La Turquie et la Russie s’entendent pour contrôler la frontière turco-syrienne, aux dépens des Kurdes
En août dernier, et afin d’éviter une opération militaire turque contre les milices kurdes syriennes [YPG], par ailleurs membres des Forces démocratiques syriennes [FDS], alors en première ligne face à un État islamique [EI ou Daesh] guettant les conditions propices à sa résurgence, les États-Unis et la Turquie s’étaient mis d’accord sur un mécanisme prévoyant des patrouilles conjointes dans une zone de sécurité située au nord de la Syrie.
Pour autant, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, estimant que les choses n’allaient pas assez vite, menaça à nouveau de lancer une offensive contre les YPG afin d’établir une zone de sécurité d’une profondeur de 32 km dans le nord de la Syrie. À la suite d’un entretien téléphonique avec Donald Trump, son homologue américain, il obtint gain de cause.
Le 7 octobre, la Maison Blanche annonça le retrait des forces spéciales américaines du secteur où Ankara comptait mener son offensive, avec l’appui de supplétifs syriens. Deux jours plus tard, Ankara lançait l’opération « Source de paix ». Et peu importe ce que M. Trump a pu déclarer par la suite, le résultat est que les Kurdes syriens ont été lâchés par les États-Unis, lesquels ont fait cavalier seul étant donné que leurs partenaires de la coalition anti-jihadiste qu’ils dirigent ne furent pas préalablemement informés de leurs intentions.
Cela étant, l’opération turque fut vivement et fermement condamnée, non seulement par la plupart des pays européens membres de la coalition mais aussi par des élus et d’ex-responsables militaires américains. Et cela parce qu’elle risquait de compromettre les efforts réalisés au titre de la lutte contre Daesh.
Pour rappel, la Turquie considère les YPG comme terroristes, en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK]. Or, ces milices kurdes syriennes ont tenu un rôle de premier plan, avec le soutien de la coalition, dans la défaite du califat qu’avait proclamé Daesh entre la Syrie et l’Irak.
Le 17 octobre, lors d’un déplacement à Ankara, le vice-président américain, Mike Pence, obtint de la part de M. Erdogan une suspension de cinq jours de l’opération « Source de paix ». Un délai suffisant pour permettre le redéploiement de l’ensemble des forces spéciales américaines présentes dans le nord de la Syrie vers l’Irak et le retrait des milices kurdes syriennes de la zone de sécurité voulue par Ankara, c’est à dire d’un secteur délimité par les villes de Tall Abyad [à l’ouest] et de Ras al-Aïn [à l’est].
Tel était la situation au matin du 22 octobre, soit quelques heures avant la fin prévue de la suspension de l’offensive turque. Or, cette dernière ne reprendra finalement pas. « À ce stade, il n’existe pas de besoin de mener une nouvelle opération », a indiqué, dans la soirée, le ministère turc de la Défense. Notamment parce que « au terme de la période de 120 heures, les États-Unis ont annoncé que le retrait des YPG de la zone est achevé. »
La veille, M. Erdogan s’en était pris vivement aux Occidentaux. « Vous arrivez à y croire? Tout l’Occident s’est rangé aux côtés des terroristes et ils nous ont attaqués tous ensemble. Parmi eux, les pays de l’Otan et les pays de l’Union européenne. Tous », avait-il en effet affirmé. Et d’ironiser : « Les YPG sont-elles devenues un membre de l’Otan sans que j’en sois prévenu? »
En tout cas, et alors que, justement, l’offensive turque met à mal l’unité au sein de l’Otan, M. Erdogan s’est tourné vers Vladimir Poutine, le président russe, pour conclure, selon ses propres mots, un « accord historique », à l’issue de six heures de négociations, à Sotchi. Probablement qu’une telle entente était déjà dans les tuyaux bien avant, les dernières heures d’une discussion servant généralement à finaliser les détails…
Concrètement, l’accord turco-russe prévoit dans un premier temps des patrouilles russo-syriennes dans des secteurs bordant la zone où la Turquie a lancé son opération « Source de paix ». Et les YPG devront s’en retirer « dans un délai de 150 heures à partir du 23 octobre à 12h, au-delà de 30 km avec leurs armes » et les fortifications et positions de l’organisation seront détruites », a expliqué M. Erdogan.
« Au terme des 150 heures, des patrouilles turques et russes vont commencer à une profondeur de 10 km à l’ouest et à l’est de la zone de l’opération Source de Paix. Les terroristes [les miliciens kurdes, ndlr] de Tal Rifat et Manbij sortiront de cette zone avec leurs armes », a-t-il ensuite précisé.
En outre, MM. Erdogan et Poutine se sont entendus pour faciliter le retour « volontaire » de réfugiés en Syrie, plus précisément dans la zone de sécurité établie par Ankara. Deux millions de personnes seraient concernées, selon les autorités turques.
Reste à voir ce que feront les milices kurdes syriennes. En tout cas, elles n’ont a priori rien à attendre de la Russie et du régime syrien, avec lequel elles avaient pourtant noué un accord au début de l’offensive turque.
« Les Kurdes syriens des Unités de protection du peuple [YPG] seront taillés en pièce s’ils ne quittent pas la zone frontalière de la Turquie », a prévenu, ce 23 octobre, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. « Washington semble les encourager à rester dans ce secteur et à combattre les forces turques », a-t-il par ailleurs affirmé…
Photo : Police militaire russe