Défaite !

Défaite !

par Michael BRENNER -CF2R – publié en septembre 2023

https://cf2r.org/tribune/defaite/

Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

 

 

La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon

La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon

Eurofighter italy e1654864479374 Modernisation Retrofit équipements de défense | Allemagne | Aviation de chasse

La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon


Certains des composants du Glass Cockpit qui équipera les futurs Eurofighter Typhoon Tranche 3, seront soumis à licence d’exportation ITAR américaine. Pourtant, cela ne semble nullement émouvoir industriels et observateurs des quatre pays membres du consortium Eurofighter.

À l’instar de très nombreux pays, les Etats-Unis supervisent finement les exportations de technologies de défense en provenance de leur outil industriel. C’est ainsi que toutes les exportations d’équipements majeurs doivent obtenir l’aval de l’exécutif, mais aussi celui d’une sous-commission dédiée appartenant à la commission des forces armées du Sénat américain.

Cette supervision s’étend également à des composants à vocation duale, c’est-à-dire pouvant être employés aussi bien pour la conception de systèmes d’armes, que pour celui d’équipements civils. Ces composants sont répertoriés dans une liste spécifique, obligeant les industriels d’obtenir une autorisation d’exportation spécifique comparable avant de pouvoir le faire.

Ainsi, en 2006, Boeing s’est vue infliger une amende de 15 m$, pour avoir vendu à l’exportation une centaine d’avions civils qui étaient équipés d’un capteur gyroscopique, par ailleurs employé par le missile AGM-65 Maverick américain, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation de le faire.

AGM-65 Maverick missile
Le missile AGM-65 Maverick était équipé d’une puce gyroscopique inscrite sur la liste ITAR des composants à usage dual soumis à autorisation d’exportation.

La réglementation ITAR américaine

Cette liste est souvent désignée abusivement par l’acronyme ITAR. En effet, l’International Traffic in Arms Regulations, ou ITAR, englobe l’ensemble des règles législatives américaines encadrant l’exportation et l’importation d’armes ou de systèmes et composants assimilés.

Celle-ci fut promulguée en 1976, afin de protéger les industries et technologies américaines, et par ailleurs pour servir les intérêts des Etats-Unis sur la scène internationale.

Par l’ampleur et la position dominante des industries technologiques américaines sur la scène internationale, cette législation est devenue, au fil des années, un puissant outil aux mains de l’exécutif américain, pour davantage protéger ses intérêts économiques et politiques, qu’éviter que des technologies critiques ne fuitent à l’étranger.

En outre, la liste des composants concernés par cette réglementation est particulièrement dynamique, de sorte qu’un composant spécifique peut y être ajouté au seul jugement de l’exécutif, pour appuyer ses ambitions internationales.

C’est ainsi qu’en 2018, le président Trump a fait ajouter à cette liste, un composant de géolocalisation employé à bord des missiles de croisière Storm Shadow et Scalp, dans le seul but de faire dérailler les négociations en cours entre Paris et le Caire en vue de l’acquisition d’avions de combat Rafale supplémentaires.

ITAR Glass Cockpit Collins Aerospace Typhoon
Le futur Glass Cockpit de Collins Aerospace qui équipera l’Eurofighter Typhoon ne sera pas ITAR-Free

De fait, l’étiquette « ITAR-Free », c’est-à-dire dépourvu de composants soumis ou pouvant être soumis à la législation ITAR, est désormais devenue un argument de vente efficace pour l’exportation d’équipement de défense, notamment auprès de certains clients ayant une posture politique pouvant parfois diverger des attentes de Washington.

Avec son nouveau Glass Cockpit, l’Eurofighter Typhoon ne sera plus ITAR-Free

En dépit de la proximité politique et technologique des Etats-Unis avec les quatre pays membres du consortium Eurofighter (Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni) le chasseur Typhoon était jusqu’à présent ITAR-Free. Mais cela ne devrait plus être le cas des nouveaux chasseurs de la Tranche 3, et de la Tranche 4 à venir.

En effet, le britannique BAe vient d’annoncer que l’appareil européen serait dorénavant équipé d’un nouveau glass cockpit, à l’instar du F-35, avec un unique écran interactif couvrant l’ensemble de la planche de bord.

L’écran retenu par l’avionneur britannique est fourni par l’américain Collins Aerospace, et s’appuie en particulier sur un composant employé pour la sauvegarde des données, appartenant à la liste ITAR.

De fait, les prochains Eurofighter Typhoon équipés de ce cockpit avancé et modernisé, devront obtenir une licence d’exportation américaine avant de pouvoir être livrés, y compris, d’ailleurs, aux membres du consortium Eurofighter.

Rafale SCALP
Donald Trump fit ajouter à la liste ITAR un composant employé à bord du missile SCALP pour faire dérailler l’acquisition de Rafale supplémentaires par l’Égypte. Cela obligea MBDA à revoir l’électronique de navigation de son missile, et retarda la commande de plusieurs années.

Une contrainte assumée par les européens

Toutefois, le sujet ne semble pas particulièrement inquiété ni les industriels, ni même la presse spécialisée, que ce soit en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne. Seul le site espagnol Infodefensa a traité le sujet, tout en multipliant les superlatifs au sujet de la nouvelle avionique à venir.

On notera, à titre d’illustration, que le refus allemand d’autoriser la vente de 48 Typhoon supplémentaires à l’Arabie Saoudite, n’aura créé que des remous superficiels et de courte durée, dans les trois autres pays, en dépit des conséquences économiques et politiques que cette décision entrainait.

Dans les faits, à l’exception de l’industrie de défense française qui fait figure d’exception en Europe, aucun pays européen n’a développé d’offre industrielle orientée vers l’autonomie stratégique, et donc vers la conception de systèmes ITAR-Free.

Dès lors, les conséquences des arbitrages US, par ailleurs souvent impliqués directement dans les programmes majeurs de défense de ces pays, sont considérés comme normales, et ne donnent lieu à aucune tension particulière.

On comprend, dans ces conditions, les divergences de perception qui ont amené ces mêmes pays à privilégier un turbopropulseur de conception américaine plutôt que française, pour équiper le futur Eurodrone RPAS.

 

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

OPINION. Par l’intermédiaire de la Commission européenne et sous l’influence d’Ursula von der Leyen, l’Allemagne a fait pression sur le reste de l’Europe, suivant deux axes. Mettre un terme définitif à l’énergie nucléaire, d’abord. Privilégier l’implantation des énergies renouvelables, ensuite. Cette stratégie, somme toute rationnelle, peut être perçue comme une forme de billard à trois bandes. Par Christian Semperes, Ingénieur énergéticien(*).

                                                                                                      (Crédits : DR)

Une dénucléarisation française sous pression allemande…

L’Allemagne a réussi à obtenir, de haute lutte et avec la collaboration active des gouvernements français depuis deux quinquennats, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dans l’Hexagone. Moins connu en France, un schéma similaire a conduit à l’arrêt des réacteurs belges Doel 3 et Tihange 2. En témoigne, dans le cas français, la lettre adressée par l’ancienne ministre de l’Environnement allemande Barbara Hendricks à son homologue Ségolène Royal, exigeant la fermeture de la centrale dans les délais les plus brefs. Pour les pays concernés, une telle stratégie équivaut à une privation volontaire de production sûre, pilotable, économiquement rentable et amortie, bas-carbone et non conditionnée aux humeurs météorologiques. En bref, une balle dans le pied. C’est la première bande du billard. L’Allemagne a, quant à elle, « montré l’exemple » en arrêtant définitivement son parc nucléaire au début de l’année 2023, se privant ainsi de 30TWh par an d’électricité à faible impact carbone.

La littérature scientifique a désormais admis que la lutte contre le réchauffement climatique repose largement sur la sortie des énergies fossiles ou, du moins, leur maintien a minima pour répondre à d’éventuels besoins ponctuels. Une évidence que l’Allemagne, contrainte par la sortie accélérée du nucléaire, ignore globalement. Berlin a construit et démarré à Datteln, en juin 2020, une centrale à charbon flambant neuve de 1.100MW, équivalent à 60% des capacités de Fessenheim. Ironie de l’histoire, Élisabeth Borne se réjouissait publiquement à quelques jours près, le 30 juin 2020, de l’arrêt définitif de Fessenheim. « Il y a ceux qui en parlent. Nous, on le fait », affirmait alors l’actuelle Première ministre, répondant à la promesse de campagne de l’ancien Président François Hollande.

Et le maintien d’un puissant parc fossile outre-Rhin

Dans le même temps, Berlin conserve un parc fossile hors norme, comprenant une puissance installée en gaz de 34,8GW ; en lignite et en charbon, de respectivement 18,6GW et 19GW et, en fuel, de 4,7GW, selon les données du portail Energy Charts. Soit, au total, une puissance installée pilotable fossile de 77,1GW pour l’Allemagne, là où la France ne conserve qu’une puissance installée pilotable très largement nourrie par le nucléaire de 61,4GW, auxquels doivent s’ajouter l’hydraulique et notre reliquat de centrales fossiles. C’est la seconde bande du billard. La montée en puissance du parc renouvelable allemand ne peut, à ce jour, pas répondre aux besoins domestiques. Depuis début août, l’Europe de l’Ouest est confrontée à une canicule qui dure et un anticyclone qui force l’ensemble du parc éolien européen à l’arrêt. Pour l’illustrer, le 10 septembre à 10h du matin, le parc éolien allemand, subventionné à hauteur de 500 milliards d’euros d’argent public, ne produisait que 0,18% de la puissance installée. Même la très bonne production solaire ne permet pas à l’Allemagne d’assurer une production d’énergie domestique suffisante pour répondre à sa propre demande.

