La Chine s’intéresse-t-elle vraiment à la Nouvelle-Calédonie ?

La Chine s’intéresse-t-elle vraiment à la Nouvelle-Calédonie ?

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Dans un rapport rédigé pour un think tank australien, la chercheuse d’origine néo-zélandaise Anne-Marie Brady s’intéresse aux ingérences chinoises en Nouvelle-Calédonie. Selon elle, le Parti Communiste Chinois se livre à des activités qui visent à influencer les élites politiques et économiques pour servir ses propres intérêts, et à utiliser la diaspora chinoise et les entreprises chinoises comme des instruments. Une étude jugée intéressante mais aussi très extrapolée par certains observateurs.

 

Des indépendantistes dans le quartier de la Vallée du Tir à Nouméa.

Des indépendantistes dans le quartier de la Vallée du Tir à Nouméa.

AFP / DELPHINE MAYEUR

La crise politique et sociale perdure en Nouvelle-Calédonie, où les élus locaux ont récemment présenté une facture de 4 milliards d’euros à l’État français pour reconstruire l’archipel dont les émeutes ont ravagé le tissu économique. L’ensemble des groupes siégeant au Congrès en ont profité pour souligner « l’échec du modèle calédonien » justifiant une « réforme de l’ensemble du système économique et social » du territoire. Au cœur des inquiétudes, l’industrie du nickel, l’une de ses principales ressources, mise à mal par la concurrence étrangère. La filière du « métal du diable », comme est surnommé le nickel sur l’île, est en crise.

Fin juillet, le producteur Koniambo Nickel, l’un des trois implantés en Nouvelle-Calédonie, a annoncé qu’il allait jeter l’éponge. L’usine devrait fermer ses portes et licencier 1 200 salariés en cette fin de mois d’août. Dans ce contexte, la Chine est souvent présentée comme un facteur important de déstabilisation de l’archipel. L’Empire du Milieu qui tisse sa toile dans le Pacifique, lorgnerait ainsi sur les réserves de nickel calédoniennes allant jusqu’à soutenir les mouvements kanaks indépendantistes. C’est notamment une des thèses que développe la chercheuse néo-zélandaise Anne-Marie Brady dans un rapport rédigé pour le think tank Australian Strategic Policy Institute et qui porte sur l’influence chinoise en Nouvelle-Calédonie.

La chercheuse, originaire de Nouvelle-Zélande est la première à s’intéresser à ce sujet. Elle affirme que la Nouvelle-Calédonie « présente un intérêt particulier » pour la Chine car c’est un « territoire stratégiquement important pour la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis ». Selon son rapport, « la Nouvelle-Calédonie est désormais dépendante du marché chinois pour ses exportations, ce qui constitue un risque stratégique. Le territoire doit rééquilibrer son économie et revenir à un portefeuille de marchés plus diversifié. »

La Chine veut un monopole sur le nickel

Si la France a dominé au début du XXe siècle le marché stratégique du nickel, les Chinois via l’Indonésie pèsent désormais 75 % de ce marché. Et le meilleur moyen qu’ils ont trouvé pour éliminer la concurrence occidentale, c’est de surproduire pour faire s’écrouler les prix. Djakarta a ainsi « inondé les marchés pour pousser les producteurs calédoniens ou australiens à la faillite et permettrait à l’Indonésie d’acquérir un quasi-monopole sur le nickel et, par extension, un rôle incontournable dans les composants de batteries », indiquait Thibault Michel, chercheur à l’Ifri, dans une tribune du Monde.

Mais si Pékin cherche à renforcer le contrôle qu’il possède sur ce minerai stratégique, il ne faut oublier le rôle des acteurs privés chinois qui ont des intérêts de prédation sur la Nouvelle-Calédonie, et on ne constate pas à ce jour de stratégie de l’Etat chinois derrière ces initiatives.

