Corée du Sud: l’institution militaire plongée dans les convulsions politiques post-loi martiale
Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a créé la surprise en proclamant mardi la loi martiale, avant de la retirer quelques heures plus tard sous la pression des parlementaires et d’une foule de manifestants. Yoon a dit avoir proclamé la loi martiale « pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l’État ».
En ce qui concerne l’armée sud-coréenne, principale partie prenante de la loi martiale d’urgence, que retenir des événements de mardi soir?
D’abord, l’alignement des chefs militaires sur la décision présidentielle. Cet alignement a débouché sur la proclamation d’un décret en six points du nouveau commandant de la loi martiale, le chef des armées, général Park An-su. Ce décret interdisait les activités et les partis politiques, la « fausse propagande », les grèves et les « rassemblements qui incitent à l’agitation sociale ». Yoon s’est entouré d’hommes à sa botte et à nommé des proches dans toute l’infrastructure sécuritaires (armées et renseignement). Mais, comme l’écrivait en septembre l’ancien patron des forces spéciales sud-coréennes, le général Chun in-bum, « pour qu’un coup d’état ou une loi martial réussisse, il faudra plus que des nominations de hauts gradés; ça exigera la complicité de l’institution militaire dans son ensemble et une opinion publique passive ». Et c’est bien ce qui a manqué mardi soir.
Ensuite, l’entrée (plutôt compliquée) des commandos sud-coréen dans un des bâtiments du Parlement, comme le montre cette vidéo où l’on voit le personnel et vraisemblablement des élus s’opposer à la progression des soldats:
Des hélicoptères ont déposé des troupes dans l’enceinte du Parlement, selon des images de vidéosurveillance diffusées mercredi. D’autres soldats, obéissant aux ordres du chef d’état-major conjoint (Joint Chiefs of Staff JCS), l’amiral Kim Myung-soo, ont escaladé les clôtures de l’enceinte gouvernementale après minuit. Quelque 300 militaires ont pris part à cette action au Parlement dont 230 ont été héliportés en 24 rotations. Mais numériquement, ils ont été vite débordés par la foule des opposants.
Enfin, un constat encourageant: les militaires ont fait preuve de retenue et il ne semble, en ce mercredi matin, qu’aucun débordement/dérapages par les forces de l’ordre n’ait été recensé. On a connu (malheureusement) des militaires sud-coréens ayant la main beaucoup plus lourde, comme en 1980 lors de la précédente et dernière en date proclamation de la loi martiale (officiellement 230 morts). D’ailleurs, des photos des soldats à l’Assemblée montrent qu’ils étaient équipés de munitions d’entrainement (voir le chargeur bleu du militaire à droite de la photo):
Et maintenant?
Le Joint Chiefs of Staff JCS a, peu après l’annonce de l’imposition de la loi martiale, rassuré les Américains, précisant que les troupes engagées ne venaient pas de la zone frontalière avec la Corée du Nord et que la sécurité du territoire était bien assurée.
A moyen terme, les forces armées sud-coréennes risquent de se retrouver plongées dans les convulsions politiques post-loi martiale, convulsions exacerbées par la « complicité » du ministre de la Défense de Yoon, Kim Yong Hyun, la complaisance de certains chefs militaires et l’assaut très médiatisé mené par des unités contre l’Assemblée nationale.
« Cette situation laissera des séquelles durables dans les relations civiles et militaires délicates de la Corée du Sud. Mais le risque sécuritaire immédiat concerne la défense extérieure, en particulier compte tenu des incertitudes probables autour du commandement et du contrôle militaires au lendemain de la loi martiale. Cela va évidemment inquiéter les États-Unis, allié de la Corée du Sud par traité, et les forces américaines en Corée », estime Euan Graham, un analyste de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute).