Lors d’une conférence sur la défense aérienne et antimissile de l’Europe, tenue à Rome, les 16 et 17 septembre, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, confirma la commande de huit systèmes SAMP/T NG [Sol-Air Moyenne Portée de Nouvelle Génération ou Mamba NG] avant de préciser que les premiers exemplaires entreraient en service au sein de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] à partir de 2026. Soit avec un an d’avance par rapport au calendrier initialement prévu. Autant dire qu’il n’y a guère de temps à perdre…
Pour rappel, développé dans le cadre d’une coopération franco-italienne par le consortium Eurosam [MBDA et Thales] par l’entremise de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement [OCCAr], le SAMP/T repose sur le nouveau missile intercepteur Aster 30 Block 1 NT [pour Nouvelles Technologies] qui, doté d’un autodirecteur en bande Ka, est associé, pour la version française, au radar Ground Fire 300 fourni par Thales.
Le 8 octobre, à Biscarrosse, ce programme a franchi une étape significative avec le premier tir réussi d’un Aster 30 B 1NT depuis le site de la Direction générale de l’armement – Essais de Missiles [DGA-EM].
« Il s’agit du premier tir de développement du missile ASTER 30 B1 de Nouvelle Technologie, qui équipera le futur système de défense sol-air franco-italien SAMP/T NG et les plateformes navales des deux nations équipées de systèmes de défense antiaérienne », a expliqué la DGA.
Le scénario de cet essai aura été relativement complexe dans la mesure où il a consisté à abattre une « cible représentative d’un chasseur ennemi » afin de protéger un « avion ami ».
« DGA Essais de missiles a assuré la conduite d’ensemble de l’opération, la mise en œuvre des cibles ainsi que la sécurité des biens et des personnes sur la zone d’exercice », a précisé le ministère des Armées, via un communiqué.
Selon les précisions apportées par Eurosam, une batterie SAMP/T se compose de 48 missiles Aster 30 B 1NT prêts à être lancés, d’un radar multifonctions [le Ground Fire 300 pour la France, le Kronos GM HP pour l’Italie], d’un module d’engagement et de 6 lanceurs.
Le SAMP/T NG « représentera une rupture technologique vis-à-vis du Patriot américain. Ce sera l’un des seuls systèmes au monde capable d’arrêter un missile hypervéloce », avait indiqué Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement [DGA], dans un entretien donné au quotidien Le Figaro, en mai dernier.
Plus précisément, offrant une protection à 360 degrés, le SAMP/T NG sera capable de détecter et d’intercepter des missiles balistiques manœuvrant d’une portée supérieure à 600 km ainsi que des « cibles aérobies » à plus de 150 km de distance.
Selon Lockheed Martin, le chasseur F-35 continuera de représenter la colonne vertébrale des forces aériennes occidentales jusqu’en 2080. À cette date, le chasseur de 5ᵉ génération, qui est entré en service en 2015 (F-35A de l’US Air Force), aura donc 65 ans, et aura vu passer plus de trois générations de pilotes.
Cette dynamique est loin d’être exclusive au F-35. Ainsi, le Rafale de Dassault Aviation, entré en service 2000, volera encore au sein des forces aériennes françaises jusqu’en 2060, tout comme le Typhoon européen ou le F-15EX américain.
Alors que les avions de combat avaient une durée de vie de 15 à 20 ans au sein des forces, dans les années 50 et 60, les évolutions technologiques, mais aussi l’augmentation des couts de développement et d’acquisition des appareils, ont amené les forces aériennes à tenter d’accroitre la durée de vie efficace de leurs appareils, au travers d’une grande évolutivité permettant de les doter de nouvelles capacités, et d’une grande polyvalence, pour simplifier et harmoniser les forces, sans perdre en capacités.
Ces paradigmes font aujourd’hui force de dogmes, notamment concernant le développement des nouveaux avions de combat comme le SCAF et le GCAP européens, ou le NGAD américain, tous trois conçus pour durer plus de 50 à 60 ans, en conservant une efficacité opérationnelle supérieure à l’adversaire.
Pour autant, ces certitudes quant à l’efficacité de ces paradigmes, qui déterminent la conduite et les ambitions des programmes d’avions de combat aujourd’hui, mais aussi le format des flottes de chasse, résistent-elles à une analyse comparative, face à un modèle plus conventionnel, avec des cycles raccourcis, des appareils plus spécialisés et moins évolutifs, et des séries plus réduites ? C’est loin d’être évident…
Sommaire
Évolutivité et polyvalence, les paradigmes clés des avions de combat modernes
En 1990, les forces aériennes françaises mettaient en œuvre 7 modèles d’avions de combat différents : le Mirage 2000 C et le Mirage 2000N pour la défense aérienne et la dissuasion aéroportée, le Mirage F1CT et CR pour l’attaque et la reconnaissance, le Jaguar pour l’attaque, le Mirage IVP pour la reconnaissance stratégique, le F-8 Crusader pour la défense aérienne embarquée, le Super Étendard pour l’attaque embarquée et l’Étendard IVP pour la reconnaissance embarquée.
En 2030, ces mêmes forces aériennes n’aligneront plus que deux modèles de chasseurs : le Rafale, en version A, B et M, et le Mirage 2000D, ce dernier devant quitter le service d’ici à 2035, pour une flotte intégralement composée de Rafale, mais toujours capable d’assurer très efficacement toutes les missions des forces aériennes françaises, y compris la dissuasion et les forces aéronavales embarquées.
Remplacer sept modèles par un unique chasseur, représente de nombreux avantages pour celles-ci, notamment en termes de formation des personnels de maintenance et des équipages, ainsi qu’en termes de gestion des flux pour le maintien en condition opérationnel des appareils.
Non seulement le Rafale est-il capable de tout faire, et de bien le faire, mais il est remarquablement capable d’évoluer. Ainsi, le Rafale F1 de 2000, un chasseur de supériorité aérienne embarqué, n’a plus guère à voir, en termes de capacités, avec le Rafale F4 qui arrive, un appareil véritablement multimission, alors qu’il s’agit de la même cellule.
Ce d’autant qu’en appliquant ces deux paradigmes, la série industrielle tend à prendre en volume, permettant, logiquement, de bénéficier de couts de production optimisés, et d’une plus grande ventilation des couts de développement initiaux et à venir, sur chacune des cellules.
Les couts de développement des chasseurs modernes ont explosés depuis 1990.
Théoriquement, donc, ces paradigmes appliqués depuis les années 90, pour la conception, la fabrication et l’exploitation des avions de combat, semblent parfaitement répondre aux besoins. Dans le même temps, les couts de développement des avions de combat ont, eux, explosés ces 30 dernières années.
Ainsi, en 1970, le programme F-14 Tomcat, dans son ensemble, avait une enveloppe prévisionnelle de 5,2 Md$, pour 313 appareils à 16,6 m$, développement compris. En dollars 2024, cela représente 42 Md$ pour le programme, et 132 m$ par appareil, ceci comprenant notamment le développement du radar AN/APG-71 et du missile air-air AIM54 Phoenix. Il s’agissait alors du programme d’avion de combat le plus onéreux jamais développé par l’US Navy.
Les seuls développements, initiaux et itératifs, du Rafale français, dépassent aujourd’hui les 25 Md$, soit la moitié des couts totaux du programme pour la France. Les couts de développement du F-35, quant à eux, excédent les 100 Md$, et continuent de croitre rapidement alors que l’appareil n’a toujours pas atteint sa pleine capacité opérationnelle.
La hausse des couts de développement, bien plus rapide que l’inflation, tend naturellement, de prime abord, à privilégier la grande série, afin de permettre de ventiler ces couts sur un nombre plus important de cellules.
Mais qu’en serait-il, si ces hausses de couts étaient majoritairement la conséquence directe de ces mêmes paradigmes, visant à accroitre l’évolutivité, la polyvalence et la durée de vie des aéronefs eux-mêmes ? C’est en tout cas l’affirmation faite par Will Roper lorsqu’il présidait aux acquisitions de l’US Air Force.
En effet, selon lui, ce sont les difficultés qu’entrainent ces paradigmes qui sont à l’origine des hausses des couts de conception des avions de combat modernes, spécialement lorsqu’il s’agit de concevoir des aéronefs destinés à voler pendant 40 ou 50 ans, sans que l’on sache, avec précision, quel sera le niveau de la technologie, ni même les besoins, à cette date.
Pourtant, dans le même temps, l’utilisation des nouvelles technologies de conception, notamment numériques, devraient, au contraire, en réduire considérablement les couts.
Roper avait, ainsi, fait développer le premier démonstrateur du programme NGAD, sur un budget particulièrement réduit, mais confidentiel, en appliquant précisément ces principes. Sans davantage de données, il était cependant difficile de se faire une idée de la portée réelle de ces affirmations.
