de prendre conscience de l’importance d’un phénomène souvent mal cerné et des liens tentaculaires tissés en Europe. 

Florence Bergeaud-Blackler est anthropologue, chargée de cherche au CNRS (HDR) au groupe sociétés, religions, laïcité à l’École pratique des hautes études. Elle publie Le frérisme et ses réseaux, l’enquête, aux éditions Odile Jacob. 

Propos recueillis par Côme de Bisschop. 

L’organisation des Frères musulmans créée en 1928 en Égypte est aujourd’hui largement présente en Europe. Qu’est-ce que le « frérisme » ? Est-ce une théologie, une doctrine, un mouvement ou une revanche sur la modernité ? 

Le frérisme n’est à mes yeux ni un courant théologique, ni une école juridique, mais un mouvement politico-religieux qui s’est donné pour mission d’organiser la marche de tous les musulmans vers un même objectif : l’instauration de la société islamique mondiale. 

Je définis le frérisme comme un « système d’action » qui tente de piloter, depuis « le milieu », les différentes composantes théologiques et juridiques de l’islam, des versions les plus libérales aux plus littéralistes en passant par le soufisme, dans le but d’accomplir la prophétie ultime. 

En quoi consiste la prophétie califale ? Dans quel contexte la confrérie des Frères musulmans est-elle née ? Quels étaient ses objectifs ?

« On ne comprend pas des phénomènes aussi complexes et étendus que le marché halal mondialisé ou le voilement des femmes sur tous les continents si on perd de vue son plan, sa vision du monde, le fait que le frérisme est axé sur la mission. »

Il ne s’agit pas de créer un Etat islamique à l’image de Raqqa, mais d’instaurer la société islamique moderne mondiale et mondialisé. Le projet frériste a vu le jour en Europe et aux Etats-Unis à partir des années 1960 par les étudiants islamistes exilés, qui avait toute latitude en démocratie pour penser une forme d’islamisme mondialisée et conquérante adaptée au monde non-musulman. 

Les trois dimensions du frérisme, qui ont pour méthodes la ruse, la perversion, la manipulation et la subversion plutôt que la guerre frontale sont ce que j’appelle le triptyque de la Vision, l’Identité, le Plan. Ils partagent une vision du monde et une identité transnationale qui traversent les frontières culturelles, ethniques, raciales. Mais la dimension la plus importante à souligner est celle du Plan. C’est aussi celle qui a été la plus occultée par les observateurs alors qu’elle est essentielle pour comprendre la façon dont les normes islamiques se combinent au monde moderne, et selon quels principes fondamentaux elles évoluent et s’adaptent continument à son évolution. On a fait l’erreur de réduire le mouvement islamiste à une idéologie politique temporelle alors qu’elle est politico-religieuse et, à ce titre, englobe le terrestre et le supra-terrestre, prévoit une fin du monde, un jugement dernier, et un système de compte des actions comme les indulgences catholiques, mais individuelle et collective. 

On ne comprend pas des phénomènes aussi complexes et étendus que le marché halal mondialisé ou le voilement des femmes sur tous les continents si on perd de vue son plan, sa vision du monde, le fait que le frérisme est axé sur la mission. Au fil d’un temps long les Frères agissent par plans successifs, et concentrent dans leurs actions une énergie formidable car ils n’ont pas à s’interroger sur les fondements de l’existence ni sur la question du salut, c’est réglé. Tout est dans le Coran et la Tradition et rien que dans cela. Dieu s’est déjà exprimé, il n’y a qu’à découvrir ce qui est déjà révélé aux moyens des sciences humaines pour recouvrer la puissance et ainsi vaincre l’Occident. C’est ce que les Frères appellent l’« islamisation de la connaissance » qui peut emprunter tous les chemins scientifiques dès lors qu’ils sont bornés par la vérité divine révélée. Penser hors de ce cadre est interdit, haram, hérétique. Penser dans ce cadre est une mission et comme toute action recommandée la possibilité d’échapper aux flammes de l’enfer (dont la menace est agitée en permanence) et de goûter au repos et aux délices du paradis. Ces croyances cohabitent très bien avec un bon niveau scientifique et technologique, ce qui m’a beaucoup déroutée au début. 

Les revendications des Frères musulmans sont-elles explicitement écrites dans le Coran ? Le frérisme est-il un arrangement particulier de la compréhension des textes ?

