Le jeu des entités opportunistes illégales
par 16 février 2024
https://www.diploweb.com/32-Le-jeu-des-entites-opportunistes-illegales.html
Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique.
Quel rôle les (des) acteurs non-étatiques illégaux jouent-ils dans la crise ou le conflit ? Quels outils pour les étudier ? Quelles informations rassembler ? Comment en faire une analyse géopolitique ? Extrait gratuit du célèbre « Manuel de géopolitique » signé par Patrice Gourdin, éd. Diploweb. Disponible au format papier sur Amazon.
Avec en pied de page un bonus vidéo. J-F Gayraud « Terrorisme et crime organisé. Les hybrides : nouvelle perception stratégique ».
Alors que la téléphonie mobile et Internet facilitent les communications pour tous, y compris les criminels, l’accélération et l’amplification de la mondialisation rendent les frontières plus poreuses. Cela fragilise l’ensemble des États, même les plus puissants. Quant aux plus faibles, ou à ceux qui n’existent plus que sur le papier, ils offrent de multiples facilités aux groupes se livrant à des activités illégales. Volontairement ou involontairement, un État peut ne plus exercer ses fonctions dans une (des) région(s) et celle(s)-ci se retrouve(nt) marginalisée(s). Les équipements, tout comme les services publics – notamment scolaires, sociaux et sanitaires –, manquent, les habitants ne paient plus d’impôts et ne respectent plus les lois en vigueur. La corruption et l’économie informelle dominent. Les individus rejettent l’autorité de l’État, conservent ou réactivent leurs modes traditionnels de régulation, voire en établissent de nouveaux. Les armes circulent plus ou moins librement. Les groupes armés, les organisations terroristes et/ou les réseaux criminels disputent à l’État le monopole de l’usage de la force. Les frontières ne sont pas surveillées, ce qui permet les déplacements incontrôlés de personnes ainsi que les échanges illicites et le blanchiment de capitaux. Des États, voisins ou non, s’ingèrent dans ces “zones grises“ ou les utilisent. Tout conflit accentue ces caractéristiques et certains parlent même de “trous noirs géopolitiques [1]“ pour désigner les cas les plus extrêmes : république moldave de Transnistrie ; jungle des montagnes de Bolivie, de Colombie ou du Pérou ; “Triangle d’or“ aux confins de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande) ; “zone des trois frontières“ en Amazonie (Brésil, Argentine, Paraguay), par exemple.
Telles ces maladies graves qualifiées d’“opportunistes“, les organisations non-étatiques illégales (mafias, groupes terroristes [2], guérillas) guettent la diminution ou la disparition des défenses immunitaires des États. Elles saisissent toute occasion offerte par l’affaiblissement ou l’effondrement de la sécurité assurée par les États. Elles les exploitent au profit de leurs activités criminelles : transit pour tous les trafics (êtres humains, armes, drogues, ivoire, espèces animales en danger, notamment), productions illicites (drogues, contrefaçons) et camps d’entraînement terroristes. Lorsque la situation ne leur paraît pas assez favorable, elles tentent de la modifier et agissent de manière à réduire à l’impuissance l’État plus ou moins existant et à s’assurer toute latitude sans attirer par trop l’attention de la communauté internationale.
La grande liberté d’action de ces groupes suscite un choc frontal entre la démocratie (lorsqu’il y en a une) des États et l’anarchie (entendue comme un mélange impuni de violence et de cruauté gratuite) des organisations criminelles [3]. La liberté recule au profit de l’arbitraire, indispensable pour le développement des activités de ces groupes, que l’on retrouve, lorsqu’ils parviennent à maturité, à l’intersection du crime, de la guerre et de la politique. Par exemple, comparés à « une lèpre qui ronge la société mexicaine [4] », les cartels mexicains de la drogue « sont devenus la menace principale parce qu’ils essaient de s’emparer du pouvoir d’État [5] » et ils « représentent le plus grave défi que le Mexique, pays à la démocratie encore fragile, ait eu à affronter [6] ». Un officier américain, docteur en sociologie et membre d’une unité antiterroriste, constatait que « les organisations criminelles sont les ennemis contemporains de la démocratie » et il poursuivait : « pour créer un environnement favorable à leurs intérêts criminels, ils pratiquent des atrocités afin de susciter la peur, de promouvoir la corruption et de saper la démocratie en provoquant la perte de confiance dans le gouvernement [7] ». Déterminé à lutter contre les trafiquants, le président Calderón, élu fin 2006, n’a pas hésité à déployer l’armée. « En réaction, les cartels ont multiplié les attentats, décapitations, mutilations ou vidéos d’“exécutions“, afin de donner l’impression que le pays devient ingouvernable [8] ». Parallèlement, « les cartels ont réussi à imposer “leurs“ candidats à la tête de plusieurs municipalités du Michoacan et du Tamaulipas [9] ». Grâce à leurs moyens financiers énormes, ils infiltrent les conseils municipaux et les gouvernements régionaux en finançant les campagnes électorales et en usant de la corruption. Le Michoacan revêt une importance symbolique particulière en tant qu’État d’origine du président Calderón [10]. Le Mexique figure au sixième rang mondial des États gangrenés par les groupes criminels, après l’Afghanistan, l’Iraq, le Pakistan, le Nigeria et la Guinée-Bissau. Leur emprise s’étend à l’ensemble de l’Amérique centrale et contribue largement au triste record mondial que détient cette dernière : celui du pourcentage d’homicides. En conséquence les 34 pays de l’OEA cherchent à coordonner la lutte qu’ils mènent contre eux [11]. Certains observateurs imaginent déjà un “État failli“ à la frontière méridionale des États-Unis [12] et des militaires américains commencent à intégrer cette hypothèse dans leurs réflexions stratégiques [13].
La corruption mine les organes de sécurité des États – lorsqu’ils existent encore –, à l’image de l’armée et de la police du Bengale occidental (Union indienne) qui laissent s’épanouir toutes sortes de trafics avec le Bangladesh car elles perçoivent leur dîme [14]. Le “cartel du Golfe“ (du Mexique) coopère, entre autres, avec un groupe armé appelé “Los Zetas“ (Les Z). Il s’agit de déserteurs d’une ancienne unité des forces spéciales de l’armée mexicaine dont les membres se sont tournés vers le trafic de drogue [15]. Le Mexique ou la Colombie, hauts lieux du narcotrafic à destination des États-Unis et de l’Europe, sont fréquemment secoués par des scandales mettant en cause de hauts responsables de la lutte antidrogue “achetés” par les cartels. Ainsi, tout récemment furent arrêtés des officiers supérieurs de l’armée colombienne qui vendaient au cartel de Valle del Norte la position des unités de l’US Navy chargées de la lutte antidrogue dans la mer des Caraïbes. Durant les quinze mois qu’il passa à la tête du ministère colombien de la défense, M. Santos révoqua 150 officiers suspects de corruption, de liens avec les trafiquants ou de complicité avec les groupes paramilitaires, soit une moyenne de 10 par mois [16]. Le responsable de l’Agence antidrogue du ministère de la Justice du Mexique fut arrêté en novembre 2008 pour avoir vendu aux trafiquants de drogue des informations sur les enquêtes et les opérations de police en cours ou prévues [17]. Le directeur du bureau d’Interpol en exercice, ainsi que son prédécesseur, le rejoignirent en prison pour les mêmes raisons [18].
La situation actuelle en Colombie résume le mal mortel que la criminalité organisée représente pour une démocratie inachevée. Alors que le pays vit dans la violence endémique depuis des décennies (guerres civiles, guérillas, narcotrafic), ses institutions démocratiques se corrodent avant même d’avoir mûri. Le président sortant, Alvaro Uribe, manœuvra pour contourner l’interdiction d’exercer un troisième mandat consécutif. En vain. Le président de la Cour constitutionnelle dénonça de « graves violations des principes de base d’un système démocratique [19] ». Le service de renseignement de la présidence espionne les opposants politiques, des journalistes, des magistrats et les militants des droits de l’homme. L’armée viole les droits de l’homme tandis que les groupes paramilitaires d’extrême droite, officiellement dissous, poursuivent leurs exactions. Le crime organisé corrompt une partie de l’appareil d’État et de la classe politique. Bref,
« Derrière la façade officielle du progrès et de la prospérité, se déroule un combat acharné – encore plus sauvage que celui que se livrent l’État et les guérillas, aussi rude soit ce dernier.
Cette lutte acharnée oppose ceux qui tirent profit du statu quo et ceux qui veulent le modifier ; ceux qui ordonnent les massacres et ceux qui demandent justice pour les crimes passés ; ceux qui bénéficient du crime organisé et du trafic de drogue et ceux qui tentent de démanteler les puissants réseaux criminels ; ceux qui infiltrent et corrompent les institutions démocratiques et ceux qui tentent de les faire fonctionner ; ceux qui écoutent les conversations téléphoniques et ceux dont les lignes sont espionnées [20] ».
Phénomène antérieur aux années 1990, le crime organisé s’adapte aux évolutions du monde et son internationalisation croissante accompagne l’essor de la mondialisation. Dans la mesure où nul État n’échappe totalement à l’emprise des mafias, ces dernières occupent une place considérable parmi les atteintes d’origine non-étatique à la sécurité. Au printemps 2008, devant le Centre d’études stratégiques et internationales de Washington, l’Attorney General (i.e. le ministre de la Justice) des États-Unis, Michael B. Mukasey, soulignait l’accroissement de la menace représentée par les organisations criminelles internationales. Il s’inquiétait de l’apparition d’une « nouvelle espèce de truands qui infiltrait les entreprises stratégiques, fournissait un soutien logistique aux terroristes et devenait capable de “causer des dommages aux infrastructures économiques“ [21] ». Ils étendent leurs activités à tous les secteurs économiques (matières premières, bâtiment et travaux publics, commerce, finances, Bourse, par exemple) et s’insinuent jusque dans la vie quotidienne : cigarettes, pétrole, contrefaçons de vêtements ou de médicaments, entre autres. La menace revêt une telle ampleur que le ministre a réactivé un groupe de coordination créé sous la présidence Johnson (1963-1968) pour identifier et combattre les organisations criminelles internationales les plus immédiatement dangereuses. La crise financière de l’automne 2008 suscita une crainte nouvelle : que les groupes criminels en profitent pour s’enraciner davantage encore dans l’économie légale en rachetant massivement les actions dévalorisées [22]. Les besoins de liquidités accrus par la crise financière qui sévit à partir de l’automne 2008 offrent d’excellentes occasions de blanchir l’argent sale. L’appauvrissement d’une partie de la population accroît la demande de produits contrefaits ainsi que l’émigration clandestine [23].
L’Union européenne est gangrenée depuis des décennies par le phénomène mafieux, visible de manière particulièrement spectaculaire en Italie, même si ce pays n’a pas le monopole en la matière.
Dans son rapport annuel pour 2007, la Direction nationale antimafia « a mis en évidence les liaisons dangereuses qu’entretiennent des hommes politiques italiens et les chefs de clans mafieux en période électorale, en particulier dans le sud du pays ». Fait révélateur, le code pénal italien comporte un « article 416 punissant “la distribution d’argent en échange de la promesse de votes électoraux provenant d’une association mafieuse“ [24] ».Toutes les études montrent l’emprise des mafias sur l’économie du pays : « si certains entrepreneurs évoluent indiscutablement dans un rapport de sujétion, d’autres n’hésitent plus aujourd’hui à s’associer spontanément avec elles pour développer leurs activités, car [elles] garantissent l’accès à des marchés et neutralisent la concurrence [25] ».
La Camorra napolitaine se comporte comme une véritable entreprise et étend ses multiples filières bien au-delà du sud de l’Italie :
« Durant les dernières décennies, sous le règne de la Camorra, la Campanie, région qui englobe Naples et ses alentours, est devenue le centre d’un réseau criminel international intégrant le trafic de drogue, les décharges illégales de déchets, la fraude aux travaux publics, le blanchiment d’argent par des entreprises semi-légales comme les supermarchés ou les jeux dans les arrières-salles de bar [26] ».
Lors du procès du clan des Casalesi, le montant de leurs activités fut estimé à 30 milliards d’euros et leur emprise économique se révéla avoir des ramifications de la Russie à l’Amérique du Nord [27]. La description de la Campanie abandonnée par l’État italien à la Camorra et résignée à son sort [28] commence à frapper les esprits : la publication, en 2006, du livre Gomorra, puis le succès de son adaptation cinématographique par Matteo Garrone [29] (en 2008) et la menace d’exécution qui pèse sur la tête de l’auteur, Roberto Saviano [30], provoquèrent un choc dans la péninsule et au-delà. Dans une enquête publiée à l’automne 2008, un journaliste accusait l’État d’avoir livré la Campanie à la Camorra en la laissant devenir la région hébergeant la plus grande proportion de pauvres d’Europe [31]. Un autre, à la suite de Roberto Saviano, exposait le rôle déstabilisateur joué, à l’échelle planétaire, par les ventes d’armes (notamment des fusils d’assaut Kalachnikov) de la Camorra [32].
En Sicile, l’emprise de Cosa Nostra revêt une telle ampleur que l’archevêque de Palerme décida, en 2008, d’enseigner le phénomène et ses mécanismes aux séminaristes de son diocèse. L’un de ses collaborateurs expliqua : « il est important qu’il existe dans notre territoire une réflexion de l’Église sur ce qui structure à ce point la vie politique et les mentalités de la population [33] ». Cela s’inscrit dans un mouvement général en Italie : la justice, la police, des journalistes, des paysans [34], des chefs d’entreprises, des commerçants et des citoyens [35] tentent de susciter une prise de conscience et luttent contre l’emprise des criminels sur la société. Alors que, sous l’impulsion du pape Jean-Paul II, l’Église italienne avait entamé un travail de réflexion et une action pastorale contre le crime organisé dans les années 1990, cette dynamique s’est essoufflée et les autorités ecclésiastiques relancent le processus. Cela paraît d’autant plus important que les chefs mafieux étalent depuis toujours une foi ostentatoire et que leur « symbolique » criminelle s’inspire très largement des « châtiments spectaculaires » de l’Inquisition, « qui fut en Sicile un État dans l’État [36] ». Une redoutable confusion peut effectivement en résulter auprès de la population.
L’Union européenne subit également l’assaut des mafias des anciens pays communistes, en particulier celles qui sévissent en Roumanie, en Bulgarie [37], en Albanie, au Kosovo, en Serbie, au Monténégro et en Croatie [38]. Plusieurs préoccupations s’imposent aux responsables européens : en premier lieu, empêcher ou du moins limiter la connexion entre ces différentes mafias, d’une part, et l’alliance entre ces groupes criminels et les mafias extérieures, comme celles de Russie, d’autre part. Un autre défi consiste à interdire aux chefs de ces organisations d’acquérir une respectabilité voire une immunité, notamment en devenant parlementaires ou en noyautant les appareils d’État [39].
L’Afrique devient le nouveau champ de manœuvre de certains narcotrafiquants. Pour des raisons essentiellement politiques et morales, le trafic de drogue connaît une croissance foudroyante : du fait de « la porosité des frontières [40] » et de « la perte des repères et de certaines valeurs [41] » dans une partie de la jeunesse. L’on redoute même une corruption de la vie politique par l’argent de la drogue. Un journaliste sénégalais trace un tableau encore plus inquiétant :
« Après les navigateurs-explorateurs-commerçants d’il y a plusieurs siècles, les missionnaires, les colons tout court, les multinationales, voilà la pègre internationale qui découvre l’éden africain et veut y prospérer. Les pays occidentaux sont de mieux en mieux organisés et de plus en plus outillés pour faire face aux prédateurs, voire les éradiquer à défaut de pouvoir les contrôler. Les pays de l’Est qui ont récemment retrouvé le monde “libre“ se sont bien vite retrouvés saturés de délinquance. Ils cherchent désormais à y mettre le holà. Seul le Sud est encore une terre à prendre. Vierge d’institutions démocratiques et stables, avec ses richesses naturelles à même le sol, son soleil toute l’année, ses plages à perte de vue, ses sites paradisiaques, ses populations vivant en majorité en dessous du seuil de pauvreté, sa corruption, son blanchiment d’argent, ses régimes politiques affairistes, l’Afrique est assurément une aubaine pour la pègre internationale [42] ».
« L’ancienne Côte de l’Or se transforme en Côte de la Cocaïne » lit-on dans le rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour l’année 2008 [43]. La Guinée-Bissau passe pour l’exemple type du “narco-État“. En novembre 2008, le chef de l’armée, le général Tagme Na Waié, et le président Vieira s’opposèrent au sujet du trafic de drogue. Ils firent chacun l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat et le général finit par périr dans l’explosion d’une bombe télécommandée dans la nuit du 1er au 2 mars 2009, un mode opératoire plus mafieux qu’africain estimèrent avec inquiétude les spécialistes. Ses partisans le “vengèrent“ en assassinant le président Vieira [44]. Pays relativement proche de l’Amérique latine, ni sa côte ni ses îles ne font l’objet d’une surveillance efficace et ses habitants, citoyens d’une ancienne colonie portugaise, entrent dans l’Union européenne (où la cocaïne se vend deux fois plus cher qu’aux États-Unis) sans visa. En outre, son système judiciaire et ses institutions politiques sont corrompus. Enfin, il s’agit de l’un des États les plus pauvres du monde : le prix de 6 grammes de cocaïne revendus en Europe y équivaut au salaire annuel moyen. Ces chiffres suffisent à expliquer le basculement d’une partie de la population dans le trafic, contrôlé par les cartels colombiens [45]. La toxicomanie, avec son cortège de drames individuels a fait son apparition. Le narcotrafic affecte, à des degrés variables, tous les États de la région et on l’observe également en Afrique orientale (Kenya et Ouganda, notamment) [46].
Les États, tout comme la communauté internationale dans son ensemble, se trouvent donc confrontés à une menace considérable et protéiforme. Bien que
« profondément préoccupé[s] par les incidences néfastes, sur les plans économique et social, des activités criminelles organisées, et convaincu[s] qu’il [fallait] d’urgence renforcer la coopération pour prévenir et combattre plus efficacement ces activités aux niveaux national, régional et international,
[et] notant avec une profonde préoccupation les liens croissants entre la criminalité transnationale organisée et les crimes terroristes [47] »,
ils ne se dotèrent qu’en 2000 d’un instrument juridique efficace : la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, dite Convention de Palerme, qui permet une définition juridique commune des crimes et délits ainsi qu’une lutte coordonnée. En 2003,
« convaincus du fait que l’acquisition illicite de richesses personnelles peut être particulièrement préjudiciable aux institutions démocratiques, aux économies nationales et à l’état de droit [48] »,
ils complétèrent le dispositif par une Convention des Nations Unies contre la corruption, dite Convention de Mérida. Ce texte offre une définition juridique, définit des mesures préventives et répressives, établit une coopération internationale et érige la restitution d’avoirs illégaux en règle universelle. La mise en œuvre effective de cet arsenal dépend, en dernier ressort, de la volonté politique des États. Cela semble la voie la plus efficace si l’on en croit certains spécialistes car
« tous les pays employant une stratégie […] fondée avant tout sur la persécution physique des criminels ont vu augmenter le phénomène de la corruption. Aucun pays n’a pu réduire les opérations du crime organisé sans s’attaquer aussi à son patrimoine [49] ».