Toutefois, à ce moment-là, le budget annuel consacré au programme NGAD n’excédait pas le milliard de $, ce qui permettait de caper par le haut ces affirmations. Dans le même temps, le programme Neuron, piloté par Dassault, était resté dans l’enveloppe de 1 Md€ qui lui avait été attribuée, précisément en appliquant ces technologies numériques de développement.
Étendre la durée de vie opérationnelle des avions de combat, un mauvais calcul pour les armées
En admettant que les couts de développement d’un nouvel avion de combat, puissent effectivement sensiblement diminuer, en s’éloignant des objectifs de polyvalence et d’évolutivité, ceci entrainerait, cependant, une durée de vie opérationnelle plus réduite dans les forces aériennes, de sorte à conserver, à tout moment, un avantage opérationnel et technologique sur l’adversaire.
Cela suppose donc que la durée de vie des appareils, au sein des forces, sera réduite considérablement, autour de 15 ans selon le Dr Roper, alors que plusieurs appareils spécialisés seront développés plutôt qu’un unique appareil polyvalent. Paradoxalement, le point d’équilibre d’un tel modèle, face au modèle actuel, est loin d’être difficile à calculer, et peut-être, à atteindre.
Remplacer les avions de combat tous les 15 ans est-il plus économique que de moderniser ses chasseurs tous les 10 ans ?
En effet, aujourd’hui, le prix de possession d’un avion de combat comme le F-35, se décompose, pour le Pentagone, comme la somme du prix d’achat (85 m$) et des mises à jour et modernisation successives au fil des années, ce qui équivaudra, selon les projections, à 75 à 90 % du prix d’acquisition initial, sur les 35 ans de service de l’appareil.
De fait, en dehors des couts d’exploitation et de maintenance, chaque F-35A va couter, à l’US Air Force, de 150 à 161 m$, soit un cout moyen de 4,43 m$ par an, exprimés en $ 2024.
Le même appareil, qui ne serait en service au sein de l’US Air Force, que 15 ans, serait livré dans un standard fixe sur l’ensemble de la durée de vie opérationnelle, selon la doctrine Roper. En outre, au bout de 15 ans, il disposerait toujours de 50 % de son potentiel de vol, et aurait donc une valeur de marché supérieure ou égale à 40 % de son prix d’acquisition initial, pour des forces aériennes alliées.
Il ne fait guère de doute, en effet, que l’USAF n’aurait guère de difficultés pour vendre des F-35A d’occasion à mi-vie pour 34 m$ 2024, à partir de 2035, même si l’offre s’accompagnait d’une mise à jour de 15 m$ pour le chasseur.
En effet, pour une immense majorité des forces aériennes, un F-35A de 15 ans, aura un potentiel militaire largement suffisant pour accomplir les missions qui pourraient lui être demandées. Ce faisant, le cout de possession du F-35A, rapportée à 15 ans, ne représente, pou l’USAF, que 85*0,6/15 = 3,4 m$ par an, soit presque 25 % moins cher que l’appareil modernisé, sur 35 ans.
Le rapport est, d’ailleurs, encore plus favorable en intégrant les couts de développement initiaux de l’appareil. Ainsi, si sur le 100 Md$ de développement du F-35, on ne considère que les 50 Md$ initiaux, le prix par appareil, à volume constant de 2400 appareils pour les forces aériennes américaines, atteint 106 m$ pour la version initiale, et 195 m$ en intégrant les couts de développement des évolutions, soit 106 x 0,6 / 15 = 4,24 m$ par an pour le modèle 15 ans, et 195 / 35 = 5,57 m$ par an, sur 35 ans, en intégrant les modernisations.
D’un point de vue synthétique, s’il faut 50 Md$ pour developper un appareil polyvalent à l’instant t, les couts de modernisation, durant sa vie opérationnelle de 35 ans d’un chasseur, sont sensiblement identiques à ceux d’un développement d’un nouvel avion de combat, intégrant précisément ces nouvelles technologies, mais de matière native, tout en réduisant les risques, donc les couts, de projection conceptuelle, et en améliorant la réactivité de la flotte.
Le mythe des vertus de la grande série et de la polyvalence
Si le paradigme de l’évolutivité est loin d’être aussi efficace qu’espéré, comme nous venons de le montrer, qu’en est-il du second pilier de cette génération d’avions de combat, la polyvalence, et son corollaire, les vertus des grandes séries industrielles ?
La démonstration, à ce sujet, est plus délicate, faute de données chiffrées fiables. Pour être parfaitement efficace, il conviendrait, en effet, de pouvoir comparer les couts de développement, d’acquisition et de mise en œuvre d’un appareil polyvalent, comme le Rafale, avec les couts de développement, d’acquisition et de mise en œuvre de deux, ou trois appareils spécialisés, un pour la défense aérienne, un pour l’attaque distante, et, par exemple, un chasseur léger.
Certains paramètres, cependant, peuvent être évalués dès à présent. Ainsi, le pas technologique générationnel, resterait, quant à lui, identique, puisque la flotte, dans son ensemble, conserverait les mêmes capacités globales.
À en juger par l’exemple du Rafale et du f-35 précédemment évoqué, il apparait que ce sont, avant tout, ces nouvelles technologies embarquées qui représentent l’essentiel des couts de R&D, qu’il s’agisse des commandes de vol, de la fusion de données, des capteurs, des matériaux ou du moteur.
D’autres facteurs influents doivent également être analysés à ce sujet. Ainsi, en multipliant les programmes, il est aussi possible de réduire le pas générationnel global pour chacun d’eux, en lissant la progression technologique entre les programmes, et non au sein d’un unique programme. Ce faisant, les contraintes liées aux difficultés de développement, sont sensiblement réduites, avec des conséquences importantes sur les couts de développement.
En outre, en spécialisant les appareils, il devient inutile de doter chaque appareil de l’ensemble des technologies du moment, ce qui tend à en diminuer les couts de développement, ainsi que les couts de production et, probablement, de maintenance.
Par ailleurs, en spécialisant les appareils, il est très probable que ceux-ci s’avèreront plus performants, dans leurs domaines spécifiques, que ne peuvent l’être les appareils polyvalents, aussi performants fussent-ils.
Il convient également de considérer, ici, la possibilité de varier la flotte non dans sa spécialisation, mais dans sa composition, en associant, par exemple, des chasseurs bimoteurs plus lourds et onéreux, et des chasseurs monomoteurs plus économiques, comme c’était le cas des Rafale et Mirage 2000, le premier étant deux fois plus cher à mettre en œuvre que le second, à l’achat comme à la mise en œuvre.
Enfin, augmenter le nombre de programmes permet de lisser l’activité industrielle, qu’il s’agisse des bureaux d’étude et des usines, ainsi que de stimuler la concurrence ou les opportunités de coopération. Il est alors possible de tirer les prix vers le bas, tout en augmentant les marchés potentiels exports, au travers des coopérations internationales.
Dès lors, on voit que si la notion de polyvalence, et ses conséquences sur le prix des avions de combat, ne peuvent pas faire l’objet d’une démonstration systématique, comme pour la durée de vie, il existe de nombreux facteurs qui tendent à libérer des marges de progression dans ce domaine.
Il est d’ailleurs probable que le point d’équilibre, permettant de déterminer quelle est la composition optimale d’une flotte, en matière de performances et de masse, à budget constant, varie en fonction des compétences industrielles, des enjeux technologiques, des formats des armées ainsi que du moment lui-même. Ainsi, ce qui pourrait se révéler vrai pour les États-Unis, ne le serait pas nécessairement pour la France.
Changer radicalement de paradigmes pour retrouver de la masse à budget constant, à l’aube des programmes SCAF, GCAP ou NGAD
Il est bien évident que les points abordés dans cet article, ne constituent pas, à eux seuls, des données suffisantes pour justifier d’un changement radical des paradigmes entourant les programmes d’avions de combat modernes. Il serait nécessaire, pour cela, de confronter ces hypothèses aux informations détenues par les industriels eux-mêmes, notamment en matière de ventilation des couts de développement des programmes.
Toutefois, il semble évident qu’il existe un faisceau d’indices suffisant, pour remettre en question le caractère quasi dogmatique de certains paradigmes appliqués à la conception des avions de combat modernes, qu’il s’agisse de la durée de possession des avions de combat au sein des armées ou du dictat de la polyvalence absolue et de la grande série.
La question se pose d’autant plus, aujourd’hui, que les trois grandes nations aéronautiques occidentales, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, sont toutes trois engagées dans des programmes basés strictement sur ces paradigmes, pour developper la prochaine génération d’avions de combat.
Les armées américaines, cependant, semblent, depuis peu, prendre le temps de la réflexion au sujet du programme NGAD, en évoquant à la fois des problèmes de couts, le rôle à venir des drones de combat, ainsi que la possibilité de devoir developper, concomitamment, un second appareil, un chasseur monomoteur économique destiné à prendre la place du F-16.