Les Frères musulmans s’appuient sur des sourates coraniques et sur la tradition musulmane (Sunna) qui rassemble les faits et dires du prophète (hadiths) plus ou moins authentifiés. Ces hadiths sont rapportés par une chaine de rapporteurs, appelée isnad, par laquelle on mesure la force ou la faiblesse de leur contenu. Toute interprétation est un arrangement particulier de la compréhension du texte. Disons que les Frères musulmans sont des salafis, des fondamentalistes qui ont une approche littéralistes du texte. Mais ce qui importe pour eux et qui guide leur exégèse c’est la finalité califale, et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. L’islam doit advenir partout, il est guidé pour cela.

Le frérisme entend ainsi susciter un grand mouvement religieux planétaire dont la finalité serait le califat par les moyens de l’islam. Comment agit-il ? Quelles sont ses structures et ses modes opératoires ? 

La doctrine fondamentale du frérisme est la wasatiyya (l’islam du juste milieu) un terme repris et élaboré par Youssef Qaradawî et inspiré par Hassan el Bannafondateur de la confrérie des Frères musulmans en 1928. Qaradawî que l’on a considéré, à tort, comme un personnage grossier et inculte est le grand idéologue du frérisme qu’il nomme « mouvement islamique » dans un plan visionnaire pour les trente prochaines années paru en 1990, plan que j’analyse dans mon ouvrage et qui s’est largement réalisé.  Un autre personnage influent du frérisme est Abu A’la Mawdoudi un penseur d’origine indienne qui est l’ingénieur du système-islam et le père de l’« islamisation de la connaissance ». Pour l’auteur d’une bonne centaine d’ouvrages sur la question, tout est dans l’islam, en synergie, et rien n’est à rechercher en dehors. 

Les Frères musulmans ont choisi l’Europe comme terre d’élection. Vous évoquez le concept de « l’euro-islam » proposé par les Frères musulmans. S’agit-il d’adapter l’islam à l’Europe ou l’Europe à l’islam ?

« La lutte contre l’islamophobie structurelle est un formidable outil de propagande : on présente toute mesure visant à sanctionner les pratiques musulmanes jugées non conformes aux valeurs (comme le voile) comme une mesure islamophobe et discriminatoire […]. Peu à peu la société devient charia-compatible. »

L’Euro-islam est une formule qui a été reprise par les Frères. Initialement forgée par l’universitaire allemand d’origine syrienne Bassam Tibi, l’euro-islam devait conduire à un islam réformé et adapté au contexte européen via un renouvellement de l’interprétation des textes passés. Il préconisait de retirer la charia et le jihad de l’enseignement islamique en Europe en raison de leur non-conformité aux principes fondamentaux de la démocratie, de la liberté d’expression et des droits de l’homme. À l’inverse, les Frères entendent réformer non pas l’islam, mais le regard européen sur l’islam.

Pour y parvenir les Frères ont travaillé et généralisé le concept d’islamophobie structurelle qui avait été suggéré par le Runnymede Trust dans un rapport publié en 1997. Cette organisation britannique inspirée par le mouvement américain des droits civiques, fondée en 1968 pour lutter contre la discrimination raciale et promouvoir le multiculturalisme a publié le premier rapport sur l’islamophobie et proposé des solutions pour habituer la société européenne à la présence de l’islam.

La lutte contre l’islamophobie structurelle est un formidable outil de propagande. Cela fonctionne ainsi : on présente toute mesure visant à sanctionner les pratiques musulmanes jugées non conformes aux valeurs (comme le voile) comme une mesure islamophobe et discriminatoire. On fait passer la consommation et les conduites halal comme des obligations incontournables et non négociables. Peu à peu la société devient charia-compatible. C’est essentiellement ainsi que le frérisme du XXIe se déploie.

Pourquoi les valeurs européennes constituent-elles le substrat idéal pour l’implantation du frérisme ? Les Frères musulmans sont-ils financés par l’Union européenne et à quelle hauteur ? 

Le frérisme s’est développé en deux temps. Les Frères canal historique (première génération) se sont d’abord présentés devant les institutions européennes qui cherchaient des interlocuteurs pour faciliter l’intégration européennes, comme représentants des musulmans d’Europe grâce aux maillages de mosquées et centres islamiques qu’ils avaient effectués dans chaque pays européen. 

