Destiné à l’armée de Terre, le futur Engin du Génie de Combat vient de franchir un nouvelle étape

Destiné à l’armée de Terre, le futur Engin du Génie de Combat vient de franchir un nouvelle étape


Jusqu’à présent, le programme SCORPION [Synergie du Contact Renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation] s’est concentré sur le remplacement des blindés médians de l’armée de Terre, avec la mise en service des Griffon, des Serval et autres Jaguar. Mais il vise également à renouveler les capacités des unités du Génie, via le projet EGC [Engin du Génie de Combat], appelé auparavant MAC [pour Moyen d’Appui au Contact].

Actuellement, les régiments du génie disposent de l’EBG [Engin Blindé du Génie] qui, mis en service en 1989, a été conçu à partir du châssis du char AMX-30B2. Depuis, il a fait l’objet de deux opérations de modernisation, la dernière ayant consisté à lui installer une climatisation et à remplacer le bras de levage par un autre modèle pour lui permettre d’effectuer des travaux de terrassement.

Le projet EGC vise à remplacer non seulement les EBG mais aussi les EGRAP [Engins du génie rapide de protection] et les EGAME [Engins du génie d’aménagement]. En outre, l’an passé, il a été rejoint par la Belgique, au titre du partenariat stratégique CaMo [Capacité Motorisée]. Il s’agira de permettre à la composante Terre de la Défense belge de remplacer ses véhicules Pionnier.

Selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, l’armée de Terre devrait recevoir ses cinq premiers EGC avant 2030 [et 125 d’ici 2035]. Mais ce calendrier ne sera pas tenu, selon la consultation de marché que vient de publier l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement [OCCAr], chargée de suivre ce programme pour le compte de la France et de la Belgique.

En effet, les premières livraisons de l’EGC ne sont pas attendues avant 2031. Au total, 200 exemplaires devront être produits, pour un coût compris entre 800 millions et 1,2 milliard d’euros [somme qui tient compte du développement, de la production et du soutien initial].

« L’OCCAr a l’intention de négocier et d’attribuer un contrat par le biais d’un processus concurrentiel qui devrait démarrer en 2025. Celui-ci sera ouvert uniquement aux fournisseurs de l’OCCAr issus de ses États membres et de l’Union européenne », explique l’organisation.

Selon l’armée de Terre, l’EGC devra s’intégrer au réseau SCORPION, en ayant une « mobilité adaptée au rythme de la manœuvre tactique », ce qui passera par des « capacités élevées à organiser le terrain dans des délais contraints pour l’appui à la manœuvre offensive et défensive ». Aérotransportable, il offrira une « protection suffisante pour permettre de réaliser des travaux sous le feu ».

À ce jour, un seul candidat pour ce projet est connu : l’Auroch. Développé par CNIM Systèmes industriels, qui s’est associé à Texelis et KNDS France, il s’agit d’un véhicule de type 8×8 affichant une masse de 28 tonnes. Équipé de système optroniques pour surveiller son environnement et d’un tourelleau téléopéré de 7,62 mm, il serait en mesure de rouler à 80 km/h sur route, grâce à un moteur diesel de 600 chevaux.

Photo : Illustration / Auroch

En sortant de la paralysie politique, le Liban se remet à espérer

En sortant de la paralysie politique, le Liban se remet à espérer

par Jean-Baptiste Noé – Revue Conflits – publié le 25 février 2025

https://www.revueconflits.com/en-sortant-de-la-paralysie-politique-le-liban-se-remet-a-esperer/


L’élection d’un nouveau président et le cessez-le-feu conclu avec le Hezbollah permet d’espérer des jours plus radieux pour le Liban et les Libanais. Il y a encore fort à faire pour restaurer l’économie et la politique du pays du Cèdre. 

Le temps est loin de l’âge d’or des années 1950 et 1960 où le Liban était un îlot de stabilité au Moyen-Orient et un refuge pour les intellectuels arabes qui trouvaient à Beyrouth un havre de paix et de liberté pour fuir les régimes autoritaires de la région. L’ancienne « Suisse de l’Orient » n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ravagé par des décennies de guerre ponctuées de massacres et de destructions, et gangréné par un clanisme politique corrompu, l’État libanais est aujourd’hui un État failli. Aussi la défaite du Hezbollah et de l’axe iranien face à Israël et l’élection en janvier d’un nouveau gouvernement à Beyrouth pourraient-elles permettre au pays du Cèdre de se reconstruire et de se doter d’institutions régaliennes dirigées par des fonctionnaires compétents plutôt que par des clientèles communautaires. Pour Alain Bifani, directeur des Finances au Liban pendant vingt ans et figure de l’opposition à la corruption, « la fenêtre qui vient de s’ouvrir est l’opportunité pour le Liban d’enfin engager une transition de fond qui ne peut passer que par le renouvellement des élites dirigeantes. »

Une corruption endémique : l’héritage de la reconstruction post guerre civile

Tout a commencé par la sortie de crise après la longue guerre civile (1975-1989) lorsque le pouvoir est tombé entre les mains des anciens chefs miliciens, avides d’accaparer leur « part du gâteau » et qui ont mis le pays en coupe réglée. La reconstruction de l’État libanais s’est traduite par un lent déclin de ses institutions, rongées par une corruption endémique d’une part, et par les nombreuses difficultés posées par les occupations étrangères (israélienne et syrienne) de l’autre. Selon l’expression de Fabrice Balanche, la reconstruction ne fut que « la continuation de la guerre civile par d’autres moyens ». Autrement dit, la fragmentation territoriale du Liban sur une logique confessionnelle a persisté après 1990, et elle explique toujours la faiblesse actuelle de la souveraineté de l’État.

De fait, la nouvelle constitution entérinée par les accords de Taëf n’a fait qu’affaiblir le rôle du président de la République, chrétien maronite, en renforçant celui du Premier ministre, sunnite, et du président du Parlement, chiite. C’est donc un système qui repose sur un consensus permanent de toutes les forces politiques en présence, c’est-à-dire une « vétocratie » où personne n’a les moyens d’engager des réformes structurelles. La guerre continue autour de la table du conseil des ministres dans un contexte de délitement de l’état de droit où les chefs de clans bénéficient d’une impunité totale. Sans autorité et sans vision, le Liban est depuis condamné au brigandage politique. Une anarchie dans laquelle les élites se partagent les richesses selon leurs intérêts communautaires et familiaux, et où le travail de fond des technocrates et du personnel administratif n’a aucune marge de manœuvre.

À cela se sont ajoutées les limites de la politique de reconstruction nationale conduite par Rafic Hariri — un homme d’affaires libano-saoudien nommé Premier ministre en 1992. En voulant refaire de Beyrouth un centre financier régional et une destination touristique pour les monarchies du Golfe, Hariri a sacrifié l’agriculture et l’industrie libanaises à tel point que le Liban a fini par importer 80 % de ce qu’il consomme. Dans le même temps, les clientèles au pouvoir se sont bâti des empires immobiliers en obtenant tous les permis de construire dans les zones les plus lucratives de Beyrouth et en puisant dans les fonds publics. Pire encore, cette oligarchie s’est financée via un modèle qui s’est avéré être une « pyramide de Ponzi » géante : pour financer sa dette, la banque centrale libanaise pratiquait des taux outrancièrement généreux pour attirer les capitaux étrangers et ceux de la diaspora. Une dette le plus souvent utilisée à des fins personnelles par les élites corrompues, ce qui a laissé les infrastructures et les services publics du pays dans un état calamiteux. La crise était inéluctable dès les années 2000.

Un État failli à bout de souffle

Alors que les vagues d’émigration syrienne mettent déjà l’économie à rude épreuve, les événements s’accélèrent à partir de 2019.

En octobre, l’annonce d’une nouvelle taxe sur la messagerie WhatsApp précipite dans la rue un mouvement révolutionnaire qui conspue la corruption des élites. Puis, les banques imposent des premières restrictions sur les retraits bancaires et les transferts de dollars vers l’étranger, créant une panique chez les déposants. En mars 2020, l’abcès est crevé, le Liban fait défaut sur sa dette pour la première fois de son histoire, tandis qu’en août, une explosion dévaste le port de Beyrouth provoquant en plus d’un traumatisme social, des dégâts matériels de plusieurs milliards de dollars. La livre libanaise subit une flambée qui la fait bondir d’un taux de 1500 pour 1 dollar à plus de 80 000 en 2023, plongeant la majeure partie de la population dans la pauvreté en pleine pandémie de Covid…

Le bilan est apocalyptique. 80 % de personnes sous le seuil de pauvreté, une inflation à trois chiffres pendant plusieurs années, des centaines de milliers de personnes qualifiées quittent le pays vers des horizons plus radieux. Entre 2018 et 2024, le PIB du Liban a chuté de 55 milliards de dollars à 16 milliards, soit une baisse d’environ 70 %. La contraction est si brutale qu’elle est considérée par la Banque mondiale comme une des trois pires dépressions qu’ait connues le monde depuis le milieu du XIXe siècle. Dans un pays où il faisait encore bon vivre quelques années auparavant, les gens n’ont désormais plus que quelques heures d’électricité par jour et peinent à accéder à l’eau potable.