Dans l’Hexagone, tous les signaux semblent en revanche au vert. En juillet, selon les données du think tank Agora Energiewende, environ un tiers de l’électricité allemande provenait du nucléaire français. Dans le même temps, la France s’est durablement installée sur le podium des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre sur le segment de la production d’électricité, là où l’Allemagne occupe de longue date la queue du classement du fait d’un recours au charbon à des niveaux encore très importants. La faible disponibilité du parc nucléaire l’année passée a certes placé la France en situation d’importatrice nette d’électricité, surtout entre juillet et septembre. Mais le parc nucléaire, qui n’a produit que 2.479TWh en 2022, son niveau de production le plus faible depuis 1988 et en baisse de 30% par rapport aux moyennes de ces 20 dernières années, retrouve aujourd’hui des niveaux de production normaux.

Y a-t-il des arrière-pensées à la stratégie antinucléaire allemande ?

De prime abord, il serait aisé de penser que l’Allemagne se pénalise financièrement en étant entièrement dépendante des importations. En y regardant de plus près, la situation apparaît plus complexe. La stratégie de Berlin est en effet d’éviter de solliciter ses centrales à gaz et de stocker massivement son gaz cet été pour préparer au mieux ses journées sans soleil et, en cas d’anticyclone d’hiver, sans vent. Depuis début janvier, le facteur de charge des centrales au gaz est de 17%, un taux très faible eu égard des capacités de production allemandes, qui se gardent de la marge.

De longues dates, l’Allemagne a donc préparé le terrain chez ses voisins européens, dont certains devraient manquer de production pilotable. Une stratégie qui s’est aussi dessinée au plus haut niveau réglementaire, en témoigne la bataille à la Commission européenne sur l’intégration de l’atome dans la taxonomie verte, obtenue de très haute lutte par la France, en échange de l’inclusion — scandaleuse — du très polluant gaz «naturel ». L’Allemagne pourrait ainsi se positionner comme un fournisseur européen de gaz naturel, dont les besoins devraient être notables cet hiver.

Compte tenu du mécanisme de fixation du prix de l’électricité, l’Allemagne va facturer ses exportations d’hiver au prix fort du gaz devenu rare, évidemment plus fort que ce qu’elle a payé l’électricité en été, 2, 3 voire 10 fois plus cher si une vague de froid intense sévit. L’Allemagne va rafler la mise cet hiver. Une approche qu’il est possible de percevoir comme la troisième bande du billard. Peut-être même que ses pertes estivales sont considérées par Berlin comme un investissement pour l’hiver ? Dans ce contexte, la France doit fermement poursuivre sa stratégie de maintien d’un puissant parc nucléaire, malgré la pression allemande.

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(*) Christian Semperes a participé au démarrage des 58 réacteurs REP des années 1980-1990, à la conduite des installations, et à la formation sur simulateur des exploitants nucléaires.

Le secteur spatial européen pris dans une tenaille stratégique

Le secteur spatial européen pris dans une tenaille stratégique Politique étrangère, vol. 88, n° 3, automne 2023

 

Le secteur spatial européen traverse une période difficile, marquée par la perte temporaire de ses capacités autonomes d’accès à l’espace, par la forte concurrence américaine et par la transformation du marché des satellites.

L’Union européenne est aussi en retard dans le domaine numérique et la valorisation des données spatiales lui échappe largement. Dans ce contexte tendu, où les États-Unis et la Chine investissent massivement, un réveil européen est nécessaire – au risque d’un abandon de souveraineté.

par Paul Wohrer – IFRI – publié le 13 septembre 2023

No time to die par Caroline Galactéros


Billet du lundi 11 septembre 2023 rédigé par Caroline Galactéros Présidente de Geopragma.

L’été s’achève sur la confirmation d’un fiasco militaire ukrainien que même les parrains anglo-saxons de Kiev commencent à admettre via leur presse de commande. Malheureusement, l’émergence de la lucidité n’entraine pas forcément celle de la sagesse.

En France pourtant, nul n’a cure de ces alertes… Nul n’en profite pour prendre la main et siffler les arrêts de jeu au nom de l’humanité et de la sécurité du Vieux continent. Nous vivons plus que jamais dans une bulle hors sol de réalité alternative et de pensée magique, et la propagande médiatique outrancière qui s’est abattue sur la population française depuis fin février 2022 pour lui laver le cerveau et lui faire croire qu’elle plonge dans la crise pour soutenir rien moins que Le Bien contre Le Mal ne faiblit pas.

Nos journalistes mainstream poursuivent sans scrupule aucun leur « Storytelling » de conte de fées qui est en train de se transformer en film d’horreur et menace de dévoiler l’ampleur de leur cynisme. Il est vrai qu’ils ne sont que des porte-voix, responsables mais de second rang. Ils ne font plus d’information, ils expriment des opinions du haut de leur ignorance et de leur arrogance sidérantes. Les rares qui voudraient encore se souvenir qu’il faut aller de chaque côté du front pour espérer comprendre quelque chose sont de toute façon coincés. S’ils veulent réaliser un reportage côté russe, ils perdent leur visa pour l’Ukraine. Ça a le mérite d’être clair et le choix de la rédaction est vite fait. La vérité n’a pas bonne presse et elle est de plus en plus mal portée. En fait elle n’a plus d’importance. Un peu comme l’état général du pays, celui de son économie, de sa dette, de son industrie, de sa sécurité générale, de sa médecine ou de son école. Quant à l’Europe, elle n’a plus le choix non plus. Au prétexte de cette « unprovoked war of agression » de la Russie contre l’Ukraine qui prétendument la menacerait elle-aussi aussi d’invasion, l’Union européenne, les yeux bandés, les mains dans le dos et une joie malsaine au cœur, a sauté à pieds joints dans un piège mortel pour elle, tout en croyant le tendre au Yeti russe ! Le piège ultime de l’asservissement sous prétexte moral, qui va faire d’elle à jamais un appendice américain en décomposition progressive, promis à tous les dépècements industriels et technologiques et à l’appauvrissement général. Un appendice reconnaissant en plus, qui paye sans sourciller son gaz américain 3 ou 4 fois plus cher que le russe, sans faire le moindre lien avec la guerre en Europe qu’elle nourrit de ses armes et vociférations anti russes primitives… tout en poursuivant à bas bruit ses achats de GNL russe. De petits arrangements avec la morale dont on voit une fois de plus combien elle reste profondément étrangère à la marche véritable des relations internationales.

Nombreux sont ceux, au sein des « élites » qui administrent ce pays, qui peuvent s’accoutumer à l’insignifiance nationale ou même collective. Pas moi. Mais en ce cas, pourquoi poursuivre le mensonge de l’incantation sur la souveraineté européenne ? Cette permanente invocation devient tragi-comique. Ce n’est pas un amas d’États ayant renoncé à leur singularité, leur prospérité et leur souveraineté (cf l’Allemagne face aux attaques sur NS 1 et 2) qui peut constituer une masse géopolitique et même économique crédible. D’ailleurs les chiffres sont là. L’Union européenne connait désormais une inflation double de celle des Etats-Unis. En 2008, la zone euro et les USA avaient un PIB équivalent à prix courants (14 200/14 800 milliards de dollars). En 2023, on est à 15 000 milliards versus 26 900 milliards, soit un écart de 80% (A. Leparmentier dans Le Monde du 5 septembre dernier). L’appauvrissement inexorable des Européens, et notamment de la zone euro, n’est plus une prophétie mais une réalité en marche dont les effets vont se faire sentir de plus en plus cruellement pour nos concitoyens. La situation est si grave qu’il vaut mieux faire dériver l’attention populaire vers un combat épique que l’on va gagner naturellement du haut de notre « moralité » collective face à la sauvagerie et l’arriération russes…. Nous vivons donc dans un film de Walt Disney qui s’apparente d’ailleurs de plus en plus à un village Potemkine. Ironie de l’histoire… Il y a juste un tout petit problème. Les films de Walt Disney sont des films pour enfants. Dans la vraie vie, les bons et les méchants changent de rôle selon les circonstances et le point de vue des acteurs comme des observateurs rigoureux. Sans même parler de la profondeur du champ. Et là, l’Europe, c’est un peu Bambi sur la glace sur le point de perdre sa maman. To be continued…

Pour revenir au drame ukrainien, sans entrer dans de trop longs développements, on peut retenir à ce stade quelques éléments d’analyse et enseignements peu contestables sauf pour ceux qui font profession d’idéologues.

  • La Russie est en position de force militaire. Elle n’a plus intérêt à s’arrêter militairement et pourrait bien repasser à l’offensive. Pour reprendre la région de Kharkhov ? Si l’on peut penser que Vladimir Poutine préfèrerait probablement encore, essentiellement pour des raisons de politique intérieure (les présidentielles de mars prochain et les aléas d’une mobilisation nouvelle si elle devenait nécessaire), trouver la voie d’une reprise de pourparlers avec les USA qui restent pour lui le donneur d’ordre véritable de Kiev, il lui est devenu impossible d’accorder la moindre confiance aux dires américains sans risquer sa crédibilité politique interne et même internationale. Sa seule option est donc de renforcer sa main militairement pour le jour où Washington comprendra enfin qu’il faut transiger. Il lui faut donc poursuivre les objectifs initiaux de « l’opération militaire spéciale » : démilitarisation, neutralisation et « dénazification » de l’Ukraine, pour que celle-ci ne puisse plus constituer la moindre menace pour la sécurité de la Russie. Moscou doit profiter de son avantage actuel pour avancer, tout en préservant ses forces humaines au maximum et en augmentant encore le rythme de sa production d’armements afin de maintenir sa capacité d’attrition de l’ennemi dans le temps. Car la guerre n’est pas finie. Washington ne veut pas la paix et Moscou ne peut plus se la permettre dans les circonstances actuelles. Le sabordage des accords obtenus en mars 2022 après les pourparlers d’Istanbul doit aujourd’hui paraitre au président Zelenski bien regrettable. Il n’obtiendra plus jamais ce qui lui avait été alors offert par Moscou. Tout a changé depuis 18 mois dans le rapport de force, et même ces objectifs russes initiaux semblent désormais s’inscrire dans une ambition plus large consistant à donner une leçon décisive à Washington et à l’OTAN et à rendre manifeste la victoire militaire, économique, mais aussi géopolitique et militaire de la Russie sur l’Alliance atlantique comme sur son ancien Peer competitor américain. Le problème est que plus on attend, plus l’accord ressemblera à une capitulation totale de Kiev. Les Etats-Unis commencent d’ailleurs, depuis le milieu de l’été et l’évidence de l’échec de la contre-offensive, à en rejeter la responsabilité sur Kiev et – le cynisme étant sans limites- à lui transférer aussi, sous couvert de respect de la « souveraineté » ukrainienne, celle d’entamer des négociations. Ponce Pilate est de la partie, comme d’habitude. Les « alliés » américains sont faits pour servir puis être lâchés quand cela commence à sentir le roussi.
  • Dans ce contexte, l’accord finalement donné par la Maison Blanche d’une livraison d’ATACMS voire indirectement de l’envoi de F16, répond à la nécessité, à l’orée d’une campagne électorale qui s’annonce très difficile avec un Donald Trump combatif et ultrapopulaire en embuscade, de donner à Kiev de nouveaux mais peut-être ultimes « cadeaux » (après avoir dit qu’ils ne changeraient pas la donne militaire) et de poursuivre l’affichage d’un soutien militaire tout en le tarissant de fait. Le soutien des Américains au conflit est en chute libre, les arsenaux ont des trous, et le rythme des livraisons d’armes comme d’argent doit faiblir. D’autant que même les plus forcenés des néo-cons ont probablement compris que leur pari était perdu. La Russie n’est pas tombée, elle est même bien plus ferme sur ses assises propres comme sur la projection de son influence mondiale qu’au début du conflit. Elle tiendra la distance. Les limites du Regime change sont atteintes. Certains espèrent sans doute encore qu’en faisant durer la pression militaire et économique sur Moscou, l’étoile du chef du Kremlin finira par pâlir. Là c’est la méthode Coué qui est hors limites…. Pour Washington, le mieux serait en fait de pouvoir geler le conflit pour repartir à l’assaut plus tard. Pour Moscou, cela ne présente aucun intérêt. Un gel des positions ne fera que maintenir en tension le système russe et divertir des ressources nécessaires à l’affermissement de l’économie nationale et des positions de la Russie face à l’allié chinois notamment.
  • Rationnellement, si l’on recherchait la fin de cette impasse, la seule possibilité d’inciter Moscou à stopper son avance serait que Washington prenne la mesure du danger, se saisisse résolument de la déconfiture présente des Ukrainiens sur le terrain pour cesser tous crédits et fournitures d’armements, invoquant la sauvegarde de ce qu’il reste de territoire et de forces vives à l’Ukraine pour donner à Moscou l’assurance formelle que le pays ne sera jamais membre de l’OTAN. Washington pourrait dire qu’il a fait tout son possible pour aider l’Ukraine, en vain, et que pour des raisons humanitaires, l’arrêt des combats est désormais indispensable. Ce qui est vrai. Approche froide mais in fine préservatrice de dizaines de milliers de vies ukrainiennes. Les idéologues malades qui éructent de haine et de rage devant la supériorité militaire russe ne le reconnaitront jamais : C’est de fait la Russie qui tient le sort de l’Ukraine entre ses mains et donc est à même de lui fournir, si elle y trouve son intérêt, des garanties de sécurité, non l’OTAN qui ne lui offre que l’assurance d’une destruction accélérée. Encore une fois, seule sa neutralité et son statut d’État tampon peuvent protéger l’Ukraine. Son alignement, quel qu’il soit, la condamne à servir de terrain d’affrontement. Sécurité=neutralité. Mais ça c’est la raison, l’humanité, l’intelligence de situation, toutes choses quasi introuvables de l’autre côté de l’Atlantique excepté chez certains du Pentagone et chez les géopoliticiens réalistes américains qui connaissent leur histoire et leur géographie et ont depuis longtemps ont prévenu du désastre si l’on persistait à faire avancer l’OTAN vers les frontières russes ! Bref, on ne peut que rêver secrètement d’un tel scénario. Pour l’heure, on continue à Washington à espérer faire souffrir l’économie et le pouvoir russes dans la perspective des présidentielles de mars… tout en entretenant des contacts entre chefs des services extérieurs de renseignement, ce dont personne ne se plaindra, tout au contraire. L’anathème, l’insulte, l’escalade… mais pas trop. La stupidité du « raisonnement » occidental initial, perverti par un biais idéologique massif a produit un désastre à onde de choc géopolitique majeure en défaveur de l’Occident. Le mantra des cercles Washingtoniens était le suivant : la Russie est un État illégitime, une dictature sans assise populaire, une nation disparate, économiquement et militairement faible ; Vladimir Poutine veut prendre toute l’Ukraine sans en avoir les moyens ; Il va forcément s’épuiser et peut donc être provoqué dans un conflit par proxy, préparé depuis 2014 et qui est un affrontement structurellement inégal, de ceux que préfère l’Amérique. Cette lourde erreur de jugement nourrie d’arrogance et d’ignorance a conduit les Occidentaux, maîtres comme vassaux, dans une fuite en avant qu’ils ne maitrisent désormais plus que du bout des doigts. Et qui nous met tous en danger.
  • Moscou ne voulait ni ne veut d’une guerre directe avec l’OTAN, mais ne peut perdre cet affrontement qui est bel et bien vital en termes sécuritaires comme pour la préservation de la cohésion en tant que Nation d’une Russie immense, dépeuplée, multiconfessionnelle et multiethnique. Que l’Occident croie ou non cette analyse est finalement sans importance. Ce qui compte est la perception du pouvoir et du peuple russes et la façon dont celle-ci détermine leurs décisions. Or, cette « menace existentielle » n’est pas une abstraction ni un subterfuge. C’est une perception profonde qui structure la pensée et l’action du pouvoir russe et nourrit la popularité d’un président vu comme responsable et protecteur de son pays. Cette ligne rouge n’est pas négociable et ne sera pas négociée. Cela fait 15 ans que la Russie l’explique et prévient. Le danger vient de ce que l’on continue à nier cette réalité pour pousser au maximum le président russe, sans vouloir comprendre que sa marge de manœuvre est limitée. La lenteur des opérations, qu’il a voulue essentiellement pour préserver le peuple ukrainien frère et pour éviter de devoir mobiliser plus de forces, est désormais ouvertement contestée par certains dans son entourage qui considèrent qu’il faut aller plus vite, exploiter l’avantage actuel, et ne plus donner de temps aux Etats-Unis pour préparer les étapes futures d’un harcèlement sécuritaire du pays. Si la modération du tempo des opérations venait à être considérée comme une faiblesse politique du président, on peut craindre que celui-ci ne soit conduit à changer de vitesse. Est-ce là le génial calcul occidental ? L’escalade jusqu’à l’acculement, l’échec de la dissuasion nucléaire (que l’on appelle désormais chantage) et le passage à l’acte pour réveiller Washington dont les maitres ne savent plus ce qu’est la guerre, la vraie ? Peut-on imaginer les USA prêts à laisser se produire une frappe nucléaire russe d’ultime avertissement sur le sol ukrainien ou européen ? Ne comprennent-ils pas que le bluff n’est pas une pratique russe ? Jusqu’au dernier Ukrainien donc. L’Amérique après tout ne perd quasiment pas d’hommes et la guerre rapporte beaucoup. Mais à quel prix symbolique ? la destruction complète de l’Ukraine et de son armée ? L’étranglement de l’Europe qui pourrait finir par ouvrir les yeux sur le rôle et le sort que lui assigne son prétendu « protecteur » américain ? La déconfiture totale de sa crédibilité internationale ? le déclenchement d’une haine inexpiable d’une grande partie du monde qui fait ses comptes et désormais a le choix…
  • Il est très probable que la guerre va se poursuivre, au moins durant l’automne et l’hiver. Si l’option retenue à Londres et Washington est de « faire saigner la Russie » au maximum, pourquoi ne pas poursuivre ce soutien en demi-teinte aux Ukrainiens en 2024 ?  Pourtant, notre calcul est faux, archi faux. Chaque jour qui passe est plus meurtrier pour les malheureux Ukrainiens jetés dans cette tourmente sanglante, mais aussi pour le crédit de l’Occident et celui de l’Amérique. Il y a longtemps que le reste du monde a compris que l’Europe n’était pas un acteur autonome mais un sous-traitant zélé des desiderata washingtoniens.
  • La désolation, la mort, l’épuisement moral sont partout en Ukraine. Et c’est compréhensible. Quel que soit l’héroïsme de l’immense majorité des soldats et officiers ukrainiens (je mets ici hors-jeu les bataillons nationalistes intégraux de sinistre allégeance que nous soutenons avec une légèreté incompréhensible, faisant mine d’ignorer la faute morale lourde et le contresens historique impardonnable que cette absolution active constitue, oublis que nous paierons sans doute cher dans le temps), l’équation militaire est sans appel. Les forces humaines, les équipements et armements russes sont sans commune mesure avec ceux des Ukrainiens. Le ratio des pertes en hommes, mais aussi en équipements, double tabou qui commence lui aussi à sauter épisodiquement dans les médias, est terrifiant. L’armée ukrainienne est en train de consommer ses dernières réserves stratégiques dans des batailles dérisoires. On ne peut pas gagner une guerre d’attrition quand on n’a pas de réserves humaines pour remplacer celles détruites et moins encore les forces pour exploiter une éventuelle percée et renverser même localement le rapport de force. Idem pour les munitions. Cet affrontement est au demeurant d’une nature nouvelle. L’intégration redoutable des systèmes satellitaires et aériens russes, sans même parler de l’emploi massif de drones, permet de détecter très en amont TOUT ce qui bouge sur le territoire ukrainien et d’annihiler chars, véhicules blindés et hommes de façon quasi imparable.
  • L’Ukraine, dont le pouvoir massivement téleguidé et stipendié, a fait le pari (comme l’avait avoué dès 2019 le conseiller Arestovitch de Zelinsky) de se battre pour le compte de l’Amérique contre la Russie en échange d’une intégration à l’OTAN, a tout perdu. C’est un pays en cours de dépècement, dont un tiers de la population s’est exilé et ne reviendra pas, dont les actifs sont aux mains de fonds américains, dont la corruption désormais élevée au rang de mal national nécessaire en temps de guerre, reste endémique (au-delà de quelques « exemples » cosmétiques faits par Zelenski, cf. son ministre de la défense somptueusement placardisé à Londres). Les miasmes de tout cet énorme mensonge empestent. Cette guerre était ingagnable. Pourtant, les parrains américain et britannique de Kiev, qui l’ont tant souhaitée et ont armé et entrainé les forces ukrainiennes dans cet objectif ultime depuis au moins 2015, se sont mépris, par hubris et méconnaissance des objectifs russes initiaux, et ont tout fait pour que les forces ukrainiennes se jettent en pure perte dans cet affrontement inégal, convaincues que l’entrée dans l’OTAN était possible et les protègerait de leur ennemi. Ces marionnettistes anglosaxons n’ont probablement jamais voulu la victoire militaire de l’Ukraine sur la Russie, qu’ils savaient impossible, encore moins une quelconque paix, juste que ce malheureux pays use leur ennemi juré, quitte à en mourir elle- même. Un jeu de dupes sinistre à la main de Londres et Washington ? Un sommet de cynisme de la part du président Zelenski et de sa clique ? Un calcul d’argent et de bénéfices personnels au mépris du sort tragique infligé à leur peuple ? Une pure folie en tout cas. Quelle logique ultime à un tel massacre ? Nourrir les politiciens de Washington et le Complexe militaro-industriel américain ne suffit pas à répondre. C’est un peu comme si Washington avait joué et perdu à la roulette (non russe), mais avait relancé et encore relancé le jeu, augmentant la mise pour, à un moment donné, chercher tranquillement une sortie, abandonnant son pion ukrainien sur le tapis en lui transférant la responsabilité de l’échec et celui d’une négociation inéluctable ne pouvant être que léonine.
  • Comment arrêter ce bain de sang et la détérioration grandissante de la sécurité européenne ? Il faudrait en fait que Vladimir Poutine ait le triomphe modeste, et permette à Washington de sauver la face et de se tirer rapidement de ce guêpier. Ce n’est pas impossible. Odessa pourrait être un point d’application important de cette manœuvre salutaire. Si le port et sa région venaient à être sous la menace directe et décisive des forces russes, alors la quête d’un statut neutre pour cette ville (sans laquelle l’Ukraine n’aurait plus d’accès à la mer) pourrait être un élément du marchandage général auquel il va bien falloir parvenir. On sait combien sont irréalistes et extravagantes les prétentions ukrainiennes à la reconquête des oblasts perdus et évidemment de la Crimée. Il fallait y penser avant. Avant le coup d’État de 2014.