Une présence militaire française utile mais insuffisante

La chercheuse insiste aussi sur l’importance de la présence militaire française dans cette zone stratégique, au point de faire de la France une véritable puissance de la zone indo-pacifique capable de rivaliser avec la puissance chinoise. Un argument qui plaira sans doute au ministère des Armées dont Sébastien Lecornu avait annoncé en 2022 le renforcement et la modernisation des capacités militaires françaises dans la zone.

Il n’en reste pas moins qu’il convient de relativiser cette présence militaire, de même que la puissance française dans le pacifique. Dans un rapport publié en 2023, des sénateurs parlaient plutôt du « sous-équipement chronique des forces de souveraineté dans le pacifique » à commencer par les forces armées de la Nouvelle-Calédonie. Ils listaient aussi les ruptures temporaires de capacité dans la marine et la nécessité de rénover les bases aériennes, pour optimiser la présence militaire française, jugée largement insuffisante.

Sans oublier que le sujet est politiquement hautement sensible car quand l’armée française annonce le renouvellement de ses capacités militaires, certains groupes politiques locaux ne manquent pas de dénoncer la « remilitarisation » ou la « surmilitarisation » de leur pays. « On ne fera jamais le poids face à la Chine dans cette zone sur le segment militaire même si la présence française est utile compte tenu de la priorité géographique qu’est devenue la zone indo-pacifique autant pour la Chine que pour les États-Unis mais il n’y a pas à ce jour de menace en termes militaires ou de conquête territoriale sur la Nouvelle-Calédonie », estime un chercheur.

Des réseaux chinois peu influents

Anne-Marie Brady cherche aussi à démontrer la proximité du parti communiste chinois avec certains courants indépendantistes calédoniens. Si l’hypothèse d’une indépendance de la Nouvelle-Calédonie – à ce jour encore peu probable — pourrait trouver à long terme un certain intérêt du côté de Pékin, il n’en reste pas moins que le rapport semble surévaluer les velléités réelles d’action sur le territoire calédonien. D’abord parce que si les élites politiques indépendantistes sont ouvertement invitées à Pékin pour des colloques, les actions réelles de lobbying du pouvoir chinois sur le territoire calédonien sont très faibles et beaucoup moins marquées que dans d’autres zones d’intérêts français du Pacifique.

« La Chine a évidemment des réseaux d’influence avec l’association d’amitié sino-calédonienne présidée par l’ancienne directrice de cabinet du leader indépendantiste kanak, Roch Wamytan, mais sans efficacité constatée lors des référendums. Par ailleurs, les acteurs locaux cherchent, eux aussi, à instrumentaliser la Chine. Ils brandissent la carte de la Chine comme alternative compte tenu du contexte mais aussi parce qu’ils savent que Pékin est un repoussoir, confie une source bien informée, qui considère que l’intérêt réel de la Chine pour la Nouvelle-Calédonie est largement exagéré. C’est donc beaucoup plus complexe qu’une instrumentalisation par la Chine qui profiterait évidemment de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Mais pousser à ce scénario par des modes d’action politique concrets sur le territoire aurait un coût politique énorme par rapport à tous les pays de la région : Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis d’abord qui regardent de très près la montée en puissance de la Chine mais aussi toutes les îles indépendantes de la région qui craindraient aussitôt une conquête chinoise. »

Peu d’éléments d’ingérence chinoise sur le territoire calédonien

Docteur en géopolitique des territoires kanaks, le chercheur Pierre-Christophe Pantz relativisait lui-même l’influence chinoise en Nouvelle-Calédonie lors d’une interview donnée récemment à un média local : « il y a assez peu d’éléments sur les ingérences concrètes de la Chine en Nouvelle-Calédonie, ou sur le financement de partis politiques même s’il y a de fortes suspicions » avant de conclure que « le fait qu’aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie soit sous pavillon français empêche toute velléité, que ce soit d’investissement ou d’implantation de la Chine dans les territoires français ».

Une façon de nuancer les perceptions des ambitions chinoises à un moment où la Nouvelle-Calédonie, engagée dans un processus d’autodétermination complexe, se trouve à un carrefour critique, marqué par des émeutes qui menacent la cohésion sociale et la souveraineté française sur le territoire.

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