D’exercices en expérimentations, comment l’ALAT intègre les drones dans l’aérocombat
L’heure à l’exploitation tous azimuts du potentiel des drones pour l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT). Mandats et expérimentations se multiplient parmi les régiments d’hélicoptères de combat pour construire la collaboration entre plateformes habitées et inhabitées et démultiplier les capacités de l’aérocombat.
Fini l’hélicoptère, remplacé par un drone moins complexe, moins onéreux et dès lors mieux adapté pour répondre à l’attrition de la haute intensité ? Loin s’en faut, les deux outils ont davantage vocation à collaborer qu’à s’évincer. La dernière édition de l’exercice Baccarat, grand rendez-vous annuel de la 4e brigade d’aérocombat (4e BAC), l’aura encore démontré en intégrant plusieurs drones dans un même espace aérien, du micro-drone de surveillance aux SMDR du 61e régiment d’artillerie et Puma du 32e régiment royal d’artillerie britannique.
Clôturé la semaine dernière, Baccarat était une nouvelle étape dans une dynamique globale visant à intégrer le drone dans la manœuvre tactique. Essentiellement exploratoire, la démarche amène un double enjeu selon le commandant de la 4e BAC, le général de brigade Jean-André Casanova. D’un côté, le défi de la coordination des acteurs de la troisième dimension, ou la capacité à faire voler davantage d’objets dans un espace restreint. De l’autre, le défi de la coopération entre drones et hélicoptères, ou comment tirer le meilleur parti de chacun des vecteurs pour maximiser les effets.
Étape par étape, chaque régiment d’hélicoptères de combat monte en gamme sur la question. À l’instar du reste de l’armée de Terre, tous disposent désormais de leurs propres micro-drones, formation de télépilotes régimentaires à la clef. Ces équipements « du combattant » sont principalement mis à profit pour la surveillance de zone ou des approches d’un poste de commandement, une mission confiée durant Baccarat au système mobilisé par le 3e régiment d’hélicoptères de combat d’Étain. Demain, rien n’empêchera d’étendre le spectre à la protection, par exemple, d’un « Forward Arming and Refueling Point » (FARP), ces stations-service mobiles projetées vers l’avant pour l’avitaillement des machines.
L’intégration volontaire ou non de nouveaux acteurs dans la bulle aéroterrestre nécessite de se pencher sur les problématiques de coordination. Un tel travail a déjà été réalisé à plusieurs reprises au Sahel par tous les régiments. Il s’agit désormais d’adapter les savoir-faire à la haute intensité et à un environnement allant au-delà de la ligne de contact, mission confiée au 3e RHC. Voilà un moment que ce dernier multiplie les expérimentations en lien direct avec le groupement aéromobilité de la section technique de l’armée de Terre (GAMSTAT).
Pour l’adjudant Marina, contrôleuse aérienne au sein du 3e RHC, le drone « est un type de vecteur auquel il faut que l’on s’intéresse particulièrement, notamment en termes de déplacement, de liaison avec le télépilote et de réaction en cas de panne. C’est une gymnastique supplémentaire ». Deux enjeux s’imposent d’eux-même : celui de la communication avec un télépilote qui n’a pas nécessairement le visuel sur sa machine, et celui de l’anticipation des événements en gestion de trafic tout en respectant le cadre tactique.
« La doctrine française est bien faite pour admettre tout ce qui vole. Ce qui change, ce sont nos habitudes et les drones qui se multiplient, mais sinon les principes restent les mêmes », observe le capitaine Guillaume, officier 3D du 3e RHC durant Baccarat. « Nous devons davantage coopérer mais les outils existent déjà », explique-t-il en écho à l’ « Integrated Command and Control », ce logiciel de l’OTAN conçu pour la programmation et la conduite des opérations aériennes. En théorie réservé aux échelons de commandement supérieurs, l’ICC est depuis peu descendu à l’échelon régimentaire dans l’ALAT. Nécessaire pour une coordination optimale, l’atteinte de ce niveau de granularité se traduit in fine par un gain d’agilité et de réactivité pour le chef tactique, note le capitaine Guillaume.
La collaboration, enfin, revient à définir « comment nous pouvons utiliser des drones qui existent déjà pour renforcer l’efficacité de nos appareils », résume le général Casanova. Hélicoptères et drones ont chacun leur utilité, leurs points faibles et points forts. Quand les premiers l’emportent en matière d’élongation et d’emport, les seconds représentent un « gain important dans le domaine tactique, car il est bien moins détectable qu’un hélicoptère et s’avère plus économique au vu du coût de l’heure de vol », rappelle l’adjudant Marina. Combiner l’un et l’autre devrait donc permettre de répondre à certains des challenges imposés par l’action dans la profondeur face à un ennemi à parité.
Cette « dronisation » de l’aérocombat est « le sujet le plus complexe parce que nous sommes presque imbriqués, mais aussi le plus exaltant car il implique de nouvelles procédures et l’achat de nouveaux matériels. C’est un nouveau domaine que nous avons commencé à explorer », indique le COM4BAC. Entre la hauteur de la marche à franchir et l’accélération technologique, la question est d’emblée devenue prioritaire pour l’ALAT.
Du leurrage à l’illumination, plusieurs applications sont simultanément à l’étude. Projeter des Tigre et des Caïman dans la profondeur du dispositif, c’est s’assurer de les exposer à un maillage de défense sol-air dense et potentiellement infranchissable. Plutôt que de s’y frotter, l’ALAT cherchera à créer une brèche à distance en misant sur le drone FPV, cette « bombe volante » pilotée à distance, abondamment utilisée en Ukraine et, surtout, susceptible de prolonger l’armement embarqué de l’hélicoptère.
Autre piste, le drone-leurre agira pour attirer les radars et autres capteurs adverses vers d’autres objets que les hélicoptères. Cette manœuvre de déception, « nous la travaillons déjà tactiquement via la simulation », avec pour objectif de déterminer le drone capable de simuler la surface équivalente radar d’un hélicoptère en vol. Aux industriels d’ensuite prendre le relais pour proposer une contre-mesure active abordable car « jetable » et apte à être programmée pour réaliser des vols en patrouille.
Si le 3e RHC est en pointe de l’effort mandaté par l’état-major de l’armée de Terre, il reviendra au 1er régiment d’hélicoptères de combat d’explorer une troisième voie, celle du « drone illuminateur ». Un « oeil déporté » chargé d’aller sur l’avant pour illuminer une cible et guider une frappe tout en permettant au Tigre de rester en retrait. Pour l’instant totalement exploratoire, l’idée aboutit déjà à une ébauche de solution et à de premiers liens avec des industriels du cru.
L’approche se veut progressive. « Nous avons déjà franchi un certains nombres d’étapes que je fixe moi », poursuit le général Casanova. « Aujourd’hui, nous sommes capables de télépiloter un drone FPV depuis la soute ou la place arrière d’une Gazelle ». Il s’agira ensuite d’arriver à le larguer et à le prendre en compte immédiatement depuis la soute pour le piloter. Et, plus tard, d’imaginer comment poser la charge dessus sans menacer la sécurité de l’appareil. Le drone FPV préfigure en quelque sorte l’arrivée des munitions téléopérées, « ces MTO qui, demain, pourraient être mises en oeuvre depuis les paniers de roquettes d’un Tigre, par exemple ». Autant de succès initiaux d’où émergeront les briques qui viendront alimenter un projet d’ensemble : celui du drone d’aérocombat, une ambition cette fois portée en dehors de la 4e BAC.
Crédits image : GAMSTAT