L’année 2024 sera donc celle de tous les dangers. L’agenda électoral (non exhaustif) est lourd :

  • Élections présidentielles et législatives à Taiwan en janvier
  • Présidentielles le 31 mars en Ukraine et législatives prévues en octobre (probablement annulées)
  • Présidentielle à l’automne 2024 en Moldavie
  • Présidentielle russe 17 mars-7 avril
  • Élections américaines : présidentielle, 50% renouvellement du Sénat et 50% du Congres le 5 novembre en 2024

Le focus médiatique sur le conflit en Ukraine est beaucoup trop systématiquement envisagé en lui-même, sans relier les prises de positions et décisions des acteurs à l’aune de ces échéances. Or, nous avons là un florilège d’occasions rêvées pour des provocations, ingérences, et déstabilisations en tous genres.

Il faut pourtant faire la paix, sortir de la rage et de la haine, reprendre langue et rapidement recréer les bases d’une sécurité européenne viable. Jusqu’au sommet de Bucarest de 2008, quand l’OTAN « invita » l’Ukraine et la Géorgie à la rejoindre, cette sécurité existait encore, malgré les premières vagues d’élargissement, malgré le bouclier anti-missiles américain, malgré même la première « Révolution orange » fomentée en Ukraine déjà. La Russie, alors toujours convalescente après la descente aux enfers de la décennie 90, était encore trop faible économiquement et militairement pour avoir son mot à dire, être écoutée, moins encore crainte ou respectée. Tout a changé désormais, pour Moscou, pour Pékin, pour ce « contre monde » qui jour après jour se consolide autour des BRICS, mais aussi de l’Organisation de Shangaï et de l’Union Économique eurasiatique. L’intégration de ces ensembles se précise et semble puiser sa force d’attraction et sa crédibilité même dans les abus américains (extraterritorialité, chantage, politique de regime change…) devenus insupportables à un nombre grandissant de pays.

Seule l’Europe n’a rien compris aux conditions de sa propre sécurité. Cela me reste incompréhensible. La vanité et la bêtise des élites européennes ne peuvent seules expliquer une telle déroute de la pensée stratégique comme d’ailleurs de la pratique diplomatique. Comment sortir notre continent de cette nasse qui le dissout ? L’Europe, mais aussi notre pays, qui garde des atouts considérables et pourrait jouer aujourd’hui encore, s’il osait seulement recouvrer ses esprits et sortir de l’alignement, un rôle constructif dans la recherche d’un compromis viable dans ce conflit ouvert et restaurer son influence internationale en miettes ? La sécurité européenne est une et indivisible. Elle n’existera pas sans la prise en compte des préoccupations sécuritaires de la Russie, ne nous en déplaise. Ce n’est pas une menace pour Washington, mais bien une plaie béante et purulente pour nous. La haine, fille de l’ignorance, est mauvaise conseillère. Nous devons en finir avec cette approche cynique des relations internationales et préférer à la morale contingente l’inspiration d’une éthique immanente qui permette de renouer un dialogue salutaire.

Extraterritorialité du droit : quand le « lawfare » sert la guerre économique

Extraterritorialité du droit : quand le « lawfare » sert la guerre économique

En juillet, une économiste américaine a renoncé, face au scandale, à rejoindre un poste clé à la direction de la concurrence de la Commission européenne. Mais dans ce domaine, c’est aussi l’application planétaire du droit américain qui inquiète entreprises, spécialistes et législateurs.

Extraterritorialité du droit : quand le « lawfare » sert la guerre économique

Le 17 juillet, Fiona Scott Morton a renoncé à son poste d’économiste en chef de la puissante Direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Le parcours de cette Américaine auprès de géants technologiques comme Microsoft, Apple ou Amazon, ainsi que dans les services antitrust de l’administration Obama, avait suscité une bronca sur le continent : comment pouvait-elle désormais préconiser des sanctions contre ces mêmes groupes, souvent visés par des enquêtes européennes ?

En creux, cette polémique a mis en lumière la rude concurrence que se livrent les entreprises à l’échelle mondiale, et son intrication avec le droit commercial édicté par les États (ou l’UE, en l’occurrence). Des quatre cercles du périmètre de la défense nationale, le deuxième, celui de la défense nationale, englobe les mesures à prendre pour se protéger des menaces visant notamment l’économie d’un pays. Et parmi celles-ci, l’extraterritorialité du droit prend une ampleur croissante depuis la fin des années 1990.