L’État régalien et le service public, quant à eux, ont presque disparu de la carte. Les militaires sont payés au lance-pierre et sont sans moyens face aux milices communautaires. Médecins, infirmières et professeurs ont émigré en masse. Le pays est maintenu sous perfusion par sa diaspora pendant que le Hezbollah refuse l’aide internationale du FMI sous conditions de réformes, lesquelles le priverait notamment des revenus du captagon syrien.

Enfin, les quelques hauts fonctionnaires qui ont tenté d’imposer un gouvernement de transition basé sur la compétence plutôt que le clientélisme sont ignorés ou poussés à l’exil. Ainsi des technocrates compétents ont été placardisés ou entravés. C’est le cas par exemple d’Alain Bifani – l’ancien directeur général des Finances qui avait accompli « l’œuvre herculéenne », selon l’économiste et ancien ministre des Finances George Corm, de réaliser une reconstruction complète et un audit des comptes financiers de l’État libanais – qui a dû démissionner malgré le soutien que les bailleurs internationaux avaient apporté à ses tentatives de redresser les finances publiques et de restructurer le secteur bancaire afin de protéger les déposants.

La défaite du Hezbollah ouvre un espace pour l’espoir

Le malheur du Liban est dans son voisinage. Situé sur une faille tectonique entre Israël et la Syrie, il a toujours été une « caisse de résonance » des conflits régionaux, tantôt sacrifié sur l’autel du panarabisme de Nasser et de l’irrédentisme syrien, tantôt sur celui de la cause palestinienne et de « l’axe de résistance » iranien. Ces dernières décennies, le pays du Cèdre est surtout devenu la proie de la République islamique iranienne, pour ne pas dire sa colonie.

En satellisant la communauté chiite libanaise via son bras armé, le Hezbollah, Téhéran a progressivement infiltré toutes les institutions du Liban en constituant un véritable État dans l’État. Cette prédation, en plus de bloquer toute résolution durable de la crise économique, a finalement provoqué les deux interventions israéliennes destructrices de 2006 et 2024. « Au-delà d’un changement de dirigeants, le pays doit cesser d’être une terre de convoitises », expliquait d’ailleurs l’universitaire Joseph Maïla pour Ouest France en 2020.

Toutefois, la décapitation du commandement du Hezbollah et sa défaite face aux troupes de l’État hébreu en 2024 ont changé la donne. « Le Hezbollah est affaibli militairement et politiquement », affirme ainsi Ghassan Salamé, professeur à Sciences Po, au micro de Radio France. Avec la chute du régime de Bachar El-Assad en Syrie le 9 décembre, la défaite de la milice chiite marque un revers significatif de la puissance iranienne dans la région qui aura besoin de temps avant de retrouver ses forces. Si le Hezbollah n’est pas mort comme force politique, son affaiblissement et le cessez-le-feu ont rapidement permis l’élection d’un président et la nomination d’un Premier ministre au Liban le 9 janvier 2025, après deux ans de vacance du pouvoir. « La logique voudrait qu’aujourd’hui, il soit plus difficile qu’auparavant d’entraver les réformes et de protéger la classe politique corrompue, et cela constitue une ouverture significative pour le renouvellement du Liban.», selon Alain Bifani. La recomposition des forces politiques dans les ministères marque tout du moins la sortie du Liban de l’orbite iranienne, sachant qu’Israël garde un œil attentif sur la situation du Sud-Liban.

C’est donc peut-être une nouvelle phase politique qui s’ouvre sur les décombres du pays. La fenêtre est étroite et le chantier est immense, mais il y a bien un espace en ce moment géopolitique charnière pour que le peuple libanais reprenne les rênes de son destin et s’affranchisse des puissances étrangères en se constituant un État fort et moderne. Pour sortir de l’ornière, l’État doit rapidement poser le bon diagnostic. La priorité est d’abord de renouveler la classe dirigeante en substituant aux élites prédatrices des hommes compétents qui ne manquent pas au Liban et dans la diaspora. L’autre est de couper définitivement avec les tutelles iranienne et syrienne afin de rassurer la diaspora et les investisseurs, cesser l’émigration de masse et reconstruire l’économie. Autant de mesures ardues qui pourraient permettre au Liban de renaître de ses cendres, si tant est que le gouvernement en ait les moyens et qu’un sentiment de « libanité » supra-confessionnel au sein de la population parvienne à surpasser les clivages communautaires de toujours.

En être ou ne pas en être ? Telle est la question

En être ou ne pas en être ? Telle est la question

 

par Blablachars – publié le 20 février 2025

https://blablachars.blogspot.com/2025/02/en-etre-ou-ne-pas-en-etre-telle-est-la.html#more


L’audition par la Commission de la défense nationale et des forces armées d’Alexandre Dupuy sur la coopération européenne a permis au directeur des activités Systèmes de KNDS d’exposer les vues et les ambitions du groupe dans le domaine. Évoqué par le Président de la Commission, puis mentionné par A. Dupuy dans son propos liminaire, avant d’être l’objet de plusieurs questions, le MGCS a évidemment constitué le fil conducteur de cette audition et avec lui la pertinence de développement d’une solution de transition, représentée par le Leclerc Evo. Pour Jean-Michel Jacques, le MGCS reste une des coopérations les « plus emblématiques » au sujet de  laquelle les parlementaires « sont nombreux à s’interroger. » Blablachars vous livre ci-dessous un aperçu des propos d’A. Dupuy et quelques réflexions sur le contenu de cet audition.

Durant un peu plus d’un heure, le directeur des activités Systèmes de KNDS a donc pu exposer les vues et les positions de la firme sur les différents sujets, livrer quelques informations intéressantes et répondre aux questions des députés présents. Dans son propos liminaire, Alexandre Dupuy a tout d’abord évoqué les différents aspects de la coopération européenne et les engagements de KNDS citant la Joint Venture (JV) CTAI créée il y a trente ans pour le développement du canon de 40mm. Cet armement initialement prévu pour le Jaguar et l’Ajax connait aujourd’hui un développement naval avec le Rapid Fire qui équipe les nouveaux Bâtiments Ravitailleurs de Forces (BRF) et dont le déploiement de la version terrestre est espéré par KNDS. En réponse à la question d’un parlementaire sur les opportunités d’extension du programme CaMo à d’autres pays, A. Dupuy a indiqué l’existence de « réflexions sur l’extension du modèle vers l’Irlande, selon des modalités qui restent à définir. » Cette annonce plutôt prudente  a été transformée ipso facto par de nombreux observateurs en contrat sonnant et trébuchant, au risque (une nouvelle fois) de compromettre les chances de l’industriel français qui a déjà vu plusieurs contrats lui échapper après des annonces mirobolantes. On ne peut que louer la prudence d’A. Dupuy et déplorer la persistance de ce travers gaulois qui consiste à faire chanter le coq avant le lever du soleil.

 

L’intérieur du Jaguar

 

Le char et plus particulièrement le MGCS, véritable fil rouge s’est donc invité dans cette audition dès l’introduction du Président de la Commission, avant d’être évoqué par A. Dupuy dans son propos liminaire et au cours de la séquence de questions. Dans son introduction, Jean-Michel Jacques a rappelé que le MGCS suscitait de nombreuses interrogations tout comme la pérennité du Leclerc dans sa version rénovée et la pertinence de développement d’une solution de transitoire, représentée par le Leclerc Evo. Si l’on sait que pour KNDS le caractère indispensable du char ne fait pas débat, sa masse qui pourrait se situer entre 40 et 70 tonnes est en revanche l’objet de questionnements. Pour A. Dupuy la situation du char a évolué depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, puisqu’avant cette date l’Europe des chars se divisait entre des chars modernisés comme le Leopard 2 ou le Challenger 2 et un char plus récent le Leclerc. Ce paysage a été modifié par l’arrivée d’un concurrent sud-coréen, le K2. Depuis février 2022, l’augmentation des flottes de chars, l’amélioration de leur survivabilité sont devenues des priorités pour la conception des futurs engins. Désormais le paysage blindé européen s’articule autour du futur char transalpin, issu de la coopération entre l’Italie et Rheinmetall, de projets politiques comme le FMBT (Future Main Battle Tank) et bien sur du MGCS (Main Ground Combat System). Concernant ce programme, A. Dupuy précise dans la suite de l’audition un certain nombre de points plutôt éclairants.

 

Les huit piliers du projet MGCS

 

On apprend ainsi que « tant que le MGCS avance, il faut continuer de s’y accrocher » et qu’il n’existe aucun antagonisme entre le développement du futur système et l’évolution annoncée du Leopard 2 par le gouvernement allemand. Cette absence  d’antagonismes repose sur les différences de calendrier existant entre les deux projets. Pour le MGCS le calendrier de développement prime sur celui des livraisons qui seront « phasées » pour permettre à un état européen qui achèterait le char allemand en 2030 (date probable de mise en service du futur Leopard) d’être aussi client du MGCS en 2050, en espérant que ces clients optent pour la version française du « système de systèmes ». En outre, le futur char allemand intégrera des briques technologiques utilisables dans MGCS ou en cas d’échec ou de retard du projet. Cette démarche est similaire à celle conduite par KNDS France illustrée par l’Ascalon, également symbole de la volonté de KNDS d’apporter à la coopération ce qu’il y a de mieux. Pour A. Dupuy « MGCS avance » et constitue une rupture. A ce titre, la question qui se pose est « d’en être ou de ne pas en être« . Le futur Leopard développé par l’Allemagne ne serait-il pas plutôt le produit d’appel du futur MGCS grâce auquel les industriels d’outre-Rhin devraient conserver leurs clients et conquérir de nouveaux marchés.