Depuis que l’homme navigue sur les mers et les océans, il court le risque d’être attaqué par des pirates. L’action impitoyable des flottes des grandes puissances les éradiqua à la fin du XVIIIe siècle. Il subsista une criminalité maritime endémique, mais, jusqu’à la fin de la Guerre froide, il s’agissait d’un épiphénomène. Depuis le début des années 2000, elle redevient une préoccupation de sécurité importante. Plusieurs affaires spectaculaires mirent, en 2008, sur le devant de la scène la résurgence de la piraterie, notamment au large des côtes de la Somalie. Les pirates s’en prirent d’abord aux bateaux transportant l’aide alimentaire destinée aux populations locales et le Conseil de sécurité de l’ONU, réaffirma, le 15 mai 2008 [50], sa détermination à protéger les convois maritimes du Programme alimentaire mondial. Par surcroît, il s’agit d’une zone névralgique de l’économie mondiale, par laquelle transitent plusieurs dizaines de milliers de navires par an, parmi lesquels les pétroliers venus s’approvisionner dans le golfe Arabo-Persique. Rien d’étonnant donc si le Conseil de sécurité de l’ONU adopta, le 2 juin 2008, la résolution 1816 [51] autorisant les navires de guerre à opérer dans les eaux territoriales somaliennes. Depuis, les résolutions 1831 [52] (19 août 2008), 1846 [53] (2 décembre 2008), 1851 [54] (16 décembre 2008), 1897 [55] (30 novembre 2009) confirmèrent et renforcèrent les précédentes, tandis qu’un Groupe de coordination contre la piraterie maritime était constitué en janvier 2009. Toutefois, les pirates attaquent jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres des côtes (les plus audacieux, au large des Seychelles), ce qui représente un espace trop vaste (3 025 kilomètres de côtes, deux à quatre millions de kilomètres carrés d’océan) pour garantir une sécurité totale. En outre, le phénomène sévit dans une zone bien plus large, qui s’étend de la Corne de l’Afrique au détroit de Malacca. Les revenus générés par cette “activité“ s’élèvent à des millions de dollars [56]. S’ils bénéficient à des groupes criminels classiques ainsi qu’à des milices, et, indirectement semble-t-il, à des islamistes radicaux, ils assurent avant tout la subsistance de populations pauvres. À l’origine, les pirates somaliens apparurent parmi les pêcheurs ruinés par la pêche industrielle pratiquée sans retenue et les déversements sauvages de déchets toxiques, faute d’un État pour faire respecter les droits somaliens [57]. Il se trouve également parmi eux des paysans frappés par la sécheresse [58]. Leur action s’apparentait, au départ, à une stratégie de survie. Mais elle transforma rapidement ces hommes en criminels de mieux en mieux organisés et équipés. Un véritable système (certains parlent d’une “entreprise“) existe désormais : des responsables politiques et des hauts fonctionnaires corrompus assurent la protection des pirates ; du Kenya au Yémen, des employés des ports – mal payés – leur vendent toutes les informations dont ils ont besoin sur les mouvements de navires et leurs cargaisons ; les jeunes sans emploi fournissent les hommes de main ; les bandits de toute la contrée viennent proposer leurs services ; les pêcheurs apportent leurs bateaux et leur connaissance de la côte ; des hommes d’affaire étrangers financent les armes et les moyens de transmission, puis servent d’intermédiaires pour les négociations et la perception des rançons ; les islamistes y trouvent une occasion de nuire aux intérêts occidentaux. Les pirates font l’objet d’une réelle admiration et nombre d’habitants, notamment les enfants, rêvent d’imiter ces hommes qui tiennent le haut du pavé, possèdent de lucratives entreprises, conduisent de grosses voitures, habitent de luxueuses maisons, donnent des fêtes somptueuses, prennent plusieurs épouses, entretiennent des prostituées et consomment de l’alcool et du khat [59]. Une Somalienne racontait :
« Je n’ai pas reconnu mon village, quand j’y suis retourné. Il y avait de nouvelles constructions partout, des voitures modernes, des villas luxueuses. Tout a changé, l’argent a modifié les comportements des gens, leur mode de vie. Les pirates sont devenus des héros pour cette population pauvre et analphabète [60] ».
Plusieurs pays, parmi lesquels les États-Unis, la Russie, la Chine et la France, assurent une présence navale dans cette immense zone, l’OTAN y mène des opérations depuis octobre 2008 et l’Union européenne mit en place, à partir du 15 décembre 2008, l’opération “Atalanta“ [61], mais cela semble insuffisant, faute du retour d’un État digne de ce nom en Somalie. Hormis la considérable nuisance économique qu’elle engendre (estimée à environ 500 millions de dollars en 2008 [62]), cette situation pourrait s’avérer grosse d’un immense danger : les pirates, pour éviter d’être éliminés par les groupes armés islamistes radicaux (comme le fit l’Union des tribunaux islamiques quant elle prit le contrôle du pays, en 2006) risquent de s’aligner sur ceux-ci et de rallier Al Qaeda. Déjà, des pirates se réclamant du groupe Al Shabaab (“Les Jeunes combattants“), bras armé de l’Union des tribunaux islamiques, dont ils se séparèrent en 2007, la jugeant trop “politicienne“ et plus assez radicale, lui reversent une partie de leurs “gains“ et dénoncent les navires occidentaux comme ceux des “infidèles“ et des “occupants“ [63]. Mais le précédent des taliban, soutenus par Washington lors de leur arrivée au pouvoir en 1996, dans l’espoir de contrer l’Iran en Asie centrale et d’en évacuer les hydrocarbures sans passer par la Russie, inspire à certains une toute autre stratégie, réaliste (du moins en apparence) plutôt que morale, celle-là : favoriser l’avènement d’un gouvernement stable rétablissant un État fort en Somalie, celui des islamistes [64]. Le retournement des taliban contre Washington et ses conséquences devraient pourtant donner à réfléchir à ces apprentis sorciers : Al Qaeda bénéficia de l’hospitalité et du soutien qui lui permirent de préparer les attentats du 11 septembre 2001.
