Livre : Assassinat ciblé et complexe terroriste : un survol préliminaire

Livre : Assassinat ciblé et complexe terroriste : un survol préliminaire

 

par Daniel Dory – Revue Conflits – publié le 2 septembre 2023


Dans son ouvrage sur la mort ciblée, Guerric Poncet propose l’une des premières analyses de ce sujet essentiel mais peu évoqué. Des premières pistes, qui méritent d’être approfondies avec d’autres études.

Guerric Poncet, La mort fantôme. L’assassinat ciblé comme arme de guerre, Éditions du Rocher, Monaco, 2023.

La place, les fonctions et les modalités des assassinats ciblés ont fait l’objet, jusqu’à présent, de relativement peu de travaux vraiment solides dans la littérature concernant la guerre et en particulier ses variantes irrégulières. Ceci est encore plus vrai concernant la production en langue française. La question concerne pourtant les chercheurs s’intéressant aux transformations de la conflictualité actuelle, et tout particulièrement ceux qui travaillent dans le domaine des études sur le terrorisme. C’est pourquoi il est nécessaire de signaler le petit livre de Guerric Poncet qui fournit, malgré ses limites évidentes, quelques éléments d’information préliminaire pour quiconque est amené à aborder le sujet de l’assassinat ciblé[1].

Ce premier livre d’un jeune journaliste du Point vise à présenter la question en partant d’une longue énumération d’un échantillon de cas historiques, avant de discuter de la légalité et de la légitimité de l’assassinat ciblé et d’exposer les principales manières de l’exécuter actuellement et dans un futur plus ou moins prévisible. Ce tour d’horizon d’un ensemble de thèmes assez peu abordés systématiquement et dont l’intérêt est évident est donc bienvenu, même si l’auteur aurait gagné à lire davantage et à consulter de vrais experts de la problématique qu’il se proposait de traiter. On se limitera ici à un bref commentaire sur trois aspects qui intéressent directement la recherche sur le terrorisme et qui justifient, en quelque sorte, la lecture de cet ouvrage dans cette perspective.

Question de la guerre

D’abord, il s’agit de clarifier la définition de l’assassinat ciblé, ce que Poncet réalise d’une manière peu satisfaisante (pp. 9-10), déterminant en partie le choix de son échantillon du chapitre historique. En effet, en considérant que ce type d’élimination concerne exclusivement des actions, généralement secrètes, commanditées par des autorités étatiques (gouvernements), on écarte du champ de l’analyse l’ensemble des actes perpétrés par des entités non-étatiques (groupes recourant au terrorisme, mafias diverses, forces paramilitaires variées, etc.).

Pourtant, dans tous les cas, la logique des assassinats est la même, à savoir l’élimination du fait de leur identité personnelle[2], et pour des motifs politiques, d’individus sélectionnés en raison des conséquences négatives que l’on attend de leur « neutralisation » dans le camp ennemi. Ce qui renvoie notamment aussi au débat en cours sur l’efficacité et/ou aux possibles effets contreproductifs de ce type d’actes, notamment dans le cadre des politiques contreterroristes.

Avant d’en traiter brièvement, il n’est pas inutile de rappeler que le terrorisme surgit, vers la fin du XIXe siècle, justement en rupture avec la pratique des assassinats politiques visant des chefs d’État et des dignitaires importants, surtout par les révolutionnaires russes et des membres de la mouvance anarchiste. Et par une de ces subtiles ironies dont l’histoire a le secret, on retrouvera la même logique à l’œuvre avec les « décapitations » programmées des dirigeants des organisations dites terroristes par Israël et quelques autres pays dont, surtout, les États-Unis dans la « guerre au terrorisme » qui débute en 2001.

Le deuxième motif qui incite à lire le livre de Poncet concerne donc, évidemment, les relations entre les assassinats ciblés et le contreterrorisme. Car bien que l’auteur n’aborde pas frontalement ce thème, bon nombre de ses développements sur la légalité/légitimité des assassinats ciblés y renvoient directement. Et la question est d’autant plus importante que l’élimination sélective est devenue au fil des années (surtout depuis l’administration Obama) l’instrument principal du contreterrorisme dans de nombreuses zones extérieures aux pays « occidentaux » (Afghanistan, Irak, Sahel, notamment).

Pour les chercheurs plus ou moins débutants en études sur le terrorisme, cet ouvrage est donc en mesure d’attirer salutairement leur attention sur cette problématique qui est centrale pour analyser l’aspect interactionnel du complexe terroriste, et les renvoyer à la lecture de textes relevant de la littérature spécialisée[3].

Enfin, en consacrant une place importante à l’aspect technologique (actuel et futur) des assassinats ciblés, et tout particulièrement aux drones qui sont devenus l’outil privilégié pour ce genre d’actions[4], l’auteur a fait œuvre utile. Ce qui confirme donc que la lecture de ce petit livre, consacré à des aspects souvent peu envisagés dans la réflexion sur le complexe terroriste, est recommandable pour autant que l’on se donne les moyens d’approfondir son contenu à l’aide de lectures complémentaires.


[1] Guerric Poncet, La mort fantôme. L’assassinat ciblé comme arme de guerre, Éditions du Rocher, Monaco, 2023.

[2] Sur la distinction entre les identités des victimes de la violence politique qui peuvent être personnelles (liées aux assassinats politiques) ; fonctionnelles (associées à la guérilla) ou vectorielles (qui caractérisent le terrorisme), voir : Daniel Dory ; Jean-Baptiste Noé (Dirs.), Le Complexe Terroriste, VA Éditions, Versailles, 2022, 13-14.

[3] Parmi les synthèses récentes, on peut consulter les chapitres suivants de deux manuels récents : Rory Finegan, « Targeted Killings. Perpetual war for perpetual peace ? », in : Andrew Silke (Ed.), Routledge Handbook of Terrorism and Counterterrorism, Routledge, London-New York, 2019, 471-482 ; et Jack McDonald, « Decapitation, repression, or cauterization ? The problem of targeted killings », in : David Martin Jones et Al. (Eds.), Terrorism and Counter Terrorism Post 9/11, Edward Elgar, Cheltenham, 2019, 53-64.

[4] Voir : Michael Boyle, « Drone warfare », in : Caroline Kennedy-Pipe et Al. (Eds.), Terrorism and Political Violence, Sage, Los Angeles, 2015, 267-276. On lira aussi avec profit l’article suivant concernant les possibles défenses contre ce type d’armes : Joseph Henrotin, « Lutte contre-drones. Quelles sont les options envisageables ? », DSI, N° 115, 2015, 86-95.