 

Le Leclerc Evo, un banc d’essai exportable

 

Concernant le Leclerc Evo, A Dupuy parle « d’un char  banc d’essai » pouvant être proposé à l’export, particulièrement sur des marchés où la présence allemande n’est pas souhaitée, par les autorités locales ou par Berlin. Cette ambition, qui sera affirmée en fonction du volume de commandes potentielles, doit être appuyée par l’État et la DGA qui continuent de progresser sur le sujet. On peut estimer légitime le souhait d’un appui étatique au projet, mais on aurait aimé que cette volonté exportatrice se traduise dans les faits. Tout d’abord par une déclaration forte devant la représentation nationale de la nécessité de développement d’un char de transition et de son adoption par l’armée de terre ou par la réaffirmation de l’impossible maintien des capacités opérationnelles du char (même rénové) jusqu’à la mise en service du MGCS. On peut aussi se demander si le soutien souhaité des autorités au Leclerc Evo exonère KNDS de toute initiative dans le domaine, comme le montre l’absence de l’engin au salon IDEX qui  se tient en ce moment  à Abu Dhabi. On avait découvert le Leclerc Evo en juin dernier à Eurosatory, revêtu d’une magnifique livrée sable qui semblait le destiner à des marchés spécifiques. Nombreux étaient ceux qui pensaient le retrouver en février 2025 pour affirmer à nos amis émiriens et aux visiteurs du salon que le « coup » réalisé à Eurosatory n’était pas qu’un feu de paille mais une démarche destinée à durer. Démarche qui aurait pu être portée par une déclaration d’intérêt de l’armée de terre et à laquelle nous aurions pu associer les forces armées émiriennes et les industriels locaux dans une véritable coopération. N’étant pas dans le secret des dieux, Blablachars ignore les (bonnes) raisons commerciales, techniques, financières ou stratégiques qui ont motivé KNDS à ne pas présenter le Leclerc Evo à Abu Dhabi, mais le déplore au moment où la Russie  pourtant en délicatesse sur la scène internationale, expose sur le même salon la dernière version de son T-90, le T-90MS.

 

Le T-90MS à IDEX

 

La fin de l’audition permet à Alexandre Dupuy, en réponse à la question d’un député, d’aborder le sujet du canon Ascalon et son développement initial au calibre de 120mm avant que les exigences imposées par les nouveaux blindages ne motivent le développement d’une solution de passage rapide au calibre de 140mm. Après ces généralités sur cette arme innovante, A. Dupuy indique que « si l’on sait faire en 120, en 140 on saura faire en 128, 132 ou 130[…] si on va vers une munition de 130mm, il faudra qu’elle soit compatible Ascalon. » Au delà de son aspect technique, cette déclaration ne serait-elle pas annonciatrice du futur arbitrage autour du pilier 2 « Feu principal » du projet franco-allemand ? On peut légitimement le penser, tant la solution hautement consensuelle, d’un Ascalon 130 aurait le mérite de satisfaire l’égo des différents partenaires et de donner un temps d’avance à l’Allemagne. Celle-ci ayant décidé de doter son futur Leopard du canon Rh-130 et de développer d’ici 2030 les munitions adaptées, ce qui devrait faciliter leur commercialisation sous timbre allemand et la reconnaissance de ce calibre comme calibre de référence pour les chars européens. En adoptant un Ascalon en 130mm, la France abandonnerait donc cette véritable rupture technologique, pourtant  souhaitée pour  le futur engin que Sébastien Lecornu n’hésite pas à qualifier de « futur du char. « 

 

Le canon Ascalon au tir

 

Cette audition permet donc de mesurer encore un peu plus le caractère éminemment politique du MGCS, déjà souligné à deux reprises par  Ralf Ketzel, le CEO de KNDS. Si cette caractéristique contribue à rendre le programme moins sensible aux aléas industriels et militaires et à diminuer son agilité, elle accroit en revanche sa vulnérabilité aux incidents politiques dont les prochaines élections allemandes pourraient être le premier avatar. Les propos d’Alexandre Dupuy qui succèdent à ceux du CEMAT en juin dernier, à la commande de 100 chars Leclerc rénovés rendent de plus en plus improbable l’adoption par l’armée de terre  d’un char de transition. Nous continuerons donc à pérenniser notre parc Leclerc, lui collant çà et là quelques rustines, en espérant que le Leclerc Evo rencontre le succès escompté. Il ne faut cependant pas oublier que l’exportation d’un char refusé par l’armée de terre reste un exercice difficile pour ne pas dire impossible, les échecs de l’AMX 32 et de l’AMX 40 sont là pour nous le rappeler.

KNDS France espère porter les chars Leclerc émiriens à un « niveau de performance inégalé »

KNDS France espère porter les chars Leclerc émiriens à un « niveau de performance inégalé »


Selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, l’armée de Terre devra se contenter de 200 chars Leclerc portés au standard XLR à l’horizon 2035. Aussi, contrairement à l’Allemagne, il n’est pas question, du moins pour le moment, de financer le développement d’une solution intérimaire permettant d’attendre la mise en service du Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System].

Le standard XLR du Leclerc comprend l’intégration d’équipements nécessaires au combat collaboratif, comme le Système d’information du combat SCORPION [SICS] et la radio CONTACT, d’un tourelleau téléopéré de 7,62 mm et d’une nouvelle conduite de tir. L’accent est mis sur la protection, en particulier contre les engins explosifs improvisés et les roquettes. Il est aussi question d’installer le brouilleur BARAGE. L’ajout d’un système de protection active [APS], pourtant souhaité par l’armée de Terre, n’a pas été retenu.

Les Leclerc français seront-ils, à l’arrivée, moins performants que ceux mis en œuvre par les forces armées émiriennes ?

À l’occasion du salon de l’armement IDEX, qui vient d’ouvrir ses portes à Abou Dhabi, KNDS France a réaffirmé « son soutien aux forces armées émiriennes pour les 30 prochaines années ». Et l’industriel d’ajouter qu’il a « structuré un projet de modernisation des chars Leclerc » avec plusieurs acteurs locaux, dont les groupes EDGE et BHE. Et cela à l’appui d’une « offre engageante » en cours de discussion avec le ministère émirien de la Défense afin de « porter le Leclerc à un niveau de performance inégalé ».

Reste à voir ce que KNDS France entend par « niveau de performance inégalé ». En tout cas, selon la photographie illustrant son communiqué de presse relatif au salon IDEX 2025, le char Leclerc devant être exposé n’est pas doté du système ASCALON.

Cela étant, la modernisation des chars Leclerc émiriens est sur la table depuis plusieurs années. En novembre 2020, le directeur de KNDS France [Nexter, à l’époque] pour le Moyen-Orient avait expliqué au mensuel Al Jundi [« Le soldat »] que cette rénovation consisterait à augmenter la puissance de feu ainsi que la capacité d’observation grâce à la robotique. Un accent devrait être mis sur les capacités C2 [command & control] et la protection.

Probablement que l’armée de Terre suivra de près cette affaire… car si la modernisation de ses Leclerc doit se faire a minima, c’est parce qu’il lui manquait des partenaires pour être plus ambitieuse. En tout cas, c’est ce qu’avait suggéré son chef d’état-major, le général Pierre Schill, lors d’une audition parlementaire en 2023.

« Concernant le Leclerc, mon objectif est de lancer une première modernisation. Nous réaliserons des études complémentaires afin de définir en 2025 la portée et la profondeur de cette modernisation », avait-il dit. « Je souhaite m’associer autant que possible à des pays partenaires », avait-il continué, avant de préciser que les « Émiriens [étaient] prêts à coopérer » avec la France.

Pour rappel, les forces armées émiriennes ont reçu 388 exemplaires d’une version « tropicalisée » du Leclerc, ainsi que 46 chars de dépannage. Et cela, dans des conditions très avantageuses puisque le contrat, signé en 1992, se révéla être un gouffre financier pour la partie françaises. Engagés au Yémen, ils ont fait une très bonne impression, à en juger par les retours d’expérience [RETEX] publiés à l’époque. Puis, les Émirats arabes unis en ont cédé plusieurs dizaines d’unités à la Jordanie, en 2020.

L’Australie lâche 500 millions de dollars pour AUKUS : des sous-marins nucléaires en approche

L’Australie lâche 500 millions de dollars pour AUKUS : des sous-marins nucléaires en approche

L’Australie investit 500 millions de dollars pour renforcer sa défense face aux tensions croissantes dans le Pacifique. Découvrez comment cet engagement stratégique pourrait transformer l’équilibre des forces dans la région.


L'Australie débourse un premier versement dans le cadre de l'accord AUKUS
L’Australie lâche 500 millions de dollars pour AUKUS : des sous-marins nucléaires en approche | Armees.com

L’Australie vient de franchir une étape importante dans sa coopération stratégique avec les États-Unis en versant 500 millions de dollars américains dans le cadre de l’accord sur les sous-marins nucléaires AUKUS. Ce paiement marque une avancée notable pour la défense australienne, illustrant sa volonté de renforcer ses capacités militaires face aux défis grandissants dans la région indo-pacifique.

