Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram

Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram

Sabotages, cryptomonnaie, agents dormants : comment la Russie utilise Telegram pour mener une guerre secrète sur le sol européen.

par Augustin Lormeau – armees.com – Publié le

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Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram | Armees.com

Le 12 mars 2025, la nouvelle cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, s’est exprimée avec une clarté inhabituelle pour les cénacles bruxellois : les actions de la Russie — et de l’Iran — relèvent du « terrorisme d’État ». L’accusation, relayée par Politico Europe le 22 mai 2025, ne porte pas seulement sur l’invasion continue de l’Ukraine ou la désinformation systémique ; elle vise désormais une stratégie d’actions clandestines directement menées sur le territoire de l’Union européenne : cyberattaques, sabotages, recrutement d’agents dormants.

Telegram, canal de guerre secrète

Cette intensification de la guerre hybride menée par Moscou s’est traduite ces derniers mois par une recrudescence d’attaques contre les infrastructures critiques et les forces de soutien à l’Ukraine. La Lituanie, la Pologne, l’Allemagne et la République tchèque ont toutes identifié des réseaux d’agents recrutés en ligne, rémunérés en cryptomonnaie et chargés de missions simples : vandaliser, observer, transmettre.

L’un des cas les plus emblématiques a été révélé en mars 2024 en Pologne. Un ressortissant ukrainien vivant à Rzeszów a été arrêté alors qu’il filmait des convois militaires en direction de l’Ukraine et repérait des points sensibles sur le réseau ferroviaire. L’homme, recruté via un canal Telegram administré depuis l’étranger, recevait des instructions précises et éphémères : poser des traceurs GPS, filmer les entrées de dépôts d’armes, observer les rondes de sécurité. À chaque mission accomplie, une somme en cryptomonnaie était versée. Ce n’était pas un agent de carrière, mais un pion d’une guerre de basse intensité menée au cœur de l’UE. Son arrestation s’inscrit dans une série d’enquêtes menées par les services polonais, lettons et tchèques sur des réseaux de sabotage pro-russes.

Une guerre sans uniforme

Ce modus operandi s’appuie sur la désintermédiation des moyens de recrutement : plus besoin de contacts physiques ou de voyages suspects. Il suffit d’une messagerie chiffrée et d’un transfert en crypto pour activer un agent opérationnel sur le territoire européen. C’est ce que souligne encore l’article de Politico en évoquant la montée d’un activisme clandestin, télécommandé depuis Moscou, qui vise à semer la discorde et l’insécurité dans les sociétés européennes.

Face à cette offensive hybride, l’UE renforce sa coopération avec l’OTAN : déploiement de troupes sur le flanc Est, augmentation des budgets de cyberdéfense, adoption de sanctions économiques ciblées. Mais ces réponses, bien qu’indispensables, ne suffisent pas à inverser le rapport de force.

L’Europe en terrain miné

La reconnaissance par Bruxelles du « terrorisme d’État » pratiqué par la Russie constitue certes un tournant, mais elle appelle à une riposte à la hauteur : coordination du renseignement, protection des systèmes d’information, lutte contre la propagande, traque des circuits de financement clandestins.

À l’heure où les démocraties sont ciblées non pas pour ce qu’elles font, mais pour ce qu’elles sont, une stratégie purement défensive ne suffit plus. Comme le notait déjà Politico dans un précédent article de mars 2024, « l’Europe est entrée dans l’ère du sabotage invisible ». Elle doit désormais choisir comment elle veut répondre à ces agressions.