On retrouve, à ce sujet, les avancées réalisées par Will Roper en 2019 et 2020, dans plusieurs des arguments évoqués récemment par l’US Air Force, pour expliquer la suspension temporaire du programme NGAD, ainsi que les hypothèses sur lesquelles travaille aujourd’hui son état-major.
Ce questionnement devrait, aussi, s’appliquer à la France, après le succès incontestable du Rafale et des Mirage avant lui, alors que le pays est engagé dans une coopération exclusive qui risque de lui faire perdre certains savoir-faire industriels nécessaires à son autonomie stratégique, des parts de marché internationales durement acquises au fil des années, et surtout de forcer ses forces aériennes à revoir encore à la baisse, leur flotte de chasse, même si les drones de combat pourront, en partie, compenser ce défaut de masse.
Reste qu’une telle remise en question demeurera très improbable, sauf à être imposée par des événements extérieurs. En effet, tant les États-Unis avec le F-35, que la France avec le Rafale, et toutes proportions gardées, sont engagées dans une démarche industrielle et commerciale d’une réussite exceptionnelle, en particulier sur la scène internationale, portant précisément sur des appareils appliquant strictement les paradigmes initiaux.
Difficile, dans ces conditions, d’admettre qu’une remise en question s’avère nécessaire, pour appréhender les enjeux industriels, technologiques, commerciaux et, surtout, militaires, qui se présentent aujourd’hui.
Article du 3 septembre en version intégrale jusqu’au 8 octobre
C’est en 2014 que l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE], via son chef d’état-major, qui était alors le général Denis Mercier, leva le voile sur un projet visant à développer un successeur au missile ASMP-A rénové, sur lequel repose la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire française [Forces aériennes stratégiques et Force aéronavale nucléaire]. Deux projets étaient en balance : l’un privilégiant la furtivité, l’autre mettant l’accent sur le l’hypervélocité.
Dans un cas comme dans l’autre, le développement de ce nouveau missile, appelé ASN4G [Air-Sol Nucléaire de 4e génération] allait poser plusieurs défis, comme le souligna l’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA] dans son plan stratégique pour la période 2015-25.
Ainsi, la furtivité exigeait de mener à bien des travaux sur des matériaux aux « caractéristiques pérennes et compatibles avec la sévérité des environnements subis » ainsi que sur des « systèmes de préparation de mission optimisés pour la réactivité et la pénétration maximisée des défenses ». Même chose pour l’hypervélocité, qui supposait de faire appel à un « très grand nombre de disciplines », comme la propulsion, l’aérodynamique, les matériaux, etc.
En 2021, aucun choix n’était encore arrêté définitivement. Dans un avis budgétaire, l’ex-député Christophe Lejeune avait expliqué que deux Plans d’études amont [PEA] avaient été lancés. Ainsi, le PEA « Camosis » s’intéressait à la furtivité tandis que le PEA Prométhée se concentrait sur l’hypervélocité, avec des études sur un statoréacteur mixte [c’est-à-dire un moteur effectuant successivement une combustion subsonique et supersonique].
Même s’il n’y a pas eu de confirmation officielle, tout laisse à penser que le futur ASN4G sera un missile hypersonique. En tout cas, conseiller « défense » du PDG de MBDA, l’amiral [2S] Hervé de Bonnaventure l’avait suggéré lors d’une audition parlementaire en 2023. « Il apparaît que la très haute performance en vitesse et en manœuvre est la meilleure méthode pour parvenir à être détecté le plus tardivement possible, et compliquer la tâche de suivi d’un radar, voire, d’accrochage, et, enfin, à désorganiser une attaque d’un missile antimissile », avait-il en effet expliqué.
Le marché « MIHYSYS » que vient de notifier la Direction générale de l’armement [DGA] à l’ONERA et à MBDA le confirme.
« Le programme MIHYSYS permet de poursuivre l’amélioration continue des connaissances, des moyens de prévision et de briques technologiques, y compris alternatives, pour les chambres de combustion des propulseurs aérobies supersoniques et hypersoniques », explique en effet l’ONERA, via un communiqué publié le 30 septembre. En clair, ces travaux porteront sur un statoréacteur mixte, pour lequel une expérimentation visant à « recaler des modèles de simulation » a été récemment menée dans le cadre du projet ASTREE.
Il s’agit d’une « contribution majeure […] à la composante nucléaire aéroportée sur le long terme », précise l’ONERA.
Et d’ajouter : Ce « programme prévoit notamment le développement de nouvelles capacités et de nouveaux modèles pour la simulation numérique des chambres de combustion avec le code de calcul CEDRE. Des simulations confrontées à l’expérimentation grâce aux moyens dédiés de l’ONERA ».
Pour rappel, CEDRE est un logiciel de simulation multi-physique pour l’énergétique et la propulsion.
Le marché MIHYSYS aura d’autres implications. Il va permettre aussi de développer des capacités en calcul quantique, « au potentiel de rupture considérable » [dixit l’ONERA] pour la mécanique des fluides et l’énergétique.
Dans la première partie de cet article, nous avons montré qu’un programme Super-Rafale, un appareil de 5ᵉ génération venant s’insérer en 2035, entre le Rafale F5 en 2030, et le SCAF en 2045, répondait à de nombreux besoins, allant de la gestion du risque industriel et militaire entourant le programme Européen, à l’assurance de préserver l’efficacité de la dissuasion française, tout en sécurisant la présence de la BITD française, sur le marché des avions de combat export, sur la période 2035-2045.
Deux questions subsistent encore à ce stade de l’analyse. La première concerne le programme Super-Rafale lui-même, pour en tracer les grandes lignes, sur la base des objectifs établis précédemment.
La seconde, elle, porte sur le nerf de la guerre, le financement d’un tel programme, alors que tous savent à quel point le budget des armées françaises est aujourd’hui contraint, et n’offre aucune flexibilité pour y intégrer un programme aussi majeur, que celui concernant le développement d’un nouvel avion de combat.
Que serait le Portrait-Robot du programme Super-Rafale ?
Sans chercher, bien évidemment, à dessiner ce que pourrait être ce Super-Rafale, les objectifs et contextes, auparavant établis, permettent cependant de faire un véritable portrait-robot du programme lui-même, pour en délimiter certains aspects clés.
Un véritable chasseur de 5ᵉ génération
D’abord, le Super-Rafale devra se démarquer du Rafale F5, en se dotant de certaines des capacités qui, aujourd’hui, font que le F-35 lui est systématiquement préféré, lors de compétitions internationales. Pour cela, il sera indispensable de pleinement ancrer le Super-Rafale, dans la 5ᵉ génération des avions de combat.
La caractéristique clé, autour de cette classification à géométrie variable, n’est autre que la furtivité sectorielle, concentrée sur les secteurs avant et arrière. Contrairement au SCAF, qui aura une furtivité globale, celle-ci permet de réduire la portée des radars ennemis, uniquement lorsque les appareils se dirigent vers eux, ou s’en éloignent directement, comme pour le F-35.
La furtivité d’un Super-Rafale n’aura toutefois certainement pas besoin d’atteindre celle du F-35, pour être efficace. En effet, un écart d’un facteur 10, entre une surface équivalente radar (SER) de 0,1 m² et de 0,01 m², ne représente qu’une dizaine de km d’écart en termes de détection face à des radars modernes. En outre, l’arrivée prévue des radars basse fréquence, du multistatisme et des radars passifs, tendra à réduire l’efficacité absolue de la furtivité au combat, tout au moins, au-delà d’un certain seuil.
La fusion de données est également une des composantes définissant la 5ᵉ génération des avions de combat. Toutefois, dans ce domaine, les industriels français pourront s’appuyer sur le Rafale F5, qui en sera déjà largement dotée, raison pour laquelle, d’ailleurs, ce standard ne sera pas rétrocompatible, puisqu’il nécessitera un câblage entièrement transformé de l’appareil, pour assurer le transport de volumes de données très supérieurs à ceux actuellement employés.
Deux autres caractéristiques ont été évoquées pour la 5ᵉ génération, bien qu’elles en aient ensuite disparu, pour permettre au F-35 de l’intégrer, car il n’est doté de ni l’une, ni l’autre. La première est la Super-croisière, qui permet à un chasseur de conserver une vitesse supersonique en palier, sans employer la post-combustion, très gourmande en carburant. Le F-22 et le Gripen E/F sont dotés de super-croisière, et le Typhoon, le Rafale, le J-20 et le Su-57, sont censés pouvoir y parvenir également.
La seconde est la super-manoeuvrabilité, à savoir la capacité à évoluer en dehors du régime de vol de l’avion de combat. Cela suppose, en règle générale, l’utilisation de la poussée vectorielle, et des surfaces de contrôle agrandies, parfois soufflées. Aujourd’hui, seuls deux avions de combat peuvent revendiquer le qualificatif de super-manœuvrabilité, le F-22 américain, et le Su-57 russe.
