Guerre russo-ukrainienne et propagande : la stratégie ukrainienne de communication par la peur face à la stratégie russe de la terreur

Guerre russo-ukrainienne et propagande : la stratégie ukrainienne de communication par la peur face à la stratégie russe de la terreur


 

Ceux qui prennent le parti de l’Ukraine aujourd’hui le font sans nuance et sans prise en compte de l’ensemble des faits, rendant les arguments peu crédibles notamment sur les questions militaires où les méconnaissances, sinon le manque d’humilité, expriment des réponses bien peu objectives et même contradictoires au fil des semaines. Cette situation au quotidien montre cependant une stratégie ukrainienne de communication par la peur dans le but de préserver le soutien des opinions publiques occidentales face à la stratégie russe effective de la terreur.

La propagande de guerre, un peu dans mon domaine d’expertise, conduit par exemple des intervenants (et ce n’est pas la première fois) à demander l’interdiction de la « parole » russe sur les plateaux médias français (Cf. LCI 15h-17h). Seules les positions pro-ukrainiennes devraient s’exprimer, oubliant peut-être que la France n’est pas en guerre contre la Russie et que le fonctionnement d’un État démocratique permet le débat… Si l’on suit notamment les réseaux sociaux aux commentaires peu élaborés et souvent émotifs, cette stratégie est toute aussi offensive, bien souvent avec une grande faiblesse argumentaire, pour faire taire ceux qui exprimeraient des avis contraires aux éléments de langage ukrainiens, privilégiant l’indignation, l’émotion et non la réflexion à partir de faits.

A ce titre, l’exemple de la communication sur la reprise possible de la ville de Kherson au sud de l’Ukraine par l’armée ukrainienne est un exemple intéressant. Cette ville sera vraisemblablement le lieu d’une bataille qui peut s’avérer majeure pour la suite du conflit. Ce cas concret, mais il y en a d’autres, montre la mise en œuvre de cette propagande à travers les « angles » de la population civile et du droit international : la population civile ukrainienne quittant la ville de Kherson n’est pas « évacuée » mais serait « déportée ». Certes, cela est une interprétation possible.

En soi, pour une raison militaire, cette évacuation est pourtant compréhensible et ne peut être assimilée à une déportation : cette population civile devenue « russe » par l’annexion du territoire, ce qui est aisément contestable, se trouve dans une zone de combat. Il semble légitime dans ce contexte d’éviter les pertes sinon de prendre en charge cette population qui est considérée comme russe par les Russes. Néanmoins, une partie de cette population n’accepte pas cette situation. La possibilité de rejoindre la partie contrôlée par l’armée ukrainienne aurait pu être organisée par la mise en place de corridors humanitaires certes à la sécurité loin d’avoir été prouvée par ailleurs dans ce conflit (Cf. Marioupol). Mais cette solution du point de vue militaire n’est pas acceptable car elle offrirait une forte capacité de renseignement aux Ukrainiens sur les positions militaires russes. Elle gèlerait en outre les opérations permettant aux uns et aux autres de réorganiser leurs forces.

En ce 24 octobre, le contexte militaire de Kherson amène donc trois hypothèses qui impliquent directement les populations civiles. Ainsi :

  1. Soit les forces russes se retirent de Kherson sans combat pour préserver des capacités militaires importantes et indispensables (10 à 15% des forces expéditionnaires) mais cela peut conduire à la chute politique de V. Poutine. Cette retraite paraît donc peu vraisemblable. Dans cette hypothèse néanmoins, les personnes au moins prorusses sont à évacuer. Peu de témoignages objectifs remontent aujourd’hui sur une contrainte physique exercée sur la population, peut-on se fier en effet aux chiffres annoncés par le gouvernement ukrainien ou bien les ONG qui n’ont pas accès à la zone des combats ? Restent les contraintes psychologiques : destruction du barrage de Kakhovka et menaces d’inondation massive selon les Ukrainiens, frappes d’artillerie sur la ville selon les Russes, frappe nucléaire russe sur Kherson selon l’ambassadeur d’Ukraine à Paris ce 22 octobre… Remarquons que la propagande de guerre autour des risques sur l’avenir du barrage est par bien des points similaires à celle qui dramatisait la situation de la centrale nucléaire de Zaporijiia d’août 2022, notamment dans la recherche par la partie ukrainienne d’une internationalisation du conflit. Autour de ces exemples, une étude comparée sur la propagande serait sans aucun doute bien intéressante ! De fait, prorusse ou non, la population est conduite à quitter cette zone potentielle de combat. Est-ce pour autant une déportation selon les termes employés par la propagande ukrainienne ou une évacuation selon la propagande russe ?
  2. Soit les forces russes adossées au Dniepr avec peu de renforts, de soutien logistique mais aussi de possibilités pour se retirer en ordre reçoivent l’ordre de se battre jusqu’au bout dans cette zone urbaine, sans exclure un siège par les forces ukrainiennes. Ce combat sera vraisemblablement favorable à des troupes russes retranchées, coûteux en soldats ukrainiens dans la reconquête d’une ville qui ne sera sans doute pas reconquise quelques semaines, c’est-à-dire avant la mauvaise saison, sauf si l’armée russe s’effondre. Dans ce contexte, les civils présents prorusses ou non seront soumis aux conséquences des combats. Le fait de les laisser quitter la ville est-il une forme de déportation ou simplement leur mise à l’abri certes dans des conditions discutables ? Puis-je rappeler qu’il y a quelques mois le président Zelenski avait demandé aux populations civiles ukrainiennes de ne pas quitter les zones de combat à l’Est de l’Ukraine.
  3. Une dernière hypothèse extrême ne peut être exclue : celle de l’abandon de la ville par les Russes pour laisser les troupes ukrainiennes s’installer pour les bombarder, les « noyer » ou les « nucléariser ». Ces solutions apparaissent pourtant peu crédibles : les bombardements classiques ont montré une efficacité limitée ; une inondation par la destruction du barrage Kakhovka pénaliserait chaque camp ; une frappe nucléaire, sinon une bombe « sale », amènerait des représailles conventionnelles américaines dont nul ne peut douter de l’efficacité mais aussi une contamination du Dniepr, certes inimaginable aujourd’hui sans toutefois en exclure l’hypothèse. Quelle que soit la solution choisie, la population présente doit quitter la zone pour sa survie.

