La relocalisation en France d’une capacité de production de munitions de petit calibre se précise
En 2017, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, passa outre les réticences de la Direction générale de l’armement [DGA] en donnant le coup d’envoi d’un projet visant à recréer une capacité française de production de munitions de petit calibre, cette filière ayant disparu avec la fermeture de l’établissement de Giat Industries au Mans, à la fin des années 1990.
Cette décision avait été en partie inspirée par un rapport parlementaire qui, publié deux ans plus tôt, avait demandé si la France pouvait être certaine d’être approvisionnée en munitions de petit calibre en cas de crise majeure. Estimant qu’il n’y avait aucune garantie à ce sujet, ses auteurs recommandèrent de relocaliser une telle filière industrielle en expliquant que cela nécessiterait un investissement de 100 millions d’euros, la rentabilité devant être assurée « à partir d’une production annuelle de 60 millions de cartouches sous réserve qu’un niveau de commandes constant soit assuré durant les cinq premières années ».
Décrit, à l’époque, comme devant être un « acte de souveraineté nationale », le projet de M. Le Drian reposait sur un montage associant NobelSport, spécialiste français des cartouches pour la chasse et le tir sportif, à Thales [via sa filiale TDA Armement] et à Manurhin, fabricant de machines de cartoucherie.
Seulement, après les élections du printemps 2017, et même si un protocole avait été signé par les acteurs concernés, ce projet fut abandonné, avec les mêmes argument qui avaient été avancés pour s’opposer à sa mise en œuvre [viabilité économique non garantie, possibilité de s’approvisionner à l’étranger, complications juridiques au niveau européen, etc.].
Sauf que la crise du covid-19 et la guerre en Ukraine ont changé la donne, comme en témoignèrent les difficultés du ministère de l’Intérieur pour s’approvisionner en cartouches de 9 mm. Aussi, en décembre 2023, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, fit savoir qu’il avait commandé une étude à la DGA afin de « documenter les coûts de la recréation d’une filière » munitions de petit calibre.
Finalement, moins de six mois après, la France signa une lettre d’intention avec la Belgique en vue d’établir une coopération industrielle sur les munitions de petit calibre.
« Cette filière ayant disparu en France, l’objectif est de la recréer en s’appuyant sur les compétences belges. Ce nouveau volet doit comprendre la création d’une ligne d’assemblage de munitions en France et l’achat de munitions directement auprès de l’industrie belge. Les industriels travaillent à ce stade sur les questions de financement de l’investissement, le projet devant démarrer dans les prochains mois », expliqua le ministère des Armées.
Devant les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, le mois dernier, M. Lecornu revint brièvement sur ce dossier. « En ce qui concerne les munitions de petit calibre, les choses avancent bien. Le modèle économique devra englober le ministère de l’intérieur et peut-être même le tir de loisir : il faut des débouchés, pour éviter la situation ayant conduit à la disparition de la filière dans années 2000 », détailla-t-il.
Cette coopération entre la France et la Belgique va sans doute se concrétiser prochainement, en reprenant l’intuition qu’avait eue M. Le Drian il y a près de huit ans. En effet, ce 15 novembre, le groupe FN Browning [dont FN Herstal est une filiale] a confirmé qu’il venait d’entrer en « négociations exclusives » avec l’armurier français Sofisport, l’un des principaux producteurs de munitions de chasse et de tir sportif [via ses filiales Nobel Sport, Cheddite, Maxam, Sofiam, etc.] en vue de son rachat.
« Browning Group, dont les filiales comprennent entre autres FN Herstal et Browning, annonce son entrée en négociations exclusives pour l’acquisition du groupe français Sofisport, leader mondial de la fabrication de cartouches de chasse et de tir sportif et de leurs composants », a en effet annoncé l’industriel belge.
Et d’ajouter : « Le projet de rapprochement repose sur une forte complémentarité industrielle, géographique et culturelle entre Sofisport entreprise française à l’actionnariat familial, et FN Browning Group, détenu par la Région wallonne, une composante de l’Etat fédéral belge ».
L’objectif de cette opération est de constituer un « systémier européen d’envergure mondiale, pleinement intégré dans le domaine des armes légères et des munitions », la complémentarité des deux groupes devant leur permettre de renforcer « leur positionnement concurrentiel, leur performance et leurs capacités de développement, avec des effets favorables au maintien de l’activité et de l’emploi ».
Selon le journal économique belge L’Écho, ce rapprochement entre FN Browning et Sofisport serait susceptible de favoriser la « création d’une nouvelle ligne de production » en France, l’industriel wallon ayant prévu d’installer des capacités supplémentaires « de fabrication de munitions de petits calibres à Herstal et à Zutendaal, en collaboration avec la Défense belge ».
Quoi qu’il en soit, la coopération franco-belge dans le domaine de l’armement terrestre ne cesse de prendre de l’ampleur. Celle-ci a été amorcée par le partenariat stratégique CaMo [Capacité Motorisée] qui vise à rendre les forces terrestres des deux pays parfaitement interopérables grâce au programme français SCORPION. Puis, elle s’est poursuivie avec la reprise d’Arquus par le groupe John Cokerill, en juillet dernier.
« Nous aidons la Belgique sur CaMo et celle-ci nous aide à reconstruire une filière pour les petits calibres. Des rapprochements industriels intéressants ont lieu, notamment entre Arquus et Cockerill. Il s’agit d’un partenariat précieux », avait résumé M. Lecornu lors de sa dernière audition au Sénat.