Une situation financière et stratégique intéressante

Ce versement intervient avant une rencontre prévue à Washington le 7 février entre les responsables de la défense des deux pays (cette réunion vise à mettre au point plusieurs dossiers sensibles). À cette occasion, ils préparent également l’arrivée future de sous-marins nucléaires américains de classe Virginia en Australie. Le ministre australien de la Défense, Richard Marles, a insisté sur le fait que ce versement représente « un investissement important » pour soutenir la base industrielle des sous-marins américains.

Sur le plan économique, l’Australie prévoit de faire grimper son budget de défense annuel pour atteindre 100 milliards de dollars australiens dans les dix prochaines années. Cet accroissement budgétaire permettra non seulement de financer l’achat des sous-marins, mais également d’autres projets liés aux infrastructures militaires. De son côté, les États-Unis bénéficient déjà d’un excédent commercial de 32 milliards de dollars avec l’Australie, ce qui montre l’importance économique de cette collaboration.

Les détails du projet AUKUS

L’accord AUKUS ne se résume pas à l’achat direct de sous-marins. En plus des trois à cinq sous-marins nucléaires américains prévus, la Grande-Bretagne et l’Australie collaboreront à la construction d’un nouveau sous-marin de classe AUKUS. Pour soutenir cette aventure, l’Australie va investir 18 milliards de dollars australiens dans la modernisation de ses bases militaires situées dans le nord du pays (cette initiative vise à rendre les installations plus accueillantes pour les forces américaines et faciliter leur présence sur le territoire australien).

Une somme supplémentaire de 8 milliards de dollars australiens est destinée au développement d’une base navale en Australie-Occidentale. Cette installation jouera un rôle clé pour soutenir les rotations prévues des sous-marins nucléaires américains, renforçant ainsi la défense du pays.

Rencontres diplomatiques et perspectives d’avenir

La première rencontre entre Richard Marles et le nouveau Secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, revêt une importance particulière. Elle incarne le lancement d’une nouvelle phase dans les relations bilatérales axée sur la sécurité régionale. Durant ces échanges, il sera notamment question de la présence militaire grandissante des États-Unis en Australie (un sujet qui fait déjà l’objet de nombreux débats) et des retombées stratégiques pour la région indo-pacifique.

Les discussions avec Marco Rubio, Secrétaire d’État américain évoqué dans le cadre d’AUKUS, ont été jugées « très positives » par Penny Wong, Ministre australienne des Affaires étrangères (ce commentaire reflète une volonté commune d’avancer rapidement sur ce projet ambitieux).

Sur le plan des infrastructures à venir, les premiers sous-marins construits au Royaume-Uni devraient être livrés avant la fin de la prochaine décennie. Par ailleurs, l’Australie prévoit d’effectuer sa première maintenance locale sur un sous-marin nucléaire américain dès septembre prochain, avec l’USS Hawaii (SSN 776).

Le ministère allemand de la Défense a notifié les premiers contrats pour le futur char Leopard 3

Le ministère allemand de la Défense a notifié les premiers contrats pour le futur char Leopard 3


Comme l’a répété la Direction générale de l’armement [DGA] à l’occasion de la commande des 100 derniers chars Leclerc devant être portés au standard XLR, le ministère des Armées n’envisage pas, pour le moment, de financer une solution « intérimaire » permettant d’attendre 2045 et la mise en service du Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], dont le développement fait l’objet d’une coopération entre la France et l’Allemagne.

Pour rappel, comme le prévoit un protocole d’accord signé en avril dernier par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand Boris Pistorius, ce projet doit être réorganisé selon huit piliers capacitaires afin de garantir un partage des tâches à 50-50 entre les industriels des deux pays. Cependant, certains choix technologiques ne seront confirmés qu’à l’issue d’évaluations technico-opérationnelles. Ce sera ainsi le cas pour l’armement principal du futur char de combat de ce « système de systèmes ».

Sur ce point, deux solutions sont en lice. Ainsi, KNDS France défend son système ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN], qui a la particularité de pouvoir tirer des obus de 120 ou de 140 mm, tandis que Rheinmetall entend imposer son canon de 130 mm, par ailleurs censé équiper le char KF-51 Panther. « Censé » car les deux pays qui l’ont choisi, à savoir la Hongrie et l’Italie ont préféré s’en tenir au traditionnel canon de 120 mm pour le moment.

Quoi qu’il en soit, lors de l’examen du projet de loi de finances 2025, l’automne dernier, plusieurs rapports parlementaires ont insisté sur la nécessité de soutenir l’ASCALON en s’appuyant sur char E-MBT du groupe KNDS ou sur une évolution du Leclerc. Ce qui est donc exclu pour le moment, même si le Délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, a admis que « la question de la prolongation du char Leclerc jusqu’en 2040 [était] aujourd’hui identifiée ».

Outre-Rhin, on estime, au contraire, qu’une « solution de pont » permettant d’attendre le MGCS est nécessaire. Et celle-ci ne reposera pas sur le Leopard 2A8, c’est-à-dire la dernière version du char Leopard 2.

Chef des opérations de l’équipe du projet MGCS au sein de l’Office fédéral de l’équipement de la Bundeswehr, des technologies de l’information et de l’appui en cours d’emploi [BAAINBw], le colonel Armin Dirks n’avait laissé aucun doute à ce sujet lors de la dernière conférence annuelle « International Armoured Vehicle », organisée au Royaume-Uni, en janvier.

Alors qu’il est question d’un Leopard 2AX [ou Leopard 3, tant les évolutions attendues seront importantes] depuis plusieurs mois, le BAAINBw vient de notifier plusieurs contrats pour développer cette « solution de pont ». C’est en effet ce que vient de révéler la presse spécialisée allemande, sur la foi d’avis d’attribution de marché publiés le 5 février via la plateforme européenne « EU Tenders » [ou TED].

Ainsi, ce Leopard 3 devrait être armée d’un canon de 130 mm étant donné que Rheinmetall s’est vu notifier des contrats pour mener des études techniques en vue de développer au moins trois modèles d’obus de ce calibre.

« Cela suggère qu’une décision préliminaire a été prise en faveur du canon de 130 mm de Rheinmetall, au moins pour la solution du pont et peut-être même pour le MGCS » a résumé Europaïsche Sicherheit & Technik [ESUT].

En outre, le BAAINBw a retenu Hensoldt et KNDS Deutschland pour mener des études sur un nouveau système de conduite de tir.

La première vise à mettre au point un « système de réglage automatique sur le terrain » pouvant être adapté « à toutes les variantes du Leopard 2 » avec un canon de 120 mm et quelle que soit la variante de l’ordinateur de contrôle de tir. Quant à la seconde, confiée à KNDS Deutschland, elle doit permettre de « corriger automatiquement les influences thermiques sur le canon, lesquelles sont susceptibles de réduire sa précision ».

Enfin, KNDS Deutschland a également été chargé de développer un nouveau groupe motopropulseur, appelé OLYMP. D’après des sources sollicités par Hartpunkt, le moteur serait produit par Liebherr, qui « motorise » déjà les véhicules de combat d’infanterie Marder 1 et Lynx KF41.

« Dans le cadre de l’étude visant à augmenter l’agilité de la chaîne cinématique, un moteur alternatif [moteur à combustion] doit être développé. Il convient d’utiliser autant de composants du système existant [pièces identiques] que possible », a précisé le BAAINBw dans son avis de marché.

Les résultats de ces études devront être communiqués en novembre 2026, au plus tard. Ce qui est conforme au calendrier qui avait été évoqué par ESUT en janvier dernier, l’objectif étant de mettre en service ce Leopard 3 au début des années 2030.

De l’usage du retour d’expérience (CMF – Dossier 31)

De l’usage du retour d’expérience (CMF – Dossier 31)


 

Pour bâtir la défense du futur il est essentiel de s’appuyer sur le retour d’expérience (RETEX) que l’on peut tirer des opérations en cours ou passées. C’est ce à quoi nous invite le colonel (ER) Claude Franc qui, à la lumière de l’histoire, met en avant les erreurs à éviter et les obstacles à surmonter car, ne l’oublions pas, le RETEX épargne des vies !

* * *

Après les succès des campagnes napoléoniennes, ses anciens vaincus ont cherché à les décortiquer pour tenter, sinon de trouver ses « recettes », au moins pour définir un certain nombre de principes. Les plus célèbres furent Clausewitz[1] et Jomini[2], qui parvinrent d’ailleurs à des conclusions fort différentes, ce qui illustre bien l’idée selon laquelle ce genre d’exercice est loin d’être une science exacte. En France, le plus connu est sans contexte Foch, qui a tiré de l’étude des campagnes napoléoniennes ses Principes[3] qui font toujours autorité.

Après avoir survolé la façon dont les enseignements tirés des conflits ont – ou non – innervé la pensée militaire des grandes nations militaires durant les deux siècles passés, la question à laquelle il va falloir répondre est la suivante : aujourd’hui, et demain, les grands choix capacitaires qui sont prononcés en France reposent-ils sur des enseignements tangibles et pérennes, si tant est qu’ils puissent l’être, des grands conflits en cours ? Pour répondre à cette question, l’exemple du conflit ukrainien peut servir de support.