Le fait est, dans le cas du Super-Rafale, si la super-croisière apporterait incontestablement une importante plus-value, l’intérêt de la super-manoeuvrabilité tendrait à s’étioler, l’appareil étant conçu pour opérer avec des drones de combat, réduisant considérablement les chances que l’appareil soit engagé directement dans un combat tournoyant.
Plus de 50 % des technologies issues du Rafale F5 et 35 % du programme SCAF, pour réduire les couts et les risques
Le Super-Rafale se définit comme un avion de génération intermédiaire, entre le Rafale F5 et le SCAF. Cette qualification se retrouve également dans son calendrier de conception (2025-2035 ?), et dans ses missions, à cheval entre le Rafale traditionnel, et le SCAF de 6ᵉ génération.
Ce faisant, et sachant que l’appareil devra être conçu sous contraintes budgétaires, il conviendra d’employer, autant que possible, des technologies provenant de l’un ou l’autre des programmes le bordant.
Idéalement, le Rafale étant déjà reconnu comme un appareil fiable et efficace, avec un parc installé qui flirtera ou dépassera les 600 avions de combat dans le monde en 2035, l’emploi d’une majorité de composants et de technologies provenant du Rafale F5, serait une plus-value opérationnelle et commerciale pour ce nouveau chasseur.
Ceci permettrait, en effet, de réduire les risques industriels, et les efforts de transition des forces aériennes opérant déjà le chasseur français, et désireuses de se porter acquéreuses du nouvel appareil.
À l’autre bout du spectre, viennent les technologies destinées au SCAF, notamment celles qui porteront sur l’engagement coopératif, le cloud de combat et l’utilisation des drones. En effet, plus le Super-Rafale embarquera ces technologies destinées au SCAF, développées par l’industrie de défense française, plus la transition ascendante vers SCAF des utilisateurs de Super-Rafale, sera simplifiée, y compris pour les armées françaises. Par ailleurs, l’utilisation de ces technologies SCAF, permettra d’anticiper des retours d’expérience précoces, pour en évaluer le bon réglage, à bord et autour du NGF.
Une partie technologique centrale, concernera des développements spécifiques au Super-Rafale. Concrètement, il s’agira, ici, de répondre aux besoins propres au programme, s’il y en a, mais aussi de palier les conséquences de la coopération européenne autour de SCAF, concernant l’évolution des compétences et savoir-faire des industriels français, qui en seront privés en raison de ce partage.
Bien évidemment, pour réduire les couts, les délais et les risques, il conviendrait de diminuer, autant que possible, cette partie spécifique, de sorte qu’idéalement, le découpage technologique du Super-Rafale serait composé de 50 % de technologies Rafale F5, de 35 % de technologies SCAF, et de 15 % de technologies spécifiques.
Cette décomposition pourrait se considérer comme scalaire. Ainsi, dans le cas des turboréacteurs de l’appareil, la simple transposition du M88 du Rafale pourrait s’avérer insuffisante pour un avion qui risque de prendre quelques tonnes vis-à-vis de son prédécesseur. Or, le nouveau turboréacteur du SCAF, lui, ne sera pas entièrement développé, à ce moment-là.
Toutefois, à ce moment-là, il est probable que Safran aura déjà bien avancer sur les briques technologiques du SCAF, concernant les parties chaudes. Ce faisant, il pourrait, sans grand risque, concevoir un moteur Intermediate, poussant 7,5-8/12-13 tonnes, pour garantir la supercroisière du super-Rafale, tout en reprenant les briques technologiques du m88, lorsque cela sera possible.
Outre la furtivité, la création d’un turboréacteur de génération intermédiaire, mais aussi des évolutions du radar RBE-2 et du système d’autodéfense SPECTRA, capterons probablement l’essentiel du budget de R&D de ce programme, qui s’appuiera, à son lancement, sur les munitions et les drones des deux programmes le bordant.
Un système de systèmes organisé autour des drones de combat et de l’engagement coopératif, en particulier avec le Rafale
D’un point de vue opérationnel, le Super-Rafale divergera du Rafale F5, par sa capacité à mettre en œuvre des systèmes déportés, directement au-dessus de l’espace aérienne contesté, notamment grâce à la furtivité.
Pour cela, le Super-Rafale devra être capable de contrôler différents modèles de systèmes déportés, y compris le drone de combat qui est actuellement développé pour le Rafale F5, ainsi que les Remote Carrier du SCAF.
Il devra, aussi, disposer de systèmes de communication avancés, et d’une capacité de traitement des données en provenance de ses propres capteurs, ainsi que de ceux de ses drones, des appareils de soutien, et des Rafale F4/F5 opérant avec lui, et ainsi devenir, une véritable plateforme de combat.
Dès lors, comme SCAF, le Super-Rafale devra être conçu comme un système de systèmes, le terme systèmes prenant ici une définition scalaire élargie, puisque pouvant représenter un programme à part entière, comme le Rafale ou le SCAF. Il devra également, à des fins de compatibilité, employer un cloud de combat pouvant communiquer avec celui du SCAF, ainsi qu’un vaste champ de méthodes d’engagements coopératifs.
Toutefois, le Super-Rafale devra également être apte à opérer aux côtés de Rafale, en particulier en soutien de ces appareils, et devra donc disposer des mêmes attributs opérationnels que celui-ci, en emportant des armements et en mettant sa furtivité, voire sa vitesse, au service des autres appareils.
Un nouvel avion de combat naval, pour l’échéance 2035
Enfin, et c’est essentiel, le Super-Rafale devra être un chasseur embarqué, susceptible d’opérer, au besoin, à bord du Charles de Gaulle, et pas uniquement à bord du PANG. Cette caractéristique permettra, en effet, de remplacer les Rafale M livrés en 2001 et 2002, qui ne pourront rester en parc jusqu’en 2045 et l’arrivée du SCAF, et devront être remplacés, au plus tard, autour de 2035.
En outre, la Marine nationale n’exclut pas, aujourd’hui, de pouvoir prolonger le Charles de Gaulle au-delà de 2038, date actuellement prévue pour l’entrée en service du PANG. Il faudra cependant attendre la prochaine IPER du porte-avions, prévue pour 2027, pour déterminer si le porte-avions pourra soutenir une nouvelle recharge de ses réacteurs, en 2028, et ainsi être prolongé de 10 ans à compter de 2038, dotant la Marine Nationale de deux porte-avions, le temps, peut-être d’en construire un nouveau.
Un Super-Rafale M, aux caractéristiques embarquées proches de celles du Rafale F5, permettrait, en outre, d’imaginer la conception d’un second porte-avions français, plus léger et moins cher que le PANG, pouvant, lui, susciter de l’intérêt sur la scène internationale, pour en accroitre la soutenabilité budgétaire.
Reste que, pour être efficace, un Super-Rafale M devra, très certainement, être un appareil biplace, le délai sur ce programme étant certainement trop court, pour imaginer pouvoir efficacement confier à un unique pilote, la charge du contrôle d’un ou plusieurs drones de combat, sans l’assistance d’un officier systèmes d’armes. Cela suppose aussi qu’au moins un des drones d’accompagnement actuellement en conception, loyal Wingmen ou Remote Carrier, puisse opérer à partir du porte-avions, d’une manière ou d’une autre.
Quels marchés et quel modèle de financements pour le Super-Rafale ?
Maintenant que nous avons une vision de ce que pourrait être le Super-Rafale, nous sommes en mesure d’en déterminer le marché adressable, pour les armées françaises comme internationales, mais aussi, et surtout, d’aborder l’épineux problème du financement d’un tel programme.
Remplacer les Rafale F1 et F2 de l’Armée de l’air et de l’espace et de l’aéronautique navale françaises, en proposant les appareils sur le second marché
En France, d’abord, ou l’appareil devra très certainement remplacer les 12 Rafale livrés à la Marine nationale entre 2001 et 2002, au standard F1, et qui, bien qu’ils aient été modernisés au standard F3, arrivent aujourd’hui au bout du potentiel de leur cellule. Cette transformation permettrait notamment à la Marine nationale d’entamer la dronisation de sa flotte de chasse concomitamment à celle de l’Armée de l’Air, sachant que l’Aéronavale est souvent en première ligne, en cas de tensions.
Le Super-Rafale pourrait, également, remplacer les 32 Rafale livrés à l’Armée de l’air (25 Rafale B, 7 Rafale C) et 16 Rafale M livrés à la Marine nationale dans la seconde tranche, de 2004 à 2008, des appareils qui auront, alors 27 à 31 ans de service, et qui auront entre 37 et 41 ans de service, lorsque le SCAF entrera en service.
Ces avions, moins usés que le F1 M, pourraient servir de produits d’appels pour la vente de Super-Rafale, notamment en proposant des flottes de transition, dans l’attente de la livraison des premiers appareils. Cette technique s’est montrée très efficace en Grèce, et est activement réclamée par d’autres clients potentiels du Rafale aujourd’hui, dont la Colombie.
Enfin, au besoin, et selon les circonstances, le Super-Rafale pourrait remplacer tout ou partie des 59 Rafale de la Tranche 3, livrés de 2008 à 2013, voire compléter l’inventaire des deux forces aériennes françaises, si le programme SCAF venait à prendre du retard, ou si les tensions internationales devaient croitre, et obliger l’Armée de l’air et l’aéronavale, à renforcer leurs capacités dans le domaine des appareils furtifs et de l’engagement coopératif.
Compléter et étendre les forces aériennes utilisatrices du Rafale F4/5
Le second marché adressable concerne les forces aériennes qui exploitent, ou exploiteront alors, le Rafale. Rappelons, à ce titre, que le Rafale a déjà été choisi par 7 forces aériennes internationales, pour plus de 300 appareils commandés, et que le marché à venir, atteint un potentiel de 324 appareils supplémentaires.
Le Super-Rafale, par sa proximité avec le Rafale, mais aussi par son positionnement pleinement ancré dans la 5ᵉ génération, pourrait ainsi séduire un grand nombre de ces forces aériennes, en particulier celles pour qui Washington a interdit la livraison de F-35A.
D’autres clients pourraient d’ailleurs émerger à cette occasion, notamment en Amérique du Sud, au Moyen-Orient et en Asie, précisément face aux conditions drastiques imposées par les États-Unis autour du F-35, et ce, même si, à ce moment-là, les règles entourant les autorisations d’exportation du chasseur américain, venaient à s’assouplir, ce d’autant que le Super-Rafale aurait l’avantage d’être à la fois bimoteur, pleinement ancré dans la 5ᵉ Generation, et totalement ITAR free, ce qui constituent de sérieux avantages concurrentiels, et opérationnels.
Au total, donc, ce serait de 60 à 119 Super-Rafale, qui pourraient être commandées par les forces aériennes françaises, ainsi que plusieurs centaines d’autres, potentiellement, par les forces aériennes étrangères, sur une période s’étalant de 2035 à 2050.
Ce faisant, l’activité industrielle, et le marché export maitrisé par Dassault, seraient préservés, et l’avionneur français disposerait même d’une alternative en catalogue, si un partenaire du SCAF venait à s’opposer à une exportation du chasseur européen, scénario ouvertement redouté par la BITD française.
Un fonds d’investissement mixte pour le financement de la R&D du programme
Reste, évidemment, la difficile question du financement du développement de l’appareil. Comme évoqué en introduction, il semble hors de question, aujourd’hui tout du moins, d’espérer pouvoir libérer les crédits nécessaires au développement de ce programme, soit 1,5 à 2 Md€ par an, sur 10 ans, à compter de 2025, dans le cadre de la planification budgétaire actuelle.
Celle-ci s’articule autour d’une société d’investissement d’économie mixte, pouvant faire appel à l’épargne des particuliers, notamment au travers d’une offre de type assurance-vie, portant l’investissement auprès de l’état, des armées et des industriels, et disposant, en retour, d’une côte-part prélevée sur la vente des appareils et sur les recettes fiscales et sociales, engendrées par l’activité économique générées par l’exécution de ces contrats.
Ce faisant, l’état conserve une partie des recettes sociales et fiscales sur une activité qui n’aurait pas existé sans cet investissement, tout en ayant la possibilité d’acquérir de nouveaux appareils, entièrement produits en France, sans avoir eu à en financer le développement.
Les industriels, eux, peuvent developper un nouvel appareil, de génération intermédiaire, pour enrichir leur catalogue export, sur un calendrier raccourcie, tout en développant des savoir-faire dont ils ont été privés par SCAF.
Enfin, ce programme fait baisser la pression sur le programme SCAF lui-même, notamment sur son calendrier, voire sur le partage industriel, ou sur certains aspects de tension, comme la version navale.
Notons au passage, que si les besoins totaux de financement atteignent autour 20 Md€, un tel mécanisme, avec un retour budgétaire en circuit court, permettra d’en diminuer les besoins nets de financement, autour de 10 Md€, le reste étant produit par le retour budgétaire lui-même.
Ainsi, une participation de l’état à hauteur de 25 %, et des industriels, sur une même base, permettrait de réduire l’appel extérieur à 5 Md€, pour une activité industrielle et économique dépassant les 100 Md€, et pouvant largement dépasser les 200 Md€ en intégrant l’export, pour les seuls appareils.
Les prix des appareils évoluant avec l’inflation, un objectif de rentabilité à inflation + 1,5 %, pourrait être atteint par une cote-part sur la vente des appareils, inférieure à 4 %, ou 2,5 % étendue à l’ensemble de l’enveloppe commerciale (avions, pièces, soutien). Ce qui reste parfaitement acceptable du point de vue commercial.
Quant au financement des appareils eux-mêmes, pour les forces aériennes françaises, il reposerait sur ce même mécanisme de captation du retour budgétaire, avec l’objectif de plus d’un avion exporté par avion commandé par la France, pour atteindre une empreinte budgétaire positive ou nulle.
Conclusion
On le voit, un programme Super-Rafale, venant se loger entre le Rafale F5 et le SCAF, offrirait de nombreuses plus-values pour les armées et les industries de défense aéronautiques françaises, que ce soit sur le plan opérationnel, commercial ou technologique.
Il permettrait, notamment, de réduire très sensiblement les conséquences des risques entourant le programme SCAF, et par conséquent, de faire baisser la pression autour de ce programme européen. Ceci en améliorerait les chances de succès, dans un contexte international dans lequel un tel appareil, et son système de combat, apporteraient des atouts indéniables, face à l’évolution des menaces.
En outre, si la LPM actuelle ne permet pas d’assurer le financement du développement d’un Super-Rafale aujourd’hui, des modèles alternatifs de financement, efficaces et sécurisés, peuvent être appliqués, pour y parvenir, et ainsi, assurer une transition souple et efficace, du Rafale F5 au SCAF.
Reste à voir si la situation politique particulièrement tendue en France, qui amène, aujourd’hui, les gouvernants actuels et futurs, à des positions conservatoires et parfois radicales, permettra l’émergence d’une telle solution, prenant à contre-pieds, il est vrai, de nombreux paradigmes ayant toujours l’aval de nombreux décisionnaires dans ce domaine ?
Le fait est, sans le Super-Rafale, la France, ses armées et son industrie aéronautique, dépendront pleinement du bon déroulement du SCAF, ce qui peut, en fait, représenter une faiblesse exploitable dans les négociations à son sujet, notamment par les pays qui, eux, se sont, ou se seront, d’ici là, déjà tournés vers le F-35 a et B américain.
Article du 19 aout en version intégrale jusqu’au 2 octobre 2024
La base historique de la dissuasion nucléaire française a repris son activité au début du mois de septembre 2024.
Le 4 septembre 2024, les militaires et leur famille ont fait leur retour dans le Val d’Oise dans la base aérienne de Taverny (95150). D’une importance capitale, la base militaire reprend donc sa place au cœur du système français de dissuasion nucléaire.
La base était dissoute, mais les bâtiments sont restés debout
En 2011, dans le cadre d’une restructuration des armées, la base de Taverny, comme seize autres bases aériennes entre 2008 et 2014, a fermé ses portes. Et ce, malgré le fait que la BA 921 “Frères Mahé” (Base Aérienne 921) abritait dans son sous-sol une installation stratégique importante : le Centre d’opérations des forces aériennes stratégiques (COFAS), mais aussi le Commandement des forces aériennes stratégiques (CFAS).
Situé à 50 mètres sous la forêt de Montmorency, ce poste de commandement est notamment équipé d’un abri antiatomique en cas de guerre nucléaire et ce dernier abritera notamment l’État-Major des forces aériennes stratégiques.
Il avait été envisagé que le COFAS soit déménagé à Lyon, mais du fait de la complexité d’un tel mouvement, il n’en fut rien. Ainsi, depuis 2011, seuls les militaires ont quitté la base, les infrastructures, elles, sont restées. L’état-major des forces aériennes précédemment installé à Taverny a donc déménagé à Villacoublay dans les Yvelines (78).
4 septembre 2024, le CFAS et le COFAS à nouveau réunis
Comme le rapporte Opex360, l’organisation entre le CFAS à Villacoublay et le COFAS à Taverny n’était pas des plus efficaces. Ainsi, en 2020, l’idée d’une réunification a émergé. Trois ans plus tard, la décision était actée, il ne restait plus qu’à la mettre en œuvre.
Et il n’aura fallu attendre qu’un an, treize ans après l’annonce de la dissolution, pour voir la base de Taverny redevenir ce qu’elle était. Un événement salué par le maire de la commune du Val d’Oise, comme le rapportait Actu : “Ce retour des Forces aériennes illustre la remontée en puissance de la base aérienne placée au cœur du dispositif de dissuasion nucléaire français.”
