Faux CAESAR et autres idées pour doter l’épée d’un bouclier
Non, le CAESAR n’est pas invulnérable. Comme tout équipement militaire engagé dans un conflit tel que celui qui se joue depuis bientôt deux ans en Ukraine. Loin de rester les bras croisés, les industriels du secteur planchent sur un éventail de réponses, dont celle du leurre gonflable.
Faux CAESAR
Passés 300 à 400 mètres, impossible pour l’œil peu ou non averti de distinguer ce CAESAR très particulier d’un autre. Menace parmi d’autre, un drone aurait lui aussi du mal à discriminer le vrai du faux. Du moins, c’est le pari proposé par ce leurre gonflable de nouvelle génération, une première pour le système d’artillerie français. De dimensions identiques à son pendant réel, ce leurre ne pèse par contre qu’une cinquantaine de kilos. Sa mise en œuvre ne nécessite que dix minutes à deux personnels formés. Idem pour son reconditionnement avant déplacement, démonstration à la clef lors du lancement du club CAESAR organisée le mois dernier à Canjuers (Var).
Tactique ancienne quelque peu oubliée par la plupart des armées, le leurrage est revenu au goût du jour au cours d’un conflit russo-ukrainien où « rien ne peut se faire sans être immédiatement détecté par les yeux de l’ennemi », nous rappelle un industriel du secteur. Dans pareil contexte, protéger les armements différenciants, tromper l’ennemi sur ses intentions ou sur l’envergure de ses capacités redevient essentiel. Pour approfondir, mieux vaut se tourner vers « Les opérations de déception » du colonel Rémy Hémez, spécialiste de la question et actuel chef de corps du 3e régiment du génie.
Apparue il y a un peu plus d’un an, l’idée nécessitait de s’adosser à un industriel expert du segment. Et qui mieux qu’Inflatech, société créée en 2014 en République tchèque, pour y répondre ? Quand l’Occident avait quelque peu perdu de vue le sujet, les pays d’Europe de l’Est ne s’en sont jamais totalement détournés. Le savoir-faire s’y est conservé et revit aujourd’hui par ce spécialiste à la fois du sur-mesure et de la série.
Cible de haute valeur pour la Russie, l’artillerie automotrice ukrainienne repose notamment sur une cinquantaine de CAESAR 6×6 et 8×8. Il était donc naturel de rajouter cette référence à une gamme comprenant de plus en plus de systèmes occidentaux, dont le char Leopard et le lance-roquettes HIMARS. L’armée tchèque est par ailleurs un client majeur, avec 52 pièces 8×8 commandées et une production en série qui devrait démarrer d’ici à l’été 2024.
Le retour de cette technique de déception exigeait néanmoins une mise à jour pour tenir compte du développement et de la prolifération des systèmes de guerre électronique et de détection. Outil multispectral, ce CAESAR factice va au-delà du visible et intègre un système interne de diffusion d’air chaud afin d’en recopier la signature thermique. Enfin, des réflecteurs habillement positionnés participent à imiter la surface équivalente radar (SER) pour brouiller les pistes dans le champ électromagnétique.
Inflatech détient la capacité de concevoir un leurre rapidement en partant d’une feuille blanche. Un mois de travail aura suffit pour le CAESAR. Conséquence de cette réactivité, l’entreprise engrange auourd’hui des commandes par centaines d’unités. Un pays du Golfe lui commandait récemment 400 leurres. Des volumes peu surprenants au vu du faible investissement demandé, un système factice ne coûtant que quelques dizaines de milliers d’euros en moyenne.
Dans l’armée de Terre, le leurrage ressort progressivement des cartons à l’aune d’expérimentations ciblées essentiellement conduites par la 11e brigade parachutistes. L’an dernier, plusieurs de ses régiments avaient profité de l’exercice Manticore pour éprouver de premières idées, tel que ce camion GBC 180 camouflé en CAESAR par le 35e régiment d’artillerie parachutiste.
Surfant sur cette vague, Inflatech s’est d’emblée rapproché d’une entreprise française pour promouvoir l’idée auprès de l’armée de Terre, laquelle envisagerait d’établir un bataillon de leurrage à Lyon auprès du Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE). Si l’intérêt est marqué, reste à passer la seconde en lançant éventuellement une évaluation technico-opérationnelle. Et, pourquoi pas, ensuite élargir le spectre ? Passé le CAESAR, d’autres matériels seraient en effet éligibles de part leur rareté et leur valeur sur le terrain, à l’image du Griffon EPC, d’engins de franchissement, du successeur du lance-roquettes unitaire et, bien sûr, du char Leclerc.
