Politique énergétique désastreuse Le sursaut nécessaire

Politique énergétique désastreuse
Le sursaut nécessaire

par Hervé Machenaud (*) – Esprit Surcouf – publié le 27 janvier 2023
Ancien Directeur Exécutif d’EDF

https://espritsurcouf.fr/economie-politique-energetique-desastreuse-le-sursaut-necessaire_par_herve-machenaud/



L’auteur, un ancien de la haute hiérarchie d’EDF, n’y va pas par quatre chemins. Il frappe fort pour défendre l’énergie nucléaire et dénoncer l’illusion des éoliennes et des panneaux solaires. Sans oublier de rappeler avec véhémence les vertus d’un vrai service public.

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La France et l’Europe n’auront pas assez d’électricité cet hiver, ni l’hiver prochain, ni le suivant. Après avoir remis en service la centrale à charbon de Saint-Avold et utilisé tous les diesels de secours, il faudra avoir recours aux fameux « effacements », qui sont en fait des coupures. D’abord les effacements contractualisés avec des industriels, puis les coupures des consommateurs publics et privés « les moins sensibles », et enfin les délestages tournants pendant des périodes de 2 heures : plus de digicode, plus d’ascenseur, plus d’ordinateur, de Wifi…. Et, à la moindre défaillance technique quelque part en Europe, le black-out.

Cette crise, prévisible et annoncée, a explosé du fait de la tension survenue sur le marché du gaz en septembre 2021, aggravée par la guerre en Ukraine et la faible disponibilité conjoncturelle du parc nucléaire.

Mais elle résulte, au fond, d’une politique européenne aveugle qui a prévu, d’ici 2035, la réduction de la production d’électricité par le charbon de 78 %, par la lignite de 64%, par le nucléaire de 23 %, et le remplacement de cette capacité de production pilotable par une production d’énergies éoliennes et solaires intermittentes et aléatoires (ENRi). Elle a été transposée en France dans l’absurde Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte du 17 août 2015 et la Programmation Pluriannuelle de l’Energie du 21 avril 2020. En Europe, plus de 100 Gigawatt ont déjà été arrêtés dans les dix dernières années. Les 2 000 Mégawatt   de la centrale de Fessenheim (qui produit 4 grammes de COpar Kilowatt/heure contre 1000 g à Saint-Avold), qui auraient pu fonctionner encore des décennies en toute sûreté, vont cruellement manquer.

Devant cette situation, on prétend compenser ce déficit par des éoliennes et des panneaux solaires, faciles à construire et faciles à financer, puisqu’ils sont subventionnés et bénéficient, aux frais du contribuable, de revenus garantis par l’Etat. N’apportent-ils pas une énergie gratuite et propre ?

Le mythe des « énergies renouvelables, ni sûres…

L’électricité n’étant pas stockable, un mix électrique ne peut inclure des énergies intermittentes qu’en supplément à un parc de production entièrement pilotable. Les TGV, les industries et les ordinateurs ne peuvent s’arrêter au gré du vent et des passages nuageux. En Europe, il n’y a ni foisonnement, ni contribution significative des énergies éoliennes et solaires au moment des heures de pointe. La capacité pilotable doit répondre à la demande de pointe de consommation.

On justifie l’augmentation des énergies renouvelables parce qu’elles seraient nécessaires en 2035, avant l’arrivée de nouveaux réacteurs sur le réseau. Elles n’apporteront rien. L’Europe dispose déjà de 250 GW de puissance éolienne. Si, par chance, il y avait du vent aux heures de pointe, toute l’Europe serait largement alimentée. Si, au contraire, il n’y a pas de vent ces jours-là, il faudra s’en remettre aux moyens pilotables. Dans tous les cas, il apparaît évident qu’il est totalement inutile d’ajouter le moindre GW de production éolienne aux 250 GW existants.

… ni propres …

En France, réduire la capacité du nucléaire conduit mécaniquement à augmenter d’autant celle du gaz, et conduit donc à augmenter les émissions de gaz carbonique. On consomme, pour la fabrication des éoliennes et des panneaux solaires, des terres rares et des métaux dont l’extraction et le raffinage sont très polluants (la Chine assure 71% de la production et 80% du raffinage mondial). L’industrie des énergies renouvelables produit des déchets dont on ne sait pas comment ils seront traités, ni comment leur traitement sera financé, quand les provisions pour démantèlement représentent 15 à 20% du coût réel. Les impressionnants cimetières de pâles d’éoliennes aux Etats-Unis donnent une idée de ce problème.

 

Les éoliennes nécessitent des bases titanesques, demandant entre 600 et 800 tonnes de béton.       Photo DR

… ni gratuites.

Le soleil et le vent sont gratuits, mais les engagements publics d’ici à 2033, pour le seul éolien, s’élèvent à 270 milliards d’euros, à 100 milliards de coûts de raccordement et 15 milliards de dégrèvements fiscaux. Quel bénéfice les Français vont-ils tirer de ces dépenses pharaoniques,  qui semblent uniquement destinées à enrichir un lobby de prédateurs proches du pouvoir ? Selon Jacques Foos : « Du fait de leur faible facteur de charge et de leur durée de vie limitée, l’investissement des ENRi par kWh produit est entre 6 et 10 fois supérieur à celui du nucléaire ». De plus, le coût des éoliennes et des panneaux solaires a commencé et va continuer à augmenter.

Haro sur l’’Allemagne

L’Allemagne, notre modèle vert, est une démonstration éclatante de l’échec de cette stratégie des énergies renouvelable. Elle n’a cessé d’être le pays le plus pollueur d’Europe. Elle aura dépensé plus de 500 milliards d’euros dans son Energiewende pour avoir 123 GW d’éolien et solaire, ce qui ne l’empêche pas d’avoir construit deux gazoducs pour s’approvisionner en gaz russe, de rouvrir ses anciennes centrales à charbon, au lignite et même au fuel, et de mettre en construction 4 terminaux de regazéification pour accueillir le gaz de schiste américain. Elle n’a pas cessé d’avoir une des électricités les plus chères et les plus émettrices de CO2 d’Europe, ce qui ne peut aller qu’en s’aggravant. Pour renforcer son hégémonie en Europe, elle s’attache plus à supprimer le nucléaire qu’à réduire les émissions de CO2. On l’a vu dans le feuilleton de la « taxonomie » (liste d’activités reconnues vertes et propres) où elle a tout tenté pour inclure le gaz et exclure le nucléaire.

L’Europe a fixé des objectifs contraignants à l’horizon 2030 : diminuer de 55% les émissions de CO2 par rapport à 1990 (quel que soit le point de départ !) et atteindre 40% d’énergies renouvelables dans son mix énergétique (quel que soit le mix de départ !). La France dont le mix électrique était à 95% sans émission de CO2, est accusée de prendre du retard et reçoit des injonctions de la Commission Européenne, qui ne semble pas s’inquiéter autant de la dérive que connaît l’Allemagne, dont les émissions par kWh sont déjà 10 fois celles de la France.

La France, accusée d’être en retard, dispose déjà de 32 GW d’ENRi, qui lui ont déjà coûté 200 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent environ 20 milliards tous les ans. Jusqu’où faudra-t-il aller pour complaire à « l’Europe » ? Faudra-t-il démanteler notre nucléaire et dépenser 500 milliards, multiplier par dix les émissions de CO2 par kWh, et avoir une électricité deux fois plus chère ? En retard par rapport à quoi, à qui, à quel critère ? Le CO2 ? Après combien de milliards gâchés dans cette fuite en avant imbécile déciderons-nous de revenir à la raison ?

Pourquoi accepter ces contraintes ? « Par fascination amoureuse à l’égard de l’Allemagne », comme le décrit le philosophe Pierre Manent ? Par dévotion au pseudo « couple franco-allemand » et à la construction d’une Europe à laquelle la France est prête à se sacrifier ? Ou bien, comme on l’entend, parce que l’Allemagne la « tient par la bourse » ?

La centrale nucléaire de Fessenheim. Avant sa fermeture, la France exportait 12 Térawatts d’électricité propre chez ses voisins. Depuis, elle est contrainte d’importer 12 TWH d’électricité sale. Photo EDF

Les intérêts financiers

Les profits nets après impôt versés aux opérateurs des énergies renouvelables, ou à leurs actionnaires, peuvent atteindre jusqu’à 30% du chiffre d’affaires. Le rendement d’un projet éolien peut monter jusqu’à près de 400 fois la mise de fond initiale. 60% des MW éoliens installés en France le sont par des promoteurs étrangers (dont les deux tiers sont Allemands), qui rapatrient environ 80% de leur chiffre d’affaires dans leur pays d’origine ? Ce sont ainsi des dizaines de milliards pris dans le patrimoine des Français, leur laissant des paysages défigurés. Et est-ce une surprise, ces intérêts correspondent à ceux des industriels du gaz. « Derrière chaque éolienne, il y a du gaz » nous explique le Président de Total énergies.

Les lobbies antinucléaires, Quant à eux, sont souvent plus que moins liés aux précédents et aux intérêts gaziers russes. Il est notoire en particulier que Greenpeace, l’un des plus actif d’entre eux, est lui-même investisseur dans des projets éoliens. Et si cette ONG attaque violemment le nucléaire français, elle l’épargne au Royaume-Uni et aux États-Unis et l’encourage en Chine. On peut voir que les intérêts priment sur la cohérence.

La principale excuse invoquée pour justifier sa capitulation est que la France ne peut pas contrevenir aux règles de Bruxelles. Mais qui les fixe, dans l’intérêt de qui ? En réalité, la France a tous les moyens de résister et de sortir du piège du marché européen qui l’oblige à s’aligner sur le marché du gaz, alors qu’EDF produit 90% de l’électricité consommée en France.

Le retour du service public

En quoi le modèle qui a si bien fonctionné pendant 50 ans, serait-il dépassé ? Au nom du « marché roi », du progrès général apporté par la concurrence, nous avons sacrifié l’intérêt général et national au profit d’autres pays et d’intérêts particuliers. Les preuves s’accumulent  montrant que le Marché, appliqué dogmatiquement aux biens de première nécessité comme l’électricité, ne bénéficie qu’à quelques-uns aux dépens du plus grand nombre.  

Aujourd’hui, ce modèle en faillite doit faire place à un renouveau de l’industrie et du service public de l’électricité, en relançant un grand programme nucléaire sur le modèle de celui réalisé dans les années 70.

D’abord, maintenir en exploitation les réacteurs existants autant que cela sera économique et que la sûreté sera assurée (une partie des réacteurs américains plus anciens sont maintenus 80 et peut-être même 100 ans). Ensuite, d’ici 2050, construire 24 réacteurs de nouvelle génération à raison de deux par an, pour atteindre une puissance installée de 100 GW (lors du premier programme, la France a mis en service en moyenne 4 réacteurs par an pendant 10 ans, avec un record de 8 réacteurs la même année).

La centrale nucléaire de Penly, entre Dieppe et Le Tréport, pourrait accueillir deux EPR. Photo Archives EDF

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Selon les données de l’OMS, le nucléaire est le moyen de production d’électricité le plus sûr : par TWh produit. En incluant les accidents majeurs de Tchernobyl et Fukushima, il est la cause de 4 fois moins de morts que l’éolien, 10 fois moins que le solaire, 100 fois moins que le gaz et 2500 fois moins que le charbon. Grâce à son organisation industrielle, le parc d’EDF, le plus important du monde, est aussi le plus sûr.

Aucune industrie ne gère ses déchets comme l’industrie nucléaire. Pas un milligramme de ses déchets, aussi peu radioactifs soient-ils, ne sont dans la nature. Tous sont sous le contrôle de l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs. Les mesures ont ainsi été prises pour que pas un citoyen français présent ou futur, ne soit en contact avec une parcelle de déchets nucléaires. Quelle autre industrie peut se dire aussi propre ?

La condition sine qua non de la réussite d’un tel programme réside dans l’affichage d’une volonté politique, animée par l’intérêt général, visionnaire et déterminée, dont on peut dire qu’elle a lourdement fait défaut depuis des décennies. Un tel projet national, porté par le politique, entraînera l’ensemble de la chaîne administrative et industrielle.

La deuxième condition non moins cruciale est de rendre à EDF sa capacité d’entreprise de service public, industrielle et commerciale, son rôle d’architecte-ensemblier, concepteur-constructeur-exploitant et son rôle de producteur responsable de la sécurité d’approvisionnement. Il faut rendre à EDF la responsabilité d’optimisation du parc de production entre nucléaire, hydraulique et gaz pour assurer la couverture du besoin et le passage des pointes de consommation. Il faut commencer par supprimer les tarifs de rachat du solaire et de l’éolien, qu’il soit terrestre ou maritime, leur affecter les coûts de back-up et de réseau qui leur sont propres, et ainsi restaurer une véritable concurrence à la production.

Voilà le grand projet collectif que la France attend pour sortir du chaos, reprendre son indépendance,  redonner à l’industrie sa légitimité et sa compétitivité, stopper l’hémorragie des finances publiques et répondre aux aspirations légitimes des consommateurs à disposer d’une électricité propre, sûre et accessible à tous.

 

(*) Hervé Machenaud, diplômé de Polytechnique et de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, auditeur de l’IHEDN, a effectué la majeure partie de sa Carrière à EDF. Directeur-adjoint de la construction de la centrale nucléaire de Paluel, il a dirigé la construction de la centrale de Daya-Bay en Chine. Il a été Directeur de la branche Asie-Pacifique, puis Directeur exécutif « exploitation et ingénierie » du Groupe EDF. Il a publié  » La France dans le noir » aux éditions Les Belles Lettres, ouvrage réédité en 2022 et présenté dans la rubrique LIVRE de ce numéro 206.