Bref, évoquer la « déportation » des Ukrainiens de Kherson révèle une certaine forme de duplicité par l’instrumentalisation du droit international qu’il nous faut préciser dans ce contexte. Le droit issu principalement de la seconde guerre mondiale est d’influence occidentale, exprimé notamment dans les conventions de Genève et autres textes adoptés par la communauté internationale. A travers les guerres qui ont eu lieu depuis, chacun pourra constater que le temps de la guerre montre de graves défaillances dans l’application du droit, y compris par les occidentaux certes d’un niveau moindre. Il ne paraît plus adapté aux relations internationales d’aujourd’hui dans la mesure où un droit sans être garanti par la force laisse la place au seul recours à la force sans tenir compte du droit.

C’est ce que ne comprennent pas nos adeptes d’un droit international qui serait tout puissant oubliant qu’il n’est puissant et exécutoire qu’accompagné de contraintes efficaces sinon crédibles. La référence à des concepts et les mots afférents destinés à susciter l’émotion et le soutien de l’occident par l’indignation comme « crimes de guerre », « génocide », « déportation » aux fortes connotations avec la Seconde Guerre mondiale, n’ont pas tous les effets attendus au moins parce qu’ils sont instrumentalisés sans nuance par les deux camps. Il y a eu des crimes de guerre russes mais pour autant les civils restés dans les zones de combat, notamment dans les villes, sont-ils des victimes de crimes de guerre sauf s’ils sont visés sciemment comme c’est le cas de la stratégie russe de la terreur.

Cette « idéologie juridique » occidentale de se rattacher à des principes, certes louables, qui ne peuvent en temps de guerre avoir une stricte application pratique sauf par nos États face à ceux qui ne respecteront pas ces règles, confirme que ce droit n’est plus adapté et sera de plus en plus contesté par les nouvelles puissances. Cela signifie aussi que nous ne devons pas nous enfermer « intellectuellement » dans nos principes face à la réalité de la guerre. L’usage inconsidéré de termes forts du droit international se rattachant à nos principes contribue à une propagande qui ne devrait pas exister dans nos démocraties et fragilise nos positionnements notamment face à nos opinions publiques qui ne sont pas dupes.

Sur le point particulier de la « déportation » des populations de Kherson, la question suivante se pose : pour rester en conformité avec le droit international prôné par la partie ukrainienne et tous leurs soutiens, ce qui peut se défendre dans l’absolu, doit-on laisser les civils sans protection en zone de combat ? Rappelons-nous toutes les critiques justifiées par ailleurs dénonçant des civils tués dans les villes conquises hier par les Russes. Ceux-ci, au moins pour des raisons militaires, évacuent la population ukrainienne sous autorité russe aujourd’hui. Qu’aurait-il fallu faire ? Les laisser sur place ?

Pour conclure, si personne ne veut que des civils soient tués dans les combats, ne faudrait-il pas mieux se battre hors des villes, zone qui focalise l’attention de beaucoup, ce qui est valable aussi bien pour les Ukrainiens que pour les Russes mais qui oublie que plus de 65% de l’humanité vit dans les villes sans que la guerre ne soit bannie. Cette proposition se heurte à la réalité des villes qui sont des objectifs primordiaux pour ce qu’elles apportent : protection, logistique, administration, population, économie… ? La guerre se fera dans les villes qu’on le veuille ou non.

Bref, la guerre continue y compris celle de l’information sur laquelle nous (« je ») devons être vigilants. Hormis les « fake news », une propagande efficace a toujours un fond de vérité, des faits le plus souvent mais que le propagandiste présente de telle façon que le sens en est biaisé pour influencer son public-cible. Cette guerre russo-ukrainienne est donc riche en exemples qui nous seront utiles pour choisir la réflexion et non l’émotion pour agir.

Enfin, je vous invite à écouter cette intervention de V. Fédorowski, sur Public Sénat : https://youtu.be/mstgOaabXns, notamment lorsqu’il aborde la propagande au début de son intervention.