Une riposte modulaire
Ce CAESAR factice n’est qu’un pan de l’éventail de contre-mesures disponibles ou en développement présentées en novembre à Canjuers. Certaines améliorations déjà actées découlent de retours d’expérience engrangés avant le conflit russo-ukrainien. Le lancement du standard 2 du CAESAR 6×6 était officialisé cinq jours avant que les forces russes ne franchissent la frontière ukrainienne. Il amènera une cabine blindée et un moteur de 460 ch, annonciateurs d’une meilleure protection passive pour l’équipage et d’une plus grande mobilité. D’autres briques pourront concourir à sa protection, à l’instar du brouilleur anti-IED BARAGE et du détecteur d’alerte laser ANTARES de Thales.
À l’image du leurre, le système s’entoure progressivement d’une « bulle » de survivabilité conçue en allant piocher un peu partout dans la filière. Présenté l’an dernier, l’exemple de Solarmtex a depuis lors bien progressé. Partant d’un besoin exprimé par un utilisateur CAESAR du Moyen-Orient, l’entreprise de Vierzon (Cher) mettait au point un complexe textile multicouche capable d’emprisonner de l’air pour créer des barrières thermiques. Ce qui répondait à l’origine à l’enjeu de conservation du système dans des températures maîtrisées pour en garantir les performances est aussi devenu une solution de réduction de la signature thermique.
Conduite depuis plusieurs années, cette voie parallèle doit permettre de mystifier les capteurs adverses en redéfinissant la cartographie thermique. En découle une technologie mature livrée sous forme de kit prototype à des fins de tests. Réalisés par Nexter en lien avec l’armée de Terre et la Direction générale de l’armement (DGA), ces essais sur CAESAR 6×6 ont démontré une réduction de 9° C sur le canon après un tir, ce qui est suffisant pour maintenir le système en dessous de 40° C. L’intérêt confirmé, Solarmtex se positionne aussi sur le 8×8 mais « avec des besoins potentiellement différents ».
Menaces majeures, drones et munitions téléopérées exigent des répliques précises. Là aussi, les industriels sont forces de proposition. Inutile de revenir sur cette version « lutte anti-drones » du blindé Serval, véhicule d’accompagnement que Nexter propose d’armer d’un tourelleau téléopéré ARX 30 et d’un fusil anti-drones. Côté capteurs, de nouveaux radars apparaissent en complément d’un COBRA en service depuis près de deux décennies. Exemple à Canjuers avec le Ground Master 200 Multi Mission Compact (GM200 MM/C) de Thales adopté par les Pays-Bas, la Norvège et le Danemark.
Nexter et Thales se sont par ailleurs rapprochés pour accélérer la boucle OODA (observer, s’orienter, décider et agir). Acquisition de cible, coordination des feux, feux et évaluation sont fluidifiés grâce à de nouveaux outils « maison », que sont les évolutions du logiciel ATLAS, la jumelle multifonction Sophie Ultima ou encore le micro-drone Spy’Ranger. Résultat espéré : un gain de réactivité, un adversaire pris de vitesse et une contre-batterie contrecarrée.
Cette accélération était au cœur d’un exercice de préparation opérationnelle conduit en novembre à Canjuers par le 40e régiment d’artillerie (40e RA). « Du 6 novembre au 5 décembre, dans le cadre d’une préparation à la projection, les artilleurs ont concrétisé l’accélération de la boucle renseignement-feux par l’action combinée de bout-en-bout des drones SMDR [Spy’Ranger 330] et de canons CAESAR », déclarait alors le ministère. Une manoeuvre de réglage des tirs par drone qui relevait jusqu’alors d’expérimentations. D’autres applications sont dans le viseur du Spy’Ranger, dont les capacités de géolocalisation sont compatibles avec la munition de 155 mm guidée Katana en cours de développement chez Nexter.
Tout comme l’invulnérabilité, la réponse parfaite n’existe pas. Chacune ne se focalise que sur une ou, parfois, plusieurs menaces. Déployées séparément, elles seront inévitablement insuffisantes et c’est bien leur combinaison qui offrira à l’épée le bouclier le plus réactif, évolutif et résilient.