Kiev a ouvert une enquête sur des désertions au sein de la brigade formée et équipée en partie par la France

Kiev a ouvert une enquête sur des désertions au sein de la brigade formée et équipée en partie par la France


Le 18 décembre, à l’issue d’un entretien avec son homologue français, Emmanuel Macron, à Bruxelles, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky a annoncé qu’une accord venait d’être trouvé pour former une seconde brigade interarmes en France.

« J’ai exprimé ma gratitude à la France pour la préparation d’une brigade pour notre armée et nous sommes convenus de poursuivre cette coopération et de préparer une brigade supplémentaire », a en effet affirmé M. Zelensky. Et de préciser que « l’accent serait clairement mis sur le renforcement des capacités de défense aérienne ».

Le 6 juin dernier, M. Macron avait en effet indiqué que la France allait « former, entraîner, équiper une brigade entière de l’armée ukrainienne, […] ce qui représente à peu près 4 500 soldats ».

Puis, deux mois plus tard, l’armée de Terre mobilisa 1 500 de ses militaires au sein de la « task force Champagne » pour assurer la formation de 2 000 soldats de la 155e Brigade de l’armée ukrainienne, appelée « Anne de Kyiv », dans les camps de manœuvre de « l’Est de la France ».

« Cette formation répond aux besoins exprimés par le partenaire. Pour cela, elle se base sur les retours d’expérience du front russo-ukrainien. Elle s’appuie sur un environnement réaliste, notamment un réseau de tranchées, un environnement de combat en conditions réelles et l’emploi de drones », avait alors expliqué le ministère des Armées.

Devant les députés, en octobre, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, avait défendu une approche s’appuyant sur « une logique de cohérence alliant une formation tactique à l’utilisation des équipements cédés avec leur soutien et leur approvisionnement en munitions ».

« Il est vrai que cela nécessite un engagement fort de l’armée de Terre, ainsi que des soutiens : quand une brigade française vient s’entraîner au camp de Mailly ou de Mourmelon, elle est accompagnée d’une partie de ses soutiens de garnison, qu’ici nous devons fournir. C’est un vrai tour de force du soutien, qui a été parfaitement exécuté », avait précisé le CEMA. « Il y a donc une incidence sur l’activité, mais les partenariats militaires opérationnels, l’instruction et la formation exigent un savoir-faire, qu’il faut maîtriser », avait-il conclu.

 

Équipée de pied en cap, avec notamment 18 AMX-10RC, 128 Véhicules de l’avant blindé [VAB], 18 CAESAr [Camions équipés d’un système d’artillerie], 10 camions TRM et des postes de tir MILAN, la brigade « Anne de Kyiv » a rejoint l’Ukraine en novembre. Seulement, dès son arrivée, et pour une raison qui n’a pas été précisée, son commandant, le colonel Dmytro Ryumshin a été remplacé par le colonel Taras Maksimov. Puis, plusieurs de ses unités ont été dispersées alors qu’elle venait de se déployer dans « la zone des combats », plus précisément dans la région de Pokrovsk [Donbass].

D’où la polémique dont cette brigade a fait l’objet. Députée et membre du même parti que celui de M. Zelensky, Mariana Bezuhla a mis les pieds dans le plat dès le 7 décembre. « Qu’est-il arrivé à la 155e brigade ? », a-t-elle ainsi demandé, via la messagerie Telegram.

« Le sort de la 155e Brigade mécanisée reste le même que celui de toutes les autres ’brigades zombies’ ou ’brigades de papier’, comme on les appelle aussi. On y intègre de force des gens, mais aucune coordination des structures de commandement n’est assurée. Plus tard, l’unité est tout simplement démantelée et rattachée à d’autres, la plupart étant envoyées dans des unités d’assaut, à l’exception de celles ’placées’ à des postes d’état-major par des stratagèmes douteux », a enchaîné la députée.

Et d’ajouter : « Même les efforts français pour spécialiser la brigade n’ont pas pu la sauver des mauvaises décisions militaires de nos généraux, qui l’ont finalement démantelée […] Maintenant, de retour en Ukraine, cette brigade est démantelée comme des organes donneurs pour d’autres brigades ».

Cependant, c’est le taux de désertion au sein de cette 155e brigade qui interroge. Dans un long message publié via Facebook, le 31 décembre, le journaliste ukrainien Iouri Boutoussov, a avancé que 1 700 de ses soldats [sur un effectif total de 4 500] étaient portés déserteurs avant son engagement sur le front, dont 50 durant la formation en France. « Cela a soulevé des questions parmi les dirigeants français quant au sérieux de l’attitude des Ukrainiens à l’égard de la mise en œuvre d’un projet aussi coûteux », a-t-il écrit, assurant avoir « obtenu une quantité importante de témoignages et de documents » durant son enquête.

S’il ne remet pas en cause la qualité de la formation délivrée par l’armée française, le journaliste a accusé le « commandement militaire ukrainien d’avoir failli à la formation initiale de la brigade », laquelle s’est déroulée dans un « chaos organisationnel complet ».

En outre, les pertes importantes subies par la 155e brigade dès ses premiers engagements auraient pu être évitées si, selon lui, certains équipements essentiels [dispositifs de brouillage électronique, drones, etc.] n’avait pas fait défaut. C’est une « attitude criminelle envers la vie des soldats », a-t-il dénoncé.

Étant donné l’ampleur de la polémique et de ses conséquences potentielles pour la formation de nouvelles brigades à l’avenir, les autorités ukrainiennes ont ouvert une enquête.

« Le Bureau d’enquête de l’État examine actuellement les faits diffusés dans les médias dans le cadre d’une procédure pénale engagée en vertu de l’article 426-1 [abus d’autorité ou de pouvoirs officiels par un militaire] et de l’article 408 [désertion] du Code pénal de l’Ukraine. L’enquête est en cours. Pour le moment, il est trop tôt pour parler des résultats, a en effet confirmé Tatian Sapian, sa porte-parole, auprès de l’AFP.

Selon Iouri Boutoussov, l’affaire est suivie de près par le président Zelensky, son ministre de la Défense, Roustem Oumierov, et le général Oleksandr Syrsky, le chef d’état-major des forces ukrainiennes.

Par ailleurs, la 155e brigade n’est pas la seule à connaître de sérieux problème. Le 17 décembre, sur la base d’informations publiées par Ukraïnska Pravda, le parquet général ukrainien a annoncé qu’il avait ouvert une enquête pénale pour « abus de pouvoir » présumés de la part de commandants de la 211e brigade du génie, ces derniers étant accusés d’avoir violenté des soldats qui consommaient de l’alcool durant leur service tout en leur extorquant de l’argent.

Photo : TF Champagne – Ministère des Armées

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