Ainsi, depuis le début du mois de septembre 2024, la BA 921 a repris son appellation de Base Aérienne, elle qui avait été rétrogradée en tant que “Élément air rattaché”(EAR) à la base de Creil, dans l’Oise (60). Il s’agit d’une ancienne base qui a dû être “abandonnée” faute de moyens ou de personnels.
Rénovée de fonds en comble, elle pourra accueillir 500 personnes dont 80% de militaires sur son sol.
La France et la dissuasion nucléaire
Depuis que Hiroshima et Nagasaki ont été bombardées atomiquement par l’US Air Force pour mettre un terme aux combats du front du Pacifique entre le 6 et 9 août 1945, les pays du monde entier se sont mis d’accord pour ne plus jamais avoir recours à cette arme destructrice.
Cependant, afin de se préparer à une telle éventualité, quelques pays ont réussi à mettre au point un arsenal nucléaire qui peut être déclenché si nécessaire, uniquement de manière défensive. Ainsi, ces armes nucléaires ne servent pas à être utilisées, sauf en dernier recours, mais à intimider de possibles belligérants quant à leurs actions.
C’est en cela que l’on parle de “dissuasion nucléaire”.
Les plus grandes puissances mondiales, dont la France, ont donc, à leur disposition, tout un arsenal d’armes nucléaires qui peuvent être installées dans des silos disséminés partout sur leur territoire ou depuis des sous-marins constamment en mouvement.
Ainsi, dans le cas extrême où la France devrait répondre nucléairement à une attaque, c’est à Taverny, dans le poste de commandement enterré que l’état-major coordonnerait la réponse nucléaire des forces aériennes françaises.
Deux satellites français de guerre seront lancés dans l’espace en 2025
Alors que la compétition spatiale mondiale est plus relevée que jamais, la France ne souhaite pas rester en retrait. Deux satellites de guerre français seront lancés dans quelques mois.
Pour ne pas prendre de retard sur d’autres puissances comme la Chine ou les États-Unis en matière de guerre spatiale, la France a lancé un nouveau projet. En effet, l’armée manœuvre en orbite basse afin de préserver ses intérêts, surveiller les adversaires et ainsi développer des capacités défensives supérieures. Comme le rapporte armée.com, par l’intermédiaire du Commandement de l’Espace (CDE) et de l’Agence pour l’Innovation de Défense (AID), la France a mis en place des initiatives permettant de sécuriser ses infrastructures spatiales stratégiques.
Devenir un leader sur la scène internationale
Ainsi, le projet Toutatis a pour objectif de fournir à l’armée française des capacités avancées de réaction et de surveillance. Ce système est composé d’un satellite pour l’observation appelé Lisa-1, et d’un autre pour l’intervention appelé Splinter. Il doit alors permettre à la France d’être vigilante face aux comportements suspects et de pouvoir intervenir en orbite basse. Splinter sera en capacité d’aveugler les capteurs ennemis sans toutefois les détruire. Néanmoins, ce satellite bénéficie d’un pouvoir de dissuasion important et son laser a la possibilité d’endommager des systèmes ennemis.
Avec le lancement de Toutatis prévu en 2025 ou 2026, la France entend bien devenir un leader sur la scène internationale, en devenant le pays capable de traiter une vingtaine de scénarios potentiels et s’entraîner à les gérer. Ce système sera également utile aux forces armées au sol, qui devraient obtenir de précieuses informations de renseignement.
La modernisation des systèmes de défense sol-air français SAMP/T est sur les rails, jalon majeur d’un effort lancé en 2021 par la France et l’Italie. Annoncé hier par le ministre des Armées Sébastien Lecornu, le contrat français prévoit la livraison d’une première section rénovée à l’armée de l’Air et de l’Espace en 2026.
Organisée lundi et mardi à Rome, la seconde édition de la Conférence sur la défense aérienne de l’Europe aura été l’occasion pour le ministre des Armées d’officialiser « la commande par la France de 8 systèmes SAMP/T NG dont les premiers entreront dans les forces armées dès 2026 ». Quelque 600 M€ avaient été inscrits au budget 2024 pour – entre autres – lancer cette opération de rénovation.
La commande actée hier porte en réalité sur sept sections complètes. Deux exemplaires de pré-série ont en effet été acquis en juillet 2023 par la France et début 2024 par l’Italie à des fins de développement, explique le maître d’œuvre industriel, Eurosam. Le rétrofit de cet exemplaire vers la configuration de série n’a pas encore fait l’objet d’une commande, nous précise Eurosam. Chaque section française comprendra un radar Ground Fire 300, un module d’engagement et quatre lanceurs de nouvelle génération, poursuit l’entreprise formée par Thales et MBDA.
Cette annonce précède de peu le lancement d’une campagne de tirs programmée pour le mois prochain, autre « jalon important vers le déploiement de ce système » selon le ministère des Armées. Le programme binational comprend également l’opération Aster 30 Block 1 NT, un traitement des obsolescences combiné à l’amélioration des performances du missile face à l’évolution des menaces.
Une fois rénové, ce système « pleinement européen » sera « capable de traiter des menaces plus significatives, notamment les missiles balistiques de courte et moyenne portée, y compris hypersoniques», relève-t-on côté français.
Pour les différents sites industriels mobilisés, l’heure est donc au lancement de la production en série. Les modules d’engagement français seront conçus par les équipes Thales de Fleury-les-Aubrais, également en charge des activités de regroupement conduites sur chaque lanceur avant leur livraison au client. C’est aussi dans le Loiret qu’a été achevée, avant l’été, l’intégration du prototype de SAMP/T NG destiné aux essais de qualification.
En attendant cette refonte, le SAMP/T fourni conjointement par la France et l’Italie« a déjà démontré son efficacité au combat en Ukraine », rappelait Sébastien Lecornu. Si Paris reste discret sur une éventuelle aide supplémentaire, Rome se positionne à demi-mot par l’entremise de son ministre de la Défense. « Le système SAMP/T que nous avons livré, et celui que j’espère nous livrerons aussi vite que possible, a permis aux Ukrainiens de se défendre face aux attaques de missiles russes », annonçait en effet Guido Crosetto, le 6 septembre à l’issue d’une nouvelle réunion au format Ramstein. Un renforcement du bouclier ukrainien à nouveau évoqué quelques jours plus tard par les ministres des Affaires étrangères des deux pays.
Le général d’armée aérienne Jérôme Bellanger est devenu le nouveau chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace (CEMAAE) le 16 septembre. Les honneurs lui ont été rendus sur la base aérienne 107 de Villacoublay.
Né en mars 1969 à Montreuil-sous-Bois, le général Jérôme Bellanger fait partie de la promotion 1989 « Clément Ader » de l’École de l’Air. Breveté pilote de chasse en 1993, il a réalisé 59 missions de guerre – notamment en Bosnie entre 1995 et 1997 et en Irak entre 1996 et 1999 – et a cumulé 2 400 heures de vol.
Plusieurs fois décoré et notamment Commandeur de la Légion d’Honneur et de l’Ordre National du Mérite, il a été commandant de la base aérienne 113 de Saint-Dizier et de la base de défense de Saint-Dizier /Chaumont en 2013 puis de la base aérienne 701 de Salon de Provence et directeur général de l’École de l’Air en 2018-2019, avant de devenir Chef de cabinet du Chef d’Etat-Major des Armées en 2020.
Il était depuis 2021 général commandant les Forces aériennes stratégiques.
Depuis la fin de la guerre froide, la flotte de chasse de l’Armée de l’air et de l’Espace, a été divisé par trois, passant de plus de 600 Mirage F1, Mirage 2000 et Jaguar, à moins de 200 Rafale et Mirage 2000D et -5F. La flotte de l’Aéronautique navale a, elle aussi, subi une sévère cure d’amaigrissement, passant de 80 Super-Étendard, F-8 Crusader et Étendard IVP, a seulement 40 Rafale M.
Cette réduction de format a souvent été critiquée, par les spécialistes du sujet, ainsi que par certains parlementaires, et même, plus récemment et de manière plus feutrée, par les états-majors eux-mêmes. Ainsi, l’Armée de l’Air et de l’Espace estime, publiquement, qu’il lui faudrait « au moins », 225 avions de combat, pour répondre à son contrat opérationnel.
Toutefois, le format optimal de la chasse française semble, aujourd’hui, davantage une question de négociations politiques et budgétaires, que le résultat d’un raisonnement objectif, face aux besoins auxquels l’Armée de l’Air et l’Aéronavale doivent être en mesure de répondre.
Dans cet article, nous tenterons de mener ce raisonnement, et de déterminer quel serait ce format, nécessaire et suffisant, pour permettre à la chasse française, de remplir pleinement et efficacement ses missions présentes et à venir. Comme nous le verrons, le format actuel apparait très sous-estimé.