Dans un second temps, c’est la génération réislamisée qui a pris les manettes en se présentant sous les couleurs bleues étoilées des politiques européennes dites inclusives et anti-racistes, obtenant ainsi les financements des institutions de l’Union Européenne à Bruxelles et le Conseil de l’Europe. Chacun se souvient de cette campagne du Conseil de l’Europe financée par l’UE qui vantait les mérites du voile islamique. Cette campagne lancée depuis la division anti-discrimination et inclusion du Conseil de l’Europe, mettait en scène des visages de femmes dont la moitié était voilée et l’autre non, où le mot « hidjab » était associé à des mots comme « beauté », « liberté », « joie ».  Ces messages provenaient de ces jeunes influenceurs fréristes qui ont profité des financements et des facilités accordées aux jeunes européens pour lutter contre les discriminations et contre le racisme. En l’espèce plusieurs associations fréristes avaient utilisé une boîte à outil mise à disposition par le COE et conçue pour aider les jeunes européens à lutter contre « les discours de haine » en leur fournissant la logistique et les moyens d’exercer leur lobbying par des séminaires thématiques ou en organisant des campagnes de communication. Le frérisme est pourtant un système discriminant, suprémaciste et prosélyte, mais quand il vient chercher de l’argent et de la légitimité il sait le dissimuler, c’est licite.

N’importe quel message peut passer s’il est accompagné d’images ou de mots positifs. Il ne faut pas se méprendre, ni l’UE ni le COE ne font la propagande directe du frérisme, mais ils en donnent à qui veut les moyens, au nom de l’idéologie inclusive. Le micro-climat bruxellois où l’on vit entourés de 25 000 lobbyistes dans une région (Bruxelles capitale) et où les partis politiques locaux ne peuvent garder le pouvoir sans l’assentiment d’une population musulmane contrôlée par les Frères est favorable à l’entrisme frériste. 

Le frérisme est-il le produit de l’immigration ou de la mondialisation ? 

Le frérisme est un produit de la mondialisation, ses racines « revivalistes » datent de la période coloniale, et notamment du XIXe quand le califat turc est menacé. Le frérisme est une réaction à la colonisation qui elle-même est née de la mondialisation. C’est elle qui a favorisé les mouvements de population donc l’immigration. Bien entendu l’accroissement récent des flux migratoires d’origine musulmane vers l’Europe apporte une certaine puissance au frérisme qui peut compter sur une démographie favorable.  

Le projet des Frères musulmans est-il compatible avec la République ? Comment ont-ils prospéré au sein des démocraties sécularisées ?

Il l’est d’une république islamique pas d’une république laïque ! Le Frérisme est un mouvement théocratique qui devra à terme se débarrasser de la démocratie. Pour le moment il s’en accommode tactiquement tant que l’Europe est terre de contrat, mais à terme cette terre de contrat doit devenir islamique, avec sa majorité musulmane et ses minorités religieuses autorisées appelées dhimmis. 

En quoi consiste l’organisation de la coopération islamique (OCI) ? Pourquoi entre-t-elle en conflit avec la déclaration universelle des droits de l’homme ? 

La déclaration des droits de l’Homme en Islam dite déclaration du Caire (1990) par l’Organisation de la coopération islamique, affirme la supériorité de l’homme sur la femme, déclare l’égalité des femmes et des hommes seulement en dignité, en devoir et en responsabilité, mais pas « en droit ». Elle limite la liberté d’expression : Tous les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration sont soumis aux dispositions de la charia. Son préambule suprémaciste souligne le rôle civilisateur de l’Umma réunie et son rôle de guide pour l’humanité :

« Le rôle civilisateur et historique de la Ummah islamique, dont Dieu a fait la meilleure Communauté ; qui a légué à l’humanité une civilisation universelle et équilibrée, conciliant la vie ici-bas et l’Au-delà, la science et la foi ; une communauté dont on attend aujourd’hui qu’elle éclaire la voie de l’humanité, tiraillée entre tant de courants de pensées et d’idéologies antagonistes, et apporte des solutions aux problèmes chroniques de la civilisation matérialiste. »

Pourquoi certains partis politiques en France et en Europe perçoivent-t-ils dans le « frérisme » un modèle d’émancipation du capitalisme ?

Parce qu’ils sont ignorant des dynamiques normatives du marché halal, auxquelles j’ai consacré mon précédent livre. J’ai montré que le néofondamentalisme islamique se combine très bien au fondamentalisme pour généraliser une norme islamique moderne et séparatiste.

Vous concluez avec justesse que le contexte européen du XXe siècle a participé à « banaliser le mal », suscitant le désir d’un retour des religions morales, qui présentent une claire distinction entre le bien et le mal ainsi qu’une explication à leur existence. Pourquoi cette mise en avant des religions du Livre s’est-elle traduite par un unique essor de l’islam et non de la chrétienté ? 

Je pense que l’islam sous la poussée du frérisme ouvre le chemin à d’autres expressions intégralistes, chrétiennes et juives qui ne vont pas tarder à revendiquer leur droit à gouverner la cité. La question de la chrétienté est différente de celle du christianisme. La chrétienté c’est la civilisation qui s’est combinée au cours des siècles aux expressions culturelles. L’Europe procède de la chrétienté, ses racines sont judéo-chrétiennes et il serait catastrophique d’effacer cette histoire. Non pas tant parce que cela laisserait la place à l’islam ou à l’anomie, mais parce que ce serait favorable aux religions de la sainte ignorance, ces religions morales, fondamentalistes, hors sol, dogmatiques intégralistes qui poussent sur des déserts intellectuels, celles du Livre mais aussi le wokisme. 

Est-il possible de contrer l’influence du frérisme en Europe ? 

La première des étapes est de comprendre ses ressorts, son histoire, son fonctionnement, c’est ce que j’ai essayé de montrer dans cet ouvrage.

Cybersécurité : les États doivent affronter de nouvelles menaces. Entretien avec Guillaume Tissier

Cybersécurité : les États doivent affronter de nouvelles menaces. Entretien avec Guillaume Tissier

par Jean-Baptiste Noé – Revue Conflits – publié le 19 avril 2023


Le numérique présente de nouvelles menaces que les entreprises et les États doivent anticiper et affronter. Dans un monde globalisé, il est difficile d’être indépendant, ce qui n’empêche pas de défendre sa souveraineté numérique. Entretien avec Guillaume Tissier, directeur du Forum international de la cybersécurité (FIC), qui s’est tenu à Lille en avril.

Entretien avec Guillaume Tissier, directeur du Forum international de la cybersécurité (FIC). Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

Depuis la première session du FIC en 2007, le monde de la cybersécurité a connu de nombreuses évolutions. Sans remonter à ces débuts, quelles les grandes évolutions rencontrées au cours de ces dernières années en termes de menace et de défense ?

Tout d’abord, notre surface d’exposition au risque a explosé car le numérique imprègne aujourd’hui toutes les facettes des activités humaines. On compte ainsi 12 milliards d’objets connectés dans le monde et leur nombre ne fait que croître. Dans un tel contexte, il est logique que les acteurs malveillants se déplacent dans l’espace numérique et cherchent à profiter de cette situation. La menace s’est donc sophistiquée et diversifiée. Les attaquants ont trois motivations essentielles : le gain financier, l’espionnage et la déstabilisation. La difficulté est que ces motivations se confondent parfois, ce qui rend la caractérisation de ces attaques et l’identification de leurs auteurs encore plus difficiles. En outre, il existe de nombreux groupes cybercriminels qui sont récupérés et instrumentalisés par les États. La Russie abrite ainsi certains groupes spécialisés en rançongiciels. C’était également le cas de l’Ukraine avant le conflit. Chainanalysis, une société qui trace les mouvements de fonds en crypto-monnaies, constate ainsi que 75% des flux financiers liés aux attaques en rançongiciels pointent aujourd’hui vers la Russie. Ces mêmes groupes peuvent aussi pratiquer la déstabilisation et l’espionnage. Nombre de campagnes d’espionnage -au moins pour celles qui ont été détectées- pointent ainsi vers la Chine. De façon globale, l’espace numérique est donc devenu un terrain d’affrontement qui voit des groupes privés et des Etats s’affronter. Heureusement, face à cela, les solutions ont aussi progressé au plan opérationnel, qu’il s’agisse de prévention, de détection, de protection ou de réponse à incident, pour sécuriser les entreprises et les citoyens, même si beaucoup reste à faire. Et à un niveau plus stratégique, des discussions internationales ont été engagées pour tenter d’assurer la stabilité de cet espace.

Qu’est-ce que cela change pour les entreprises ?

Le modèle du « château fort » qui protégeait nos systèmes d’information et les données qu’ils abritent a vécu. A l’époque du télétravail et de « l’entreprise étendue », les organisations sont comme des aéroports avec de multiples flux qui rentrent et sortent sans arrêt, en particulier vers des clouds. Ainsi, l’enjeu n’est plus de construire des « remparts » étanches, mais bien de protéger chaque flux avec des architectures dites « zero trust », de détecter les menaces et de réagir au plus tôt grâce à des systèmes EDR (Endpoint Detection and Response) et NDR (Network Detection and Response). Grâce à tout cela, le niveau de sécurité des grandes organisations a fait de gros progrès ces dernières années, mais il reste malheureusement de nombreux angles morts. La cybercriminalité s’est ainsi déplacée vers des acteurs moins matures comme les collectivités territoriales, les hôpitaux, les PME ou TPE, qui n’ont pas les moyens d’avoir des équipes ou des solutions de cybersécurité sophistiquées. Ce qu’il faut pour ces organisations, c’est une sécurité « packagée » et intégrée dans les services numériques qu’elles utilisent, qu’il s’agisse de la « box » internet ou des services de cloud public, et des équipes mutualisées pour gérer la supervision. Même chose pour les collectivités. Le Gouvernement a ainsi décidé de créer des centres régionaux de réponse à incident qui permettront de gérer cette sécurité du « premier kilomètre ». Comme l’a dit Vincent Strubel, le directeur général de l’ANSSI lors du FIC 2023, la cybersécurité doit « passer de la haute couture au prêt-à-porter » pour toucher le plus de monde possible.

L’une des particularités du FIC est d’accueillir aussi bien des entreprises privées que des collectivités locales. Alors que plusieurs communes ont été gravement attaquées ces derniers mois, existe-t-il des solutions pour protéger leurs données ?

Les besoins des collectivités en matière de numérique et de cybersécurité sont énormes. Nous n’avions d’ailleurs jamais accueilli au FIC autant de représentants de collectivités -plus de 400 cette année- ce qui témoigne de l’ampleur du défi. Et même s’il existe des différences entre les grandes agglomérations et les petites collectivités, il y a des points communs : des systèmes d’information très hétérogènes pour soutenir de multiples « métiers » (la voirie, la gestion des cantines, l’état-civil etc.) et un niveau de sécurité relativement faible. Pour les plus petites collectivités, l’urgence est de proposer des solutions numériques sécurisées « prêtes à l’emploi ». Le ministre du numérique a ainsi annoncé il y a quelque mois le lancement d’une plateforme de services permettant aux collectivités de disposer d’un nom de domaine internet, d’un site web, d’une messagerie internet… Le Gouvernement a aussi lancé en 2021 des « parcours de cybersécurité » avec l’aide de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) pour accompagner les collectivités et développer un réseau de professionnels compétents sur tout le territoire pour cela. Ce maillon territorial est absolument essentiel.

Le commissaire européen chargé du Marché intérieur Thierry Breton, présent au salon, a annoncé la création d’un « bouclier cyber européen ». De quoi s’agit-il plus précisément ?

Cette annonce n’est pas la seule du commissaire européen. Thierry Breton a aussi évoqué la directive NIS 2, déjà en vigueur mais non encore transposée, qui va imposer un certain niveau de sécurité à de nombreuses entreprises ou organisations considérées comme « importantes » ou « essentielles », et le « Cyber Resilience Act », dont la première mouture a été présenté par la Commission en septembre dernier et qui définira des exigences minimales de cybersécurité pour tous les produits et services, européens ou non, qui intègrent du numérique et sont commercialisés sur le marché intérieur. Sont en particulier visés les objets connectés dont le niveau de sécurité est souvent très faible. Concernant le « bouclier cyber » européen annoncé par le Commissaire, l’objectif est de déployer un réseau de 5 ou 6 centres de sécurité sur tout le territoire européen pour détecter les menaces et réagir au plus tôt face à des attaques à grande échelle. Ce dispositif sera coiffé par un nouveau texte, le Cyber Solidary Act qui permettra aux entités attaquées de s’appuyer sur un réseau de prestataires de confiance. Au-delà de ces dispositions, les enjeux sont doubles : faire progresser de façon homogène le niveau de sécurité dans les Etats-membres et renforcer la coopération, notamment en termes d’échange d’information, voire imaginer, à terme, une véritable coordination européenne, ce qui n’est évidemment pas simple…

Il y a désormais un FIC organisé à Montréal, sur le continent américain. Quelle est la finalité de ce salon ? S’agit-il d’influencer les Américains sur des solutions numériques européennes ou bien d’établir des partenariats entre entreprises américaines et françaises ?

