Le programme SSN-AUKUS se dirige-t-il vers une impasse industrielle ?
Présenté officiellement en mars 2023, le programme SSN-AUKUS, qui vise à équiper la Marine australienne de huit sous-marins nucléaires d’attaque, et à developper une nouvelle classe de SNA conjointement entre la Grande-Bretagne et l’Australie, a fait l’objet de plusieurs interrogations depuis son lancement. Mais, l’analyse publiée par le site australien strategicanalysis.org, pourrait bien poser une question incontournable et pourtant sans réponse satisfaisante, concernant sa soutenabilité industrielle.
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Qu’il s’agisse de ses couts, directs ou induits, qui pourraient dépasser les 350 Md$ pour Canberra, des effets de captations sur les autres programmes australiens, mais aussi britanniques, engendrés par ces couts exorbitants, ainsi que du retour industriel particulièrement faible pour Canberra, de nombreux sujets ont, tour à tour, défrayés la chronique d’une certaine partie de la presse australienne depuis quelques mois, sans toutefois engendrer de réaction de la part des trois gouvernements concernés.
Mais, un article publié récemment sur le site Strategic Analysis Australia, pourrait être, quant à lui, plus difficile à ignorer. En effet, l’analyse faite par Michael Shoebridge, montre qu’en l’état des annonces, et des réalités industrielles présentes et à venir, il se pourrait bien que ce programme aboutisse, à terme, à une impasse industrielle, venant affaiblir la posture défensive australienne, à un moment où celle-ci sera le plus nécessaire.
L’article australien construit son analyse sur trois rapports dernièrement publiés ces dernières semaines, deux sont américains, le dernier est britannique.
Le rapport du CBO américain sur la soutenabilité du plan d’équipement de l’US Navy
Le premier de ces rapports a été publié par le Congress Budget Office, ou CBO, un organe indépendant dépendant du Congrès, en charge de l’évaluation des requêtes budgétaires transmises au Parlement américain. Rappelons qu’outre-atlantique, c’est le Congrès, et non l’exécutif, qui a le dernier mot en matière de budget de défense, mais aussi de financement des programmes d’armement réclamés par le Pentagone et l’exécutif.
Ce rapport porte sur l’évaluation du plan, ou plutôt des plans, puisqu’il y en a 3, d’équipements fournis par l’US Navy, dans le cadre de la loi de finance du Pentagone de 2024. Sans entrer dans les détails, celui-ci insiste sur le fait que les trois plans d’équipements produits par l’US Navy, nécessiteraient une hausse considérable du budget d’acquisition de nouveaux navires, sur la base du budget actuellement disponible et planifié, sans qu’aucune solution pour garantir le financement de cette hausse, n’ait été présentée.
Le rapport du CRS américain, sur les possibilités d’évolution de la fabrication de sous-marins nucléaires pour l’US Navy
Le second rapport américain, plus précis sur le sujet des sous-marins nucléaires et de la problématique SSN-AUKUS, a été rédigé par le Congress Research Service, ou CRS, à nouveau un organisme indépendant du Congrès américain, chargé de fournir des conseils sur la législature examinée, en l’occurrence, la loi de financement des armées US pour 2024.
Ce rapport juge comme bien trop ambitieux et optimiste, le plan de l’US Navy qui vise à augmenter de 150 % la production de sous-marins nucléaires d’ici à 2028, comme évoqué, il y a quelques jours, sur notre site. Selon le CRS, l’US Navy a largement sous-évalué les difficultés auxquelles elle sera exposée pour atteindre un tel objectif, qui suppose de passer de la construction de 1,4 sous-marin de la classe Virginia chaque année, à 2 Virginia et un nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Columbia, d’ici à cinq ans.
S’il sera très difficile d’atteindre cet objectif nécessaire pour exécuter le plan de modernisation de l’US Navy face aux Marines chinoise et russe, la production d’un SNA supplémentaire tous les trois ans, exigée par le Congrès pour autoriser la vente de 3 Virginia à la Marine australienne, dans le cadre du programme SSN-AUKUS, semble quant à elle, pratiquement inaccessible.
Le rapport du NAO sur le financement du plan d’acquisition décennal des armées britanniques
Le troisième rapport, venant parfaire ce tableau déjà bien obscurci, émane pour sa part du National Audit Office britannique, ou NAO, et porte sur l’analyse du plan d’acquisition décennal du ministère de la Défense, équivalent de la LPM française, sur la période 2024-2033. À l’instar du rapport américain du CBO, celui du NAO britannique pointe l’inadéquation entre les couts constatés et les budgets planifiés, en particulier concernant deux programmes, celui des sous-marins nucléaires et celui des frégates.
Ainsi, le cout du programme de conception de sous-marins nucléaires, a augmenté de 62 % ces dernières années sur la période concernée, soit une hausse totale de 38 Md£, alors que le programme de frégates Type 26, qui concerne aussi la Royal Australian Navy, a augmenté pour sa part de 41 % et 16 Md£. Ces hausses sont la conséquence de l’inflation récente, mais aussi des évolutions des besoins exprimés par la Marine britannique pour ses futurs navires.
Or, comme dans le cas des plans de l’US Navy, aucun dispositif ou plan susceptible de financer ces surcouts, n’a été présenté à ce jour, laissant donc aux dirigeants des années à venir, la responsabilité de libérer les budgets nécessaires pour y parvenir. Sans être totalement hors de propos, une telle réponse serait, pour ainsi dire, inespérée pour la Royal Navy, surtout que d’autres programmes, tout aussi critiques, comme l’avion de combat Tempest au sein du programme GCAP, vont, eux aussi, réclamer des crédits importants.
De fait, l’hypothèse la plus probable, concernant la conception et la fabrication des SSN-AUKUS qui devront remplacer les Astute de la Royal Navy à partir de 2040, consisterait à un étalement du programme, pour en accroitre la soutenabilité budgétaire. Et c’est bien là que tout le problème réside pour la Royal Australian Navy.
Le rapport bénéfices risques du programme SSN-AUKUS potentiellement très défavorable
En effet, l’action cumulée de ces trois rapports, fait apparaitre un risque que les États-Unis ne soient pas en mesure de livrer les 3 SNA classe Virginia promis à Canberra pour entamer sa transition et faire l’intérim pour remplacer les sous-marins Collins, alors même que l’arrivée des SSN-AUKUS, prévue pour 2040, pourrait être reportée de plusieurs années par Londres, afin de satisfaire aux exigences budgétaires.
En d’autres termes, il se pourrait bien qu’à partir de 2030, la Marine australienne se retrouve sans sous-marin pour protéger ses cotes et sa flotte, sauf à prolonger, une nouvelle fois, des Collins usés jusqu’à l’os et ne représentant plus un adversaire de taille face aux nouveaux sous-marins et navires de lutte ASM chinois, ou à faire l’acquisition, dans l’urgence, d’une solution intérimaire, venant à nouveau alourdir la note déjà considérable pour Canberra de ce programme.
Surtout, cette faiblesse en devenir, interviendrait précisément lorsque les tensions entre la Chine et les États-Unis seront à leur paroxysme, au-delà de 2027, alors que la Marine chinoise disposera de nouvelles capacités faisant, le plus souvent, jeu égal avec les meilleures technologies occidentales du moment.
Bien évidemment, il existe un scénario dans lequel tout pourrait se passer comme prévu, si l’US Navy obtient l’ensemble des financements réclamés de la part de l’exécutif et du congrès américain pour les 20 années à venir, si les chantiers navals américains parviennent effectivement à multiplier par 4 leurs effectifs en seulement sept ans, pour répondre aux ambitions de production, et si Londres venait à apporter son effort de Défense au-delà de 3% de son PIB.
Tout cela, naturellement, si et seulement si, le triptyque USA-UK-Australie évolue avec une parfaite cohésion et une grande stabilité politique et économique pendant, là encore, les 20 années à venir, et même les 30. Reconnaissons que cela fait beaucoup de « si », et que les chances d’y parvenir semblent, aujourd’hui, particulièrement faibles.
Conclusion
La question posée par l’analyse de Michael Shoebridge, est donc de déterminer si le rapport bénéfices risques du programme SSN-AUKUS, demeure suffisant pour justifier sa poursuite, ou s’il est préférable, au contraire, d’y renoncer, tout au moins dans sa forme actuelle, pour prendre une posture plus conservatoire, mais aussi beaucoup plus sûre au regard du développement en cours de la menace.
Pas certain qu’il y ait un responsable politique australien, américain ou britannique, pour poser objectivement la question, face aux enjeux politiques considérables qui entourent ce programme.