Sommaire
Le format de la flotte de chasse française aujourd’hui, son origine et son contrat opérationnel
Ce format, justement, quel est-il, et d’où vient-il ? Aujourd’hui, le LPM 2024-2030 vise à amener la flotte de chasse française à 225 avions de combat, avec 185 chasseurs pour l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 40 pour l’Aéronautique navale.
Ce format a été fixé par la Revue Stratégique 2022, elle-même reprenant ce format de la Revue Stratégique 2018, qui servit de support à la création de la LPM 2029-2025 précédente. Là encore, ce n’est pas la Revue Stratégique 2018 qui fixa ce format, puisqu’elle avait pour consigne de reprendre l’ensemble des formats des forces, définis par le Livre Blanc de 2013.
C’est, en effet, ce Livre Blanc qui établit, pour la première fois, ce format à 225 avions de combat, avec la répartition 185/40 entre l’AAE et la Marine nationale. Pour arriver à ce résultat, les concepteurs de ce Livre Blanc, qui avaient pour ligne directrice de réduire autant que possible le format des forces armées françaises, fixèrent un contrat opérationnel relativement simple aux deux forces aériennes.
Cette réduction des formats permettait, par ailleurs, de réduire sensiblement les besoins de formation et d’entrainement des équipages, ainsi que les stocks de munitions, d’autant que la principale menace conventionnelle alors envisagée, concernait des conflits dissymétriques, en Afrique ou au Moyen-Orient, avec une menace très réduite sur les appareils eux-mêmes, et une pression opérationnelle relativement réduite pour les forces déployées.
La pression opérationnelle sur la chasse française depuis 2014, sensiblement supérieure à celle estimée par le Livre Blanc 2013
Bien évidemment, cette pression opérationnelle, depuis 2013, n’a absolument pas respecté la planification du Livre Blanc. L’Armée de l’Air et de l’Espace a ainsi dû, à plusieurs reprises, déployer vingt à trente appareils de combat en missions extérieures, y compris en Europe. Le porte-avions, quant à lui, a souvent largement dépassé les quatre mois de mer par an prévus, avec un record de 8 mois à la mer pour l’année 2019, avant son IPER.
Si les armées françaises ont largement allégé leur dispositif en Afrique ces dernières années, le dispositif au Levant, lui, reste inchangé, alors que l’évolution des tensions, et des guerres, en Europe et dans le Pacifique, ont amené à de nouveaux déploiements particulièrement gourmands en potentiel de vol des appareils comme des équipages.
À ce sujet, justement, il est apparu que les appareils déployés, tendaient à consommer beaucoup plus rapidement leur potentiel de vol, par rapport aux appareils employés en France pour les missions d’entraînement et de Police du Ciel, d’un facteur allant de 2 à 3.
Comme tous les avions, civils ou militaires, les avions de chasse doivent respecter une procédure de maintenance très stricte, ponctuée de grandes visites, au bout d’un certain nombre d’heures de vol, durant lesquelles les appareils sont presque entièrement démontés et rassemblés, pour en garantir le bon fonctionnement à venir.
De fait, ces grandes visites rendent indisponibles chaque appareil pour plusieurs mois, et sont d’autant plus rapprochées, que les appareils volent beaucoup, en particulier en déploiement extérieur, et lors des missions opérationnelles.
40 avions de chasse promis par la France à l’OTAN, en cas de tensions ou de conflit
Si la pression opérationnelle a considérablement évolué ces dernières années, la guerre en Ukraine, et les fortes tensions entre l’OTAN et la Russie, ont amené à réviser le paramètre clé, au cœur de la construction même du format nécessaire et suffisante, de la flotte de chasse française.
En effet, la France s’est engagée, depuis son retour dans le Commandement intégré de l’OTAN, à fournir à l’Alliance, en cas de conflit, 40 avions de chasse prêts au combat. Cet engagement n’est pas nouveau, mais les évolutions géopolitiques récentes, en ont fait évoluer le statut.
Celui-ci est passé d’un engagement important, mais très peu probable, à un engagement tout aussi important, mais dont la probabilité nécessite, désormais, de l’intégrer dans la planification opérationnelle française, comme valeur de référence au cœur de ce format, en lieu et place de la projection de 15 appareils du Livre Blanc 2013, et des Revues stratégiques de 2018 et 2022.
En d’autres termes, là où l’Armée de l’Air devait garantir la disponibilité de deux escadrons stratégiques, soit vingt avions de combat, et de 15 avions de combat en projection, avec un potentiel de vol, c’est-à-dire le nombre d’heures de vol restant jusqu’à la prochaine grande visite, suffisant pour soutenir l’activité, elle doit dorénavant faire de même pour deux escadrons stratégiques, et 40 avions de combat tactiques, passant donc de 35 à 60 avions de chasse prêts au combat à tout instant.
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace
De fait, la disponibilité d’une flotte de 60 chasseurs, disposants de plus de 50 % de leur potentiel de vol, à tout instant, cela entraine une flotte de deux fois plus d’appareils, soit 120 chasseurs, ayant un potentiel de vol de 50 % ou moins, sachant que les appareils déployés et/ou en situation opérationnelle, consomment leur potentiel de vol, deux fois plus vite, qu’en France, pour les missions d’entrainement et de Police du Ciel.
En outre, pour garantir la disponibilité permanente de 60 avions de combat à potentiel de vol suffisant, il est aussi nécessaire d’avoir, en permanence, 60 appareils en maintenance, notamment en grande visite, pour assurer le flux et la rotation des appareils.
Au total, donc, il est nécessaire que la flotte de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Espace, atteignent les 240 appareils. Remarquez qu’en appliquant ce même raisonnement aux 35 appareils du Livre Blanc, on arrive à 180 avions de combat, très proche des 185 visés aujourd’hui.
Toutefois, deux facteurs doivent désormais être pris en compte, pour garantir l’efficacité et la disponibilité optimale de la flotte de chasse française. Le premier est le prélèvement sur la flotte de chasse lié à la modernisation des appareils. En moyenne, un avion de combat passe par une phase de modernisation majeure tous les huit ans, alors que chaque modernisation l’immobilise pendant six mois.
Il est donc nécessaire d’ajouter, aux 240 avions de combat précédent, une flotte équivalente à un seizième de son format, pour absorber ce prélèvement, soit 15 avions, pour un total de 255 chasseurs.
Enfin, le risque de guerre ne pouvant être ignoré, il convient de donner, aux forces aériennes, une capacité d’absorption minimale de l’attrition, par accident ou au combat, d’autant que les appareils sont susceptibles de voler dans des conditions plus difficiles, les exposant notamment au risque aviaire de manière bien plus significative.
Dans la mesure où il s’agit, là, de la seule valeur « subjective » de cette démonstration, nous prendrons un coefficient de réserve le plus réduit possible, eu égard au risque, ainsi qu’aux délais de remplacement des appareils, soit 10 %, amenant le format nécessaire et suffisant de la flotte de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Espace à 280,5 appareils, que nous arrondirons à 280.
Dès lors, il manque bien, de manière objective, 280-185 = 95 avions de combat à la flotte de chasse de l’Armée de l’Air, pour satisfaire à ses engagements vis-à-vis de l’OTAN, tout en assurant le reste de son contrat opérationnel.
Notons au passage que dans cette hypothèse, le déploiement des avions de combat en Afrique et au Moyen-Orient, n’est pas intégré, de manière simultanée, ce qui suppose qu’en cas de déploiement pour l’OTAN, l’AAE devra retirer l’ensemble de ses moyens de tous ces théâtres.
Par extension, il manque aussi 12 Rafale M à l’aéronautique navale française
Il serait tentant d’employer le même raisonnement pour conclure que le format de la flotte de chasse embarquée française devrait être amenée à 89 avions de chasse.Toutefois, avec un unique porte-avions, la Marine nationale ne peut pas garantir la permanence du dispositif aéronaval français, ce qui suppose de reprendre le raisonnement.
Ainsi, en admettant que la Marine nationale doive garantir le déploiement de 18 Rafale M à bord du Charles de Gaulle, pour des missions de deux mois, avec une période de régénération de deux mois, la surconsommation du potentiel de vol en mission opérationnelle, est compensée, dans le format, par le retrait de la zone de mission de deux mois du porte-avions.
Dès lors, là où un appareil déployé à potentiel supérieur à 50 % pour l’AAE, entrainait la présence de deux appareils au potentiel inférieur à 50 % en métropole, il n’y aura qu’un appareil inférieur à 50 % par appareil supérieur à 50 % déployé, dans le cas de la Marine nationale. À cela, s’ajoute aussi, un demi-appareil en maintenance, puisque l’autre moitié du temps, le porte-avions ne sera pas déployé.
