Dépenses militaires : malgré ses 64,3 milliards de dollars, la France décrochée par Londres et Berlin
Sacré paradoxe. Malgré les hausses régulières du budget de défense français, qui a bondi de 57 % depuis 2017, la France apparaît décrochée dans le classement du think-tank suédois Sipri sur les dépenses militaires mondiales, publié le 28 avril. Avec 64,7 milliards de dollars de budget estimé en 2024, Paris, neuvième budget mondial, est en effet largement devancé par Berlin (88,5 milliards de dollars) et Londres (81,8 milliards de dollars), respectivement 4e et 6e du classement. L’investissement militaire français se montre ainsi inférieur de 27 % à celui de l’Allemagne, et de 21 % à celui du Royaume-Uni.
Cet écart important entre les trois capitales est confirmé par les chiffres de l’Otan. Dans sa dernière note, l’Alliance atlantique estimait le budget allemand à 97 milliards de dollars en 2024, contre 82,1 milliards pour le Royaume-Uni et 64,3 milliards pour la France. Le même écart était également visible dans le Military Balance 2025, rapport annuel du think tank IISS, dont les chiffres sont très proches de ceux de l’Otan.
Berlin devant Paris depuis 2019
Comment expliquer ce double décrochage ? Côté Royaume-Uni, l’écart avec la France n’est pas nouveau. Londres dépense, historiquement, 20 à 30 % de plus que Paris pour sa défense. La part du PIB britannique, à l’inverse de la France, n’est jamais passée en dessous de 2 % depuis 2014. Elle est actuellement de 2,3 %, contre 2 % environ pour Paris, et doit progressivement monter à 2,5, puis 3 %. Facteur aggravant pour Paris, le PIB britannique est supérieur de 10 % au PIB français, d’où l’écart important mis en évidence par le Sipri.
Pour l’Allemagne, la situation est bien différente. Le budget français de défense était, traditionnellement, supérieur à celui de Berlin (11,5 % de plus en 2014, selon les chiffres de l’Otan). Les raisons étaient multiples : le pacifisme de l’Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi le poids de la dissuasion pour la France (3,5 milliards d’euros en 2014), qui alourdit la facture. Mais le rattrapage allemand, à bas bruit, a abouti au croisement des courbes en 2019.
L’écart n’a cessé de se creuser depuis, avec une brusque accélération en 2022, lors du lancement par Berlin du fonds de 100 milliards d’euros destinés à remuscler les capacités de la Bundeswehr. « Les dépenses militaires de l’Allemagne ont augmenté de 28 % par rapport à 2023, et de 89 % par rapport à 2015 », résume le rapport du Sipri. Berlin est même passé devant le Royaume-Uni en 2024, devenant le plus gros budget militaire européen.
L’effet du « fonds spécial » allemand
Berlin pioche une vingtaine de milliards d’euros par an dans ce fonds spécial, un montant qui augmente d’autant son budget militaire. Le budget 2025 intégrait ainsi 53,25 milliards d’euros de crédits « classiques » (contre 50,5 milliards au budget français) et 22 milliards d’euros prélevés sur le fonds spécial, soit plus de 75 milliards d’euros au total.
A ce rythme, les 100 milliards d’euros seront totalement dépensés en 2027, ce qui risque, théoriquement, de refaire baisser l’effort financier allemand. Mais le prochain chancelier Friedrich Merz et sa coalition réfléchissent, selon Reuters, à un nouveau fonds spécial dédié à la défense, qui pourrait atteindre 400 milliards d’euros. L’objectif serait d’atteindre rapidement un budget de défense de 100 milliards d’euros par an, selon une des négociatrices du SPD, Manuela Schwesig.
100 milliards, c’est aussi l’objectif du ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, qui assurait en mars dernier y voir le « poids de forme idéal pour les armées françaises ». Problème : la situation budgétaire française n’a rien à voir avec celle de l’Allemagne. La loi de programmation militaire prévoit pour l’instant des augmentations annuelles de l’ordre de 3 milliards d’euros jusqu’à 2030, ce qui porterait le budget à 67,4 milliards d’euros en 2030. Si un effort supplémentaire et d’ores et déjà acté, un rattrapage des chiffres britannique et allemand apparaît assez improbable.