Les États-Unis sont historiquement la nation la plus proactive en la matière. Dès le début du XIXe siècle, le président Thomas Jefferson promulguait des embargos contre l’ancienne puissance coloniale britannique ou la France de Napoléon. Ses successeurs en ont ensuite régulièrement adopté. À la fin du XXe siècle, des embargos contre le commerce avec Cuba ou l’Iran touchent ainsi de nombreuses entreprises américaines ou étrangères.

LES ÉTATS-UNIS SANCTIONNENT DES ENTREPRISES ÉTRANGÈRES PARTOUT DANS LE MONDE

Mais les textes votés à Washington visent aussi la corruption. « À une époque, les entreprises françaises pouvaient déduire de leurs impôts les pots-de-vin versés pour gagner des marchés », rappelle le consultant Augustin de Colnet, auteur de l’ouvrage « Compétition mondiale et intelligence économique »[1]. « Les États-Unis partaient du constat que les entreprises européennes et autres pratiquaient la corruption, et que donc leurs entreprises perdaient des parts de marché. »

Aujourd’hui, les lois extraterritoriales américaines permettent de sanctionner toute entreprise étrangère pour des délits effectués n’importe où dans le monde, dès lors qu’une seule parmi plusieurs conditions est avérée : des transactions en dollars ; des échanges d’e-mails ou l’hébergement de données sur des serveurs basés aux États-Unis ; la présence d’une filiale dans ce pays ; y être coté sur un marché financier… Le champ est donc très large.

En se basant sur des rapports parlementaires (comme le rapport Gauvain rendu au Premier ministre en 2019), des articles de presse ou d’autres publications, Augustin de Colnet a réalisé une « cartographie des principales sanctions extraterritoriales américaines de plus de 100 millions de dollars » prononcées entre 2008 et fin 2022. La cadence s’est en effet accélérée depuis la présidence de Barack Obama, visant souvent des secteurs stratégiques. Des groupes basés aux États-Unis mais aussi en France, en Allemagne, au Japon, au Royaume-Uni ou au Brésil remplissent le graphique de Colnet. « Mais tous les États ne sont pas concernés au même titre », commente-t-il. « Tout le monde n’a pas des multinationales comme la France. Et la somme des amendes infligées à toutes les entreprises américaines est inférieure au seul montant payé par BNP Paribas. »

8,9 MDS $ D’AMENDE POUR BNP PARIBAS, 3,6 MDS € POUR AIRBUS…

En 2015, la banque française a versé une amende record de 8,9 milliards de dollars pour avoir contourné des sanctions américaines imposées à l’encontre de Cuba, de l’Iran et du Soudan, entre 2004 et 2012. Réagissant à l’affaire Scott Morton dans une interview au Figaro, Frédéric Pierucci estimait, lui, que « les entreprises européennes ont payé depuis 2010 pas moins de 50 milliards de dollars d’amende (dont environ 15 pour les sociétés françaises) au Trésor américain pour clore des enquêtes du DOJ », le ministère de la Justice américain.

Ancien cadre dirigeant d’Alstom, Pierucci a été arrêté en 2013 sur le sol américain et y a passé 25 mois en prison au total. Selon lui, c’est cette procédure enclenchée contre le groupe pour corruption d’agents publics (en Arabie saoudite, en Indonésie, en Égypte, à Taïwan et aux Bahamas) qui a poussé Alstom à vendre en 2015 sa branche énergie à son plus gros concurrent, le groupe américain General Electric (GE). En plus de payer 772 millions de dollars d’amende. PDG de l’énergéticien français à l’époque, Patrick Kron « n’avait plus le choix : s’il souhaitait échapper à la prison pour les vingt prochaines années, il devait vendre Alstom à General Electric ».

C’est ce que déclare Frédéric Pierucci dans un récent documentaire d’Arte intitulé « La bataille d’Airbus », qui explore les effets de l’extraterritorialité juridique américaine. En 2013, l’avionneur européen est lui aussi accusé de corruption par Washington. Cette affaire et d’autres poussent le gouvernement français à réagir. Promulguée en 2016, la loi Sapin II permet à la France de mener des procédures anticorruption conformes aux normes américaines, afin de protéger les entreprises hexagonales de sanctions prononcées outre-Atlantique. L’affaire Airbus s’est soldée par une transaction entre le groupe et les justices française, britannique et américaine. Sur un total d’environ 3,6 milliards d’euros d’amende, la France a reçu un peu plus de 2 milliards, le Royaume-Uni, 984 millions, et les États-Unis, 525 millions.

« COMME POUR UN BUT DE GUERRE, IL Y A UN TRIBUT À PAYER »

« La loi Sapin II transpose à peu de chose près la loi américaine », relève l’avocat Olivier de Maison Rouge, docteur en droit et spécialiste du droit de l’intelligence économique. « Avec ses effets d’extraterritorialité, elle est très clairement une réplique aux textes américains. Mais le nôtre ne frappe que les entreprises françaises, pas les américaines, indiennes ou autres… »

Dans l’affaire BNP Paribas, l’avocat observe que ce sont des embargos décrétés par les États-Unis qui s’appliquent, pas des sanctions de l’ONU : « Indépendamment du droit international, ils s’arrogent le droit d’être le gendarme du monde qui applique le droit, avec deux types de sanction : pour les entreprises américaines, et pour les entreprises étrangères. Dans ce cas, BNP Paribas ne pouvait se priver des transactions en dollar, qui représentent aujourd’hui 44% des transactions mondiales. » Quitte à payer cette amende faramineuse.

Le juriste file une métaphore martiale : « Comme pour un but de guerre, il y a un tribut à payer à la fin, et on affaiblit une cible. » Mais il se refuse à voir une stratégie délibérée dans les poursuites contre Alstom puis la vente d’une branche stratégique du groupe à son principal concurrent : « Oui, le DOJ a été à la manœuvre et a mis l’entreprise sous enquête ; mais l’acquisition répond à un schéma plutôt classique, et nulle part il n’a été démontré que les accusations de corruption ont été mises en place dans le but de cette acquisition. »

« POUR L’INSTANT, NOUS N’AVONS PAS D’ARSENAL AU MÊME NIVEAU »

Augustin de Colnet n’est pas du même avis : « Il y a pour moi une collusion évidente entre GE et le ministère de la Justice américain. Alstom est d’ailleurs la cinquième entreprise rachetée par GE après des sanctions du DOJ. » Pour lui, la « guerre juridique » (lawfare en anglais) est « juste une arme économique comme une autre » dans les rivalités mondiales. Il estime d’ailleurs que l’Union européenne et la France ne s’arment pas suffisamment : « Nous sommes à peine sur la défensive. Parler d’offensive, rien dans l’actualité ne le présage. Mais dans l’UE, nous n’avons pas tous les mêmes intérêts économiques. Tout montre qu’on n’a juste pas envie de froisser notre allié américain, notamment en raison de son poids militaire et commercial. »

En attendant, forts de leurs lois, les États-Unis ne se gênent pas. Citée dans le documentaire d’Arte, une note de la DGSI rédigée au moment de l’affaire Airbus parle d’une « stratégie de conquête » des Américains dans les secteurs « de l’aéronautique, de la santé et de la recherche », les entreprises françaises faisant l’objet d’« attaques ciblées » par le biais de « contentieux juridiques ».  L’ancien député Raphaël Gauvain l’affirme dans le même film : « C’est très clair que les entreprises européennes sont la cible privilégiée des pouvoirs publics américains, et que les plus lourdes condamnations se sont faites à l’encontre des entreprises européennes. »

Pour Olivier de Maison Rouge, tout cela « renvoie à la question de la domination paraéconomique » : « Les Américains eux-mêmes n’ont-ils pas d’autres moyens pour créer des distorsions de concurrence ? Leur soft power, leurs outils d’influence comme les fondations, les programmes de type « Young Leaders »… En Europe, les cerveaux sont formés à l’esprit anglo-saxon, un alignement cognitif s’opère, et il n’est pas nécessaire de rémunérer d’une manière ou d’une autre. Même s’ils ont aussi des paradis fiscaux dont l’opacité permet de dissimuler des règlements financiers, comme l’État du Delaware dont est issu Joe Biden. »

L’avocat en appelle donc, lui aussi, à bâtir une « réciprocité. Pour l’instant, nous n’avons pas d’arsenal au même niveau ».

[1] VA Editions, 2021.

Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS

Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS


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Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS


Ces derniers mois, de nombreux échos industriels et militaires, venus d’outre-Rhin, donnaient corps à une possible opposition entre la reprise constatée du marché européen du char du combat, en lien avec le conflit en Ukraine, et le calendrier prévu initialement pour le programme franco-allemand MGCS. Ce dernier doit remplacer, à partir de 2035, les chers Leclerc français et Leopard 2 allemands.

La présentation, il y a quelques semaines, de la nouvelle version Leopard 2A8 du char de Krauss-Maffei Wegmann, vint accroitre cette pression sur le programme MGCS. En outre, en moins de huit semaines, le nouveau char allemand est parvenu à séduire la Bundeswehr, la Norvège, la République tchèque et l’Italie, alors que les Pays-Bas semblent également se diriger vers une acquisition prochaine.

De fait, il n’y avait rien de surprenant à ce que les industriels allemands voyaient avec inquiétude le chevauchement probable des deux offres, pouvant potentiellement nuire tant à la vente immédiate de Leopard 2A8, que réduire le marché adressable du MGCS lors de son entrée en service, comme le fit la CEO de l’industriel RENK, Suzanne Weigand, en avril dernier, en appelant à un décalage du programme franco-allemand vers 2040 ou au-delà.

S’il y a quelques jours, les ministres français et allemand Sébastien Lecornu et Boris Pistorius, maintinrent le calendrier initial à 2035 à la suite d’une rencontre à Berlin, tout indiquait jusque-là que, pour les industriels allemands, celui-ci demeurait contre-productif, même si le principal intéressé, Krauss-Maffei Wegmann produisant le Leopard 2 et partenaire du Français Nexter au sein de la coentreprise KNDS, restait étonnement discret sur le sujet.

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Sebastien Lecornu et Boris Pistorius à Berlin pour discuter du programme MGCS en juillet 2023

 

La raison de cette discrétion pourrait avoir été dévoilée par le site Stuttgart-Zeitung le 15 juillet. L’article en question annonce en effet être entré en possession de documents internes de KMW concernant la production planifiée de chars Leopard 2 d’ici à 2032, une information évidement cruciale (bien que sans le moindre doute confidentielle), pour évaluer la réalité du chevauchement industriel évoqué depuis plusieurs mois maintenant.

Or, selon ce document, l’industriel allemand ne prévoit de livrer sur les 10 années à venir, entre aujourd’hui et fin 2032, seulement que 648 Leopard 2 à ses futurs clients européens, soit un volume très inférieur à ce qu’il serait nécessaire d’atteindre pour venir éroder significativement le marché adressable du programme MGCS à son lancement en 2035.

Dit autrement, déduction faite des chars allemands, norvégiens, tchèques, italiens et néerlandais déjà évoqués, représentant entre 300 et 350 blindés, l’industriel allemand ne prévoit de livrer que 300 exemplaires supplémentaires aux armées européennes, un nombre très inférieur aux quelque 1850 Leopard 2A4, A5 et A6 actuellement en service sur le vieux continent, et qui devront être remplacés à horizon 2035.

De fait, le marché européen adressable par le programme MGCS à partir de 2035, demeurerait des plus significatifs, entre 1500 et 2000 exemplaires pour un remplacement 1 à 1 (il est vrai très peu probable), ce d’autant que la France, la Grande-Bretagne et l’Italie devront, eux aussi, remplacer leurs Leclerc, Challenger III et Ariette C1, pour un marché s’établissant entre 500 et 800 blindés.

 

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Le programme MGCS prévoit de concevoir non seulement un char de combat, mais plusieurs véhicules blindés lourds dédiés à la très haute intensité

Dans ce contexte, la réserve exprimée par plusieurs industriels allemands comme RENK mais également Rheinmetall, appelant à viser 2040 voire 2045 plutôt que 2035, précisément pour libérer des espaces aux modèles actuels Leopard 2A8 et KF-51 Panther, n’est guère convaincante, et rien ne s’oppose, objectivement parlant, à un respect strict du calendrier initial, pour peu que les actions de retardement, à dessein ou fortuites, qui entravent ce programme depuis son lancement, prennent effectivement fins à très court terme.

Car d’une manière ou d’une autre, il est désormais absolument indispensable que Paris et Berlin s’entendent à très court terme sur un calendrier, un cahier des charges et une répartition industrielle stricte ne laissant plus place à l’interprétation ou la révision, faute de quoi, marché ou pas, le programme glissera au plus grand désavantage des armées européennes.

En effet, il convient de garder à l’esprit que si KMW prévoit de produire 648 Leopard 2 d’ici à 2032, auxquels on peut ajouter les 1000 K2 et Abrams polonais, l’industrie russe est, pour sa part, aujourd’hui dimensionnée pour produire entre 450 et 600 chars T-90M, T-80BVM ou T-72B3M par an, soit 3 à 4 fois plus de chars que n’en produiront les industries européennes sur les 10 prochaines années.

 

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La production de l’usine russe uralvagonzavod est désormais pleinement consacrée aux chars de combat modernes T-90M, T-80BVM et T-72B3M, avec une production annuelle estimée entre 450 et 600 blindés.

Il sera alors indispensable aux armées européennes, d’aligner des systèmes disposant d’une plus-value opérationnelle et technologique à ce point significative qu’elle permettra de compenser un rapport de force aussi défavorable, ce que ni le Leopard 2A8, ni le Challenger 3, pas même le K2PL ne pourront apporter.

De fait, arbitrer à court terme, que ce soit en faveur du MGCS mais de manière stricte, ou pour y mettre fin et se diriger vers des solutions alternatives, est désormais un impératif sécuritaire bien davantage qu’industriel pour les ministres français et allemands de la défense.

Les scénarios d’un conflit Grèce-Turquie

Les scénarios d’un conflit Grèce-Turquie

https://www.slate.fr/story/250903/grece-turquie-conflit-otan-scenarios-militaire


Si la Turquie a un avantage naval et aérien, la Grèce peut compter sur ses alliances et sa connaissance des îles en mer Égée pour contrer le rapport de force défavorable.

 

Difficile de prévoir quelle serait la réaction de l'OTAN en cas de conflit militaire déclaré en mer Égée. | NASA via Wikimedia Commons
Difficile de prévoir quelle serait la réaction de l’OTAN en cas de conflit militaire déclaré en mer Égée. | NASA via Wikimedia Commons

«Nous pouvons arriver subitement la nuit» (septembre 2022), «La Grèce risque de le regretter, comme il y a un siècle» (juin 2022), «Nous répondrons à la fois légalement et sur le terrain» (février 2023). C’est peu dire que la Turquie du président Recep Tayyip Erdoğan n’entretient pas les meilleures relations avec son voisin grec.

Si les tensions sont anciennes entre les deux pays, qui célèbrent cette année les 100 ans du traité de Lausanne ayant mis fin à trois ans de guerre, force est de constater qu’elles se sont accrues ces dernières années.

Ces tensions résultent d’une triple compétition:

Ces tensions s’ancrent dans un contexte bien particulier: les deux pays sont membres de l’OTAN. Dès lors, difficile de prévoir quelle serait la réaction de l’Alliance en cas de conflit militaire déclaré en mer Égée. Nous proposons ici une étude concrète des forces armées grecques et turques pour tenter d’établir le rapport de force militaire qui s’est installé entre les deux pays.

De l’opportunité stratégique de déclencher un conflit

Quel intérêt la Turquie aurait-elle à déclencher un conflit avec son voisin grec? Trois points saillants peuvent être relevés.

Premièrement, continuer d’affirmer sa place en zone méditerranéenne. Isolée depuis maintenant une dizaine d’années par son interventionnisme unilatéral et croissant en Méditerranée (intervention dans le nord de la Syrie, opération en Libye ayant conduit à «l’illumination» de la frégate française Courbet en 2020), la Turquie a également vu sa relation avec les États-Unis se dégrader progressivement, jusqu’au blocage par le Congrès américain en 2019 de l’exportation d’avions de combat F-16.

Le conflit ukrainien l’ayant remise au centre du jeu diplomatique –par sa capacité à parler aux deux belligérants et l’efficacité démontrée de ses drones de combat– et mobilisant activement l’OTAN, la Turquie pourrait tirer parti du contexte international pour contester activement la souveraineté grecque en mer Égée. Cela irait dans la droite lignée du concept de «Patrie bleue» (Mavi Vatan), repris à son compte par le parti du président, l’AKP, et prônant de doter le pays d’une ZEE élargie, à la hauteur de ses ambitions de puissance affirmée. L’occasion serait aussi belle pour le président Erdoğan de montrer que ses forces armées sont, tout comme ses drones, efficaces, compétentes et opérationnelles.


Ensuite, stabiliser la coalition au pouvoir. Bien que réélu pour un troisième mandat, Erdoğan apparaît fragilisé par un score serré (52% des voix) et une perte de vitesse au Parlement (-26 députés pour l’AKP). Sa politique dépendra de facto encore davantage de son alliance avec le parti nationaliste MHP, qui lui apporte 50 voix nécessaires à la majorité absolue.

Dans ces conditions, voir Erdoğan chercher à instrumentaliser sa politique étrangère en vue de consolider sa politique intérieure est une possibilité. Cela répondrait à la logique bien documentée du «jeu à deux niveaux» théorisé par Robert Putnam, selon lequel chaque gouvernement national se sert de l’échelle internationale pour «maximiser sa propre capacité à satisfaire les pressions domestiques, tout en minimisant les conséquences négatives des développements internationaux».

Du côté grec, la position serait davantage à la stabilisation de la situation qu’à la surenchère militaire.

Enfin, mettre la main sur de nouvelles ressources stratégiques en gaz. Au-delà des aspects politiques et internationaux, la mer Égée abrite des réserves de gaz importantes pour les deux compétiteurs. L’exploitation par la Grèce du champ de Prinos, situé au nord de la mer Égée, a achevé de prouver que la ressource était présente sur zone. Les deux pays étant toujours en compétition dans la définition de leur ZEE, et étant donnée la place stratégique du gaz, remis au goût du jour cet hiver par le conflit ukrainien, l’enjeu est de taille.

Du côté grec, la position serait davantage à la stabilisation de la situation qu’à la surenchère militaire. Rappelons que le pays dispose de près d’un quart de la flotte des tankers de gaz naturel liquéfié, ce qui constitue une manne financière importante qui serait en péril en cas de conflit, et qu’il a enclenché depuis quelques années une remontée en puissance de ses capacités militaires et une diversification de ses alliances sécuritaires.

Cela est passé notamment par la conclusion d’un partenariat franco-grec d’assistance mutuelle en 2021 et du renouvellement la même année de son accord de coopération et de défense mutuelle avec les États-Unis. Comme le résumait le chef d’état-major grec le 8 avril 2022, l’enjeu grec est bien que «nous préférons être à table que figurer au menu».

Forces navales: avantage Turquie

La marine turque a une nette longueur d’avance sur son opposant grec pour trois raisons. Premièrement, sa modernité. La Turquie a lancé en 2019 son premier porte-hélicoptères d’assaut (PHA). Commissionné en avril 2023, il est conçu pour pouvoir transporter, outre des hélicoptères, des avions de combat à décollage vertical, des drones sans pilote, ainsi que des forces amphibies. Il s’agit d’un vecteur majeur de projection de forces pour la Turquie, qui lui confère un avantage colossal sur la Grèce, par sa capacité à interdire l’accès aux forces grecques. En effet, sa mise en service offre la possibilité de constituer un groupe aéronaval autour de ce vaisseau amiral; ce groupe serait doté de l’intégralité du spectre des actions maritimes (contrôle d’espace, antiaérien, anti-sous-marin, amphibie).

En comparaison, le programme le plus important de la Grèce est l’achat de trois (peut-être quatre) destroyers à la France. Même dotés d’une technologie de pointe, ces navires ne seront pas en mesure de contrer un groupe aéronaval. Entièrement construit en Turquie, le PHA est aussi le témoignage d’une volonté politique claire de montrer que la base industrielle de défense turque est capable de mener à bien seule des projets à impact.


Deuxièmement, cette avance s’est faite en vertu du nombre. Bien que les deux pays possèdent un nombre similaire de sous-marins, leur utilisation est limitée dans l’espace réduit des îles de la mer Égée. Les capacités les plus importantes dans cette configuration spatiale sont l’interdiction de zone et la force de frappe. En la matière, la Turquie est bien mieux dotée.

La Grèce est en effet déficitaire en nombre de frégates mais surtout en nombre de corvettes, particulièrement utiles pour occuper, interdire et menacer l’espace. Les corvettes de la classe Ada sont de très bons navires, longs de 100 mètres, dotés de missiles antinavires et récents (mis en service en 2011) alors que la marine grecque équipe des «canonnières» plus petites –environ 50 mètres de long– et toutes ont environ 20 ans d’âge, soit la moitié de leur durée de vie. La supériorité des chasseurs de mines turcs (onze navires contre quatre) pourrait également changer la donne si les deux pays devaient miner la mer Égée pour en interdire l’accès à l’autre, manœuvre constatée au large des côtes ukrainiennes durant l’année passée.

Les capacités de la Turquie pourraient s’avérer cruciales si elle décidait de contester activement la souveraineté grecque sur les îles.

Enfin, cette avance est également due à sa capacité amphibie. Il est intéressant pour cela d’étudier le nombre de bateaux de débarquement. Il ne s’agit pas de bateaux autonomes dans le sens où ils ne peuvent pratiquement pas se défendre, mais de plateformes de débarquement destinées à débarquer des troupes et des chars sur la terre ferme. Chacun de ces navires peut transporter entre 150 hommes pour le plus petit et 500 hommes pour le Bayraktar turc.

Là encore, la Turquie est en position de force, avec au moins 26 navires contre 9 pour la Grèce. Ces capacités pourraient s’avérer cruciales si la Turquie décidait de contester activement la souveraineté grecque sur les îles. En effet, débarquer des troupes au sol est le seul moyen efficace d’atteindre cet objectif –une guerre hybride, navale ou aérienne sans occupation physique ne le permettrait pas.

Armée de l’air: fausse équivalence en vue

En ce qui concerne les avions et les hélicoptères de combat de l’armée de l’air, les deux pays disposent de capacités similaires. Cependant, il y a une nette distinction en ce qui concerne les capacités de transport et, encore plus important, les hélicoptères de combat de l’armée. La Turquie a un avantage considérable pour le transport de troupes, avec 50 avions de plus (+ 12 en comptant ceux de l’armée de terre). Cela a deux conséquences.

En cas de blocus naval dû à des mines ou à une interdiction navale, la Turquie dispose d’une alternative crédible pour approvisionner ses troupes par avion –à condition d’avoir détruit la défense antiaérienne grecque préalablement. Cela pourrait avoir son importance si un conflit de longue durée devait survenir entre les deux pays.

En cas de guerre totale avec Athènes (ou Ankara) envahissant la Turquie continentale (ou la Grèce), le seul moyen efficace d’assurer l’approvisionnement serait l’avion ou le bateau, car la frontière terrestre entre les deux pays est située très au nord de leurs territoires et offre une faible possibilité de manœuvre (50 kilomètres de largeur).

Les A400M et CN235 turcs supplémentaires peuvent aussi être utilisés pour le renseignement avec des patrouilles maritimes et surtout le déploiement de forces spéciales. L’A400M a récemment été modernisé pour pouvoir effectuer des infiltrations à basse altitude. Cette capacité offre à la Turquie la possibilité d’agir en profondeur et donc de conquérir plus facilement des objectifs stratégiques. Cela pourrait constituer un avantage certain par rapport à la Grèce.


Enfin, en ce qui concerne les hélicoptères de combat de l’armée, les deux pays disposent de types d’appareils similaires, mais la Turquie surpasse de 130 unités les capacités grecques. Là encore, cela fait une énorme différence, permettant à Ankara davantage de pertes et offrant donc des possibilités supérieures d’engager ses appareils. La collecte de renseignements, les attaques ciblées sur véhicules terrestres et les déploiements de forces spéciales font partie des capacités dont la Grèce pourrait manquer en premier lieu dans une guerre de longue durée.

Avantage Turquie mais opportunités grecques

La Turquie possède donc un avantage matériel global en ce qui concerne la marine et les forces aériennes qu’elle peut déployer. La mise en service récente de son PHA va changer la façon dont la Turquie combat en mer, en permettant à ses forces de se concentrer autour d’un navire amiral. Cela offre au pays davantage de possibilités en matière de projection d’hélicoptères et d’opérations amphibies. L’avantage turc est donc autant quantitatif que qualitatif technologique.

Dans l’espace aérien, sa supériorité est principalement liée au nombre de ses appareils. L’espace aérien serait cependant clairement contesté car les deux nations possèdent le même nombre d’avions de chasse et partagent essentiellement la même technologie américaine F-16 et F-4.

Cette étude n’aborde volontairement pas les forces terrestres des deux pays, principalement pour un argument dimensionnel: à l’exception de l’île de Crète, toutes les îles de la mer Égée sont au moins trois fois plus petites que l’île de Chypre. Cela correspond aux règles d’engagement d’un régiment motorisé (1.000 à 3.000 soldats) en contrôle de zone, rendant tout déploiement terrestre sur les îles peu significatif en envergure.

En sus de l’OTAN, la Grèce appartient à l’Union européenne, lui conférant le bénéfice de l’article 42.7 déclenchant immédiatement une aide des partenaires en cas d’invasion.

La différence pourrait donc se faire sur le long terme entre les deux compétiteurs. Bien que le rapport de force soit à l’avantage de la Turquie, Athènes peut compter sur sa connaissance des îles en mer Égée, actuellement sous sa souveraineté, ainsi que sur les alliances nouées avec ses partenaires extérieurs.

Rappelons ici qu’en sus de l’OTAN, la Grèce appartient à l’Union européenne, lui conférant le bénéfice de l’article 42.7 (équivalent à l’article 5 de l’OTAN) déclenchant immédiatement une aide des partenaires en cas d’invasion. Elle a également noué en 2021 un accord d’assistance mutuelle avec la France, par tous les moyens appropriés si son territoire fait l’objet d’une agression armée. Face au Goliath turc, le David grec sait qu’aucune causalité ne saurait être établie entre rapport de force défavorable et défaite militaire.

La fusée Ariane 5 tire sa révérence… et laisse l’Europe spatiale démunie

La fusée Ariane 5 tire sa révérence… et laisse l’Europe spatiale démunie

La fusée Ariane 5 tire sa révérence… et laisse l’Europe spatiale démunie
(Photo by JODY AMIET/AFP via Getty Images)

C’était anticipé depuis des mois, voilà qui est acté : Ariane 5 a réalisé le dernier vol de sa carrière, alors que la relève se fait encore attendre, mettant en péril les plans européens de conquête spatiale.

Dans l’actu : Ariane 5 a décollé du port spatial européen de Kourou, en Guyane française, dans la nuit de mercredi à jeudi, pour la toute dernière fois.