Le premier constat qui s’impose est que la victoire est fort mauvaise conseillère. Des enseignements réalistes ont toujours été mieux tirés à la suite d’une défaite que d’une victoire, qui par nature ankylose la pensée. Les exemples foisonnent : le réveil militaire prussien qui aboutira aux grandes victoires décisives de Sadowa[4] et de Sedan date de la réaction intellectuelle de Scharnhorst et Gneisenau[5] après Iéna. La France en a fait de même après Sedan, puisque la grande réforme de l’armée du début de la Troisième République n’est que la copie du système prussien qui l’avait battue.

A contrario, les grandes armées vainqueurs sont souvent les futures armées vaincues. Le cas le plus édifiant est donné par l’armée française, vainqueur en 1918 et auréolé du titre de « première armée du monde », ce qui ne l’empêchera pas, quelque vingt-deux ans plus tard, de subir la plus grande défaite qu’elle ait connue depuis Azincourt. Ce constat vaut également pour les armées hors d’Europe : Tsahal, grande vainqueur de la Guerre des Six jours s’est reposée sur ses lauriers et est passée à deux doigts d’une défaite cinglante lors de la Guerre du Kippour, où elle a profité de la pusillanimité de l’armée égyptienne. Ce constat est identique même dans les armées de culture différente : Giap, vaincu à Na San en 1952, en tire les enseignements, corrige l’organisation de son armée, notamment les dotations de ses grandes unités en moyens d’appui et gagne à Diên Biên Phu dix-huit mois plus tard. L’armée vietnamienne disposait, du fait de sa culture marxiste-léniniste, d’un redoutable outil de « retour d’expérience », l’autocritique. En revanche, auréolé de sa victoire et ayant conservé son commandent lors de la guerre contre les États-Unis, Giap se fait battre à Khe San[6] (un Diên Biên Phu qui a réussi) car il n’avait pas intégré les capacités d’appui aérien fournies par les moyens aéronavals de la VIIe Flotte.

Le deuxième constat qui s’impose en termes de piètre retour d’expérience est que la suffisance d’une « grande » armée par rapport à une « petite » débouche également sur de mauvais enseignements. C’est typiquement le cas de l’armée française dans l’entre-deux guerres, comme le souligne le général Beaufre dans son ouvrage magistral Le drame de 1940[7] : « La guerre de 1914 –1918, codifiée par Pétain et Debeney avait conduit à tout placer sous le signe de barèmes, d’effectifs, de munitions, de tonnes, de délais, de pertes, le tout ramené au kilomètre courant. C’était technique et commode, voire rassurant, mais foncièrement faux ; on le vit bien en 1940… Les moindres réflexions sur les fronts de Russie, de Salonique et de Palestine en eussent montré l’inanité. Mais c’étaient là des fronts secondaires, sans intérêt pour l’armée française ».

Les Allemands, eux, s’étaient intéressés aux « fronts secondaires » !

Le cas le plus emblématique demeure les enseignements tirés des deux guerres balkaniques de 1912 et 1913. L’armée française avait pourtant envoyé sur place une commission chargée d’en recueillir « les enseignements susceptibles d’éclairer la doctrine d’emploi de nos unités dans l’hypothèse d’une guerre générale en Europe ». Évidemment, quand on parle de « guerre générale européenne », un conflit local balkanique, mettant aux prises des armées aussi « importantes » que les armées serbe, bulgare ou grecque n’avait pas de quoi soulever l’enthousiasme des bureaux du ministère de la guerre de l’Îlot-Saint-Germain à Paris. Personne n’en tint le moindre compte. Et pourtant !

Ces enseignements se sont révélés – après coup bien sûr – singulièrement prémonitoires : la supériorité du feu direct (les mitrailleuses) ou indirect (l’artillerie lourde) interdisait toute manœuvre fondée sur le mouvement. En effet, la seule façon de se prémunir des effets de ce feu devenu tyrannique a consisté à recourir aux principes de la guerre de siège et de s’enterrer dans des tranchées. Ceci a été écrit en 1912 par une commission composée de professeurs de l’École Supérieure de Guerre, mais leur prose n’a intéressé personne, et n’a jamais été lue. Pensez donc ! L’armée grecque ou l’armée bulgare ! C’est en raisonnant de la sorte que, pendant la seule journée du 22 août 1914, l’armée française a accusé 22 000 tués.

À cet égard, les enseignements tirés par le commandement français de la campagne éclair de Pologne, en septembre 1939, par la Wehrmacht sont également révélateurs. Alors que la manœuvre blindée allemande aurait largement dû ouvrir les yeux du commandement, en mars 1940, le général Boucherie, éminent « spécialiste » des blindés, écrivait dans la Revue de Défense nationale, lancée un an auparavant pour redynamiser la pensée stratégique française « L’armée française n’est pas l’armée polonaise. La plaine polonaise n’est pas comparable au terrain compartimenté qui domine en France. Et, de toutes façons, l’armée française veille ! ». Deux mois avant Sedan ! En janvier, dans un mémorandum adressé à quatre-vingts personnalités politiques et militaires, le commandant des chars de la 5e Armée, en tirait, pour sa part, des conclusions radicalement opposées. Il s’agissait d’un certain colonel de Gaulle. Son étude a été annotée en marge de façon fort condescendante par le général Georges.

Le troisième et dernier obstacle s’opposant à tirer des enseignements justes et pérennes est l’esprit de système qui prévaut encore parfois. Le cas le plus flagrant consiste à adapter à un niveau de commandement donné la solution qui avait fonctionné à un autre niveau, le plus souvent, subalterne. À cet égard, le cas de Nivelle est parfaitement révélateur. À Verdun, en octobre et décembre 1916, comme commandant d’armée, il avait actionné Mangin, commandant de corps d’armée, de telle sorte que les Allemands ont été reconduits en deçà de leur ligne de débouché de février. À ce titre, Nivelle peut s’enorgueillir du titre de véritable vainqueur de Verdun. C’est du moins ce qu’écrit Joffre dans ses Mémoires. Fort de ce succès, Joffre limogé, Nivelle a été promu directement de tout jeune commandant d’armée au commandement suprême, assuré d’avoir « la » solution pour résoudre l’impasse tactique qui durait depuis plus de deux ans, l’impossibilité de percer les défenses ennemies. Ce fut l’échec du Chemin des Dames[8], car un mode d’action qui est probant au niveau d’une armée et d’un corps d’armée sur un terrain donné, n’est pas transposable en l’état, au niveau d’un groupe d’armées et sur un terrain radicalement différent.

Ceci posé, parmi beaucoup d’autres, il existe deux exemples par lesquels une mise à jour, voire une innovation, des procédés tactiques est directement issue des enseignements tirés d’opérations en cours ou récentes : la découverte de l’aéromobilité, ancêtre de l’aérocombat, grâce à l’étude de l’engagement de la First Cav au Vietnam à la fin des années soixante et la modification radicale de la manœuvre blindée, eu égard aux enseignements tirés de la guerre du Kippour de 1973, au cours de laquelle les missiles antichars soviétiques qui équipaient l’armée égyptienne ont fait subir des hécatombes aux escadrons de chars israéliens.

S’agissant du premier cas, l’US Army avait conçu une grande unité originale, au sein de laquelle les bataillons de combat se trouvaient intégrés à des sous-groupements d’hélicoptères. La nouveauté résidait dans le rythme de la manœuvre : tandis que jusqu’alors, les hélicoptères agissaient en soutien des forces terrestres, la manœuvre se déroulait au rythme de ces dernières. Dans le cas de la First Cav, les bataillons manœuvraient au rythme des hélicoptères, ce qui changeait tout. C’est ainsi, qu’en France, le concept d’aéromobilité a progressivement vu le jour : d’abord par la création des régiments d’hélicoptères de combat (RHC) en 1975, puis, par leur regroupement au sein des éléments organiques de corps d’armée (EOCA) dans les groupements de reconnaissance des corps d’armée (GRCA) ce qui leur procurait une allonge considérable, véritable atout dans des actions de reconnaissance. Puis enfin, en 1984, par la création d’une grande unité aéromobile autonome, la 4e DAM. La France disposait alors de sa First Cav ! Le concept a ensuite évolué en aérocombat, le terme étant beaucoup plus évocateur que celui d’aéromobilité, qui pouvait passer pour réducteur, la mobilité ne constituant qu’un aspect du combat. En tactique, comme en toute chose, la sémantique a son importance.

Dans le second exemple, il s’agit des enseignements tirés « à chaud » des opérations de la guerre du Kippour. Toutes les armées occidentales avaient été surprises par les pertes considérables en blindés que les divisions blindées israéliennes avaient subies au cours du conflit, que ce soit dans la première phase, défensive pour Tsahal, comme dans la seconde, au cours de laquelle l’armée israélienne avait repris l’offensive. Pour schématiser, le concept d’emploi blindé israélien privilégiait la puissance, la vitesse et la mobilité de leurs chars aux dépens de leur environnement interarmes. De la sorte, agissant en masse et seuls, sans soutien d’infanterie, les chars israéliens sont rapidement devenus des objectifs de choix pour les missiliers égyptiens. La leçon n’a pas été perdue. Un an plus tard, l’Inspection de l’arme blindée cavalerie (ABC) faisait diffuser une note prohibant les « déboulés de chars à la Guderian » et privilégiant l’utilisation du terrain entre deux positions de tir. Simultanément, le manuel ABC 101, la « bible » du combat blindé était refondu et diffusé en 1978. Quant à l’Infanterie, elle devait privilégier les missiles antichars à courte et moyenne portée, et progressivement substituer des AMX 30 aux AMX 13 dans les unités de chars de ses régiments mécanisés. La vérité oblige à dire que si les documents de doctrine ou d’organisation ont été publiés rapidement, l’évolution des mentalités fut plus lente.

 

Et de nos jours ?

Depuis plus de deux ans, une guerre majeure a lieu sous nos yeux en Europe, en Ukraine. Des enseignements probants en sont-ils tirés ou bien, le commandement agit-il comme Gamelin face à la campagne de Pologne ? Force est de constater que la vérité se situe un peu entre ces deux positions. Pour s’en rendre compte, il suffit de se livrer à un exercice assez simple : confronter les évènements d’Ukraine (même s’ils ne représentent pas l’alpha et l’oméga de toute guerre future, car il y aura une guerre future, ne le perdons surtout pas de vue) avec les arbitrages capacitaires de la dernière loi de programmation.

Tous les grands programmes sont maintenus. Dont acte. Mais sont-ils tous d’actualité, eu égard à ce qui se passe en Ukraine ? Sur ce théâtre, manifestement, le drone et le missile ont supplanté l’avion piloté, car, compte tenu de la densité de la défense sol-air, dans les deux camps, peu d’avions volent dans l’espace aérien des zones de combat[9]. Aujourd’hui, si le chef de l’État ukrainien attend toujours de recevoir un nombre plus conséquent de F-16 américains, il réclame surtout des missiles à longue portée. Développe-t-on en France un armement de défense sol-air d’accompagnement dont l’absence se fait cruellement sentir ? Il semblerait que oui, ce domaine est redevenu un sujet de préoccupation pour les armées dont l’armée de Terre et les industriels planchent sur des solutions que l’on regroupe sous le vocable de SABC (sol-air basse couche). Il reste à pouvoir concrétiser ce besoin dans un contexte politique incertain.

Au niveau de l’organisation du commandement, le modèle ukrainien prouve toute la pertinence d’un commandement largement décentralisé, sans « mille feuilles » hiérarchique et disposant de PC légers et manœuvrants. Aujourd’hui, en France, comme dans toutes les armées occidentales, la tendance est aux PC lourds, étoffés et peu ou pas manœuvrants. La cause en semble double, l’héritage otanien et la nécessité de traiter des fonctions qui n’existaient pas dans un passé encore proche. Mais est-ce une raison suffisante pour s’interdire de réfléchir à un allègement des PC, quitte à revoir leur fonctionnement, en déportant ailleurs certaines de leurs fonctions ?

Le programme MGCS[10], (programme franco-allemand pour le développement d’un système multiplateformes habitées et non habitées, dont l’une d’elle sera dite « plateforme canon » correspondant à un char futur) devant déboucher à la moitié du siècle. La France disposerait alors d’un char encore en service à l’aube du XXIIe siècle. Qu’en sera-t-il du char de bataille à cette échéance ? Des systèmes d’armes robotisés, couplés à des programmes d’intelligence artificielle mis à jour au fur et à mesure des avancées technologiques en ce domaines, ne produiraient-ils pas le même effet, pour un coût d’acquisition et de possession bien moindre ? Car, l’effet premier attendu d’un char de bataille est avant tout la destruction du système d’armes adverse, tout en protégeant son équipage de la « ferraille du champ de bataille ». Conçu lors de la Première Guerre mondiale, il arrivera bien un jour où le char de bataille sera révolu. Il convient non seulement d’y penser, mais également d’anticiper ce moment. Le retour d’expérience, par une juste appréciation des enseignements tirés, peut y aider.

Il en va de même pour l’avion piloté, dont l’arrivée sur le champ de bataille a d’ailleurs été concomitante avec celle du char. Commandant en chef en 1918, alors que Foch le poussait à adopter une posture offensive, Pétain répliquait « J’attends les chars et les avions »[11]. C’était il y a un siècle. L’attaque massive de drones (encore lents, mais leur vitesse ne pourra que croître) dont le territoire israélien a été l’objectif de la part de l’Iran ne préfigure-t-elle pas une nouvelle forme de guerre, à court terme ?

Le programme du porte-avions futur ne sera pas évoqué car il répond à une autre logique. Sa seule justification est de faire figurer la Marine nationale parmi les rares marines qui en sont dotées, ce qui peut, à la limite, se concevoir.

Même les moyens de la dissuasion nucléaire ne sauraient échapper à ce qui se passe de nos jours, sur les marches de l’Est, et ce, d’autant mieux que l’Occident se trouve soumis, depuis deux ans, à une récurrence de la dialectique nucléaire (pour rester aimable) de la part du chef de l’État russe et ses siloviki.

Avoir négligé les enseignements de la guerre de Sécession (disparition du rôle de choc de la cavalerie sur le champ de bataille et importance de la voie ferrée pour les mouvements et la logistique) nous a conduits à Sedan. S’être endormis sur nos lauriers en 1918 nous a amenés à un nouveau Sedan (il existe décidément des terres fatales à nos armes !).

Mais encore conviendrait-il de se concentrer sur le bon niveau d’enseignements des conflits, celui de la manœuvre. J’observe que, depuis 1914 et ce, jusqu’à l’adoption du système Félin, l’armée française a toujours clamé sur tous les tons que le sac du fantassin était trop lourd ! Ce qui est vrai. Mais j’observe également que malgré ce RETEX de bon sens, vieux de plus d’un siècle, le problème n’a jamais été résolu. Sortons de la norme, et, en matière de RETEX, retournons à notre cœur de métier, à savoir faire la guerre.

Pour conclure, au regard de l’Histoire et des menaces futures, il apparait clairement que ce que l’armée française appelle « Retour d’expérience » devrait aller au-delà de son aspect actuel, essentiellement normatif, pour atteindre le niveau opérationnel le plus haut, celui de la conception des opérations. Une telle démarche se révélerait de nature à pouvoir tirer de véritables enseignements pour l’avenir, à partir des conflits qui ont cours aujourd’hui.


NOTES :

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_von_Clausewitz
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_de_Jomini
  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Des_Principes_de_la_Guerre
  4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Sadowa
  5. https://www.universalis.fr/encyclopedie/gerhardt-johann-david-von-scharnhorst/
  6. https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/915086
  7. Général Beaufre, Mémoires 1920 – 1940 – 1945,Tome 1, le drame de 1940, Paris, Plon, 1965, p. 56.
  8. https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Chemin_des_Dames
  9. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de l’avion qui révèle tout son intérêt par ailleurs : au-dessus de la Mer noire, protégés par les chasseurs, les AWACS renseignent l’Ukraine, de la Russie les chasseurs-bombardiers délivrent leurs « bombes planantes »…
  10. https://fr.wikipedia.org/wiki/MGCS
  11. Il s’agit du Pétain d’avant 1940, donc fréquentable dans nos études.

CERCLE MARÉCHAL FOCH

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le Cercle Maréchal Foch est une association d’officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre, fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. Le CMF est partenaire du site THEATRUM BELLI depuis 2017. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).

Et maintenant le Léopard 3 !

Et maintenant le Léopard 3 !

 

Blablachars – publié le 24 janvier 2025

https://blablachars.blogspot.com/2025/01/et-maintenant-le-leopard-3.html#more


Les hasards du calendrier sont parfois surprenants comme en témoigne l’actualité blindée de ces derniers jours, au cours desquels deux nouvelles se sont télescopées. La première de ces informations nous parvient de Farnoborough où se tient l’édition 2025 de l’IAV (International Armoured Vehicle) Conference. C’est dans cette enceinte que le colonel Armin Dirks, chef des opérations de l’équipe de projet combiné MGCS au sein de l’Office fédéral de l’équipement de la Bundeswehr, des technologies de l’information et de l’appui en cours d’emploi (BAAINBw) a livré quelques informations sur le programme. Cette intervention a été « percutée » par l’annonce de la signature en présence des ministres français et allemands du pacte d’actionnaire de la MGCS project company réunissant KNDS France, Thales, KNDS Deutschland et Rheinmetall.  

L’intervention du colonel Dirks dans l’enceinte de Farnoborough a confirmé les propos qu’il avait tenus il y a un an dans cette même enceinte. Le concept déjà présenté l’année dernière s’articule autour de plusieurs plateformes d’un poids inférieur à cinquante tonnes qui seraient équipées d’armements divers comme de missiles hypervéloces, des missiles NLOS (Non Line Of Sight) ou de capteurs dédiés. Le calendrier du projet a subi quelques modifications imposées par des considérations de politique interne allemande. Selon le colonel Dirks, la signature du contrat de développement initialement prévue avant les élections au Bundestag est désormais reportées à l’automne 2025, en espérant que la chambre issue des urnes ne s’oppose pas au projet. Évoquée la veille par le colonel Dirks comme préalable indispensable au démarrage des négociations, la MGCS projet company est fondée le lendemain.  

Signature du pacte d’actionnaires de la société de projet

Hasard du calendrier ou simple coïncidence C’est en effet de façon quasi simultanée que l’on a appris par la voix de Nicolas Chamussy (CEO de KNDS France) la création de la société par Sébastien Lecornu et Boris Pistorius. Celle-ci doit donc servir de cadre aux discussions entre les partenaires sur les différents sujets parmi lesquels le partage du pilier 2 sobrement intitulé « feu principal. » On ne peut que se réjouir de cette avancée essentiellement structurelle du projet dont on attend encore la présentation, que Boris Pistorius avait annoncée à la fin de l’année 2023. S’inscrivant dans le calendrier du projet franco-allemand, la création de cette société n’apporte aucune précision sur les prochaine échéances que l’on découvre dans la suite du propos de l’officier allemand. 

Les plateformes du MGCS (Conception graphique Bundeswehr)

Selon lui, l’arrivée du MGCS prévue à partir de 2040, échéance jugée irréaliste par de nombreux observateurs, motive la modernisation au standard A7 des deux tiers du parc de Leopard en service dans la Bundeswehr. Parallèlement à cette opération, l’Allemagne devrait recevoir d’ici 2030 les 123 Leopard 2A8, commandés cet été. Ces engins étant destinés à rejoindre la Lituanie, à la fois au sein de la future brigade allemande et des forces armées lituaniennes. Évoquant le délai existant entre la mise en service de ces chars, pour lesquels le colonel Dirks évoque une durée de vie opérationnelle de vingt ans, et la pleine efficacité opérationnelle du MGCS, l’officier allemand souligne la nécessité de développer une solution de transition. Cette opération a déjà débuté par le recensement des compétences pouvant être intégrées dans un char de transition, avant un gel de la configuration retenue en 2026. Cet engin à la sauce allemande conçu sur la base du Leopard 2 actuel serait donc une plateforme unique sur laquelle seraient intégrées un certain nombre de technologies existantes, telles qu’une numérisation accrue des systèmes, une capacité drone et un canon de 130mm. Ce char de transition à la sauce allemande pourrait être baptisé Leopard 3 !

 

Leopard 2A-RC 3.0 à Eurosatory

Les propos du colonel Dirks révèlent toute l’ambiguïté allemande vis à vis du projet franco-allemand. Alors qu’il fixe l’arrivée du MGCS en 2040, le colonel Dirks n’apporte aucune précision sur la date d’atteinte de la capacité opérationnelle, qu’elle soit initiale (IOC) ou finale (FOC) alors que celles-ci peuvent nécessiter plusieurs années. A titre d’exemple, le Leclerc introduit dans l’armée de Terre en janvier 1994 a vu sa Mise en Service Opérationnelle prononcée en 1999, Boris Pistorius évoque quand à lui une durée de dix ans pour l’intégration des chars de combat.  Il est clair que pour la partie allemande le MGCS, projet essentiellement politique selon Ralf Ketzel, le calendrier du programme ne sera pas respecté, ce décalage impose donc le développement dès maintenant d’une solution de transition. Évidemment celle-ci est développée à partir du Leopard 2 qui, toujours selon le CEO de KNDS est « vraiment le fondement des forces terrestres en Europe » et surtout une véritable réussite commerciale dont il faut préserver le succès dans les années à venir. Le choix du nom de Leopard 3 répond à cette exigence, introduisant une véritable continuité technologique destinée à rassurer les futurs clients et conforter la position du char allemand en Europe. Le Leopard 2A-RC 3.0, présenté en juin dernier à Eurosatory semble donc posséder les caractéristiques nécessaires pour devenir dans un futur proche le Leopard 3. Quelques modifications pourraient apporter au projet initial comme l’introduction du canon Rh-130 de Rheinmetall en lieu et place du canon L-55 de 120 mm équipant actuellement les Leopard 2. Cette intégration scellerait l’union des deux « frères ennemis » allemands autour d’un projet unique et permettrait à Berlin d’imposer le canon de 130mm comme standard européen. Cette fusion placerait en outre l’Allemagne en très bonne position au moment où l’on évoque un renforcement de la base industrielle de défense européenne.

Leopard 2A-RC 3.0 ou Leopard 3

A la différence de la France, l’Allemagne suit une feuille de route précise, adaptée à l’arrivée du MGCS à la date qui leur conviendra le mieux et à laquelle la France devra s’adapter, de gré ou de force. L’évocation d’un Leopard 3 comme solution de transition répond à de nécessaires nécessités commerciales et vise à préserver la position dominante de l’Allemagne sur le marché des chars lourds en Europe. L’intervention du colonel Dirks nous montre que, comme l’a écrit Blablachars, 2025 est bien une année capitale pour notre segment de décision pour lequel la simple question budgétaire ne peut plus être une excuse ! 

Le Leclerc Evo ou la transition Made in France

 

Le plan de Trump pour l’OTAN

Le plan de Trump pour l’OTAN

Mandatory Credit: Photo by Taidgh Barron/ZUMA Press Wire/Shutterstock (14582742t)

par Geopolitika – Revue Conflits – publié le 22 janvier 2025

https://www.revueconflits.com/le-plan-de-trump-pour-lotan/


Donald Trump a menacé les Européens de quitter l’OTAN si ceux-ci ne participaient pas davantage à son financement. Une menace qui illustre sa vision de l’Alliance et le plan qu’il envisage. Entretien avec le Dr Glenn Agung Hole.

 par le Dr. Glenn Agung Hole. Maître de conférences en entrepreneuriat, économie et gestion, Université du sud-est de la Norvège & professeur honoraire à l’Université d’État Sarsen Amanzholov de l’est du Kazakhstan.

 

Donald Trump a vu sa politique étrangère critiquée comme chaotique et imprévisible, mais à travers le prisme de l’économie autrichienne – avec l’accent mis par Ludwig von Mises et Friedrich Hayek sur la décentralisation, la concurrence et la coopération volontaire – on peut discerner des schémas reflétant une logique sous-jacente.

En interprétant l’approche de Trump comme une forme « d’entrepreneuriat géopolitique », il devient clair que sa politique étrangère ne se contente pas de remettre en cause les structures établies en Europe, mais qu’elle met également en place les bons incitatifs pour que les pays européens assument davantage la responsabilité de leur propre sécurité. Dans le même temps, elle ouvre de nouvelles opportunités pour l’Europe dans un monde en rapide mutation.

L’entretien de Stephen Wertheim avec Der Spiegel du 4 décembre 2024 est une plateforme solide pour comprendre l’approche de Trump à l’égard de la dynamique du pouvoir mondial. Wertheim soutient que Trump n’a jamais été un isolationniste, mais plutôt un pragmatiste cherchant à redistribuer les charges et les ressources. En utilisant les principes de l’économie autrichienne et de l’entrepreneuriat, nous pouvons approfondir notre compréhension de la politique de Trump et de ses implications.

Trump en tant qu’entrepreneur géopolitique

Dans l’économie autrichienne, l’entrepreneur joue un rôle clé en identifiant les opportunités, en prenant des risques calculés et en redistribuant les ressources afin de créer de la valeur. La politique de Trump peut être comprise comme une approche entrepreneuriale de la politique étrangère, dans laquelle il s’efforce de remettre en cause les structures inefficaces et de créer de nouveaux points d’équilibre.

Stephen Wertheim souligne que l’exigence de Trump selon laquelle les pays de l’OTAN augmentent leurs dépenses de défense représente un changement de paradigme. Cela peut être interprété comme une stratégie visant à redistribuer les ressources au sein de l’alliance et à la rendre plus soutenable pour les États-Unis. Trump considère l’OTAN comme un « investissement » qui doit apporter un rendement. Son pragmatisme reflète l’accent mis par Mises sur le fait que les acteurs devraient assumer la responsabilité de leurs propres besoins plutôt que de se reposer sur l’effort d’autrui.

Un exemple concret est la priorité accordée par Trump aux accords bilatéraux, qu’il juge plus flexibles et plus avantageux que les structures multilatérales comme l’OMC. Cela rappelle la pensée entrepreneuriale, dans laquelle des négociations directes peuvent maximiser la valeur de la coopération. La renégociation de l’ALENA en USMCA (Accord États-Unis–Mexique–Canada) illustre comment Trump utilise les négociations pour obtenir de meilleures conditions pour les États-Unis.

La décentralisation et la liberté comme fondements stratégiques

L’économie autrichienne souligne que la décentralisation est une condition préalable à une utilisation efficace des ressources et à la liberté individuelle. Trump a remis en question l’idée des États-Unis en tant que « policier du monde » et a plutôt encouragé les acteurs régionaux, comme l’Europe, à assumer une plus grande responsabilité pour leur propre sécurité. Cela est en accord avec l’idée de Hayek selon laquelle le contrôle centralisé conduit à la stagnation et à l’inefficacité.

Wertheim note que l’exigence de Trump quant à l’augmentation des dépenses de défense par les membres de l’OTAN n’est pas nécessairement une menace pour l’alliance, mais plutôt un catalyseur pour sa revitalisation. D’un point de vue autrichien, cela apparaît comme une stratégie de décentralisation, dans laquelle la responsabilité est répartie entre plusieurs acteurs afin de stimuler à la fois l’innovation et l’autonomie.

