La France a-t-elle vraiment besoin de porte-avions ?

La France a-t-elle vraiment besoin de porte-avions ?

Par Michel Cabirol  | 
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Le porte-avions est avant tout un outil politique puis stratégique, qui possède une capacité d’entraînement auprès des partenaires européens de Paris. (Crédits : Reuters)
Le porte-avions reste avant tout un instrument politique de puissance. Il a également une forte capacité d’entraîner des coopérations en Europe.

Alors que la ministre des Armées Florence Parly a lancé la semaine dernière les études pour la construction d’un nouveau porte-avions, la France en a-t-elle nécessairement besoin ? Les armées ont démontré pendant 18 mois – le temps de la modernisation du Charles-de-Gaulle à Toulon – qu’elle pouvait se passer sur le plan opérationnel d’un tel bâtiment. Et alors même que la France intervient depuis plusieurs mois sur plusieurs fronts dans des opérations extérieures (OPEX) de forte intensité.

Cette rénovation donnera au porte-avions la capacité de poursuivre son activité pendant une vingtaine d’années, jusqu’à un terme situé entre 2035 et 2040. Mais cette capacité sera-t-elle aussi déterminante à cet horizon-là et, surtout au-delà (2040-2080) dans un contexte de ruptures technologiques majeures (missiles hypersonique, les armes à énergie dirigée…). En outre, le prochain porte-avions devra être capable d’accueillir le successeur du Rafale, le système des systèmes SCAF (avions pilotés, drones…).

Des moyens pour se passer d’un porte-avions mais…

Le chef d’état major de la Marine nationale, l’amiral Christophe Prazuck confirme que la France n’a pas été démunie sans son porte-avions. « Que fait-on quand on n’a pas de porte-avions ? Nous sommes moins puissants mais sommes-nous démunis ? Non ! », avait-il assuré devant la commission de la défense en octobre 2017. Ainsi, la France a eu recours par exemple avec plus ou moins de réussite à des missiles de croisière MdCN (frégates multimissions) ayant une portée d’environ mille kilomètres pour aller frapper le régime syrien. Tout comme, les BPC (Bätiments de projection et de commandement) ont déjà servi de plateforme pour les hélicoptères de l’armée de terre pendant l’opération Harmattan pour aller frapper la Lybie.

Des opérations qui ont montré toutefois leurs limites. Dans le premier cas, les frappes des MdCN ont permis de détruire un stock d’armes chimiques mais, comme l’avait rappelé le chef d’état-major de la Marine (CEMM) en octobre 2017, « cela ne permet pas de renouveler des frappes pendant trois mois comme le fait un porte-avions« . Dans le second cas, le rayon d’action des hélicoptères qui est beaucoup plus limité que celle des Rafale du porte-avions, impose au BPC de rester en zone côtière.

Autre moyen, bien plus efficace qui permet de se passer d’un porte-avions, les bases aériennes déployées à l’étranger à proximité des conflits (10 heures de rayon d’actions). A cet égard, Paris a déjà négocié et installé des bases aériennes en Jordanie et aux Emirats Arabes Unis pour aller frapper Daech, tout comme l’armée de l’air dispose de bases en Afrique (Tchad et Niger à Niamey). Des bases aériennes qui mettent à portée des Mirage et des Rafale les cibles pour un ratio coût/efficacité performant. Proche du Mali et au centre du G5 Sahel, la base aérienne de Niamey permet par exemple d’intervenir en 1 heure dans tous les espaces de la bande sahélo-sahélienne. Le porte-avions « n’est pas concurrent mais complémentaire des bases aériennes projetées qui, elles, sont tributaires d’autorisations diplomatiques« , avait fait valoir en juillet 2017 l’amiral Christophe Prazuck.

Le porte-avions, un outil politique

Le porte-avions, une base aérienne mobile, apporte aujourd’hui un plus. Sans porte-avions, la France est « moins puissante », avait affirmé l’amiral Christophe Prazuck. Un tel navire, aujourd’hui unique en Europe (hors Grande-Bretagne qui aura deux porte-avions), est « une capacité qui fait la différence, pour reprendre l’expression du Premier ministre Édouard Philippe », avait-il expliqué le CEMM. Les Etats-Unis et la Chine l’ont bien compris. Pékin pourrait avoir cinq porte-avions en 2030, dont trois à propulsion nucléaire, et Washington souhaite repasser à douze porte-avions (contre onze actuellement).

Pourquoi ? Un tel navire est avant tout un outil politique puis stratégique, qui possède une capacité d’entraînement auprès des partenaires européens de Paris. Clairement, c’est un instrument à la double vocation guerrière et diplomatique. « Je n’ai aucun doute non plus quant à la valeur politique et à la force symbolique d’un porte-avions », a confirmé l’amiral Prazuck. Ainsi, les trois fois où le Charles-de-Gaulle a été déployé pour aller frapper Daech, il a toujours été accompagné par des navires européens – allemands, belges, britanniques et italiens. Le porte-avions reste un atout dans la volonté de la France de promouvoir l’Europe de la défense.

« Sans porte-avions, nous perdrons notre leadership militaire en Europe, notre capacité à entraîner nos partenaires », a estimé le chef d’état-major de la Marine.

Le Charles-de-Gaulle est bien sûr aussi un outil de projection de puissance. Il en a fait la démonstration avant sa rénovation : il a permis à partir de sa position en Méditerranée orientale de frapper Daech depuis les attentats de 2015. « Chaque fois que notre pays a été touché par des attentats, une des réponses a consisté à faire appareiller le Charles de Gaulle pour aller frapper les endroits d’où ces attentats avaient été pensés et commandités », a constaté l’amiral Prazuck. Le Charles-de-Gaulle avait permis de tripler le nombre d’avions présents sur zone contre Daech. Mais cette présence est une volonté politique.

Un prix prohibitif ?

Le porte-avions est-il à la portée d’un budget de la défense français. A priori oui sauf catastrophe budgétaire majeure. Et s’il y a une volonté politique, il y aura forcément un sillage pour le remplaçant du Charles-de-Gaulle. Le coût est évalué « à 4,5 milliards d’euros, ce qui représente – étalé sur 10 ans – 0,02 % du PIB… », a analysé en octobre 2017 le CEMM. Loin, très loin derrière celui du porte-avions USS Gerald R.Ford qui a coûté aux États-Unis la somme record de 12,9 milliards de dollars.

« Cela étant, c’est un investissement extrêmement lourd qui demande une programmation et une volonté affirmée. Donc une décision politique », avait-il expliqué en juillet 2017. Mais calculé à la tonne, une frégate coûterait deux fois plus cher et un sous-marin quatre fois plus. La Marine a remporté une première manche avec le lancement des études du prochain porte-avions mais elle devra encore convaincre de la nécessité d’un tel outil en 2080.