Même si l’Europe a de nombreuses choses à présenter, et notamment une approche unique en matière de protection des données personnelles qui commence à faire des émules, il serait prétentieux de vouloir influencer les Canadiens ou les Américains du Nord sur un sujet dont ils se sont emparés depuis longtemps… Notre objectif à Montréal, et bientôt à San Antonio (Texas), est surtout de créer des ponts entre les écosystèmes en reprenant les recettes qui ont fait le succès du FIC : rassembler acteurs publics et privés, offreurs, utilisateurs finaux, monde de la recherche, sphère académique en un même lieu autour d’un forum, d’un salon et d’un sommet. Et comme à chaque fois, s’appuyer sur les associations, les autorités, les entreprises locales. Chaque FIC est donc très différent ! Mais à chaque fois, nous en profitons bien sûr pour présenter l’excellence de la filière française et européenne. Le FIC, devenu depuis cette année le Forum InCyber pour répondre à cet enjeu d’internationalisation, est en effet l’un des outils du contrat stratégique de filière (CSF) des industries de sécurité, co-signé par le Gouvernement et les industriels. Toute filière d’excellence doit avoir un outil de rayonnement : c’est l’objectif assigné au FIC en mobilisant acteurs privés et publics autour d’un modèle innovant et inspirant.

Le renseignement en sources ouvertes (OSINT) a pris une nouvelle dimension avec le développement du web. Il est enseigné dans certaines écoles et de nombreuses conférences sont organisées sur le sujet. Quelle est selon vous la relation entre l’OSINT et les questions numériques ?

Le cœur du sujet traité par le FIC est bien sûr la cybersécurité, mais nous nous ouvrons à d’autres thématiques, qu’il s’agisse d’approfondir des verticales sectorielles, comme la cybersécurité industrielle, ou d’élargir nos réflexions aux multiples facettes de la « confiance numérique » : identité numérique, web 3, lutte contre les contenus illicites, ou bien encore l’OSINT. L’anticipation des menaces est en effet essentielle. Ainsi, pour anticiper, surveiller et détecter les menaces, le renseignement sur sources ouvertes est essentiel. Il s’agit par exemple d’exploiter les réseaux sociaux ou bien encore les deep et dark web, souvent utilisés par les attaquants pour revendre le produit de leurs forfaits ou revendiquer leurs actions. La lutte contre les contenus illicites, violents, haineux, mais aussi la protection contre le harcèlement en ligne sont également des priorités. Ces engagements correspondent à la ligne éditoriale du FIC qui a toujours défendu une vision globale et équilibrée de la cybersécurité, qui ne se résume pas à des mesures de sécurité et de surveillance, mais aussi à la défense des libertés en ligne et à la protection des citoyens. Le FIC n’est donc pas seulement un endroit où l’on réfléchit à des solutions opérationnelles, mais où l’on s’intéresse aussi aux aspects éthiques et où l’on débat des différentes politiques publiques qui concourent à faire du cyberespace un espace de liberté. N’oublions pas que 70% des internautes dans le monde vivent dans des zones où ils ne peuvent pas poster ce qu’ils veulent sur internet… Nous avons donc, nous, Européens, une chance inouïe, mais aussi une exigence.

Les questions de cybersécurité jonglent entre dimension technologique et politique, voire philosophique, concernant la protection des libertés individuelles, la liberté d’expression, la lutte contre des contenus illicites ou encore la protection de la vie privée. Comment articuler ces différents éléments afin de protéger au mieux la vie des individus ?