L’emprise des guérillas pèse également sur certains États. Elles connurent une expansion considérable durant la Guerre froide, dans le cadre de la décolonisation et/ou de l’affrontement indirect entre les États-Unis et l’URSS. Elles permirent (ou contribuèrent à) l’accession à l’indépendance (Indochine, Algérie, par exemple) ou le renversement de régimes en place (Cuba, Nicaragua, notamment). Mais depuis la fin de la Guerre froide, il devient de plus en plus difficile de les distinguer de la criminalité purement crapuleuse. En Amérique latine, par exemple, elles coopèrent ou rivalisent avec cette dernière et tendent à s’y fondre : l’argument politique ne constitue plus guère qu’une vague distinction originelle. Les guérilleros semblent fatigués des “grandes causes“ et, s’ils ne font pas leur “adieu aux armes“, se muent en truands.
Le cas le plus médiatisé est celui des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Créées en 1964, elles se réclamaient alors du parti communiste prosoviétique. Depuis les années 1990, il n’en est plus rien et, en 2008, un universitaire colombien expliquait ainsi leur affaiblissement :
« les FARC sont plongées dans une très grave crise de discipline. La principale cause en est l’argent du trafic de drogue. Ce qui était au départ un moyen de financement est devenu un cancer. Le goût de l’argent facile a corrompu, aussi, la guérilla [65] ».
Néanmoins, avec environ 7 000 combattants et un revenu annuel – tiré de la drogue – compris entre 400 et 700 millions de dollars, « les FARC ne sont pas finies [66] ».
Lors de l’offensive des forces du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du général Laurent Nkunda, à l’automne 2008, le tiers de la “zone utile“ du Nord-Kivu tomba entre leurs mains. Pendant quelques semaines, les rebelles substituèrent leur “administration“ à celle de l’État congolais [67]. Il s’agissait de pillage et non de bonne gouvernance.
Étonnant mélange de modernité et d’obscurantisme que ces taliban afghans qui veulent revenir plusieurs siècles en arrière tout en s’appuyant sur des processus et/ou des technologies complexes. Parmi les derniers exemples en date figure la régulation de la production de pavot en 2008. L’Afghanistan a produit “trop“ d’opium ces dernières années et les prix ont chuté d’environ 20 %, ce qui amputa les ressources financières de la guérilla. Pour lutter contre cette surproduction d’un genre très particulier et soutenir les “cours“, les taliban imposèrent une réduction des surfaces cultivées et stockèrent une partie des excédents. Les experts déplorent que la communauté internationale ait sous-estimé le poids du pavot dans la montée en puissance de la guérilla [68].
Les combattants maoïstes du Népal ne semblent pas encore engagés aussi avant dans la criminalisation. Fin 1996, une dissidence radicale se détacha du parti communiste local et prit les armes sous le nom de parti communiste du Népal-maoïste (PCN-M). Les combats durèrent 10 ans et firent environ 13 000 morts. Le 21 novembre 2006, ils déposèrent les armes et se joignirent à la coalition qui contestait la monarchie absolue instaurée en février 2005. Ils arrachèrent à leurs alliés la promesse que la république serait instaurée, siégèrent au parlement provisoire et entrèrent au gouvernement intérimaire en avril 2007. Le 10 avril 2008, à la surprise générale, ils arrivèrent en tête des élections pour l’assemblée constituante. Certes,
« impressionnés par la puissance de leur organisation, les électeurs les [avaient] préférés aux partis traditionnels de gauche, jugés inefficaces et corrompus. Ils [avaient] voté pour la force et le pouvoir [69] ».
Mais certains faisaient également état de violences diverses [70]. Il n’empêche, après l’abolition de la monarchie votée le 28 mai, le chef des maoïstes, Pachandra, fut élu chef du gouvernement le 15 août. Il démissionna le 4 mai 2009 après un bras de fer avec l’armée régulière. Officiellement, il entendait imposer l’autorité du pouvoir civil à l’institution militaire, mais la réalité demeure obscure. Peut-être s’éclaire-t-elle par les propos tenus dans un discours qu’avait prononcé Pachandra en janvier 2008 dans un camp de combattants :
« Nous diminuerons les effectifs de l’armée à 50 000 hommes. Si [ensuite] nous faisons entrer 10 000 de nos combattants, l’ensemble de l’armée sera sous notre influence. Nous avons les concepts, la politique, la vision. Eux, ils n’ont que les bottes. Les hommes conscients avaleront les porteurs de bottes [71] ».
La guérilla s’était-elle vraiment convertie à la démocratie ?
Connu depuis l’Antiquité, le terrorisme se développa de manière considérable à partir de la fin du XIXe siècle. Mode d’action illégal cherchant à imposer une volonté à un adversaire et/ou à briser sa résistance, il a pesé ou pèse sur l’évolution de plusieurs États. Le perfectionnement constant des explosifs depuis l’invention de la dynamite par Alfred Nobel (1867), ainsi que l’apparition et le développement des moyens de communication de masse (à partir des années 1890), permirent d’obtenir un effet psychologique considérable avec des moyens militaires limités. Il ne s’agit donc pas d’une idéologie, mais d’un mode d’affrontement, ce qui explique son caractère protéiforme et impose une étude au cas par cas. Avant la Première Guerre mondiale, une partie des anarchistes russes, ouest-européens et américains y recoururent – sans succès – pour tenter de renverser le système politique en place. Ce qu’essayèrent à leur tour, durant les années 1970-1980, des organisations se réclamant de l’ultra-gauche, comme les Brigades rouges en Italie (1969-1981), la Fraction armée rouge en République fédérale d’Allemagne (1970-1977) ou Action directe en France (1979-1987). Des indépendantistes l’utilisèrent (Macédoine, Irlande, Algérie, par exemple) ou l’utilisent encore (Basques, Corses, Palestiniens, Kurdes, Tamouls, Cachemiris, entre autres), tantôt comme substitut, tantôt comme complément de la guérilla. Dernier avatar en date, le terrorisme islamiste fit son apparition durant les années 1990 et tente de déstabiliser l’ensemble des États de l’aire musulmane, tout en s’attaquant à des pays non-musulmans présentés comme “ennemis“ de l’islam (États-Unis, Europe occidentale, notamment). La multiplicité des organisations et la méconnaissance des relations qu’elles entretiennent défient l’expertise. Toutefois, une nébuleuse se détache : Al Qaeda. Tantôt actrice, tantôt commanditaire, tantôt caution, elle apparaît dans de nombreuses actions terroristes islamistes.
Toute zone de combats impliquant des populations musulmanes, de la Bosnie-Herzégovine au sud des Philippines, en passant par le Caucase, l’Irak, l’Afghanistan ou le Cachemire, entre autres, vit ou voit intervenir des combattants islamistes radicaux, affirmant mener une “guerre sainte“ pour défendre leur religion. L’intervention de l’Éthiopie et des États-Unis en Somalie offrit à Al Qaeda l’occasion d’élargir le champ de son combat. Depuis fin 2006, “la Base“ encourage les combattants somaliens qui, quant à eux, utilisent des techniques insurrectionnelles importées d’Irak [72]. La minorité musulmane (4 des 37 millions d’habitants) du Kenya voisin, essentiellement présente dans le nord et sur la côte, est fortement travaillée par les islamistes. Pauvre, essentiellement rurale, la région demeure oubliée du pouvoir central, ce qui favorise la propagande des radicaux. En 1998, un Comorien, membre important d’Al Qaeda, Fazul Abdullah Mohammed, organisa un attentat contre l’ambassade des États-Unis à Nairobi. Pour ce faire, il s’appuya sur les Swahili de la région côtière et les Somalis de la frontière septentrionale. Ils participèrent également à l’attentat contre le Paradise Hotel et à la tentative d’attentat contre un avion israélien à Mombasa, en 2002 [73]. Déjà faible et démunie face à l’offensive des narcotrafiquants, l’Afrique de l’Ouest se trouve également visée par les islamistes radicaux [74].
En dépit de la présence de plus de 100 000 soldats occidentaux et de la reconstitution d’une armée “nationale“, l’Afghanistan demeure en perdition et offre un condensé de toutes les nuisances non-étatiques. L’autorité du président Ahmid Karzaï ne s’exerce guère que sur une partie de Kaboul. Le reste du pays est contrôlé par les taliban, les chefs de clans, les mafias de la drogue, Al Qaeda, dans un désordre qui fait l’affaire de tous ceux qu’un État de droit mettrait en difficulté. Observons que ce dernier n’exista jamais dans ce pays. En 2008, les paysans afghans cultivèrent 7 700 tonnes d’opium qui rapportèrent plus de 5 milliards de dollars (soit plus de la moitié du produit national brut), dont 500 millions seraient utilisés à financer les combats contre la coalition occidentale [75]. La corruption gangrène les autorités officielles (le frère du président, Ahmed Wali Karzaï [76], des ministres, des centaines de fonctionnaires, des milliers de policiers et de militaires, des gouverneurs, des chefs de districts) tandis que l’ensemble du pays vit de trafics plus ou moins importants : pourquoi ceux qui contrôlent et tirent profit de tout cela y mettraient-ils fin [77] ? La riposte existe peut-être : elle consisterait à favoriser, avec la participation d’associations d’assistance humanitaire, des activités économiques licites rémunératrices ainsi qu’un accès plus large aux aides et services de l’État [78]. Mais, outre assurer la sécurité à la population, il faudrait mobiliser des compétences, de l’habileté et du tact au service d’une réelle volonté politique…
Groupes terroristes et mouvements de guérillas occupent le devant de l’actualité depuis la fin de la Guerre froide et la disproportion des moyens dont ils disposent face aux États a redonné vie au concept de “guerre asymétrique“. Toutefois, il faut éviter de considérer ces entités seulement en elles-mêmes : elles jouissent parfois, par des voies fort sinueuses, du soutien d’États qui les instrumentalisent. Il s’agit donc, dans certains cas, de la classique “guerre indirecte“ ou “guerre par procuration“, dont la Guerre froide offrit tant d’exemples.
Les attaques terroristes contre la capitale économique de l’Inde, Mombai, fin novembre 2008, provoquèrent un regain de tension entre l’Union indienne et le Pakistan. Certes, Islamabad qualifia d’“acteur non-étatique“ le groupe djihadiste responsable de l’opération, le Lashkar-e-Taiba, bien que celui-ci réside au Pakistan. Toutefois, « les Indiens, mais aussi les Américains [étaient] sceptiques. Car ces “acteurs non-étatiques“ ont longtemps été couvés et soutenus en sous-main par les services secrets de l’armée pakistanaise [79] ». En effet, ces derniers manipulent de longue date des groupes de guérilla et des organisations terroristes au profit des intérêts de leur pays. Ils utilisent depuis des lustres des groupes armés au Cachemire et en zone pashtoune
En 2008, compte tenu de leurs liens historiques avec le mouvement naxaliste – ainsi nommé car il lança sa première insurrection, en 1967, dans la localité de Naxalbari, au Bengale Occidental –, qui opère dans 16 des 28 États de l’Union, les autorités indiennes s’inquiétèrent du soutien que pourraient éventuellement lui apporter les nouveaux dirigeants du Népal [80]. Son orientation maoïste alimente également, depuis le début, le soupçon de collusion avec le rival chinois.
Outre la déstabilisation de leur pays, les FARC empiètent sur le territoire des États voisins.
Dans les montagnes et la jungle qui se trouvent à la frontière vénézuélienne, par exemple, elles s’installent désormais de manière permanente. Il semble que le président Hugo Chavez tolère l’installation d’un sanctuaire parce qu’il s’agit d’adversaires de ses ennemis américains et colombiens. Il en résulte une très grande insécurité pour les habitants : depuis plusieurs années, les FARC pratiquent impunément racket et enlèvements [81]. Bien plus, en l’absence de système judiciaire, ils règlent eux-mêmes les litiges familiaux, les querelles de propriété ou les contentieux entre entreprises. Donc, non seulement l’État vénézuélien tolère la présence de groupes armés étrangers sur son territoire, mais encore, il n’assure ni la justice ni la sécurité à ses propres citoyens. Également et peut-être surtout, cela paraît lié au trafic de drogue, dans lequel seraient impliqués des officiels vénézuéliens. Le pays verrait transiter sur son territoire un tiers de la cocaïne colombienne exportée vers les États-Unis et l’Europe. Ce trafic profiterait à la guérilla tout autant qu’aux paramilitaires qui la combattaient, et même aux terroristes du Hezbollah [82]. Autre territoire soumis à l’influence pernicieuse des FARC, la frontière avec l’Équateur, État déchiré par une crise politique endémique, affaibli par une très forte corruption et incapable de sécuriser sa frontière amazonienne [83]. L’aviation colombienne attaqua, le 1er mars 2008, un camp des rebelles et tua l’un des dirigeants principaux de la guérilla, Raul Reyes, ce qui déclencha une grave crise entre les deux pays ainsi qu’entre Bogota et le Venezuela. Selon les services de renseignement colombiens, les documents saisis sur les rebelles attesteraient d’une collusion entre les FARC, l’Équateur et le Venezuela pour contrer le principal allié des États-Unis dans la région [84]. Interpol confirma l’authenticité des documents produits par la Colombie [85]. Dans la mesure où se déroule une “mini-guerre froide [86]“ entre les trois pays, les assertions comme les démentis demeurent en partie sujets à caution, mais la manipulation des et par les FARC demeure une certitude.
Les quelques exemples ci-dessus montrent le grand nombre et l’infinie variété des acteurs non-étatiques illégaux. Leur incidence sur les situations de crise ou de conflits ne semble jamais nulle, mais le caractère trouble de leurs activités et les multiples manipulations auxquelles elles se livrent et/ou se prêtent compliquent leur étude et l’évaluation de leur impact réel. Et ce d’autant plus qu’une part notable de leurs nuisances figurent dans la rubrique « faits divers ».
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PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX ENTITÉS OPPORTUNISTES ILLÉGALES
Quel rôle les (des) acteurs non-étatiques illégaux jouent-ils dans la crise ou le conflit ?
CHAMPS DE RECHERCHE
Outils pour étudier les acteurs non-étatiques intervenant sur le territoire où se déroule la crise ou le conflit :
- les ouvrages consacrés à la géographie, à l’économie, à l’histoire, aux relations internationales, au droit et à la politique.
Les informations recueillies servent à repérer quel(s) acteur(s) extérieurs non-étatique(s) illégaux prennent part aux événements. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :
- les États défaillants,
- les “zones grises“,
- les mafias,
- les pirates,
- les guérillas,
- les groupes terroristes,
- les connexions et les frictions entre ces divers acteurs,
- les concentrations de tout ou partie des nuisances,
- les instrumentalisations.
La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.
Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.
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