Du Génie dans les opérations en Ukraine (en cours)
publié le 7 mars 2022 par – Mars attaque
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Réserves introductives d’usage évidemment : avec le brouillard de la guerre obscurcissant des pans entiers des opérations, un manque de recul surtout sur les aspects micro-tactiques des opérations (et une meilleure visibilité – toute relative – sur le niveau opératif et stratégique), de nombreux biais possibles d’analyse, une situation dynamique et évolutive, des courbes d’apprentissage en cours des deux côtés…
Le Génie est une arme servant, à la pelle, à garantir la liberté d’action des forces amies et à réduire la capacité de manœuvre adverse. Elle peut, en théorie, mettre à disposition de la force, en phase offensive comme en phase de stabilisation, une boite à outils de capacités extrêmement variées.
Intégrant les composantes « combat » et « infrastructures » (qui sont séparées en France), l’arme du Génie dans les forces armées russes est une subdivision propre, qui a, comme d’autres composantes, connue une modernisation relative au cours des dernières années (en quantité et en qualité), notamment matérielle (nouveaux robots, ponts, blindés de bréchage…).
Crédits : Oryx. Protection sommaire sur un moyen de franchissement du Génie de l’armée russe.
Les unités russes du Génie, au déclenchement de la nouvelle phase d’invasion de l’Ukraine en février, bénéficient, en théorie, du retour d’expérience des opérations menées en Ukraine depuis quelques années (avec un fort focus sur la partie protection de la force) et en Syrie (avec un fort focus sur la partie déminage / dépollution).
Alors que les moyens du Génie étaient bien observés (notamment via le renseignement d’origine image des satellites) dans la phase de montée en puissance/pré-positionnement/entraînements pré-déclenchement des opérations, il y a, à ce jour, une très faible observation depuis de l’engagement de moyens Génie : rares ponts mobiles (sur camions ou blindés, type TMM-3 ou PMP) – peu ou pas utilisés, peu ou pas de blindés de déminage/bréchage, peu de moyens d’aménagement du terrain type tracteurs, bulldozers, etc. (des KamAZ, ou BAT-2), peu de moyens de déminage portatifs, etc. Que cela soit dans les images/vidéos des pertes sur le terrain, des convois circulant en territoire ukrainien, des images de la communication opérationnelle russe (plus nombreuses depuis quelques jours pour reprendre l’offensive aussi dans ce domaine), etc.
Une impression et des observations venant plutôt rejoindre l’analyse d’une surprenante faible intégration interarmes, relevée depuis le lancement des opérations, dans les détachements russes. Avec des colonnes de moyens infanterie/cavalerie, avec peu ou pas de moyens Génie d’appui au combat, et, au final, un manque d’indices sur une utilisation effective du Génie en phase offensive.
Sur-utilisant les axes (potentiellement pour diverses raisons, notamment : climatiques (boues, pluies et neiges), réflexion tactique relative, absence de besoin de contourner des dispositifs adverses…), les détachements russes cherchent peu ou pas à déboucher « dans la verte » et à couper à travers champs ou à passer les coupures humides hors des ouvrages d’art. N’utilisant donc pas les moyens de franchissement, pourtant plutôt nombreux aux frontières de l’Ukraine au déclenchement de l’offensive.
Face aux embuscades, simples ou sophistiquées (avec obstacles piégés, abattis, bouchons de mines, etc.), les capacités en ouverture d’itinéraires semblent être peu/pas utilisées (des capacités qui, si elles ralentissent le rythme de la manœuvre – ce qui est de moins en moins recherchée comme un préalable une fois la surprise passée, garantissent pourtant une meilleure sureté).
Sur les toutes 1ères bases avancées russes installées sur le territoire ukrainien, peu ou pas de postes de tirs protégés sont visibles, ni systèmes de fortifications plus ou moins développés (à base de bastion walls, abris, postes de tirs aménagés, etc.), les blindés ne sont pas embossés en phases de stationnement, etc. Des mesures de protection sommaire à confirmer, avec les possibles futures contre-attaques, attaques de postes, opérations spéciales sur les arrières, fronts qui se figent, etc.
Des zones de mises en batterie d’artillerie (pour la partie artillerie de courte/moyenne portée) aux protections elles aussi relativement sommaires, avec peu de zones protégées pour les mises en batterie des pièces, pour enterrer les réserves de munitions, se protéger des tirs de contre-batterie, pour les postes de commandement enterrés, etc.
Plusieurs hypothèses à cela (avec une liste non exhaustive, mais alors, vraiment non exhaustive).
1/ Cf. les réserves en introduction. Le manque d’informations, à chaud, conduit-il à des observations biaisées que le temps long de l’analyse rétrospective viendra contredire ? Avec notamment des informations (relatives) disponibles surtout (globalement) sur le front Nord/Est plus que sur le front Sud (et des physionomies peu similaires entre les deux axes d’efforts).
2/ Les possibles futurs combats en zone urbaine à grande échelle, notamment pour la partie déminage/dépiégage/dépollution, pourraient obliger à une utilisation plus forte des moyens (particuliers) du Génie (surtout avec l’utilisation possible de pièges, IEDs ou autres, qui semblent apparaitre plus depuis quelques jours, en villes, mais pas seulement).
3/ Les transitions en cours, entre la phase de poussée initiale (plutôt désordonnée) et la phase secondaire (un nouvel échelon envoyé, une approche plus méthodique, un plus fort appui des moyens d’artillerie, des opérations face aux « kystes urbains », des lignes qui à certains endroits se figent en zones péri-urbaines…), avec en parallèle la transition vers la techno guérilla côté ukrainien, pourrait changer la donne concernant le Génie, et contraindre à des évolutions. Faute de quoi…
4/ Les moyens Génie russes sont, historiquement, plutôt rattachés au niveau des grandes unités (avec des bataillons / régiments du Génie au niveau des corps/groupes d’armée ou divisions), gérant (au moins lors des grands exercices vitrines) des opérations propres. Des séquences plutôt peu ou pas combinées avec les autres armes, par étapes, en détachant peu ou pas de capacités au niveau des unités en-dessous (bataillons/compagnies). Soit une intégration interarmes encore perfectible pour vraiment apporter toute sa plus-value. Cela sera-t-il amené à changer ?
Fin, mais loin d’être la fin (car il est évidemment trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur les capacités des uns et des autres, leur utilisation, leur niveau de déploiement en quantité, de juger au-delà des séquences de mise en valeur de quelques exemplaires de matériels, etc.). A suivre donc…