De fait, pour garantir le déploiement de 18 chasseurs Rafale M à bord du Charles de Gaulle par rotation du porte-avions en zone opérationnelle de 2 mois, il faut 2×18 + 9 = 45 avions Rafale M dans l’inventaire de la Marine nationale. En ajoutant le prélèvement pour modernisation, soit 1/16ᵉ, puis la gestion de l’attrition de 10 %, cette flotte atteint 52 appareils, soit 12 chasseurs supplémentaires, vis-à-vis de la flotte de 40 appareils actuellement en parc.
Notons que lorsque le PANG entrera en service, ce nombre montera à 70 appareils, pour garantir la présence de 24 appareils de combat, de la même manière, à bord du porte-avions.
En revanche, si la flotte de porte-avions devait passer à deux, pour garantir en permanence une flotte embarquée de 24 chasseurs, une flotte de 112 chasseurs serait nécessaire et suffisante, en appliquant, cette fois, strictement le même raisonnement que pour l’AAE.
15 ans et 20 Md€ pour redonner à la Chasse française, son format optimal
Sur la base de ce raisonnement, il manquerait donc 95 avions de combat pour l’Armée de l’Air, soit trois escadrons de 20 appareils, le reste étant en maintenance et réserve, ainsi que 12 chasseurs et une flottille de neuf appareils, pour l’Aéronautique navale. Or, une telle progression, même étalée sur 15 ans, représenterait un investissement et une transformation des armées considérables, sur cette période.
Cela suppose la commande 112 chasseurs supplémentaires, soit 1 Md€ par an pendant quinze ans, pour 7,5 appareils supplémentaires par an, y compris les équipements et munitions nécessaires à leur mise en œuvre. Cela nécessiterait, également, très probablement une nouvelle augmentation des cadences de production de Rafale de Dassault Aviation, pour passer de trois à quatre appareils produits chaque mois, afin de répondre à ce besoin supplémentaire.
Surtout, cela suppose de recruter et de former les effectifs nécessaires pour former ces escadrons et flottille, pour les équipages comme pour assurer la maintenance des appareils, et pour soutenir l’activité de l’ensemble de ces effectifs supplémentaires, le tout représentant de 5 à 6000 militaires supplémentaires.
Il faudra, enfin, positionner ces effectifs et ces appareils, ce qui pourrait nécessiter l’activation d’une nouvelle base aérienne de chasse, et peut-être d’une base aéronavale, ou, tout du moins, de relocaliser une ou deux flottilles, sur une autre base que Landivisiau.
On peut estimer l’investissement initial nécessaire à la mise en place de ces nouvelles infrastructures, l’adaptation des infrastructures existantes, et le recrutement et la formation initiale du personnel supplémentaire nécessaire, autour de 5 Md€, et le surinvestissement annuel nécessaire, entre 1 et 2 Md€.
Conclusion
On le voit, le format actuel de la flotte de chasse française, qu’il s’agisse de l’Armée de l’Air et de l’Espace, comme de l’Aéronautique navale, est très inférieur au format nécessaire pour répondre aux engagements de la France, vis-à-vis de l’OTAN, ou, tout simplement, pour assurer la sécurité aérienne du pays et de ses intérêts, considérant qu’une flotte de 40 avions de chasse opérationnels, et 18 chasseurs à bord du Charles de Gaulle, sont les stricts minimums pour être en mesure de le faire.
Le format actuel, visé par la LPM 2024-2030, a été défini en 2013, lors de la rédaction du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale, avant même la capture de l’Ukraine et l’attaque du Donbass par la Russie, avant le déclenchement de l’opération Serval au Mali, avant la seconde guerre du haut Karabagh, avant les menaces appuyées de Pékin sur Taïwan, et avant la guerre en Ukraine, et l’ensemble de ses conséquences directes et induites, en Europe, au Moyen-Orient et dans le Pacifique.
En dépit de ces nombreux événements qui se sont déroulés ces dix dernières années, jamais ce format n’a été re-évalué, comme c’est aussi le cas du format de la flotte de char de l’Armée de terre, ou de celui des frégates et des sous-marins d’attaque de la Marine nationale.
Certes, amener la flotte de chasse française, au format requis de 332 appareils, nécessiterait des crédits importants, qui seront difficiles à mobiliser (tout en moins en appliquant le modèle actuel), et des effectifs au moins aussi ardus à recruter. Toutefois, il semble évident, dorénavant, que le format hérité de 2013, n’est plus en accord ni avec la menace, ni avec le contrat opérationnel des forces aériennes françaises.
Il est certainement nécessaire, dès lors, de mener une réflexion objective sur l’ensemble des formats des armées françaises, hérités de ce livre blanc sans plus aucun rapport avec la réalité des menaces, pour construire la programmation militaire nationale, et non plus construire la programmation militaire sur des contraintes budgétaires, pour en déduire les menaces pouvant être contenues. Question de méthode, probablement…
Article du 7 aout en version intégrale jusqu’au 21 septembre 2024
L’Armée de l’Air et de l’Espace est allée encore plus loin et longtemps, avec l’édition 2024 de l’opération de projection Pégase. Retours d’expérience de son commandant tactique, le général de division Guillaume Thomas.
Un peu moins d’avions mais un programme encore plus ambitieux
Un peu moins d’avions -17 contre 19 en 2023, mais un programme encore plus ambitieux, comportant deux projections vers l’Indo-Pacifique et une nouvelle série de premières : l’Armée de l’Air et de l’Espace a voulu encore passer un cran dans Pégase 2024, étendu sur plus de sept semaines (six en 2023). La masse était la signature de l’édition 2023, avec 10 Rafale, 5 Phénix et 4 Atlas : un an plus tard, l’Armée de l’Air et de l’Espace a dû adapter la voilure pour prendre en compte aussi les besoins liés à la protection des JO en France, alors que la masse était, elle, apportée par les partenaires européens.
Une marque européenne affirmée
Sept Rafale (trois de moins) ont finalement participé, avec cinq Phénix (inchangé) et cinq Atlas (un de plus). Ces derniers ont poursuivi dans leur versatilité et leur polyvalence, assurant des capacités de recherche et de sauvetage, notamment durant le transit le plus complexe entre l’Alaska et le Japon (sur la route vers l’Australie, étape suivante), mais aussi des aéro-largages, du ravitaillement en vol et des opérations depuis des terrains sommaires.
Terrain de jeu inhabituel en Alaska
Pégase 2024 avait une marque européenne affirmée, en emmenant aussi les deux autres pays du SCAF -Allemagne et Espagne- dans des cieux jusqu’alors non balayés par eux. Sur leur première étape, les appareils des trois pays ont pu bénéficier d’un terrain de jeu inhabituel en Alaska, permettant un meilleur niveau de réalisme. Même si seuls les Espagnols sont allés jusqu’à tirer des armes réelles. En douze jours, les Rafale ont généré 67 sorties avec deux raids où ils tenaient la position de chef de mission. Les Atlas ont assuré 11 sorties, et les Phénix, 10, alimentant 100 receveurs, dont des F-22 américains.
Les Britanniques ont pu de leur côté se projeter directement en Australie avec les Français, une façon d’illustrer le partenariat bilatéral de la common joint expeditionnary force (CJEF) pour lequel une capacité de commandement et de contrôle binationale avait été implantée au sein du centre air de planification et de contrôle des opérations (CAPCO) de Lyon. La formation comptait trois Rafale, 6 Typhoon, trois MRTT et quatre Atlas (deux types d’appareils en service dans les deux pays, et même en Australie pour le MRTT).
Raids de 80 aéronefs en Australie
L’Australie a offert aussi des étendues appréciables représentant les ¾ de la France pour dérouler des raids comportant jusqu’à 80 aéronefs. Les Européens ont aussi participé à l’exercice indien Tarang Shakti, amenant un niveau de participation internationale qui n’avait pas été généré depuis 1961.
L’emploi d’appareils communs a été une fois de plus porteur pour assurer des maintenances croisées, sur les A400M français, allemands et espagnols, mais aussi les ravitailleurs MRTT français et australiens. Un Rafale français en panne en Inde a aussi pu recevoir une pièce indienne, a signalé le général Thomas. Un des rares exemples de panne, et « aucune mission n’a été annulée pour raison technique » a assuré le commandant tactique de Pégase 2024. Un Phénix a aussi pour la première fois ravitaillé en vol un de ses cousins australiens.
Rafale, A400M et A330MRTT aux Philippines
Les Pégase comportent aussi une part évidente de diplomatie aérienne mêlée de soutien export (soutex). Pour la première fois, des Rafale avec un Phénix et un MRTT ont posé aux Philippines, un pays frontalement confronté aux ambitions chinoises, et qui cherche à s’équiper, à l’instar de ses voisins malais et indonésiens qui ont déjà opté pour des produits aériens et navals français. Plusieurs compétitions sont en cours dans la région et avec Pégase, l’armée de l’air et de l’espace aura aussi contribué à alimenter la manœuvre globale de l’équipe France.
Comme lors des précédents déploiements, l’outremer française n’a pas été oubliée, avec des escales à Saint-Pierre et Miquelon, en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion.