Mme Parly au sujet du Mali : « S’essuyer les pieds sur le sang des soldats français est inacceptable »
À peine 24 heures après l’annonce de la mort au combat du caporal-chef Maxime Blasco, du 7e Bataillon de chasseurs alpins [BCA] lors d’une opération menée par la force Barkhane dans le Gourma malien, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a justifié le recours éventuel de Bamako aux services de la société militaire privée [SMP] Wagner, proche du Kremlin, par le fait que la France « veut réduire significativement ses forces militaires qui devaient combattre les terroristes à Kidal ». Et d’ajouter : Les Français « n’y sont pas arrivés et les terroristes continuent de régner dans cette région ».
Plus tard, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le chef du gouvernement de transition malien [dominé par les militaires à l’origine de deux coups d’État, ndlr], Choguel Kokalla Maïga, a critiqué la France pour sa décision de revoir son dispositif militaire au Sahel.
Pour rappel, la force Barkhane va s’effacer au profit du groupement européen de forces spéciales « Takuba », dont la mission est d’accompagner au combat les armées locales au combat, lesquelles seront appuyées par des moyens français [aviation, renseignement, logistique], notamment depuis Niamey. Enfin, les forces spéciales françaises réunies au sein de la « Task Force » [TF] Sabre restera engagée, de même que la mission européenne visant à former les soldats maliens [EUTM Mali]. Évidemment, dans le cas où Bamako passerait un accord avec la SMP russe Wagner, ce dispositif n’aurait plus lieu d’être…
Quoi qu’il en soit, cette évolution de la posture militaire française a été sévèrement critiquée par le Premier minisre malien. « La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires », a-t-il dit, notamment pour « combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le nord » [du Mali]. Et d’insister : Bamako « regrette que le principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision ».
La réponse s’est faite en deux temps. Ainsi, le 27 septembre, devant la presse, le général Laurent Michon, l’actuel commandant de la force Barkhane, a d’abord rappelé que le « projet de quitter Kidal, Tessalit et Tombouctou date d’il y a à peu près deux ans » et qu’il a été « élaboré avec les chefs d’État de la zone G5 [G5 Sahel : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, et Tchad], notamment à Bamako et à Niamey avec des autorités politiques qui connaissent le projet, qui le souhaitent, dans le cadre de l’Accord de paix » [au Mali, signé en 2015, ndlr].
Ce projet vise à concentrer les efforts sur la région dite des trois frontières [car située aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger] afin d’empêcher les jihadistes d’étendre leur influence aux pays du golfe de Guinée. D’où le départ des forces françaises de Kidal, Tessalit et Tombouctou, villes toutes situées dans le nord du Mali, où les Touareg réclament plus d’autonomie par rapport à Bamako [si ce n’est l’indépendance de l’Azawad, ndlr].
« Si le Premier ministre [malien] évoque par là le fait que nous retirions notre présence symbolique dans ces trois garnisons, ce n’est absolument pas un abandon, c’est une relève sur position en termes militaires », a fait valoir le général Michon. « Dans ces trois garnisons, les unités de la MINUSMA [Mission des Nations unies au Mali] et surtout celles des FAMa [forces armées maliennes, nldr], y sont […] solidement implantées, et il ne s’agit nullement d’un abandon », a-t-il insisté. Et de souligner, en référence à « Takuba », que « la France, au lieu d’abandonner le Mali a eu comme succès politique de convaincre les Européens de venir se joindre à nous ».
Puis, dans un second temps, la ministre des Armées, Florence Parly, n’a pas caché son indignation face aux propos tenus par le chef du gouvernement de transition malien, lors d’une conférence donnée à l’Institut de Sciences politiques de Paris, le 27 septembre.
« Il n’y a pas de désengagement français, je tiens à commencer par rétablir des contre-vérités […] Quand on a 5000 soldats et qu’on se désengage de trois emprises, et qu’on a l’intention d’en laisser encore plusieurs milliers, lorsqu’on déploie au Sahel des blindés dernier cri [des Griffons, ndlr], ce n’est pas l’attitude normale d’un pays qui a l’intention de s’en aller », a commencé par faire valoir lundi Mme Parly, selon des propos rapportés par l’AFP.
Quant aux déclarations de Choguel Kokalla Maïga, Mme Parly a dit y voir « beaucoup d’hypocrisie, beaucoup de mauvaise foi, beaucoup d’indécence », surtout parce qu’elles ont été faites au lendemain de la mort d’un militaire français « ayant a donné sa vie pour combattre le terrorisme au Sahel ».
« L’objectif » du recours à la SMP Wagner est « de ne pas tenir les engagements pris vis-à-vis de la communauté internationale », a ensuite enchaîné la ministre, en faisant référence au calendrier de la transition malienne, lequel prévoit des élections législatives et présidentielle le 27 février 2022, afin de rendre le pouvoir aux civils. « J’ai l’impression que la date ne leur convient pas parfaitement, et qu’ils ont envie de faire durer la chose », a-t-elle accusé. « Mais de là à s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français, c’est inacceptable », a-t-elle lancé.
Quoi qu’il en soit, la France a déjà prévenu que l’arrivée de Wagner au Mali [il est question d’un millier de mercenaires] serait incompatible avec sa présence militaire. L’Estonie, qui a engagé de troupes au sein de Barkhane et de Takuba est sur la même ligne. Le Niger ne voit pas non plus cette perspective d’un bon oeil, tout comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cédéao]. Enfin, l’Union européenne a fait savoir que le recours à la SMP russe affecterait « sérieusement » ses relations avec Bamako.