  • Comme beaucoup de missions Ariane 5, le lancement VA261 a transporté deux satellites de communication vers une orbite de transfert géostationnaire.
    • Un de ces satellites pèse 3.400 kg et sera utilisé pour tester des technologies de communication avancées pour l’Agence spatiale allemande, précise SpaceNews.
    • L’autre satellite, destiné à l’armée française, pèse 3.570 kg et a été développé par un consortium composé d’Airbus Defence and Space et de Thales Alenia Space.
  • « C’est un succès pour ‘Team Europe’ ce soir avec ce dernier (vol) d’Ariane 5 », a déclaré Stéphane Israël, directeur général d’Arianespace, lors de la retransmission du lancement sur le web.
  • « Merci à ArianeGroup, Arianespace et au CNES. C’est un très beau lancement, même si c’est le dernier », a indiqué pour sa part le général Michel Sayegh, directeur des programmes spatiaux de la Direction générale de l’armement, non sans une pointe de nostalgie.

Les détails : Ariane 5 tire sa révérence après 117 lancements et 27 ans de loyaux services

  • Le véhicule a été lancé pour la première fois en juin 1996, mais sans succès jusqu’à son troisième vol en 1998.
  • Au début des années 2000, la fusée était particulièrement appréciée car elle pouvait transporter deux gros satellites de télécommunications géostationnaires en même temps, très demandés sur le marché de l’industrie spatiale commerciale.
  • Elle a sans doute atteint l’apogée de sa célébrité le 25 décembre 2021, lorsqu’elle a lancé avec le plus grand des succès le télescope spatial James Webb, d’une valeur de 10 milliards de dollars.
  • Ce départ à la retraite a pris un peu plus de temps que prévu à se concrétiser : le lancement devait initialement avoir lieu le 16 juin, mais il a été retardé car certains câbles nécessaires pour séparer les boosters de la fusée devaient être remplacés. La société a ensuite prévu de lancer la fusée le 4 juillet, mais a encore dû reporter d’un jour en raison de vents forts en altitude.

Un départ douloureux pour l’Europe

« Ariane 5, c’est maintenant fini, elle a parfaitement terminé son travail et est vraiment devenue un lanceur légendaire. Mais Ariane 6 arrive. »

Stéphane Israël, directeur général d’Arianespace

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé » : qui eut crû qu’une citation d’Alphonse de Lamartine pourrait un jour s’appliquer au secteur spatial européen ? Notre continent est pourtant bien démuni, maintenant qu’Ariane 5 a été officiellement mise au placard.

  • Alors que l’arrivée d’Ariane 5 a coïncidé avec la fin de sa prédécesseure, Ariane 4, celle qui doit la remplacer se fait encore désirer.
  • Le premier lancement d’Ariane 6 était prévu pour 2020 mais a connu des retards à répétition.
  • L’ESA prévoyait ensuite que le lancement aurait lieu au quatrième trimestre 2023, mais il est de plus en plus probable qu’il soit reporté à 2024.
  • « Aujourd’hui, il serait spéculatif de mentionner une date de lancement. Nous devons franchir un certain nombre d’étapes techniques au cours de l’été, mais je promets qu’après l’été, en septembre, nous indiquerons une période qui sera la période cible pour Ariane 6″, a déclaré Josef Aschbacher, directeur général de l’ESA (Agence spatiale européenne), lors d’une conférence de presse le 29 juin.
  • De leur côté, les dirigeants d’OHB, fournisseur du programme Ariane 6, ont indiqué en mai que le lancement aurait lieu début 2024 au plus tard.
  • Différentes étapes techniques doivent encore être franchies, notamment un essai à chaud de l’étage supérieur prévu en juillet et un autre essai à l’automne pour tester les performances dans des conditions difficiles.
  • L’assemblage du premier modèle de vol d’Ariane 6 commencera en novembre en Guyane française, selon une dernière publication de l’ESA datant du 8 juin. En attendant de nouveaux contretemps ?

La Marine française appelle les flottes européennes à remplir les espaces laissés par les Etats-Unis

La Marine française appelle les flottes européennes à remplir les espaces laissés par les Etats-Unis

 

Meta Défense – publié le


La Marine française appelle les flottes européennes à remplir les espaces laissés par les Etats-Unis

 

Meta Défense – publié le


On le sait, les chantiers navals chinois lancent, chaque année, prés d’une dizaine de destroyers et frégates, ainsi que de nombreux autres navires y compris les plus imposants et modernes, destinés à venir grossir la flotte de l’Armée Populaire de Libération.

Pour y faire face, l’US Navy peut encore s’appuyer sur la masse et l’efficacité que lui confère sa flotte, ainsi que sur les moyens renouvelés de ses alliés régionaux comme l’Australie, le Japon ou la Corée du Sud.

Toutefois, dans les années à venir, et en dépit de l’augmentation de la production navale US, Washington va devoir concentrer toujours plus de ses moyens dans le Pacifique pour faire face à la montée en puissance de l’APL, réduisant de fait sa présence sur d’autres théâtres, non moins exposés.

C’est précisément pour anticiper ce basculement irrémédiable américain face à la Chine, que l‘Amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine Nationale, a appelé les Marines européennes à s’organiser pour venir combler les espaces libérés par l’US Navy, à l’occasion de la First Sea Lord’s Seapower Conference 2023 qui s’est tenue à Lancaster House les 16 et 17 Mai dernier.

 

Les marines européennes collaborent fréquemment lors de déploiements

Pour l’amiral français, il est non seulement indispensable que les marines européennes accroissent leur présence en Méditerranée comme dans l’Atlantique nord, leurs théâtres d’opération traditionnels, mais également dans le Golfe Persique et dans le nord de l’Océan indien, précisément pour permettre un désengagement de l’US Navy tout en maintenant une présence importante et dissuasive sur ces théâtres critiques pour l’approvisionnement des européens, notamment en hydrocarbures.

Au delà des déploiements eux-mêmes, l’amiral Vandier a également appelé à accroitre et renforcer l’interopérabilité des flottes européennes, tant au niveau technologique qu’opérationnel, de sorte qu’une flotte multinationale européenne puisse agir comme une flotte unifiée.

En améliorant cette interopérabilité et cette expérience commune, les déploiements européens seront dès lors bien plus efficaces et dissuasifs, en agissant comme une force navale unifiée de sorte à priver un adversaire potentiel d’une quelconque opportunité pouvant le convaincre de passer à l’action.

Reste que, si une telle coopération est évidemment souhaitable, elle sera, dans les faits, complexe à mettre en œuvre, tout au moins pour effectivement remplacer l’US Navy.

En effet, les Marines européennes sont avant tout conçues comme des flottes nationales, répondant à des impératifs de protection qui, s’ils prennent également en compte les besoins de l’OTAN, ne sont pas structurées pour la plupart pour les déploiements distants soutenus.


Si les marines européennes disposent de nombreux sous-marins, seuls la Royal Navy et la Marine Nationale alignent des sous-marins nucléaires d’attaque

Ainsi, si les flottes européennes alignent presque une centaine de frégates et destroyers, autant que l’US Navy, elles ne disposent que de 5 porte-aéronefs, dont seulement 3 véritables porte-avions, et moins d’une dizaine de grands navires amphibies, moins de la moitié de la dotation de l’US Navy.

En matière de sous-marins, la situation est encore plus problématique, puisque sur la cinquantaine de sous-marins d’attaque en service, seuls 11 navires, 6 Astute britanniques, 4 Rubis (en comptant la Perle) et 1 Suffren français, sont à propulsion nucléaire donc adaptés à des déploiements distants et à l’escorte de Groupe aéronaval.

Surtout, les flottes européennes manquent cruellement de grands navires logistiques, capables de soutenir une flotte à la mer sur la durée, même si un effort évident est fait dans ce domaine depuis quelques années.

Qui plus est, chaque classe de navire ayant été construite sur des considérations nationales, leur interopérabilité au delà du partage de renseignement et d’engagement, est souvent faible, que ce soit dans le domaine des munitions, des pièces détachées, du parc aérien ou encore de la coopération électronique, par exemple pour mettre en oeuvre des procédures de détection multi-statiques conjointes.

Enfin, et c’est probablement le problème le plus difficile à résoudre, les marines européennes ne répondent pas à un commandement unifié ayant pour fonction d’en organiser les missions et l’allocation des moyens, chaque mission devenant un patchwork de moyens libérés sur des fenêtres de temps différentes par les Marines de chaque état, en fonction de leurs propres impératifs.

On peut ainsi se rappeler l’échec flagrant des marines européennes quant il fut question de déployer des éléments navals dans le Golfe persique en juillet 2019, après que l’Iran ait tenté d’arraisonner un pétrolier britannique, le British Heritage.

Les Marines européennes manquent cruellement de grands navires logistiques pour soutenir des déploiements distants de longue durée

De fait, et comme l’a indiqué l’Amiral Vandier, les Européens doivent désormais s’organiser non seulement du point de vue opérationnel, mais organique et programmatique, s’ils entendent effectivement remplir les espaces qui seront laissés vaquant par l’US Navy dans les années à venir, y compris en s’engageant dans des programmes structurant permettant de déployer efficacement des forces navales sous commandement européen, au delà de leur périmètre opérationnel traditionnel.

On peut, à ce titre, se demander si le rôle des “grandes marines européennes”, notamment britanniques et françaises, ne serait pas de renforcer leurs moyens exclusifs, sous-marins nucléaires d’attaque, porte-avions, grands navires amphibies et navires logistiques, plutôt que d’étendre leurs flottes de frégates et corvettes, laissant ces missions à des marines ne disposant pas de telles capacités ?