Notre objectif est de contribuer au débat public sur ces questions. Concernant les technologies, il est important de noter que ces dernières ne sont jamais ambivalentes, une technologie n’est jamais bonne ou mauvaise en tant que telle. Tout dépend de l’usage que l’on en fait, des limites que l’on se donne et bien sûr de la formation et de l’éducation des utilisateurs. Ce qui compte avant tout, c’est de construire un numérique au service de l’Humain. Il faut donc à la fois lutter contre le totalitarisme numérique qui se développe dans certains pays, mais aussi contre une marchandisation extrême des données personnelles qui toutes deux aboutissent à un asservissement de l’individu par le numérique et débouchent sur des dérives orwelliennes. Même si nous n’en n’avons pas forcément conscience, l’Europe a en la matière une longueur d’avance, grâce notamment au RGPD. Il importe de la garder et de promouvoir la souveraineté numérique européenne. Nous avons en effet besoin d’un espace numérique qui soit non seulement conforme à nos valeurs mais aussi à nos intérêts. Et nous avons aujourd’hui deux opportunités à ne pas manquer. La première concerne les négociations entre l’Europe et les Etats-Unis concernant le futur Privacy Data Framework qui succèdera au Privacy Shield invalidé par la Cour de justice de l’Union européenne. Les Etats-Unis doivent impérativement revoir leur dispositif de protection des données personnelles et leur législation de surveillance, en particulier la section 702 du célèbre Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), faute de quoi l’Europe ne doit pas reconnaitre l’adéquation du pays avec les exigences du RGPD. La seconde concerne le futur schéma européen de certification de sécurité pour les offres de cloud. Alors que 70% des données européennes sont stockées chez les hyperscalers américains, il est essentiel que les données les plus sensibles soient hébergées et traitées dans des cloud totalement immunisés aux effets des lois étrangères ayant une portée extraterritoriale. Et pour cela, la simple localisation de ces données en France ne suffit pas… Ainsi, l’enjeu de la cybersécurité est double. Il concerne autant la sécurité au sens technique qui consiste à lutter contre les menaces que la maîtrise des données qui est un sujet davantage politique et juridique. Bien sûr, cette souveraineté numérique n’est pas absolue et est partagée, mais il s’agit de maîtriser certains points clés, en particulier pour les données et processus les plus sensibles.

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d’économie politique à l’Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

Électricité, décarbonation : pourquoi l’Europe a tout faux


 

Tribune de Brice Lalonde pour Le Point. Le politique énergétique européenne, ses faiblesses et ses méfaits.

TRIBUNE. Brice Lalonde dénonce la cécité d’une politique européenne hémiplégique, centrée sur les renouvelables au détriment des autres sources bas carbone. Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement, président d’Équilibre des Énergies.

      Il n’y a que quatre pays européens qui réussissent à décarboner leur électricité, ce sont la Suisse, la Norvège, la Suède et la France. Pourquoi ? Parce qu’ils ont des moyens de production pilotables décarbonés qui fournissent cette électricité lorsqu’elle est demandée et quasiment à toute heure au long de l’année. Les autres pays produisent une électricité soit systématiquement très carbonée, comme la Pologne, soit décarbonée par moments, comme l’Allemagne et l’Espagne, quand le soleil et le vent sont au rendez-vous, mais carbonée le reste du temps par appel au gaz et au charbon.

      Or, pour garantir la permanence d’une production électrique décarbonée, l’Europe ne voit que le vent et le soleil, car ces sources d’énergie lui apparaissent illimitées, locales et gratuites. Mais les contraintes imposées au système électrique par les renouvelables intermittentes sont loin d’être gratuites et, pour atteindre avec elles la neutralité carbone, il faudrait à la fois affaler la consommation d’énergie et construire un nombre phénoménal de moyens de production renouvelables. Priorité devrait plutôt être redonnée aux sources décarbonées pilotables, hydraulique et nucléaire, suppléées par les renouvelables.

Une vision de jardin d’enfants

      Les faits sont têtus, les thuriféraires des renouvelables le sont aussi. Leur culte est porté par les prébendiers des aides d’État, par la poussée écologiste des cinquante dernières années, particulièrement forte en Allemagne, mais aussi par la Commission européenne qui applique avec zèle et myopie le seul article du traité de Lisbonne relatif à l’énergie. Alors que le traité reconnaît la souveraineté des États membres pour le choix de leurs sources d’énergie, cet article 194 limite l’action collective de l’Union à la promotion des économies d’énergie et du développement des renouvelables.

