Guerre économique et extraterritorialité : l’Europe doit renforcer son arsenal juridique

Guerre économique et extraterritorialité : l’Europe doit renforcer son arsenal juridique

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par Guy-Alexandre Le Roux – Revue Conflits – publié le 21 décembre 2024

https://www.revueconflits.com/guerre-economique-et-extraterritorialite-leurope-doit-renforcer-son-arsenal-juridique/


Une nouvelle étude de l’Institut Montaigne aborde la question de l’extraterritorialité. Sur ce sujet stratégique pour l’économie mondiale, les États européens et l’UE manquent d’un arsenal défensif et offensif, au détriment des entreprises européennes.

Une déstabilisation juridique internationale

L’extraterritorialité désigne la capacité d’un État à appliquer ses lois au-delà de ses frontières, souvent au nom de l’intérêt national. Le principe est toléré en droit international au nom de la « théorie des effets », une extension du principe de territorialité selon laquelle « le droit de la concurrence peut avoir une application extraterritoriale lorsque des actions menées à l’étranger ont un effet direct et substantiel sur la concurrence sur les marchés intérieurs ». Aux États-Unis, des lois comme le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) ou le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA) s’imposent à des entreprises étrangères dès lors qu’elles utilisent des services financiers américains ou opèrent sur des marchés clés. Ces mesures établissent de fait un contrôle indirect sur les économies. Et, en cas de litige, il n’existe aucun instrument pour arbitrer.

En Relations internationales, la sécurité repose toujours sur la force, surtout lorsqu’il n’existe pas d’arbitres. La Chine a donc développé un arsenal juridique similaire, illustré par sa loi sur la sécurité nationale de Hong Kong. Les règles imposées par ces deux grandes puissances ne se contentent pas de défendre leurs intérêts : elles redéfinissent les rapports de force économiques mondiaux, au détriment de l’autonomie européenne.

Les entreprises européennes, premières victimes

Les conséquences pour les entreprises européennes sont lourdes : amendes exorbitantes, exclusion des marchés internationaux, et même transferts forcés de technologies sensibles. L’affaire Alstom est emblématique. En 2014, la branche énergie de la multinationale française a été acquise par General Electric dans un contexte de pressions judiciaires américaines liées au FCPA. Derrière ces litiges se profile un impératif stratégique : fragiliser les champions industriels européens.

L’application extraterritoriale de lois, notamment dans le domaine des sanctions économiques, se traduit également par une entrave au commerce international. Les entreprises de l’UE, naviguant entre des régimes juridiques conflictuels, doivent allouer des ressources considérables pour rester en conformité, au détriment de leur compétitivité.

Il faut croire que le retour de D. Trump à la Maison-Blanche sur la promesse de renforcer le dollar va doper l’agressivité de l’extraterritorialité américaine.

Un débat européen embryonnaire

Face à ces menaces, il est nécessaire que les États de l’UE se musclent. La question est de savoir qui doit s’en occuper, les instances européennes ou les États ? Pour protéger leur souveraineté et leurs entreprises, les États sont méfiants vis-à-vis des interventions de la banque centrale européenne. Mais, leur arsenal juridique est trop faible ou limité.

L’UE ne dispose que de mesures défensives, comme le règlement de blocage, qui limite l’application de sanctions étrangères sur le territoire européen. Toutefois, cette approche reste insuffisante. La stratégie récemment présentée par la Commission européenne sur la sécurité économique en juin 2023 n’intègre toujours pas une réponse offensive à l’extraterritorialité.

Les divisions internes de l’Union, alimentées par des visions divergentes entre États membres, ralentissent tout consensus. Certains, comme la France, appellent à une réponse européenne coordonnée, tandis que d’autres craignent d’éroder leurs relations transatlantiques ou de déléguer davantage de compétences à Bruxelles.

Vers une stratégie européenne offensive ?

L’adoption récente d’instruments de défense commerciale, tels que l’Instrument anticoercition (IAC), pourrait marquer un tournant. Le chemin vers une approche offensive que préconise l’Institut Montaigne reste semé d’embûches. Cela ne va pas de soi, car il est inscrit dans l’ADN de l’UE de ne recourir à aucune forme d’extraterritorialité offensive. Cette spécificité européenne pourrait changer.

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