Lire aussi : Quand l’idéologie affaiblit l’autonomie : Matières premières critiques et l’impasse stratégique de la Norvège

Trump remet également en cause l’idée d’interventions globales fondées sur des valeurs. Au lieu de justifier une intervention militaire par des principes idéalistes, il privilégie des considérations pratiques qui profitent directement aux États-Unis. Cela représente une approche réaliste qui fait écho à la vision de Mises, selon laquelle la politique devrait être fondée sur de véritables incitations plutôt que sur des dogmes idéologiques.

La concurrence comme moteur de la géopolitique

Dans l’analyse de Wertheim, la rivalité de Trump avec la Chine est mise en avant comme un point clé de sa politique étrangère. Trump considère les relations internationales comme un marché où les nations rivalisent pour le pouvoir, les ressources et l’influence. Son approche du « diviser pour régner » envers la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord reflète une application des mécanismes de la concurrence de marché à la géopolitique.

L’économie autrichienne voit dans la concurrence une force dynamique qui stimule l’innovation et le progrès. L’utilisation par Trump de sanctions économiques, de droits de douane et de négociations bilatérales est un moyen de s’adapter aux mécanismes du marché. Sa guerre commerciale avec la Chine en est l’illustration : en exerçant une pression sur la Chine par le biais de droits de douane, il cherche à obtenir de meilleures conditions pour les entreprises américaines.

Mais comme Hayek le mettait en garde, la concurrence sans confiance ni coopération peut conduire à l’instabilité. La politique de Trump a engendré de l’incertitude parmi les alliés traditionnels, ce qui peut offrir aux rivaux tels que la Chine l’occasion de tirer parti d’un vide de pouvoir. Cela souligne la nécessité de contrebalancer la concurrence par une coopération stratégique à long terme.

L’opportunité entrepreneuriale de l’Europe

Trump a poussé l’Europe à assumer une plus grande responsabilité en matière de sécurité. Pour l’Europe, cela implique non seulement d’augmenter les budgets de défense, mais aussi de mettre en œuvre des réformes structurelles favorisant l’entrepreneuriat et l’innovation dans l’industrie de la défense.

L’économie autrichienne met en avant le rôle du marché dans la promotion de l’efficacité. Pour l’Europe, cela signifie ouvrir l’industrie de la défense à la concurrence et aux acteurs privés, stimulant ainsi le développement de nouvelles technologies. En utilisant l’entrepreneuriat comme moteur, l’Europe peut bâtir une structure de sécurité économiquement durable et moins dépendante du soutien américain.

Mais comme Mises l’a averti, l’Europe doit éviter la surréglementation et la centralisation, qui peuvent freiner la croissance et l’innovation. En privilégiant une coopération décentralisée entre les nations, l’Europe peut obtenir une plus grande flexibilité et une plus grande dynamique.

Dans le même temps, l’Europe doit éviter les écueils de la centralisation et de la surréglementation. Si l’augmentation des dépenses de défense conduit à une pression fiscale plus forte et à une moindre flexibilité économique, cela peut entraver la croissance et l’innovation. La clé réside ici dans l’équilibre entre la souveraineté nationale et la coopération régionale, afin d’assurer une structure de sécurité durable.

La volonté comme modèle durable

L’un des aspects les plus intéressants de la politique de Trump, selon Wertheim, est sa mise en avant des contributions volontaires plutôt que des obligations imposées. Cela fait écho à l’idée de Hayek selon laquelle la coopération doit reposer sur des intérêts communs, non sur la coercition.

En affirmant que les États-Unis ne signeront plus de chèques en blanc pour soutenir la sécurité de l’Europe et en insinuant que les États-Unis pourraient quitter l’OTAN si ses mises en garde ne sont pas prises au sérieux, Trump crée néanmoins de véritables incitations pour que l’Europe assume une plus grande responsabilité de sa propre sécurité dans un monde de plus en plus incertain.

Cela est comparable à la théorie économique autrichienne, qui souligne l’importance d’un marché libre sans subventions étatiques, ainsi que des incitations visant à accroître la concurrence et à promouvoir l’entrepreneuriat comme clés d’un développement économique robuste. En supprimant la subvention de facto américaine à la sécurité européenne, les incitations adéquates sont réunies pour que l’Europe prenne les mesures nécessaires dans la dimension de la politique de sécurité.

L’exigence de Trump que les pays de l’OTAN paient davantage pour leur propre sécurité, sous peine de voir le soutien des États-Unis diminuer, remet donc en question les équilibres traditionnels de pouvoir. Mais elle offre également à l’Europe l’occasion de redéfinir son architecture sécuritaire sur la base de la volonté et de l’entrepreneuriat. Cela peut renforcer l’alliance en la rendant plus équilibrée et plus durable.

Réflexion récapitulative : le rôle de l’entrepreneuriat dans l’avenir de la géopolitique

À travers le prisme de l’économie autrichienne, la politique étrangère de Trump peut être comprise comme une approche pragmatique et entrepreneuriale face aux défis mondiaux. Son accent sur la décentralisation, la concurrence et la coopération volontaire remet en cause les structures traditionnelles, mais ouvre également la voie à l’innovation et à des solutions plus efficaces.

Pour l’Europe, cela représente à la fois un défi et une opportunité. En adoptant l’entrepreneuriat et des solutions dictées par le marché, l’Europe peut développer une stratégie sécuritaire qui renforce l’autonomie du continent et sa capacité d’innovation. D’un point de vue autrichien, la politique de Trump n’est pas seulement une nécessité, mais une chance de créer un nouvel ordre mondial plus décentralisé.

Référence :

Entretien avec Stephen Wertheim, Der Spiegel, 4 décembre 2024. Lire l’interview ici : What Role Will the U.S. Play in the World?: «Trump Has Never Been an Isolationist» – DER SPIEGEL

Général Schill : Alors que la « place du char reste primordiale », l’armée de Terre a « besoin du MGCS »

Général Schill : Alors que la « place du char reste primordiale », l’armée de Terre a « besoin du MGCS »


Censé avoir été relancé après la signature d’un protocole d’accord par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand, Boris Pistorius en avril 2024, le projet de Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System] est toujours au même point.

Si les turbulences politiques de part et d’autre du Rhin n’y sont pas étrangères, il n’a pas encore été possible de notifier les premiers contrats à la société de projet devant être créée par les principaux industriels concernés [KNDS France, KNDS Deutschland, Thales et Rheinmetall], la constitution de cette dernière ayant pris du retard. En outre, la chambre basse du Parlement allemand [Bundestag] ne s’est pas encore prononcée sur l’accord signé par MM. Lecornu et Pistorius.

Pour rappel, comme il vise à développer une « famille de systèmes » [chars de nouvelle génération, drones, robots, etc.] reposant sur un  » cloud de combat », le MGCS doit être réorganisé selon huit piliers capacitaires distincts [plateforme, tourelles et canons, armement secondaire, système de communication et de commandement, simulation, capteurs, protection contre les drones, logistique], tout en assurant un partage industriel à 50-50 entre la France et l’Allemagne.

En outre, certains choix technologiques, comme l’armement principal du futur char de combat, n’ont pas encore été tranchés.

Quoi qu’il en soit, après s’être mis d’accord avec son homologue allemand sur une fiche commune d’expression des besoins [HLCORD], le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, s’est dit convaincu que le MGCS allait incarner une « bascule technologique ».

« En 2045, le char que nous utiliserons ne sera pas un char actuel amélioré, pour la simple raison que s’il faut équiper un seul véhicule de tous les équipements de protection et d’agression nécessaires, nos analyses montrent qu’il atteindrait un poids rédhibitoire de 70 ou 80 tonnes », a-t-il expliqué en novembre, lors d’une audition au Sénat dont le compte rendu vient d’être publié.
« C’est pourquoi nous nous orientons – et les Américains sont sur la même ligne – vers des systèmes combinant plusieurs véhicules. Ce ne sera pas une évolution des chars actuels, mais un système de systèmes au sein d’un cloud de combat », a poursuivi le CEMAT.

Au regard des implications technologiques et financières que cela suppose, le général Schill a estimé qu’un projet comme le MGCS ne peut qu’être conduit à « l’échelle européenne » car « aucun pays du continent n’aura la capacité de fabriquer seul les centaines d’équipements nécessaires à un coût contrôlé ».

Aussi, « nous sommes dans la ligne fixée […] par le préaccord industriel », a-t-il ajouté, alors que, de leur côté, Rheinmetall et Leonardo ont créé une coentreprise afin de proposer le char KF-51 « Panther » et le véhicule de combat d’infanterie KF-41 « Lynx » à l’armée italienne… A priori, le CEMAT ne pense pas que cette approche puisse être viable…

Quoi qu’il en soit, « l’armée de Terre a besoin du MGCS » car « la place du char reste primordiale », a insisté le général Schill.

Seulement, aussi « primordiale » soit-elle, cette place du char au sein de l’armée de Terre est réduite : la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 prévoit un parc de seulement 160 Leclerc rénovés [a minima] à l’horizon 2030… et de 200 en 2035.