      Ainsi les directives du « paquet fit for 55» sont-elles fondées sur cet article 194. Elles n’autorisent que des formes d’énergie – chaleur, électricité, hydrogène – issues de sources renouvelables. Le nucléaire est banni – sauf pour produire de l’hydrogène, grâce à l’action de notre ministre de l’Énergie. Un objectif de plus de 40 % de renouvelables est fixé pour 2030. Au nom du climat et au mépris du traité, l’Europe impose donc le mix de son choix. Il s’agit d’un curieux détournement de procédure, car c’est l’article 191 du traité de Lisbonne qui traite de l’environnement et de la défense du climat. C’est celui-là qui devrait s’appliquer à la politique climatique de l’Union. La Commission veut-elle décarboner ? Pas vraiment, son objectif est la multiplication des renouvelables et la diminution d’un tiers de la consommation d’énergie, une vision de jardin d’enfants.

      Les discours des dirigeants de la Commission sont les mêmes que ceux des ministres allemands : seules les énergies renouvelables sont bonnes. L’avenir doit être tout renouvelable. C’est devenu un credo. Et si l’Europe n’y suffit pas, ils demanderont à l’Afrique de faire l’appoint. Naguère, le Sahara avait déjà été au centre d’un rêve d’énergie solaire illimitée connectée à l’Europe par des câbles sous-marins. C’était le projet Désertec. Cette fois, c’est l’hydrogène fourni par d’hypothétiques électrolyseurs africains ou chiliens qui devrait remplacer le gaz russe. Déjà, les ports de la Baltique s’équipent pour accueillir cette manne chimérique.

L’imposture contre le nucléaire

      L’Allemagne et la Commission peuvent-elles comprendre, non seulement que l’énergie nucléaire est un allié du climat, au contraire du charbon, mais qu’elle constitue un pilier central de l’économie française et de son développement futur. S’efforcer de l’interdire est ressenti par les Français comme une volonté de leur nuire. Faut-il ajouter que l’incroyable volte-face de l’Allemagne contre l’électrification des véhicules légers aggrave encore l’impression d’imposture. L’extravagante raison avancée est l’arrivée prochaine de carburants de synthèse. Mais ces carburants seront produits au compte-goutte et devront d’abord être dirigés vers l’aviation où ils sont indispensables. Ils nécessiteront des quantités considérables d’électricité qu’il faudra bien produire de façon fiable.

      À défaut, il y a fort à parier que l’hydrogène nécessaire provienne surtout du reformage du gaz qatarien, que les carburants des véhicules thermiques épargnés soient fossiles avant d’être synthétiques, bref que l’Allemagne nous roule dans la farine avec la complicité irréfléchie de la Commission. Peut-on toujours croire à la bienveillance de l’Union ? Depuis la loi « Nome », nous avons assisté à la descente aux enfers d’EDF, démantelée, écartelée, sommée tout à la fois de faire des cadeaux à une concurrence parasite, d’atténuer sur ses propres deniers le prix européen de l’électricité pour les Français et, privée des ressources nécessaires, de consentir néanmoins un immense effort d’investissement.

      Le consommateur en fait les frais : difficile de ne pas se souvenir que l’électricité était « abondante et bon marché » avant le marché européen et qu’EDF avait construit cinquante-cinq réacteurs nucléaires en quinze ans sans faire appel à l’aide directe de l’État. Nostalgie ! Si le retour en arrière n’est pas envisageable, limitons au moins les dégâts, arrêtons de désintégrer le système électrique français. La future réforme du marché européen devra permettre de lisser les prix et de financer les investissements.

      L’Europe, paradis des consommateurs, vient de se souvenir qu’il faut aussi des producteurs pour faire un monde. Bousculée par le protectionnisme américain, la Commission vient de proposer un programme d’industrialisation zéro carbone. Huit secteurs prioritaires ont été retenus parmi lesquels les inévitables renouvelables électriques, mais aussi les pompes à chaleur et la géothermie, les électrolyseurs et les piles à combustible, les réseaux, le captage du carbone. Pas le nucléaire, hélas, l’ostracisme continue, sauf pour des réacteurs futurs virtuels. À condition d’être mis en œuvre rapidement, le sursaut européen est salutaire. Toutefois si l’objectif est la décarbonation, l’Union doit laisser les États membres libres de leurs choix techniques et non choisir à leur place. Jusqu’où faut-il accepter les partis pris de la Commission et de ses actes délégués ?